Séance du
vendredi 2 octobre 2015 à
17h
1re
législature -
2e
année -
8e
session -
57e
séance
R 794
Débat
Le président. Le dernier objet figurant à notre ordre du jour est la R 794, dont nous débattons en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole à M. Eric Leyvraz, qui remplace M. Stéphane Florey, premier signataire.
M. Eric Leyvraz (UDC). Merci, Monsieur le président. Après de difficiles discussions, l'Union européenne, malgré la farouche opposition de quatre pays, a réussi à se répartir 120 000 demandeurs d'asile. Rappelons que leur nombre pour 2015 devrait dépasser les 700 000, et on attend les mêmes chiffres pour 2016, soit un chaos annoncé. On voit déjà avec quel enthousiasme les réfractaires, soit les pays de l'Est, vont tout mettre en oeuvre pour garder ces hôtes non désirés ! La Suisse a signé les accords de Schengen et Dublin, qui sont morts dans les faits car ils ont été constamment bafoués ces derniers temps par des Etats membres de l'Union européenne; or les traités doivent être respectés par tout le monde ou par personne. Nous ne sommes ainsi plus engagés par ces accords caducs et devons exiger leur rediscussion globale.
La Suisse est un pays souverain qui doit lui-même décider quelle sera sa politique d'asile, et la Confédération a déjà fait beaucoup plus que la plupart des pays européens, à part la Suède, en ce qui concerne les migrants. En effet, elle a accordé il y a peu 70 millions de francs pour l'aide directe sur place; on n'en tient pas compte en Europe. Genève est aussi, me semble-t-il, un exemple de canton généreux: de nombreuses personnes résident ici sans autorisation de séjour, leurs enfants sont scolarisés et les centres d'accueil sont pleins. La Suisse peut très bien décider de prendre plus de requérants que ce que demande l'Union européenne, elle peut aussi décider d'en prendre moins. Il arrive 80 migrants par jour à Buchs, ce qui fait 30 000 entrées par année; c'est un grand nombre par rapport à la France, qui veut en accueillir 30 000 en deux ans. Notons d'ailleurs qu'à Genève, on compte une forte augmentation des demandes.
Nous n'avons aucune raison de faire plaisir aux pays qui nous entourent sur ce sujet. On fait plaisir à des amis; or, en politique, on n'a pas d'amis: les Etats peuvent signer des accords ou des alliances entre eux, mais ils restent toujours des concurrents. Comment voulez-vous que nous défendions nos intérêts généraux lors de problèmes avec l'Union européenne si celle-ci sait qu'il suffit d'élever la voix pour mettre la Confédération au garde-à-vous ? C'est une question de principe. Avant de fixer nos chiffres d'admissions, nous devons être capables de réfléchir aux conséquences financières de nos décisions concernant un asile très librement accordé, car cela coûte cher, et admettre que l'argent devra bien être pris dans l'enveloppe actuelle au détriment de nos chômeurs et de nos anciens, tous les secteurs étant touchés - je me réjouis de voir la grande solidarité du DIP quand il faudra mettre un ou deux élèves de plus par classe avec un budget bloqué. Notre devoir est de nous soucier d'accueillir au mieux les déplacés, d'apporter aux jeunes l'éducation et la formation nécessaires pour qu'ils puissent s'intégrer; or on voit très bien que ce n'est pas le cas, comme le souligne un article dans la presse aujourd'hui. Si nous avons trop de réfugiés, ces tâches ne pourront pas être remplies, au détriment de toute la population.
Quant à l'argument du XIXe siècle consistant à dire qu'il y aura plus de monde pour payer les futures retraites, encore faudra-t-il que tous ces nouveaux venus aient du travail ! Or nous sommes à l'aube d'une véritable révolution sociétale avec le développement des applications internet et celui, foudroyant, de l'impression 3D. Combien de vendeurs, de caissières, de chauffeurs de taxi dans vingt ans ? Les nouvelles technologies éliminent plus de jobs qu'elles n'en créent, et les métiers demandant peu de formation disparaissent. Parmi les requérants, il est aussi des représentants d'une classe moyenne aisée, bien formée, et nous savons très bien que ces gens, une fois installés ici, ne retourneront pas dans le pays qui les a formés à grands frais, où ils manqueront cruellement, après guerre, pour sa reconstruction. Parfois, nous nous prenons pour des bienfaiteurs mais nous nous conduisons en réalité comme des néocolonialistes.
La gauche proposera comme toujours sa recette miracle: l'augmentation des impôts. Et qui va trinquer à nouveau ? La classe de ceux qui bossent, qui paient toutes leurs assurances - assurance-maladie comprise - et sont déjà spécialement pressurés par le fisc genevois. Faites attention: il est prestigieux de déclarer Genève capitale des droits de l'Homme, à condition qu'elle ne devienne pas petit à petit capitale des non-droits de la classe moyenne ! Mesdames et Messieurs, la Suisse peut et doit librement exercer sa politique d'immigration au mieux de ses possibilités, sans subir les menaces d'Etats qui en font beaucoup moins qu'elle. Nous vous demandons d'envoyer cette résolution au Conseil d'Etat. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. François Lefort (Ve). D'aucuns aiment pratiquer la méthode du bon docteur Coué en politique; or si celle-ci peut être utile dans le cas de certaines pathologies, elle l'est en revanche grandement moins en politique et peut même se révéler dangereuse. Nous ne pourrons évidemment pas faire changer d'avis les signataires de cette troisième résolution, mais nous pouvons leur rappeler la réalité: d'abord, nous assistons à un exil massif et forcé de centaines de milliers de personnes en quête d'asile, dû à des guerres et à des systèmes totalitaires. La peur de mourir, Mesdames et Messieurs, est une très forte motivation pour fuir, et quand on vous abandonne, que l'Etat qui vous devait protection n'existe plus, qu'il vous massacre, que personne ne vient à votre aide, il ne reste que la fuite, ce qui est totalement légitime, Mesdames et Messieurs les députés, et je suis sûr que vous feriez de même dans pareille situation. En grande majorité, ces personnes ont fui vers des pays proches parce qu'elles espèrent pouvoir rentrer chez elles, contrairement à ce que vous racontez.
Alors bien sûr, les images du téléjournal montrant ce qui se passe en Europe centrale suscitent la peur, c'est rationnel. Mais la réalité, s'agissant de l'asile, c'est que la Suisse prend en charge 3% des demandes déposées en Europe, ce qui est la valeur la plus faible depuis quinze ans. Ces images suscitent la peur, mais ceux qui fuient la guerre et la terreur, Mesdames et Messieurs les députés, ont bien plus peur que vous pour tout abandonner. Car ce sont la guerre et la terreur qui créent les réfugiés, il semblerait que vous l'ayez oublié, surtout ceux d'entre nous qui ont signé ces résolutions et sont des enfants ou petits-enfants de réfugiés.
Il faut donc être pragmatique: nous n'avons pas les moyens de supprimer les guerres, la terreur et les régimes totalitaires; il faudra par contre être intraitable avec les trafiquants d'armes et les tyrans qui, eux, ne pourront plus trouver refuge en Suisse. Etre pragmatique, cela signifie accueillir dignement et humainement les réfugiés qui se présentent. Nous avons les moyens de le faire - nous n'avons d'ailleurs pas le choix. C'est ce qu'a fait le Conseil national la semaine dernière puisque tous les partis, à l'exception de l'UDC, ont accepté la réalisation de nouveaux centres d'accueil. Ceux qui ont refusé croient que l'armée aux frontières sera la solution; ils ont pourtant été désavoués hier par leur propre conseiller fédéral selon lequel, comme il le reconnaît, ce serait une mission trop coûteuse et, en fait, impossible.
Cette proposition de résolution invite Genève à refuser des quotas de migrants imposés par l'Union européenne à la Confédération. Il s'agit là d'une manipulation; oui, tout simplement d'une manipulation, parce que l'Union européenne n'impose pas de quotas à la Suisse: cette affirmation est une traduction de la situation par un journaliste du «Matin». La Commission européenne souhaite seulement que la Suisse participe à la clef de répartition des réfugiés en tant qu'Etat associé au règlement de Dublin...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. François Lefort. ...ce qui a un autre sens et rappelle que nous sommes signataires de cet accord avec l'Union européenne et que cela engage des responsabilités. La Suisse profite largement de ces accords pour envoyer un grand nombre de demandeurs vers d'autres pays européens alors qu'elle en accepte bien moins en retour. Et si, comme le demande cette résolution, la Suisse menait une politique indépendante et refusait toute collaboration avec l'Union européenne, elle serait exclue du système Dublin, ce qui signifierait que tous les demandeurs d'asile déboutés en Europe convergeraient vers la Suisse, qui serait alors obligée d'examiner leur requête.
Le président. Il vous faut conclure.
M. François Lefort. Cela entraînerait une augmentation considérable...
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. François Lefort. Voilà. Refusez cette résolution ! Merci.
M. Eric Stauffer (MCG). Monsieur le président, qu'on ne se méprenne pas: tout à l'heure, je ne m'adressais pas à une personne de la tribune, je m'adressais à vous pour dénoncer un journaliste que j'ai traité de félon. Pourquoi ? Parce que ce journaliste... (Commentaires.)
Le président. Concentrez-vous sur la résolution, Monsieur Stauffer.
M. Eric Stauffer. Je reviens tout de suite sur le texte ! Ce journaliste, disais-je, est un ancien conseiller municipal socialiste qui a résumé le débat, Mesdames et Messieurs, en citant un élu de gauche - évidemment ! - et en disant que le MCG et l'UDC avaient tenu des propos haineux et racistes ! Voilà la manipulation ! J'ai cité le nom de ce journaliste, ce que j'assume pleinement: c'est Marc Bretton, ancien conseiller municipal...
Le président. Bon, concentrez-vous...
M. Eric Stauffer. ...socialiste ! (Brouhaha. Commentaires.)
Le président. Monsieur !
M. Eric Stauffer. La population a le droit de savoir, Mesdames et Messieurs, parce que nous avons du mérite, et il s'agit là d'une manipulation... (Commentaires.)
Le président. Monsieur de Sainte Marie, s'il vous plaît !
M. Eric Stauffer. ...honteuse...
Le président. Monsieur de Sainte Marie...
M. Eric Stauffer. ...et il faut le savoir !
Le président. ...je vous prie de vous taire !
M. Eric Stauffer. La manipulation par la presse, ça suffit maintenant ! (Commentaires.) Bien sûr, écrire que le Conseil d'Etat pouvait vivre avec une telle résolution, que c'était une aide certes modeste mais immédiate, ce n'est pas possible pour un ancien élu socialiste, il a fallu qu'il spécifie que le MCG était haineux; avez-vous entendu un seul propos xénophobe ou raciste de la part de l'UDC et du MCG durant les débats ? (Brouhaha.) Aucun, Mesdames et Messieurs ! (Commentaires.) Ecoutez un peu, ça vous instruira !
Le président. Monsieur Stauffer, s'il vous plaît ! (Brouhaha.) Mesdames et Messieurs, si vous voulez que j'intervienne, il faudrait que je puisse vous entendre ! En l'occurrence, vous hurlez tous sans écouter les orateurs, que ce soit les uns ou les autres. (Commentaires. Un instant s'écoule.) Monsieur Stauffer, respirez et reprenez la parole.
M. Eric Stauffer. Merci, Monsieur le président. Pour en revenir à ce qui nous intéresse, l'UDC et le MCG prouvent ce soir qu'ils sont deux partis gouvernementaux responsables, qui posent les bonnes questions pour essayer d'amener les bonnes solutions. Quant aux autres, vous avez démontré à la face de la Suisse que pour vous, il est urgent de ne rien faire, à part de belles déclarations. Nous voulions du concret, vous n'en êtes pas capables. Les votes nominaux seront là pour la postérité et témoigneront que vous n'avez cure des réfugiés et que vous faites juste de la politique politicienne ! Merci ! (Applaudissements.)
Mme Nathalie Fontanet (PLR). Chers collègues, notre pays s'est construit sur l'ouverture et la tolérance; quant à notre canton, il a une longue histoire liée à l'aide humanitaire. Nul n'est besoin de rappeler qu'au Moyen Age déjà, il était le refuge des victimes de persécutions religieuses et politiques; aujourd'hui, il accueille le siège du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et est considéré comme une plate-forme humanitaire.
La crise migratoire actuelle est l'une des plus importantes depuis la Seconde Guerre mondiale: des hommes, des femmes et des enfants marchent sur les routes d'Europe, fuyant leur pays, non pas pour bénéficier d'une situation économique plus favorable, comme certains aiment à le faire croire, mais simplement pour rester en vie. Les rapports des organisations humanitaires sont effrayants, les images, insupportables, nous bouleversent. Si d'aucuns critiquent ceux qui se laissent gagner par l'émotion, pour ma part, chers collègues, je dis que l'émotion n'est pas que négative: c'est ce qui nous distingue des machines et des robots, c'est ce qui fait de nous des êtres humains et c'est ce qui nous permet de prendre des décisions humaines et responsables.
C'est dans ce chaos que l'UDC nous propose aujourd'hui comme solution de refuser les quotas de migrants imposés par l'Union européenne à la Confédération. Or, à l'heure actuelle, il n'y a pas de quotas imposés par l'Union européenne à la Suisse ! Certes, des discussions sont en cours, et moyennant le fait que les pays européens respectent leurs engagements, le nôtre prendra ses responsabilités et participera à l'effort collectif de façon limitée, comme cela a été annoncé - nous faisons confiance à notre Conseil fédéral à cet égard.
Quel message voulons-nous donner ce soir, celui de l'indifférence au drame qui se joue ? Est-ce ainsi que notre canton souhaite contribuer à la résolution de cette crise ? Entend-il se dérober, renier son histoire, mettre de côté son humanité, se défaire de ses responsabilités ? En tous les cas, Mesdames et Messieurs, le PLR ne le souhaite pas. C'est dans un cadre de justesse, de fermeté, de solidarité et de responsabilité que nous voulons que la Suisse et Genève participent à l'accueil des réfugiés qui fuient pour ne pas mourir. Le groupe PLR refusera donc cette résolution. (Quelques applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution est fondée sur des affirmations fausses, une fois de plus. Prenons-les une par une: on nous dit d'abord que, pour les sept premiers mois de 2015, la Suisse a enregistré deux fois plus de demandes d'asile, compte tenu de sa population, que les pays européens; or on oublie de nous rappeler que cette proportion n'a crû que de 20% pour la Suisse contre 70% pour l'Union européenne. Par ailleurs, si on prend la richesse comme terme de comparaison, la Suisse a enregistré moitié moins de demandes d'asile que l'Union européenne durant la même période - et il me semble que la richesse produite est tout de même un terme de comparaison important s'agissant de la capacité des Etats à prendre en charge des requérants d'asile.
Deuxièmement, on défend une politique suisse d'asile qui soit indépendante. Chiche: menons une politique d'asile indépendante ! Mais pourquoi vouloir en mener une qui soit inférieure à celle de l'Union européenne ? Ce que défendent l'UDC et le MCG, c'est une politique ultra-restrictive. Tandis que la Suisse profite des barrières de la forteresse Europe, en particulier des mécanismes des accords de Dublin pour renvoyer une partie de ses requérants vers les premiers pays dans lesquels ils se sont déclarés - l'Espagne, la Grèce, l'Italie, la Hongrie - elle refuserait de participer de façon solidaire à l'effort d'accueil européen ? Cherchez l'erreur !
Enfin, dans neuf considérants sur treize, l'UDC et le MCG invoquent les capacités d'accueil limitées du canton ainsi que ses difficultés financières, simple redite des considérants de la proposition de résolution 793, cette fois-ci pour mettre en cause l'effort déjà limité prévu par le Conseil fédéral. C'est pourquoi, en lieu et place de l'invite unique de ce texte - puisqu'il s'agit de faire quelque chose, allons-y - nous invitons le Conseil d'Etat, par un amendement que j'ai déposé, à demander au Conseil fédéral: premièrement, que la Suisse renonce aux renvois vers les premiers pays où les réfugiés se déclarent, en dérogeant aux accords de Dublin, notamment la Grèce, l'Italie, l'Espagne et la Hongrie; ensuite, qu'elle s'engage à maintenir au moins la même proportion de demandes d'asile déposées que celles qui l'ont été dans l'Union européenne en 2009-2013, soit 6,3% - si vous faites le calcul, cela signifie 50 000 demandes d'asile pour les 800 000 attendues en Europe; et enfin, que la Suisse prenne les dispositions nécessaires pour traiter un nombre au moins équivalent de demandes d'asile en 2015 qu'en 1999, au sommet de la crise de l'ex-Yougoslavie. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Michel Amaudruz (UDC). Je crois qu'il est bon de faire un bref retour dans le passé: je pense à la conférence d'Evian de 1938. On critique beaucoup la Suisse pour son comportement entre 1939 et 1945, ainsi que l'a fait une préopinante tout à l'heure; mais elle n'était pas là pour garder les frontières ! A la conférence d'Evian de 1938, qui avait été commanditée par les Américains, c'est-à-dire par Roosevelt - lequel n'a évidemment pas fait ce que les autres ont fait - la Suisse, qui était déjà à bout de souffle, avait expliqué aux 32 représentants de la Société des Nations qui assistaient à ce congrès qu'elle se voyait dans l'obligation de réinstaurer le système des visas parce qu'elle ne pouvait plus absorber tous les réfugiés qui se précipitaient à ses frontières. Néanmoins, dans le prolongement, la Suisse a pris un quota de 25 000 personnes, ce qui a fait dire aux Américains qu'ils ne pourraient pas faire moins.
Aujourd'hui, que voit-on en France ? Le président Hollande et son premier ministre Manuel Valls annoncer triomphalement qu'ils accueilleront 24 000 requérants répartis sur deux ans.
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Michel Amaudruz. Oh, c'est dommage ! Cela met en évidence le fait que cette problématique est traitée de façon très sérieuse dans les autres pays. En Allemagne, où on attend 800 000 réfugiés... Bon, comme je n'ai pas le temps de développer ce thème, je me référerai simplement à un dessin cité par Ruquier dans son émission. Le texte disait quelque chose comme: «Allemagne: 800 000 réfugiés... Ah non: 800 000 aides à domicile !» Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Ronald Zacharias (MCG). Nous l'avons vu, il est difficile de prendre la parole sur un sujet aussi douloureux. Mesdames et Messieurs les députés, Genève, cela a été rappelé par notre conseiller d'Etat, n'a pas à rougir de son effort de solidarité envers les plus démunis. Sur un sujet aussi sensible que celui des requérants d'asile, parfois obligés de fuir leur pays pour sauver leur peau, la tentation est grande de balayer d'un revers de la main tout obstacle qui pourrait se mettre en travers du chemin de l'accueil, de la générosité, de la main tendue. Plaider la limitation de cet effort serait un réquisitoire contre le bien ou le juste. Or notre mission est précisément celle-là. D'un côté de la balance, l'effort de solidarité compassionnel...
Le président. Il vous reste vingt secondes.
M. Ronald Zacharias. ...et, de l'autre, la préservation des intérêts que nous portons. Ainsi, venir en aide à ceux qui en ont besoin est souvent affaire d'équilibre. D'aucuns préconisent l'ouverture des frontières sans limites, avec pour conséquence l'afflux d'un nombre incontrôlable de réfugiés...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Ronald Zacharias. Pardon ?
Le président. Merci de conclure, Monsieur.
M. Ronald Zacharias. Bien. Je vous invite, Messieurs et Mesdames les députés, à accepter cette proposition de résolution et vous en remercie.
Une voix. Bravo !
M. Thomas Wenger (S). Mesdames et Messieurs les députés, le MCG et l'UDC dégoulinent d'hypocrisie et prennent vraiment les gens pour des demeurés ! Après avoir pris en otage ce parlement à tel point que la police a dû intervenir pour évacuer Eric Stauffer de cette salle... (Exclamations. Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Une voix. C'est pas possible !
Le président. Du calme, s'il vous plaît, Monsieur Medeiros ! (Commentaires.) S'il vous plaît, j'aimerais que vous écoutiez l'orateur... (Remarque.) Vous écoutez l'orateur !
M. Thomas Wenger. ...vous recommencez aujourd'hui dans le seul but de vous donner une vitrine à deux semaines des élections fédérales. Votre seul objectif à vous, MCG et UDC, la seule chose que vous faites à longueur d'année, c'est monter les gens les uns contre les autres, trouver et désigner des boucs émissaires: vous montez les Genevois d'abord contre les frontaliers, ensuite contre les étrangers, maintenant contre les réfugiés et les requérants d'asile. Mais il faut bien rappeler aux gens qui nous écoutent que c'est vous, MCG et UDC... (Commentaires. Le président agite la cloche.)
Le président. Monsieur Stauffer, s'il vous plaît !
M. Thomas Wenger. ...qui votez des budgets avec des coupes dans l'aide sociale, c'est vous qui, avec la droite, soutenez les spéculateurs de l'immobilier pour qu'ils puissent continuer à s'enrichir sur le dos des locataires et c'est vous, enfin, qui soutenez avec force des baisses d'impôts pour les grandes fortunes, qui vont engendrer des baisses de prestations, notamment dans le social, l'assurance-maladie ou les TPG. C'est ce qu'on appelle la «zachariarisation» du MCG ! Vous dévoilez aujourd'hui, Mesdames et Messieurs du MCG, votre vrai visage: vous n'êtes ni de gauche ni de droite, tout ça va à la poubelle; non, vous êtes de droite libérale et d'extrême droite, vous ne défendez ni les Genevois ni les résidents ni personne, et vous devriez avoir honte d'avoir convoqué cette séance extraordinaire !
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et donne la parole à M. Patrick Saudan pour cinquante-cinq secondes.
M. Patrick Saudan (PLR). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la question posée par cette résolution est assez simple: la Suisse doit-elle accepter un certain nombre de réfugiés selon un système de quotas permettant de les répartir équitablement au sein de l'espace européen ? Le PLR pense que oui. En effet, la Suisse, très imbriquée dans l'économie européenne, est dans le même bateau que les autres pays de l'UE. Nous ne pouvons pas nous défausser, nous devons accepter autant de réfugiés que notre prospérité et notre capacité contributive le permettent. A Genève, nous sommes les premiers à nous gargariser du fait que nous abritons de grandes organisations internationales comme le HCR et le CICR. Or l'Union européenne est l'un des gros contributeurs à ces budgets; nous ne pouvons donc pas envoyer un message de fermeture tel que celui convoyé par cette résolution. Par ailleurs, j'ai une autre lecture que celle de M. Amaudruz de la conférence d'Evian: les Etats-Unis et les pays européens n'ont pas réussi à se mettre d'accord...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Patrick Saudan. ...pour ouvrir largement les frontières aux juifs...
Le président. C'est terminé.
M. Patrick Saudan. ...et c'est pourquoi il ne faut pas refaire les mêmes erreurs. Le PLR... (Le micro de l'orateur est coupé.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Roger Deneys.
Une voix. Vas-y, Roger !
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, comment pourrions-nous accepter une résolution dont le dernier considérant dit que «Genève n'a plus les moyens d'accueillir de nouveaux migrants» ? Comment pourrions-nous être crédibles à l'échelle européenne en tenant pareils propos ? Quand on pense à nos pays voisins, à l'Italie, à l'Autriche, aux pays de l'Est et, plus loin, à la Grèce et à l'Espagne, comment pouvons-nous dire en Suisse et à Genève que nous n'avons plus les moyens d'accueillir de nouveaux réfugiés ? Mesdames et Messieurs les députés, il n'y a rien de pire ni de plus indigne que ce manque de solidarité entre pays, parce que l'effort doit être conjoint. Et même si la Suisse n'est pas membre de l'Union européenne, nous nous trouvons tout de même au coeur de l'Europe et nous ne pouvons pas refuser d'accomplir notre part du travail dans l'accueil de ces personnes en urgence.
Il faut aussi rappeler, dans notre débat de ce soir, qu'il est particulièrement indigne de voir un député stigmatiser ainsi et livrer à la vindicte un journaliste qui fait son travail. Il est tout simplement honteux d'entendre des propos pareils dans ce Grand Conseil... (Commentaires.) C'est un appel à la chasse aux sorcières...
Le président. Il vous reste quinze secondes.
M. Roger Deneys. ...qu'il faut dénoncer car il est grave d'assister à de telles choses ! (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Le PDC va refuser cette proposition de résolution. En effet, au vu de la crise actuelle, il faut que les pays européens se coordonnent car on a déjà pu constater que sans coordination, rien ne va: on l'a vu avec l'afflux des gens en Grèce, pays qui a dû se débrouiller avec des milliers de personnes dont il n'avait pas les moyens de s'occuper; on l'a vu avec ce qui s'est passé en Italie. Un minimum de coordination doit être mis en oeuvre et la Suisse, qui a signé des accords avec l'UE, doit aussi discuter avec les pays européens sur la coordination et l'accueil des réfugiés.
J'aimerais remercier Mme Fontanet pour sa déclaration parce que, je le rappelle, on se trouve ici dans une situation extraordinaire, on sort de la politique des réfugiés que l'on menait jusqu'à présent. Cette situation est extraordinaire, Mesdames et Messieurs ! Par ailleurs, jusqu'à maintenant, la Suisse se voit peu touchée puisque moins de 3000 personnes sont arrivées chez nous; peut-être ne sera-t-elle pas touchée du tout et que toutes les discussions menées aujourd'hui ne serviront strictement à rien. Mais si plus de 3000 personnes demandent tout à coup l'asile en Suisse, il faudra être prêt. Or la Suisse est un pays qui aime bien se préparer, qui ne prend pas ses décisions à la légère, et la Confédération fait déjà un grand travail dans ce sens-là. On ne peut pas prétendre qu'on veut sortir des quotas, ça ne veut rien dire, on est obligé de participer à l'effort européen !
Ce qui m'attriste aujourd'hui, en entendant ces discussions, c'est que notre canton va souffrir d'un dégât d'image. Si les gens écoutent ce qu'on dit - j'espère cependant qu'ils ne le font pas - ils entendront simplement que Genève ne représente plus la cité du refuge qu'elle était, qu'elle ne représente plus les organisations qui s'y sont établies du fait que c'était un lieu spécial qui véhiculait ce qu'on appelait l'esprit de Genève. L'esprit de Genève, l'UDC et le MCG ne savent pas ce que c'est, tout simplement, et ce dégât d'image est vraiment terrible pour notre canton. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient, pour dix secondes, à M. Mizrahi. Dix secondes !
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président, ce sera suffisant. Je voudrais simplement rappeler, en prolongement de l'intervention de mon collègue Deneys, que l'article 90 de la LRGC s'applique également aux députés qui s'en prennent aux journalistes pendant de longues minutes ! (Commentaires.)
Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Heureusement que M. Henri Dunant ne s'est pas posé autant de questions ni n'a analysé l'ensemble des tenants et aboutissants avant de créer la Croix-Rouge ! Il a réagi sur le plan de l'émotion, et je remercie à cet égard Mme la députée Fontanet d'avoir souligné que cela existe et fait même partie de nous. A force d'être rationnel, on finit par perdre la raison.
S'agissant de ces trois résolutions, la première propose de l'aide au développement. Or on sait bien que, dans des pays en guerre, c'est vain: on ne peut pas y aller, on ne peut pas y travailler. A quoi cela sert-il donc de le suggérer ? La deuxième demande une politique de l'asile indépendante, c'est-à-dire de rester entre nous, de tout contrôler et surtout, ainsi qu'on en a fait la démonstration durant la Première et la Seconde Guerre mondiale, de bien resserrer les rangs et d'être assez opportunistes sur le plan économique pour se tirer des flûtes. La troisième nous propose d'avoir toutes les assurances pour agir dans des situations d'urgence. Ce n'est pas possible !
Le président. Il vous reste vingt secondes.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. A un moment donné, on peut se poser la question suivante: est-ce qu'on a envie d'agir admirablement - je le souhaiterais pour notre parlement - et honnêtement ? Ou alors médiocrement ? J'espère qu'on n'en est pas à ce stade...
Le président. Il vous faut conclure.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. Voire abominablement ? Je ne le souhaite à personne. (Quelques applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Madame la députée. Monsieur Zacharias, vous avez dix secondes !
M. Ronald Zacharias (MCG). Merci, Monsieur le président. Serait-il possible de rappeler à certains députés que les attaques personnelles ne sont pas acceptables ? (Exclamations. Rires.) Je vous remercie.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Si le Conseil d'Etat avait ne serait-ce qu'un instant compté sur cette séance pour se voir rasséréné dans sa politique et éventuellement trouver de nouvelles idées, voire sortir d'ici plein d'enthousiasme afin de gérer la situation à laquelle il est confronté depuis plusieurs mois, il en serait pour ses frais. Mais je vous rassure: il n'a jamais compté là-dessus.
Le Conseil d'Etat voit dans cette proposition de résolution quelques paradoxes. Le premier, c'est que celles et ceux qui l'ont déposée ou soutenue se classent en général parmi les adversaires de la construction européenne, et que si on appliquait aujourd'hui ce que l'Europe souhaite développer à la fois comme principe mais également comme quotité - des quotas appliqués à l'ensemble du continent - la Suisse se verrait en réalité demander un effort bien moins grand que celui qu'elle déploie déjà aujourd'hui...
Une voix. Exactement !
M. Pierre Maudet. Voilà le premier paradoxe... (Remarque.) Oui, mais je ne suis pas certain que vous ayez lu jusqu'au bout votre propre résolution, Mesdames et Messieurs... (Exclamations. Commentaires.) ...parce que si nous appliquions les quotas voulus - et non pas imposés - par l'Union européenne, nous aurions précisément un effort exceptionnel supplémentaire à faire qui serait de l'ordre, calcul à l'appui réalisé au niveau fédéral, de 4800 personnes ! Ces 4800 personnes de plus représentent seulement un quart du nombre de requérants d'asile que nous avons accueillis l'année passée et pas même un dixième de ceux que nous avons accueillis dans les années nonante en Suisse. Voilà le premier paradoxe que je voulais souligner, qui montre à quel point cette résolution relève d'une profonde inanité.
Le deuxième paradoxe, c'est que ceux qui souhaitent généralement voir se déconstruire l'Europe sont les mêmes qui voudraient ce soir que l'on applique jusqu'au bout les programmes que sont Dublin et Schengen. A l'inverse, ceux qui soutiennent d'ordinaire la construction européenne causeraient, à la faveur de l'amendement proposé, l'abrogation de ces mêmes accords. Or ce n'est pas le moment de changer les règles du jeu, Mesdames et Messieurs, c'est justement maintenant, comme l'ont dit certains d'entre vous, qu'il faut se serrer les coudes et faire en sorte d'appliquer les règles avec fermeté mais humanité, avec une certaine générosité.
Ainsi que l'a relevé mon collègue tout à l'heure, nous n'avons pas à rougir de notre effort. Le député Batou a évoqué le fait que nous étions un pays riche, et c'est vrai: nous pesons 1,6% de la population du continent européen mais, si on aime les chiffres, 3,6% du PIB. Si on fait la moyenne des deux et en arrondissant quelque peu, nous pourrions facilement accueillir 3% de l'ensemble des requérants d'asile se trouvant sur le continent. En réalité, nous sommes déjà au-delà et nous allons poursuivre dans ce sens parce que c'est notre responsabilité, parce que, pour prendre l'exemple d'un pays voisin, l'Autriche accueille chaque mois plus de 8000 réfugiés, c'est-à-dire environ le nombre d'entre eux que nous avons accueillis, quant à nous, en un peu plus de quatre mois depuis le début de l'année. D'autres pays font des efforts, qui ne sont pas moins méritoires, et doivent être soutenus.
Ce que je voudrais vous dire ce soir au nom du Conseil d'Etat, Mesdames et Messieurs, c'est que si la Suisse n'a pas à rougir, si Genève n'a pas à rougir non plus, nous faisons face à un problème d'une plus grande acuité, à savoir l'accueil des mineurs non accompagnés: c'est une bombe sociale en puissance qui se trouve sous nos yeux et que nous devons gérer au quotidien, et je n'ai pas entendu à ce propos, ce soir, beaucoup de solutions praticables. Ce que le Conseil d'Etat veut ainsi mettre en pratique, au-delà de ces calculs d'épicier qui, il est vrai, sont tout de même un peu indécents dans ce contexte, c'est une action responsable qui nous permette de nous regarder dans la glace, d'assumer ce dans quoi nous nous lançons, de nous montrer généreux, humains mais fermes également.
Enfin, j'aimerais dire solennellement au nom du Conseil d'Etat - parce que c'est réellement notre position à tous les sept - que si l'Europe devait échouer, c'est la Suisse qui échouerait aussi. (Commentaires.) Et il ne s'agit pas ici de l'Europe politique mais bien de la civilisation qu'est l'Europe, des valeurs qu'elle porte. Voilà, Mesdames et Messieurs, ce dont nous devons prendre acte ce soir. Nous sommes un continent, nous formons un tout, et si d'aventure, je le répète encore une fois, l'Europe devait échouer, c'est l'ensemble de la civilisation qui échouerait. J'ai dit.
Une voix. Bravo ! (Longs applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous allez tout d'abord vous prononcer sur l'amendement déposé par M. Jean Batou, qui consiste à remplacer l'invite unique de la résolution par les invites suivantes:
«- à demander au Conseil fédéral que la Suisse renonce aux renvois vers les premiers pays où les réfugiés se déclarent, conformément aux Accords de Dublin (notamment l'Italie, l'Espagne et la Hongrie);
- à demander au Conseil fédéral qu'il s'engage à maintenir au moins la même proportion de demandes d'asile déposées en Suisse par rapport à celles déposées dans l'Union européenne qu'en 2009-2013, soit 6,3%;
- à demander au Conseil fédéral qu'il prenne les dispositions nécessaires pour traiter un nombre au moins équivalent de demandes d'asile en 2015 qu'en 1999, au sommet de la crise de l'ex-Yougoslavie.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 56 non contre 30 oui.
Mise aux voix, la proposition de résolution 794 est rejetée par 58 non contre 27 oui et 2 abstentions.