Séance du
vendredi 8 mai 2015 à
20h30
1re
législature -
2e
année -
5e
session -
32e
séance
PL 10990-A
Premier débat
Le président. Nous en sommes au PL 10990-A, qui est classé en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de M. Vincent Maitre, à qui je donne la parole.
M. Vincent Maitre (PDC), rapporteur. Je vous remercie, Monsieur le président. Ce projet de loi modifie la loi cantonale sur l'intégration des étrangers et il part du constat suivant fait par ses auteurs: la loi actuelle ne précise pas que le séjour des étrangers doit être légal et durable, et ce projet de loi vise à préciser cela dans la législation cantonale. Le deuxième aspect concerne le Centre de Contact Suisses-Immigrés à qui il est octroyé des subventions afin de favoriser l'intégration des étrangers en situation régulière en Suisse mais qui étend son action à la défense des droits des personnes sans statut légal. Or, les auteurs de ce projet de loi estiment que les biens publics sont ainsi détournés de leur destination initiale et espèrent empêcher ce détournement par le biais du présent projet de loi.
La majorité de la commission a estimé qu'il ne convenait pas d'entrer en matière sur ce projet de loi, et ce pour les raisons suivantes: il part premièrement d'un faux postulat, d'une lecture erronée de la loi, puisque la loi cantonale actuelle sur l'intégration des étrangers encourage expressément la recherche et l'application de solutions propres à favoriser l'intégration des étrangers. Le postulat d'où part ce projet de loi est faux parce qu'il consiste à prétendre que la loi cantonale actuelle sur les étrangers favorise, faute de précision, l'intégration des étrangers illégaux, ce qui est erroné. Aussi, la modification de la loi cantonale donnerait comme solution a contrario que si le séjour n'est pas durable et n'est pas légal, les immigrés ne pourraient plus demander de l'aide, même pour pouvoir régulariser leur situation. Or, ce projet de loi va précisément dans le sens inverse de ce qui est voulu ou souhaitable, ne faisant qu'enfoncer la situation des immigrés illégaux et même renforcer, par exemple, les filières clandestines. Par ailleurs, contrairement à ce qui est prétendu par l'auteur de ce projet de loi, la loi fédérale sur les étrangers, elle, n'exige absolument pas que l'on encourage uniquement l'intégration des seuls étrangers dont le séjour est légal et durable mais bien de tous les étrangers; on le voit dans les articles 1 et 4 de la loi fédérale sur les étrangers qui parle bien - c'est le terme - d'étrangers et non pas d'étrangers légaux, voire illégaux. C'est donc dans la globalité qu'il faut entendre le terme «étranger». Par conséquent, une fois de plus, le postulat de départ de ce projet de loi résulte d'une lecture erronée du droit fédéral, puisque seule la participation active à la vie économique, sociale et culturelle - c'est la loi fédérale qui nous le dit - est soumise à la condition d'un séjour légal et durable pour les étrangers.
Deuxièmement, ce projet de loi pose un problème de terminologie juridique ou concrétise finalement une sorte d'antinomie juridique puisqu'on y introduit la notion de durabilité. Or, par définition, les titres de séjour que l'on octroie aux étrangers en Suisse sont, dans la plupart des cas, des titres de durée limitée. Il y a là donc une potentielle incohérence ou même une contradiction à imposer aux étrangers un séjour durable alors que leur titre, lui, n'est pas durable. Et enfin, ce projet de loi présente un grand risque notamment pour les enfants d'étrangers en situation irrégulière: comme vous le savez, ils ont le droit d'être scolarisés, et même doivent être scolarisés pour des raisons évidentes, ce que ce projet de loi pourrait remettre en cause, et ce qui aboutirait à déscolariser ces enfants d'étrangers illégaux. Pour la majorité de la commission et plus particulièrement pour le commissaire PDC qui vous parle, au regard de ce qu'a fait à l'époque le conseiller d'Etat Dominique Föllmi, c'est précisément un risque qui n'est ni acceptable ni tolérable. Les enfants, aussi illégaux soient-ils, doivent pouvoir être scolarisés et bénéficier des droits les plus fondamentaux qui leur sont dus, selon notre ordre juridique; il en va précisément de leur bonne intégration en Suisse et à Genève. C'est pour ces raisons que la majorité de la commission vous encourage à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur. Je vous informe que vous avez débordé sur le temps de votre groupe. La parole est à M. le député Stéphane Florey.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Tout d'abord, je suis assez surpris d'apprendre que le droit fédéral serait contraire à son propre esprit, puisque le rapporteur vient de dire que finalement, si on reprenait le droit fédéral au niveau cantonal cela poserait des problèmes. Je ne vois pas au nom de quoi il se permet d'affirmer cela puisque justement, ce que nous demandions était de reprendre une notion qui nous semble plus claire, celle du droit fédéral, et de l'appliquer telle quelle sur le droit cantonal. La deuxième chose, et je l'avais dit également en commission, c'est que la mesure qui permet aux enfants, quel que soit leur statut, d'intégrer nos écoles n'est absolument pas touchée par ce projet de loi puisque le droit fédéral le permet aussi, et donc, comme c'est de toute façon le droit fédéral qui prime, cette mesure n'est absolument pas touchée.
Maintenant, sur le fond, le groupe UDC est quand même surpris, non pas tant par le résultat, mais par la manière dont ce projet de loi a été traité par la commission des Droits de l'Homme. Ce projet n'a fait l'objet d'aucune audition, même pas celle du Conseil d'Etat. La commission aurait au moins pu se poser la question des incidences réelles découlant de la différence entre les textes du droit fédéral et du droit cantonal. Ce projet demande simplement de reprendre la forme du droit fédéral qui mentionne que cette loi s'applique uniquement aux personnes dont le séjour est légal et durable, ce qui n'est pas le cas de la loi cantonale qui reste floue à propos des personnes ayant droit aux prestations visées dans la loi qui est bien la loi sur l'intégration. Une personne qui désire réellement s'intégrer est quand même une personne qui pense rester dans notre pays durablement, d'où la notion telle qu'elle est mentionnée dans le droit fédéral. Le plus dérangeant, en tout cas pour nous - et le rapporteur l'a mentionné - ce sont les associations comme le Centre de Contact Suisses-Immigrés qui perçoivent des subventions et qui, au lieu d'aider directement les migrants à s'intégrer, utilisent - on en a la preuve - des fonds publics à des fins de propagande. Ainsi, vous pouvez lire sur le site de cette association, je cite: «Le Centre de Contact Suisses-Immigrés lutte pour défendre les droits des personnes sans statut légal»...
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Stéphane Florey. ...alors qu'à la base, il me semble que ce n'est pas le but de ce centre, mais qu'il a pour but d'intégrer ces personnes. Or, cela contrevient clairement à ce que la loi fédérale prévoit justement, c'est pourquoi je demande, afin que cette question soit élucidée, de renvoyer ce projet à la commission législative pour qu'elle étudie clairement la question...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Stéphane Florey. ...qui vient d'être posée. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Il y a une demande de renvoi à la commission législative, je vous fais donc voter sur ce renvoi.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10990 à la commission législative est rejeté par 43 non contre 24 oui.
Le président. Nous poursuivons notre débat, et je passe la parole à Mme Bénédicte Montant.
Mme Bénédicte Montant (PLR). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, ce projet de loi a fait l'objet d'une seule séance de commission en octobre 2012. Comme cela vous a déjà été dit, il demande de préciser dans la loi cantonale sur l'intégration des étrangers, la LIEtr, que le séjour des étrangers doit être légal et durable, ce qui signifie, en toutes lettres, que les étrangers dont le séjour est temporaire ou illégal n'ont pas vocation à être intégrés en Suisse. Cela revient à limiter les aides monétaires aux associations qui ne visent pas uniquement l'intégration des étrangers dont le séjour est légal et durable. S'il est malheureusement facile de comprendre que cette limitation engendre de nombreux effets pour les sans-papiers, surtout par les temps que nous vivons, il faut savoir qu'il en est un parmi eux qui est absolument rédhibitoire et inacceptable: car ce projet de loi, chers collègues, limiterait les activités du Centre de Contact Suisses-Immigrés dans son aide à la scolarisation des enfants sans papiers, ce qui est déjà une limitation à l'accompagnement que nous ne pouvons accepter. Nul besoin d'en dire beaucoup plus, si ce n'est qu'évidemment le groupe PLR vous demande, chers collègues, de refuser ce projet de loi, que par ailleurs aucun commissaire n'a accepté lors de son traitement en commission.
M. Cyril Mizrahi (S). Chères et chers collègues, je souhaite rebondir sur le dernier élément soulevé par Mme Bénédicte Montant et partager ma surprise. En effet, je constate que si ce projet de loi a été traité ainsi en commission et que même les commissaires UDC et MCG se sont abstenus, c'est vraisemblablement qu'il a été considéré - même par ces commissaires - comme posant de toute évidence un certain nombre de problèmes, ce qui ne justifiait pas d'aller de l'avant; raison pour laquelle la commission s'est positionnée sans opposition et a proposé le traitement aux extraits. Je ne comprends pas très bien pourquoi finalement certains groupes ont jugé utile de retirer ce projet des extraits.
J'aimerais simplement rappeler quelques éléments. Le groupe socialiste vous invitera à voter contre ce projet de loi, cela va sans dire. J'aimerais quand même rappeler que personne n'est illégal ! Les sans-papiers sont peut-être en situation irrégulière du point de vue du droit des étrangers, mais cela ne fait pas d'eux des personnes privées de tout droit et notamment du droit à l'éducation. Je trouve absolument incroyable que certains remettent en cause cet acquis qui remonte aux années 80. J'aimerais rappeler également que les personnes sans papiers sont des personnes qui sont parmi nous, qui paient des charges sociales, qui travaillent... (Exclamations.) ...qui participent à la vie économique. Vous qui parlez tout le temps de vie économique, vous qui avez sans cesse ce mot à la bouche: ce sont des personnes qui participent à la vie économique au même titre que d'autres. Elles ont donc droit à un minimum de considération. Et quant à l'argument des impôts, s'il vous plaît, mes chers collègues, vous voulez poser des obstacles à des enfants à qui vous refusez la scolarisation indirectement par ce projet de loi: ce n'est vraiment pas correct ! Une fois de plus, arrêtez de vous en prendre à des associations qui font un travail méritoire pour essayer de sauvegarder les droits des gens qui en ont très peu. Ces associations ne touchent pas seulement des subventions publiques, Mesdames et Messieurs, elles touchent aussi...
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Cyril Mizrahi. ...des deniers privés et elles ont également le droit de faire ce travail. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, il faut peut-être rappeler une évidence pour un certain nombre d'entre nous. Le parcours de l'immigration et de l'intégration est divers et il ne commence pas toujours par un statut légal. Bon nombre d'étrangers installés ici et au bénéfice d'un permis d'établissement, bon nombre d'étrangers ayant acquis la nationalité suisse sont arrivés ici comme clandestins. Et travailler aujourd'hui à l'intégration de ces personnes, c'est travailler à l'intégration en général. Penser autrement c'est vouloir très clairement exclure ces personnes et cela est dommageable. Maintenant, j'aimerais quand même préciser, ou rappeler - parce que cela a déjà été évoqué par d'autres ce soir - que ce projet de loi conduit non seulement à nier la réalité que vivent ces personnes, mais vise aussi à nier l'apport financier amené par cette économie grise de notre économie genevoise - on a eu l'occasion d'en débattre tout à l'heure encore, et même lors de notre dernière session. Il serait peut-être temps de prendre en compte cette réalité. Finalement, vouloir rejeter dans la précarité une série de personnes qui vivent aujourd'hui déjà une situation particulièrement dommageable, c'est vraiment faire preuve de manque d'humanité et aussi nier cette réalité genevoise. C'est pourquoi nous vous invitons également à refuser cette proposition. Je vous remercie de votre attention.
M. Yves de Matteis (Ve). Je crois que cela a été abordé auparavant, mais j'aimerais en parler davantage, et rappeler tout d'abord que les divers gouvernements qui se sont succédé au cours du temps ont chacun considéré qu'il était un devoir de donner un enseignement par exemple aux enfants des sans-papiers et qu'aucun enfant, quel qu'il soit, sur le territoire genevois, ne devait être privé d'éducation. Il est clair que si on lit la Convention des droits de l'enfant, que la Suisse a signée, la Constitution fédérale ou la constitution genevoise, qui vient d'ailleurs d'être révisée, le droit à l'éducation est un droit fondamental pour absolument tout le monde. Modifier cette loi dans ce sens-là contreviendrait donc à la fois à nos principes sur le plan international et aux principes des droits humains qui ont été acceptés par la Suisse.
Par ailleurs, j'aimerais quand même souligner que l'on est même allé plus loin au niveau fédéral, puisque la motion Barthassat par exemple préconisait même le fait de pouvoir offrir des permis de séjour à des jeunes au-delà de cette période allant de 1 à 18 ans, qui était l'âge auquel une éducation doit être garantie à tout prix, à nouveau d'après la Convention des droits de l'enfant.
Enfin, un dernier argument qui n'a peut-être pas été donné: si une association devait effectivement, selon ses statuts, défendre les droits des sans-papiers, dans le cas où elle serait vraiment illégale - dans d'autres pays, il existe de nombreuses associations de sans-papiers - elle ne pourrait tout simplement pas exister. Le fait qu'elle existe montre simplement qu'au-delà des principes un peu étroits qu'on a pu entendre de la bouche de certains députés, le principe des droits humains, le principe du droit à la dignité doit être protégé absolument, à chaque instant. (Quelques applaudissements.)
M. Eric Stauffer (MCG). Bien évidemment, le groupe MCG va aussi s'opposer à ce projet de loi. L'enseignement et l'instruction des enfants sont des droits inaliénables, quelle que soit leur situation, leur provenance ou leur légalité. Le MCG a toujours défendu ce droit et continuera toujours à le défendre. Cela étant, et ce que je vais dire dépasse les frontières cantonales et s'adresse plutôt à la Berne fédérale et à ce qu'on appelle l'Union européenne, la grandeur de la Suisse et la grandeur de l'Europe ne se mesureront qu'à l'aune de l'aide qu'ils fourniront aux pays qui sont exportateurs de ces pauvres gens qui viennent ici chercher l'Eldorado. (Brouhaha.) Tant et aussi longtemps que l'Europe ne prendra pas la mesure de l'importance d'augmenter le niveau de vie de ces gens dans leur pays d'origine, ils seront toujours tentés, avec les drames quasi quotidiens que nous connaissons en Méditerranée du Sud, de venir chercher ailleurs un espoir de vie meilleure. Et c'est là que la Suisse et l'Europe ont vraiment un rôle à jouer qui doit être déterminant, non pas avec des aides à des systèmes corrompus ou qui prônent la corruption, mais avec des aides directes au travers des ONG présentes sur place; ce n'est que de cette façon que nous arriverons à enrayer ces phénomènes migratoires qui sont malheureusement un problème pour tous. Je conclurai simplement en disant que ce projet de loi n'a pas lieu d'être et que si un message doit être adressé à quelqu'un, c'est à la Berne fédérale et plus largement à l'Union européenne.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Je suis un peu surpris des propos qui viennent d'être tenus, mais je bois ces paroles ! (Rires.) Je rappelle qu'il est loisible à ce parlement d'augmenter la part dévolue à la coopération et au développement... (Quelques applaudissements.) ...et qu'il s'agit, vous l'avez dit, Monsieur le député, de renforcer la sécurité mais aussi la qualité de vie des personnes dans les pays qu'elles quittent souvent pour les motifs que vous avez indiqués. Pour revenir au projet de loi, j'aimerais d'abord dire que le Conseil d'Etat regrette de ne pas avoir été auditionné. Cela aurait été l'occasion pour nous d'expliquer l'excellent travail que réalise le bureau de l'intégration dans ce domaine précis, les limites de son action, mais surtout, surtout le principe fondamental qui guide l'action du Conseil d'Etat, qui est celui de ne pas perpétuer l'hypocrisie sous-jacente, que j'exprimais d'ailleurs lors du débat de la session précédente, relative aux sans-papiers. Malheureusement, ce projet de loi renforce l'hypocrisie plutôt que de la combattre, parce qu'il renforce l'existence de cette catégorie de personnes qui n'apparaît pas, alors même que cette réalité est bien présente dans notre cité. Si l'objectif est de priver de moyens l'association citée tout à l'heure, on le manquera. Parce qu'en réalité aujourd'hui, ce sont les directeurs d'établissement - dans le primaire, comme dans le secondaire - qui enregistrent ces enfants à travers le bureau d'accueil, et non plus cette association; et c'est bien que ce soit ainsi. Le Conseil d'Etat réaffirme donc la volonté de poursuivre cette politique d'intégration, y compris pour des enfants et surtout, comme l'a relevé le député Stauffer tout à l'heure, parce que c'est un droit inaliénable, parce que la Convention des droits de l'enfant supplante le droit fédéral, on le rappellera à cette occasion, comme à d'autres occasions, et parce que c'est une question élémentaire d'humanité que de lutter contre cette forme d'hypocrisie. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons passer au vote sur l'entrée en matière.
Plusieurs voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenus ? (Plusieurs mains se lèvent.) Vous l'êtes. Certaines personnes dont le dispositif de vote électronique ne marche pas voteront au moyen des cartons qu'on leur a distribués. Le vote est lancé.
Mis aux voix, le projet de loi 10990 est rejeté en premier débat par 74 non contre 7 oui et 1 abstention (vote nominal - Mmes et MM. Romain de Sainte Marie, Caroline Marti, Salika Wenger et Thomas Wenger ont voté non).