Séance du vendredi 13 mars 2015 à 17h05
1re législature - 2e année - 3e session - 17e séance

IN 151-C
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier l'initiative populaire 151 "Pour un renforcement du contrôle des entreprises. Contre la sous-enchère salariale"
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session III des 12, 13 et 19 mars 2015.
Rapport de M. Jacques Béné (PLR)

Débat

Le président. Nous passons à l'objet suivant, soit l'IN 151-C. Le rapport est de M. Jacques Béné, à qui je donne la parole.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, en ce premier jour de printemps annoncé par Mme le sautier, j'espère que nous allons aussi pouvoir fêter un grand pas pour le partenariat social genevois en montrant - à l'unanimité, je le souhaite - notre volonté de fonder une inspection des entreprises sur la base d'un accord tripartite entre les syndicats patronaux, ceux des travailleurs et l'Etat. Juste un petit rappel: cette initiative avait été validée par le Grand Conseil en novembre 2012 par 53 oui contre 40 non; ça ne signifie pas que le parlement avait accepté le texte de l'initiative, mais qu'il l'avait validé. Une minorité de ce Grand Conseil avait estimé qu'il y avait un problème de conformité avec le droit supérieur; certains citoyens de ce canton ont fait recours contre la validation de cette initiative par le Grand Conseil et le Tribunal fédéral leur a donné raison en mai de l'année passée, confirmant ainsi les doutes d'une partie de ce parlement quant à la conformité du texte au droit supérieur.

Après les premières auditions en commission, on a tout de suite senti qu'il y avait peut-être une piste pour que la CGAS et l'UAPG s'entendent sur un accord à tout le moins bipartite. Le Tribunal fédéral a ensuite invalidé une partie de l'initiative, estimant que l'inspection des entreprises ne pouvait être composée exclusivement de représentants des travailleurs nommés sur proposition de la faîtière des organisations syndicales des travailleurs, à savoir la CGAS. Vous conviendrez que cette invalidation a permis de sauver le partenariat social à Genève parce que si cette initiative avait dû être soumise au peuple et acceptée, je pense que nous aurions eu de gros problèmes. Nous avons donc admis en commission qu'il fallait laisser un peu de temps aux partenaires sociaux, que nous saluons d'ailleurs à la tribune; ils sont tous unis, et ça fait très plaisir à voir. Nous leur avons donné un peu de temps et ils sont revenus en commission le 2 février 2015 avec une proposition de contreprojet. Bien sûr, il s'agit d'une ébauche qui mérite d'être encore travaillée et affinée, elle n'a pas été étudiée par la commission; elle mérite surtout d'être soumise au département et discutée dans le but d'instaurer un accord tripartite qui rendra à nouveau Genève avant-gardiste en matière de partenariat social.

Je souhaite encore remercier Mme Stoll, directrice de l'OCIRT, non seulement pour le travail remarquable effectué par cet organe mais également pour la clarté des explications qu'elle nous a livrées en commission, je tiens à le souligner. Il est vrai qu'on critique souvent certains services de l'Etat mais, en l'occurrence, je crois qu'on peut saluer le travail réalisé par l'OCIRT. La commission n'a donc pas voulu tuer dans l'oeuf cet élan bénéfique pour le marché du travail. Les objectifs des partenaires sociaux, si je reprends le courrier qui nous a été transmis, sont les suivants: «reconnaissance de la légitimité à Genève d'un renforcement quantitatif et qualitatif des contrôles des entreprises afin de lutter contre la sous-enchère; rôle accru des partenaires sociaux dans le contrôle des entreprises par la création d'une inspection paritaire; pilotage et fonctionnement paritaire sous la responsabilité des faîtières de cette inspection, garantissant à la fois souplesse du dispositif, indépendance et impartialité des contrôles; augmentation du nombre global des contrôles par la création de l'inspection paritaire et par l'augmentation du nombre d'inspecteurs de l'OCIRT».

Nous espérons que le département pourra se lier aux syndicats patronaux et de travailleurs afin de trouver un accord convenant à tous, accord que nous espérons aussi pouvoir valider en commission. C'est dans ce sens, Mesdames et Messieurs, que je vous invite à refuser l'entrée en matière sur l'IN 151 et à accepter, comme la commission l'a fait à l'unanimité moins deux abstentions, le principe d'un contreprojet, lequel méritera encore quelques heures de travail en commission. Mais avec le soutien des partenaires sociaux, j'imagine que nous arriverons à trouver une solution bénéfique pour tous. Je vous remercie.

Une voix. Bravo !

M. Boris Calame (Ve). Chères et chers collègues, que vous dire de cette séance du 2 février dernier, où les partenaires sociaux, représentés par l'UAPG et la CGAS, se sont présentés avec le sourire devant la commission de l'économie de notre Grand Conseil ? Nous avons l'habitude de les convier très régulièrement, mais toujours séparément. Cette audition-là avait pour but de nous présenter l'accord qu'ils avaient négocié ensemble et avec brio pour l'élaboration d'un contreprojet à l'IN 151 intitulée «Pour un renforcement du contrôle des entreprises. Contre la sous-enchère salariale», cette même initiative qui, rappelez-vous, avait été tant décriée par les milieux économiques, dénoncée devant les tribunaux et partiellement invalidée par le Tribunal fédéral.

Il faut bien reconnaître que cette initiative a un mérite particulier: elle a sans doute permis une prise de conscience des milieux patronaux, confrontés eux aussi à la problématique de la sous-enchère salariale car ceux qui respectent les règles de droit, notamment au niveau des conditions sociales et salariales proposées à leurs collaboratrices et collaborateurs, se retrouvent directement face à la réalité d'une véritable concurrence déloyale. Pour une entreprise, le fait de ne pas obtenir un marché peut parfois être dû aux conditions économiques de l'offre mais aussi, d'autres fois, à une manipulation du marché par des entrepreneurs voyous qui s'activent sur le dos de leurs employés et au détriment de la paix sociale et d'une juste concurrence, et cela n'est pas acceptable.

Le groupe des Verts soutiendra l'élaboration d'un contreprojet qui offrira enfin à Genève une nouvelle structure d'inspection paritaire des entreprises. Cette structure permettra aussi de contrôler des secteurs qui dysfonctionnent complètement, à l'exemple de l'ingénierie, où il ne se passe rien: pas de contrôles ni de sanctions, ceci depuis de nombreuses années. Que le Conseil d'Etat soit contrarié par cette proposition de contreprojet issu du partenariat social ne nous semble pas un problème. Le cas échéant, il peut toujours s'appliquer à formuler une autre proposition qui devra être acceptée en premier lieu par les partenaires sociaux, puis par notre Grand Conseil. Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, à Genève, le contrôle des conditions de travail s'effectue non seulement par l'OCIRT, on l'a rappelé, mais également par les commissions paritaires locales ou nationales suivant les secteurs d'activité concernés, avec des succès d'ailleurs relativement mitigés pour la seconde catégorie. L'initiative 151 a été invalidée à juste titre par le Tribunal fédéral en raison d'une disposition qui ne confiait le contrôle des entreprises qu'à des délégations de travailleurs, ce qui pouvait nier le partenariat social et le bipartisme.

Je tiens à saluer ici le travail réalisé par l'OCIRT mais également la présence d'esprit et l'attitude extrêmement positive des partenaires sociaux qui, à deux, sont venus nous présenter les ébauches d'un contreprojet intelligent, bien ficelé et qui peut amener une solution dans ce secteur. A ce moment-là, il s'est agi de mettre en exergue un partenariat social harmonieux, efficace, tel que Genève le connaît depuis très longtemps puisque c'est la force de notre tradition dans le domaine du droit du travail. Dès lors, le groupe démocrate-chrétien vous incite à vous rallier aux conclusions de la commission, à rejeter l'initiative et à accepter le principe d'un contreprojet. Encourageons aussi le chef du département à faire en sorte que cette première tentative de partenariat social soit bien coordonnée et soutenue par l'Etat afin d'arriver à un réel tripartisme. Je vous remercie.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, je ne dirais pas que nous revenons de loin, mais nous étions tout de même très mal partis ! Au passage, je tiens à remercier le rapporteur pour sa diligence dans la rédaction de son rapport: après cette fameuse séance de commission du mois de février où les partenaires sociaux sont venus nous réjouir - je peux le dire puisque j'en étais le président - il a dû, au vu des délais, rédiger rapidement ce rapport qui a le mérite de montrer l'imbroglio et les différentes étapes qui nous ont menés à cette situation, notamment suite aux décisions du Tribunal fédéral.

Il est vrai que, dès le début, l'Union démocratique du centre n'était pas favorable à cette initiative 151. D'ailleurs, comme la majorité de la commission le demande, nous vous suggérons aussi d'y renoncer. Les partenaires sociaux, syndicaux comme patronaux, ont trouvé le moyen ou du moins possèdent la clef qui nous mènera sur le chemin de la solution. Comme cela a été souligné, le dumping salarial est un fléau qu'il faut réguler. Peut-être les premières esquisses de l'initiative - je dis esquisses puisque certaines d'entre elles ont été corrigées - n'étaient au début pas adéquates. Oui, Mesdames et Messieurs les députés, nous devons voter unanimement ce soir pour demander le contreprojet, mais nous n'en sommes qu'au début. Nous ne sommes qu'au début du travail, comme l'un de mes préopinants l'a mentionné, et il reste encore à voir avec le département ce qui va se passer, ce qui va en sortir. Mais je crois qu'un signal positif est donné ce soir, et l'UDC entend y participer. C'est la raison pour laquelle je me répète peut-être, mais nous vous recommandons de renoncer à l'initiative et d'accepter le principe d'un contreprojet. Je vous remercie.

M. Pierre Vanek (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, ce consensus est touchant. Mais je me permets quand même quelques observations: j'ai entendu le rapporteur dire que si le peuple avait été amené à se prononcer sur cette initiative et avait dit oui, ça aurait fusillé le partenariat social. (Remarque.) Vous avez dit ça à l'instant !

M. Jacques Béné. J'ai dit: si elle n'avait pas été invalidée !

M. Pierre Vanek. L'initiative n'a pas été invalidée, Mesdames et Messieurs; pour l'essentiel, et chacun le sait bien, elle a été confirmée par le Tribunal fédéral. Le consensus qu'on nous vend ici avec des paroles touchantes provient d'un fait connu de tous, et il vaut d'ailleurs peut-être la peine d'en rappeler quelques-uns dans cette assemblée, et pas seulement des bons sentiments: le fait, c'est que le dispositif de contrôle contre la sous-enchère salariale est complètement insuffisant. De plus, cette initiative lancée en 2011 a fait l'objet de manoeuvres dilatoires pendant des années alors qu'il était impératif d'agir contre la sous-enchère salariale, c'est un fait aussi. Et un fait évident est que cette initiative - mais vous le reconnaissez, au fond... enfin, le rapporteur de majorité le reconnaît, Monsieur le président, dans son intervention...

Une voix. Le rapporteur !

M. Pierre Vanek. Le rapporteur le reconnaît dans son intervention: évidemment que si cette initiative lui était soumise, le peuple l'accepterait parce qu'elle répond à la réalité du dumping salarial, qu'elle propose des mesures concrètes et qu'elle s'inscrit dans une volonté de lutter contre ce fléau qui n'a rien à voir avec l'agitation qu'on crée autour de la question de la préférence nationale, des frontaliers, de ceci ou de cela. C'est une voie différente proposée par les organisations syndicales, qui se fonde sur l'action et l'unité des travailleurs et des salariés quelle que soit la couleur de leur passeport ou leur lieu de résidence, et c'est évidemment dans cette voie-là qu'il faut se diriger pour lutter contre le dumping salarial.

Pour notre part, Mesdames et Messieurs, nous ne sommes pas persuadés qu'il faille renoncer à cette initiative et lâcher la proie pour l'ombre d'un accord, quel que soit l'intérêt qu'il puisse présenter; c'est encore l'esquisse sur la muraille d'un accord et sa matérialisation concrète fait défaut. Du côté de l'Etat, on entend aussi que la position est incertaine, on ne sait pas trop ce qui va s'y passer - ma foi, on entendra le conseiller d'Etat à la fin du débat. En l'état, nous estimons que l'initiative mérite d'être soutenue; elle méritait d'être soutenue quand elle a été lancée et mérite toujours d'être soutenue aujourd'hui.

On a poussé les hauts cris à l'idée d'une inspection syndicale, d'un contrôle par les organisations de travailleurs des conditions de travail, du respect des droits élémentaires et de l'équité. Mais, Mesdames et Messieurs, c'est la moindre des choses ! C'est parfaitement normal ! Sincèrement, l'idée qu'on puisse considérer comme non correct, parce que ce serait unilatéral, le fait que les syndicalistes et les syndicats aient accès aux entreprises est une idée qui me choque ! Cela me choque autant que si on disait que les inspecteurs de police qui pourchassent les cambrioleurs et les malfaiteurs le font de manière unilatérale ! Bien sûr, ils devraient le faire avec une participation paritaire des milieux du crime ! (Rires.) Non, Mesdames et Messieurs ! Non, c'est parfaitement légitime: les syndicats sont là pour défendre les travailleurs, ils ont intérêt à mettre le doigt, là où elle existe, sur la sous-enchère salariale, c'est parfaitement normal de leur donner les moyens de le faire. Vous me direz que le Tribunal fédéral s'est prononcé; mais enfin, on a quand même le droit d'avoir une opinion et de l'exprimer, quelle que soit celle qu'ont émise les juges du Tribunal fédéral ! Pour le moment, notre position est la suivante: nous remercions les syndicats et la CGAS d'avoir tracé cette orientation, d'avoir déposé et fait aboutir cette initiative, d'avoir mené la bataille le plus loin possible pour obtenir un contrôle, et nous ne renonçons pas à notre soutien à cette initiative.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, on l'a entendu plusieurs fois: ce soir, c'est un message d'unité qui est adressé au parlement avec cette initiative et le principe d'un contreprojet. Cette unité se construit, il faut le signifier, autour d'un constat, d'abord amené par les syndicats, de cas trop souvent répétés de sous-enchère salariale; on a encore pu le voir ces dernières semaines avec des informaticiens payés 800 euros par mois au sein d'une grande entreprise, c'est tout simplement inacceptable. On observe maintenant, grâce à l'unité acquise autour de ce contreprojet, que ce constat est partagé aussi bien par les milieux syndicaux que patronaux. En effet, les cas de sous-enchère salariale nuisent en premier lieu aux salariés, c'est certain, mais dans un second temps aussi aux entreprises et à l'image de l'économie genevoise. Forts de ce constat, nous ne pouvons que déplorer un manque encore trop important de contrôles des conditions de travail.

A ce propos, nous avons auditionné très récemment l'OCIRT au sein de la commission de l'économie - il faut d'ailleurs remercier cet organe ainsi que sa directrice, Mme Stoll - et constaté qu'un réel travail y est effectué. Malheureusement, il faut aussi remarquer que l'accord de libre-circulation des personnes n'a pas été suffisamment accompagné de mesures qui permettraient d'avoir aujourd'hui un vrai contrôle sur les conditions de travail. Malgré les efforts fournis par l'OCIRT, le nombre de cas de sous-enchère salariale est donc encore bien trop élevé à l'heure actuelle et les moyens investis trop faibles. Les chiffres - il est vrai que je les cite assez souvent - sont quand même consternants: le ratio de contrôleurs de l'OCIRT par salarié est d'un contrôleur pour 20 000 salariés tandis que, dans le même temps, Genève dispose d'un contrôleur de la Fondation des parkings pour 350 places de parking ! Où réside la priorité dans notre canton: dans les places de parking ou dans les conditions de travail des salariés ? La question reste ouverte.

Cette initiative, tout comme son contreprojet, apporte des solutions concrètes pour que nous nous donnions les moyens de pallier ces cas trop fréquents dans notre canton. De plus - comme vous l'aurez remarqué, c'est cela qui est essentiel ce soir - elle cristallise une unité et une volonté de travailler à l'amélioration de l'image des entreprises genevoises; pas de toutes, bien sûr, mais en tout cas de certaines qu'on peut aisément qualifier de voyous, qui nuisent à notre image et jouent le jeu d'une concurrence déloyale vis-à-vis des autres entreprises. Mais surtout, et c'est le point principal, elle contribue à améliorer les conditions de travail dans notre canton. C'est cette unité et cette volonté qu'il nous faut aujourd'hui à Genève, et non pas un discours de haine tel que le proposent certains.

Une voix. Oh, ça suffit !

M. Romain de Sainte Marie. Un discours qui reprend... (Commentaires.) Je n'ai mentionné aucun parti, Monsieur le président ! (Exclamations. Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît !

M. Romain de Sainte Marie. Un discours qui reprend l'idéologie des années trente... (Protestations.) ...et attise la pire des haines que l'on puisse imaginer ! (Commentaires.)

Le président. Monsieur Cerutti ! Monsieur Cerutti, s'il vous plaît !

M. Romain de Sainte Marie. Je n'ai nommé aucun parti !

Le président. Poursuivez, Monsieur de Sainte Marie. (Commentaires.)

M. Romain de Sainte Marie. Je parlais d'idéologie des années trente, je n'ai évoqué aucun parti spécifique.

Le président. Poursuivez, s'il vous plaît. (Commentaires.)

M. Romain de Sainte Marie. Un discours qui prône la haine des salariés contre les salariés ! Or aujourd'hui, le problème n'est pas là; il se situe au niveau des entreprises qui osent employer des salariés à 800 euros par mois, voilà où il se trouve réellement ! Tous ensemble, milieux syndicaux et patronaux, avançons dans la même direction qui n'est pas celle de la haine mais bien celle du respect des conditions de travail. Je vous invite donc à accepter l'initiative et le contreprojet. (Applaudissements.)

M. Serge Hiltpold (PLR). Je ne vais pas vous retracer le parcours sinueux de cette initiative 151, qui était vraisemblablement partie d'un constat des syndicats, peut-être aussi d'un manque de dialogue. Pour en arriver à cette initiative, il a fallu faire un constat juste au départ et suivre un parcours sinueux. Le recours au Tribunal fédéral et l'arrêt de celui-ci ont eu un effet positif et réuni les milieux syndicaux et patronaux afin que tous travaillent ensemble à un contreprojet. On s'émerveille ici des éléments paritaires; j'aimerais simplement vous dire qu'ils ne sont pas nouveaux, ils existent dans le secteur de la formation professionnelle, dans le contrôle de l'apprentissage, et fonctionnent très bien. Je crois que ce parlement et le politique en général ont un peu perdu les valeurs de ce que représente le partenariat social dans son sens noble et dans son histoire. Des solutions sont trouvées par ces partenaires; preuve en est les septante-cinq ans de paix du travail. Oui, septante-cinq ans de paix du travail, c'est quelque chose d'important !

J'aimerais citer, retranscrits à la page 30 du rapport de majorité - enfin, du rapport tout court - les propos de Jean-Luc Favre que je fais miens: «Une approche tripartite reste possible. Peu importe le projet retenu, les partenaires sont disposés à travailler avec la commission, pour le bien commun.» Ce que je voudrais relever ici, c'est la notion de bien commun, et ce n'est pas de la naïveté. Je crois qu'il faudrait s'interroger davantage sur ce qu'on fait ici pour le bien commun, sortir du clivage politique et trouver une solution qui profite à la fois aux employeurs et aux employés tout en permettant à l'Etat un regard pas trop intrusif, qui ait sa place. On pourrait ainsi articuler cette problématique dans un tripartisme sain. Le partenariat social, c'est simple: c'est basé sur deux éléments que je souhaiterais voir le politique appliquer aussi de temps en temps, à savoir bonne foi et confiance réciproque. Avec ces deux mots, je vous invite à rejeter l'initiative et à soutenir le contreprojet.

Une voix. Très bien. (Quelques applaudissements.)

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je m'étonne des propos de certains députés. Aujourd'hui, on arrive presque à un consensus pour essayer d'agir dans le domaine du dumping salarial, et une fois de plus, Monsieur le président, notre groupe se fait «allumer» - je mets ça entre guillemets - par un collègue, ce que je trouve totalement déplacé. D'abord, nous avons toujours affirmé, et continuons à le faire maintenant, que nous voulons lutter contre le dumping salarial et que nous sommes prêts à renforcer le nombre d'inspecteurs à l'OCIRT - il me semble que nous l'avions déjà indiqué dans le cadre du débat budgétaire. Nous allons également soutenir le contreprojet qui ressort des travaux de la commission. Je pense qu'il est nécessaire d'en faire davantage que ce qui se fait actuellement, même si Genève est déjà le canton qui agit le plus en matière de contrôle des entreprises, il ne faut pas l'oublier.

La question qu'on peut se poser, et c'est ce que nous voulons dire aussi, est la suivante: pourquoi nous trouvons-nous dans cette situation aujourd'hui ? Il y a beaucoup plus de difficultés, beaucoup plus de problèmes et beaucoup plus de nécessité de faire des contrôles pour empêcher les abus ou, à tout le moins, essayer de les limiter. Ma foi, c'est bel et bien à cause de l'ouverture des marchés et des bilatérales, quoi que vous puissiez en dire ! Ça a ouvert de nouvelles perspectives pour les entrepreneurs venant de l'extérieur, qui sous-traitent une fois, deux fois, trois fois, et il est maintenant bien plus difficile de les contrôler. Or qui paie l'addition, si je puis m'exprimer ainsi ? C'est le travailleur qui est à l'oeuvre en étant sous-payé, très souvent sans même que le maître d'ouvrage soit au courant. Tout cela, c'est tout de même un peu une conséquence de ce que je viens d'expliquer, à savoir l'ouverture des marchés, les bilatérales. Cela entraîne d'autres méthodes qui font qu'on en arrive à cette situation. Je pense que c'est ça qui crée la difficulté première, et nous sommes heureux de réaffirmer notre confiance dans le partenariat social entre syndicats et employeurs parce que c'est la méthode la plus efficace pour parvenir à opérer ce contrôle.

J'aimerais encore dire qu'en ce qui nous concerne et quoi que vous puissiez en penser, nous restons convaincus que la préférence nationale et cantonale est un élément primordial dans le contrôle et la lutte contre le dumping salarial. C'est dans cette direction que nous devons nous diriger. Ces problèmes n'existaient pas avant, et on les observe maintenant sur différents chantiers, par exemple celui du CEVA. Combien y a-t-il d'entreprises genevoises ? On en a parlé tout à l'heure à propos de la gare souterraine puisqu'on voulait d'entrée de jeu mettre en place un comité de pilotage. C'est là quelque chose que nous ne pouvons qu'approuver pour éviter d'en arriver à des situations où de grandes maisons - Vinci, j'en passe et des meilleures - décrochent le jackpot de la construction du CEVA, qui coûtera peut-être aussi cher - vous transmettrez, Monsieur le président, à M. Wenger - que la traversée de la rade qui, pour l'instant, est une hypothèse tellement lointaine et floue que je ne comprends pas pourquoi on nous brandit la menace de 8 milliards alors qu'on n'en sait rien du tout, on ne sait même pas si elle se concrétisera. Par contre, le CEVA est en construction en ce moment même et coûtera probablement 3 milliards, alors je crois que vous êtes plutôt mal pris pour faire des réflexions dans ce domaine ! Mesdames et Messieurs, ce qui est important maintenant, c'est de dire oui à un effort pour contrôler et éviter le dumping, oui au partenariat social; c'est pour cette raison que nous soutiendrons le principe d'un contreprojet.

Une voix. Bravo !

M. Thomas Wenger (S). En préambule, Monsieur le président, vous transmettrez à notre collègue M. Sormanni que la traversée de la rade est définitivement coulée, la population l'a coulée et il nous reste encore la traversée autoroutière du lac; c'est un autre projet que nous espérons pouvoir couler également !

Pour revenir au sujet qui nous occupe, Mesdames et Messieurs, et cela a été dit par mon collègue Romain de Sainte Marie, il faut saluer le travail des syndicats qui ont lancé cette initiative pour le renforcement du contrôle des entreprises et la lutte contre la sous-enchère salariale, qui a permis un dialogue constructif entre les syndicats, c'est-à-dire la CGAS, et les représentants patronaux de l'UAPG, comme on a pu l'entendre à la commission de l'économie. Le contreprojet vise à créer une inspection paritaire des entreprises, qui permettra de renforcer de manière quantitative mais également qualitative le contrôle des entreprises dans le but de lutter contre la sous-enchère salariale.

Pourquoi faut-il davantage lutter contre la sous-enchère salariale et renforcer les contrôles ? Parce que c'est une nécessité, Mesdames et Messieurs les députés, c'est une nécessité ! On le voit avec certains exemples relatés dans la presse, qui sont un peu la pointe de l'iceberg dans certains secteurs. Je prends deux exemples, et mon collègue Romain de Sainte Marie en a cité un, à savoir celui des Roumains qui travaillent dans l'informatique pour un sous-traitant brésilien d'une entreprise suisse et sont payés 800 euros par mois; autant dire vive la globalisation ! Le second exemple nous avait été communiqué par le syndicat Unia et concernait un chantier piloté par les HUG sur lequel des travailleurs polonais indépendants étaient payés 8 euros de l'heure au lieu du minimum légal de 24,60 euros - 24,68 euros pour être précis. Cela me permet de rappeler le nouveau principe de responsabilité solidaire qui fait qu'aujourd'hui - vous l'avez dit, Monsieur Sormanni - une entreprise qui sous-traite à un sous-traitant qui re-sous-traite engage in fine sa responsabilité en cas de non-respect des conditions de travail; on espère que ça va porter ses fruits et mettre fin à des pratiques qu'on peut vraiment qualifier de honteuses sur des chantiers genevois, qui plus est pilotés par une entité publique comme les HUG.

Ce sont là des exemples inquiétants, et il y en a d'autres. Dernièrement, à la commission de l'économie, certains chiffres nous ont été fournis par l'OCIRT: en 2014, il y a eu 2000 contrôles relatifs aux mesures d'accompagnement et au marché du travail, notamment s'agissant du respect des salaires; si 70% des entreprises étaient heureusement en ordre, environ 15% d'entre elles présentaient des cas de sous-enchère salariale, ce qui est vraiment à combattre, et 15% avaient commis d'autres infractions sans lien avec la sous-enchère salariale. Quant aux secteurs contrôlés par des commissions paritaires et non par l'OCIRT, on nous a expliqué que les chiffres dépendent des stratégies de contrôle. C'est un peu compliqué, mais on peut quand même relever certains chiffres préoccupants, notamment dans les secteurs des parcs et jardins, de la restauration et des cafés ou encore du nettoyage. Certes, un vrai travail est réalisé par le département de l'économie dirigé par Pierre Maudet et on sent une réelle volonté politique d'aller de l'avant par rapport à quelques années plus tôt, mais beaucoup de choses restent encore à faire.

Qu'engendre cette sous-enchère salariale ? Des conséquences sur les conditions de travail des travailleurs et travailleuses, bien sûr, mais aussi des conséquences négatives pour les entreprises ! En effet, c'est de la concurrence déloyale: les entreprises qui trichent sont bien entendu avantagées par rapport à celles qui respectent les règles et jouent le jeu. Ainsi que vous l'aurez compris, le PS soutiendra l'initiative et salue le dialogue constructif qui amène au principe d'un contreprojet. Nous travaillerons sur ce contreprojet parce que renforcer les contrôles et lutter contre la sous-enchère salariale, c'est bon pour les travailleurs et les travailleuses, c'est bon pour les entreprises honnêtes, qui représentent une grande majorité dans ce canton, et c'est bon pour l'économie genevoise ! Merci beaucoup. (Quelques applaudissements.)

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, au MCG, nous sommes toujours surpris par certaines mouvances politiques qui prônent le national-socialisme des années les plus sombres de l'histoire du communisme dans le monde et qui voudraient tout uniformiser afin qu'il n'y ait plus qu'un seul employeur, une seule marque de dentifrice, un seul concept de vie et si possible sans véhicule; les personnes concernées se reconnaîtront certainement ! Ce genre de discours, outre le fait de faire rigoler le Mouvement Citoyens Genevois, a quand même quelques conséquences, et je vais tenter de vous les expliquer. Bien que le MCG soit totalement en faveur des mesures d'accompagnement des accords bilatéraux, parce que c'est bien de ça qu'on est en train de parler, bien que le MCG soit littéralement scandalisé quand des fleurons de l'industrie genevoise se font prendre la main dans le sac avec des contrats de sous-traitance en prétendant ne pas être au courant alors qu'ils ont une kyrielle d'informaticiens payés 800 euros par mois, bien que le MCG s'en offusque, il dit aussi que tout ceci est dû au laxisme de la Suisse lorsqu'elle a négocié ces fameux accords bilatéraux.

Aujourd'hui, nous avons entendu qu'il faut des contrôles pour le bien des travailleurs; certes. Mais pour le bien des citoyens, Mesdames et Messieurs, il faut également de l'emploi, et de l'emploi pour les résidents. Or voilà où se situe tout le problème. Du fait qu'on a oublié de légiférer sur le phénomène frontalier - je ne parle même pas des travailleurs détachés, c'est encore un autre problème - les étrangers qui viennent travailler en Suisse n'osent pas toujours se plaindre et saisir les instances qu'il faudrait pour dénoncer leurs conditions de travail parce qu'ils sont trop contents d'avoir au moins un petit pécule. Alors que si on avait légiféré, vous vous imaginez bien qu'un résident genevois payé 800 euros n'aurait déjà certainement pas accepté ce job ou aurait dénoncé immédiatement cette situation absolument inadmissible. Vous voyez donc, Mesdames et Messieurs, que la responsabilité de tout un chacun est de donner la préférence de l'emploi aux résidents genevois, encore une fois sans distinction de nationalité, c'est une vraie responsabilité des élus. Si chacun appliquait ce principe, ça n'interdirait pas, dans le cas où on ne trouve pas les compétences nécessaires, d'aller les chercher là où elles sont, qu'on soit bien clair. Mais ça donne quand même un sens de marche, ce même sens de marche qu'on vient nous reprocher à longueur d'année en nous traitant de xénophobes, de racistes. Non, encore une fois, Mesdames et Messieurs, nous ne faisons pas de préférence nationale; nous disons simplement que la priorité de l'emploi doit être donnée aux résidents genevois.

Oui, nous allons soutenir le renforcement des contrôles, même si l'idéologie qui se cache derrière les initiateurs ne nous sied guère dans le sens où c'est une idéologie destructrice pour l'économie. Je vous l'ai toujours dit: à force de convoiter l'argent du riche, vous finirez par voler celui du pauvre. Mais le MCG sera là pour vous le dire et vous le rappeler... (Remarque.) Oui, venez toujours ! Voyons, chacun sait que les modèles économiques russes ont fait leurs preuves et que ces systèmes de gauche ne sont absolument pas corrompus, je n'oserais pas prétendre cela ! En conclusion, Mesdames et Messieurs, le MCG va soutenir l'idée d'un contreprojet, il va soutenir les mesures de renforcement. Ce que nous pouvons juste regretter, c'est que le département n'ait pas pris les devants avec des mesures de renforcement des équipes de contrôle au sein de l'OCIRT. Cela aurait été quelque chose de positif qui nous aurait peut-être évité une votation supplémentaire. Mais qui sait ? Peut-être se dissimule-t-il dans le chapeau du conseiller d'Etat Pierre Maudet quelque projet de loi qui pourrait faire retirer leur initiative aux initiants si un consensus était trouvé; apparemment, ce consensus existe ce soir pour le contreprojet, et on pourrait donc peut-être s'économiser les frais d'une votation ou d'une bévue supplémentaire de la chancellerie ! Je vous remercie.

Une voix. Bravo. (Quelques applaudissements.)

M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais vous rappeler que nous débattons ce soir de l'initiative et du principe d'un contreprojet. Certes, celui-ci est appelé des voeux des partenaires sociaux que nous avons eu l'occasion de rencontrer en commission, et c'est très bien ainsi. Mais en même temps, on ne sait pas encore quel en sera son contenu. On a des perspectives des partenaires sociaux, qui veulent nous proposer un texte, on a peut-être des perspectives du côté du département, ça a été évoqué, et puis il y aura le travail du parlement. Alors avant de vendre la peau de l'ours, j'ai envie de dire qu'il faut voir ce que ça va donner. On ne peut pas se féliciter à l'avance du résultat du partenariat social, on peut le souhaiter et l'encourager en disant qu'un contreprojet est une bonne idée parce que c'est une demande des partenaires sociaux, mais attendons tout de même le résultat, regardons si tout le monde joue le jeu jusqu'à la fin. En effet, nous aurons peut-être un texte suffisamment contraignant et intéressant pour que l'initiative soit retirée, mais il faudra voir comment ça se passe en commission et se déterminer également en fonction des coûts que pourrait engendrer le projet, parce que c'est un élément essentiel aujourd'hui. Même avec un contreprojet, une telle initiative peut ne rien donner parce qu'elle n'alloue pas les moyens appropriés à la structure pour fonctionner. Voilà ce qui va être important non seulement à la commission de l'économie mais aussi dans le cadre des budgets, à savoir donner des moyens suffisants pour qu'une telle initiative soit mise en oeuvre.

Mesdames et Messieurs les députés, cette initiative n'a pas été invalidée; elle n'a été invalidée que très partiellement concernant la composition de l'inspection du travail. Ce que l'inspection des entreprises a d'extrêmement intéressant, c'est le ratio d'un inspecteur pour 10 000 emplois. Comme pour l'OCIRT, c'est bien ça qui est extrêmement intéressant parce que le problème aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, c'est la taille des mailles du filet, qui sont tellement grandes que de nombreuses entreprises et patrons qui trichent ne sont tout simplement pas détectés ni sanctionnés ! C'est un véritable problème et c'est pour ça que si on aboutit à un contreprojet qui n'est pas satisfaisant en termes de mailles de filet, il faudra peut-être quand même soutenir l'initiative au final.

Pour appuyer mes propos, j'aimerais vous faire part de la réponse du Conseil d'Etat à la question urgente écrite 306, qui se trouve sur la table au milieu de la salle et que j'ai posée la dernière fois s'agissant des informaticiens roumains employés par un prestataire de Firmenich. Si vous lisez la réponse du Conseil d'Etat au bas de la page 3, Mesdames et Messieurs les députés, c'est tout simplement inquiétant ! Je vais vous lire ce paragraphe: «Dans le cas du dossier des cinq travailleurs détachés roumains, la commission des mesures d'accompagnement (CMA), sous-commission du Conseil de surveillance du marché de l'emploi, a constaté que l'entreprise avait agi en toute légalité, mais que les salaires qui leur ont été versés ne correspondaient manifestement pas aux salaires usuels suisses dans ce secteur» - ça, c'est bien vrai - «et qu'il s'agissait donc d'une situation de sous-enchère salariale» - c'est vrai aussi. «La loi fédérale sur les travailleurs détachés (LDét) prévoit, dans ce cas, de mener une procédure de conciliation avec l'entreprise concernée. Cette procédure a été menée par la CMA et a permis de déboucher sur un accord stipulant le paiement des salaires usuels suisses aux travailleurs roumains concernés pour toute la période de détachement et l'engagement de garantir ce niveau salarial lors de tout futur détachement éventuel.» Voici encore la dernière phrase, que je mettrais en gras si je le pouvais: «La résolution rapide et heureuse de ce cas démontre l'efficacité et le bon fonctionnement du dispositif.» Sérieusement, si la position du Conseil d'Etat est de montrer l'efficacité et le bon fonctionnement du dispositif alors qu'on détecte par hasard un cas pareil dans une multinationale genevoise, Mesdames et Messieurs les députés, c'est tout simplement effrayant ! Si nous pensons au nombre de cas qui ne sont pas signalés, qui n'apparaissent pas dans les médias et pour lesquels nous n'avons pas de réponse parce qu'il n'y a ni contrôle ni information à leur sujet, nous pouvons avoir de sacrés doutes quant à l'efficacité des dispositifs actuellement en vigueur.

Oui, il faut renforcer les contrôles dans les entreprises en se donnant les moyens de le faire; oui, il faut sanctionner les patrons tricheurs qui font de la concurrence déloyale aux autres entreprises genevoises. Mesdames et Messieurs les députés, c'est seulement avec le contreprojet sous les yeux que nous pourrons dire s'il est crédible ou non. J'aimerais vous rendre attentifs à ceci, Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente: un contreprojet non crédible, c'est autant de voix pour les partis populistes parce que ça favorise tous les abus. Or c'est justement le bien-fondé de cette initiative des syndicats que d'avoir attiré l'attention sur le discours lénifiant de certains milieux patronaux, qui consistait jusqu'aujourd'hui à dire: «Tout va très bien, on gère la situation, il y a des mesures d'accompagnement.» Mesdames et Messieurs les députés, nous attendrons le résultat des travaux de la commission de l'économie et du vote de ce Grand Conseil sur le contreprojet pour dire si l'initiative doit être soutenue telle quelle ou non.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, on nous a rappelé tout à l'heure que la meilleure manière de lutter contre le chômage était de créer de l'emploi; oui, en effet. Seulement, créer de l'emploi à frontières fermées dans un canton comme le nôtre n'a strictement aucun sens. De la même manière, penser l'économie de ce canton sans tenir compte de l'apport des frontaliers est au mieux une omission coupable, au pire un mensonge politique, et c'est bien de cela dont il s'agit.

J'aimerais juste prendre pour exemple quelques chiffres: en 2012, les frontaliers ont contribué à hauteur de 467 millions aux contributions publiques de ce canton; ils ont contribué à hauteur de 57 millions à l'assurance-chômage de notre canton, sans pouvoir bénéficier de prestations. Venir dire qu'ils ne font qu'alourdir nos finances et poser des problèmes aux résidents genevois est un non-sens ! C'est une manière étroite de comprendre l'économie, c'est surtout une manière de diviser les gens, et je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit tout à l'heure quant à la façon de gagner des suffrages.

Pour finir, il semblerait que M. Stauffer et moi-même soyons condamnés à devoir nous répéter dans ce parlement. En effet, M. Stauffer se plaît à énoncer constamment qu'à force de vouloir prendre l'argent des riches, on finira par voler celui des pauvres; eh bien, à chaque fois qu'il proférera ce genre de fausse sentence, je lui rappellerai pour ma part qu'à force de lécher les bottes des riches, on finit par se faire botter le train par les pauvres ! Je vous remercie de votre attention.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs, au-delà de la polémique, au-delà des partis politiques, il y a des réalités et des responsabilités partagées. Oui, Mesdames et Messieurs les socialistes, certains patrons sont de mauvais patrons; oui, certains salariés travaillent au noir, cela existe; oui, certains mandants font travailler ces gens-là au noir. Nous avons tous notre part de responsabilité, et c'est donc en s'élevant au-delà des responsabilités de chacun qu'on réglera ces problèmes de travail au noir et de sous-enchère salariale afin d'avoir une économie saine. Aujourd'hui, dans le bâtiment, les conventions collectives sont contrôlées, c'est une nécessité. Cela signifie que des personnes viennent dans nos entreprises vérifier si les salaires versés à nos employés sont justes et répondent à la convention collective. Oui, Mesdames et Messieurs, certains patrons sont honnêtes et font avancer l'économie, il n'y a pas que des pourris dans cette société. Mais il faudra aussi se donner des moyens. Pourquoi ? On évoquait tout à l'heure le fait qu'il y a un contrôleur pour 10 000 emplois; dans le bâtiment, c'est 1 contrôleur pour 1000 ! Ces contrôles sont une nécessité, Mesdames et Messieurs, et nous devons essayer de persévérer, de dialoguer ensemble parce que le partenariat social, ce ne sont pas les patrons d'un côté, les syndicats de l'autre; c'est une convergence, une volonté commune. Je vous remercie.

Une voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)

M. Daniel Sormanni (MCG). Chers collègues députés, il est assez amusant de voir que ce sont les communistes qui viennent nous donner des leçons d'économie dans ce parlement ! Je veux bien, mais les faits sont malheureusement têtus et chacun sait comment a fonctionné l'économie dans les pays qui se sont dits communistes ou socialistes, appelez-les comme vous voulez. J'aimerais quand même rappeler, parce qu'on l'oublie souvent, qu'au moment de la signature des accords bilatéraux, même si un certain nombre de mesures ont été prises, le parlement fédéral n'a malheureusement pas fait le nécessaire. Il n'a peut-être pas su - ou plutôt voulu - mesurer l'ampleur des problèmes qu'il y aurait suite à cette ouverture et renforcer les contrôles. Ce qui a été prévu dans la loi fédérale est donc extrêmement léger; on le voit et on le paie aujourd'hui. Monsieur le président, vous transmettrez à M. Cerutti que je le remercie pour ses propos. En effet, certains secteurs nécessitent des contrôles très serrés parce que la réalité est aujourd'hui ainsi faite. Avec cette ouverture vers l'extérieur, il y a des entreprises qui viennent de partout, des travailleurs détachés, etc., et il devient extrêmement difficile de tout contrôler, de tout vérifier. Si l'immense majorité des employeurs sont corrects, il reste toujours quelques «moutons noirs», si je puis m'exprimer ainsi - je le mets entre guillemets - et il faut les contrôler, être derrière eux.

J'aimerais encore ajouter la chose suivante: peut-être les frontaliers nous apportent-ils quelque chose, certainement même, on ne le nie pas. Mais je vous rappelle aussi que nous remboursons quelque chose comme 280 ou 290 millions d'impôts à la France ! Il faut rééquilibrer les choses: il n'y a pas seulement l'argent qu'ils nous apportent mais également celui que nous, de notre côté, remboursons à la France, argent qui paraît-il est reversé aux communes françaises - bon, on ne sait plus tellement où il va aller aujourd'hui avec la réforme des régions, qui portera pratiquement de Lyon jusqu'au sud de la France. Mesdames et Messieurs, il faut savoir raison garder. Oui, il faut des contrôles parce que nous sommes supérieurs, parce que nous nous trouvons dans une situation complètement différente de celle de 2002 qui n'a pas été mesurée au niveau fédéral, ou alors on n'a pas voulu voir que ça allait créer des problèmes grandissants et on se retrouve maintenant face à cette situation. C'est la raison pour laquelle nous soutenons un contrôle accru, mais il faut aussi veiller à ne pas se jeter dans la gueule du loup en se disant que c'est facile, que c'est l'ouverture, la mondialisation des travailleurs, de la finance et des entreprises, et puis ensuite ne plus pouvoir rien faire face à cette situation. Parfois il faudrait regarder davantage autour de soi: quand des travaux seront adjugés - et il va y en avoir, des chantiers importants dans notre canton ! - faisons notre possible pour que des entreprises genevoises soient choisies, ceci afin de donner du travail aux employés genevois qui habitent Genève.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, il est toujours pénible, lors d'une discussion ou d'un débat où une ouverture est faite pour tenter de concilier tout le monde, de terminer lamentablement dans les querelles politiques. A la base, je ne voulais pas prendre la parole mais je trouve tellement dommage d'entendre ce que l'on entend, notamment de la part des bancs d'en face ! J'aimerais juste leur rappeler que si nous étions clairement contre l'initiative 151 au début, ce sont tout de même nos voix de démocrates qui ont permis de la valider lorsqu'il s'est agi de voter. Nous n'étions pas d'accord avec le fond mais, sur la forme, nous souhaitons que chacun puisse s'exprimer. Je ne suis donc pas d'accord qu'on vienne ensuite prétendre que nous sommes par certains côtés... Mesdames et Messieurs, dans la conception de l'Union démocratique du centre, malgré ce que certains tentent de dire urbi et orbi, nous sommes contre un Etat de contrôle, un Etat policier. Nous cherchons des solutions ! Partir du principe que la vie de l'entreprise ne peut se faire qu'avec des légions de contrôleurs, ce n'est pas bien. Vous savez, j'ai une carrière de policier derrière moi; à l'époque, mes collègues et moi-même ne nous occupions heureusement que d'un faible pourcentage de la population, pas de la majorité. Un chef de la brigade des mineurs disait: «Nous avons des problèmes avec les jeunes.» Or tous les matins, je passe devant le stade du Bout-du-Monde - il habite à côté - et quand je vois tous ces adolescents qui vont faire du sport, je me dis qu'ils représentent une immense majorité et que ce sont ceux-ci qu'il faut prendre en compte. Je pense que nous devons avoir la même vision, c'est en tout cas celle que l'Union démocratique du centre tente d'avoir dans cette affaire.

Dès le début, nous ne sommes volontairement pas entrés dans la polémique, mais je tenais tout de même à rappeler quelques éléments. Une armée de contrôleurs n'est pas la solution, un Etat policier dans les entreprises n'est pas la solution; par contre, ce que nous amènent par leur dialogue les syndicats et le patronat nous semble favorable. Je vous l'ai dit: nous sommes au début d'une longue démarche, nous souhaitons - cela a été mentionné - que le département se joigne à nous, et je suis sûr que ce sera... Mais, de grâce, si on commence à évoquer les années trente, le nationalisme et autres...! La seule chose qui m'a réjoui ce soir, c'est que personne... On aurait peut-être pu parler du 9 février, j'avais quelque chose à dire à ce sujet. Je vous remercie.

M. Alberto Velasco (S). J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt M. Sormanni dire que la gauche n'a pas de leçons à donner en économie. Pour ma part, je tiens à relever, Monsieur Sormanni, que vous faites partie d'un groupe qui soutient l'économie libérale, vous êtes plutôt à droite. Or ce sont justement les partisans de cette économie qui ont libéralisé l'Europe et fait que, d'un côté de l'Europe, certaines personnes gagnent 2000 euros tandis que, de l'autre, d'autres perçoivent 500 euros pour le même travail. (Remarque.) Oui, mais ce n'est pas nous qui avons mis ça en place ! Vous faites partie d'un groupe, Monsieur Sormanni, qui soutient cette économie. Je vais même beaucoup plus loin: s'agissant du logement par exemple, vous avez déposé quatre, cinq ou six projets de lois qui vont justement... (Brouhaha.)

Le président. Mesdames et Messieurs, s'il vous plaît !

M. Alberto Velasco. ...augmenter le prix des logements, de telle sorte que les travailleurs... (Remarque.)

Le président. Monsieur Spuhler !

M. Alberto Velasco. ...n'arriveront plus à les payer ! C'est donc quand même incroyable que vous nous donniez des leçons ! Non, Messieurs, sous les faits que vous attaquez, comme les frontaliers, en réalité vous soutenez toujours cette économie devant le Grand Conseil; vous avez voté pour le budget, vous votez tous les projets fiscaux et vous votez avec la droite, donc la politique libérale. Mais évidemment, pour des questions électorales, vous vous en prenez aux frontaliers ! Voilà la réalité, Messieurs, et ne venez pas nous dire que c'est la gauche qui a mis cela en place. Nous n'avons pas le pouvoir, pratiquement nulle part en Europe, alors on ne peut pas dire ça. Non, c'est votre économie, celle que vous défendez: l'augmentation du prix des logements, les fameux projets de lois que M. le député du MCG habitant à Cologny a déposés plusieurs fois. (Commentaires.) Dans quel sens vont ces projets de lois ? (Brouhaha.) Eh oui, ça fait partie des salaires, Monsieur ! Quand on paie des logements cher, on doit gagner plus, voilà tout le problème. (Remarque.) En effet, Monsieur, exactement ! Je tiens à vous dire que nous n'avons pas de leçons à recevoir de votre groupe là-dessus.

M. Daniel Sormanni (MCG). Je serai très bref. M. le député Velasco me met en cause. D'abord, je m'adressais à Ensemble à Gauche parce que c'est Mme Haller qui en avait parlé; évidemment, chacun peut répondre. Voyez-vous, je crois que personne n'a de leçons à donner à personne ici. Vous nous fustigez parce qu'on vous dit certaines choses que vous avez de la peine à entendre, voire que vous n'avez pas envie d'entendre, à savoir que la situation que nous vivons aujourd'hui, notamment la problématique du dumping salarial et des contrôles, est bel et bien liée à l'ouverture des marchés et à l'internationalisation que vous soutenez, vous aussi, avec l'internationale des travailleurs. Arrêtez de nous dire que c'est seulement la faute des employeurs, c'est aussi vous qui défendez cet accueil sans discernement de tous les travailleurs d'Europe ou du monde entier ! C'est la conjonction de ces différentes problématiques qui fait que nous nous trouvons face à cette situation; il n'y a pas une ou deux raisons, mais c'est bien la conjonction de tout ça qui fait que nous nous retrouvons dans cette situation et nous voyons contraints de faire des contrôles supplémentaires. Bien sûr, il y a un certain nombre de choses. Le MCG ne vote ni à gauche ni à droite; certaines fois, nous votons avec la droite et d'autres fois, nous votons avec vous. C'est marrant, vous l'avez totalement oublié ! Parfois, nous soutenons aussi des projets sociaux: je vous rappelle par exemple les fameux 300 F pour l'intégration, mais vous les avez déjà oubliés parce que ça vous arrange !

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur. Je dois dire que je suis assez surpris ce soir parce que je ne retrouve pas du tout l'esprit qui a animé les débats en commission; ici, on parle de populisme alors qu'on n'en a pas du tout parlé en commission. J'ai l'impression que ce sont justement ceux qui disent qu'il ne faut pas attiser le populisme qui finissent par l'attiser eux-mêmes. J'en veux pour preuve ceci: il a été dit qu'il faudra voir le contreprojet et ce qu'il apporte vraiment avant de discuter, notamment sur le fait qu'il y ait un inspecteur pour 10 000 emplois. Monsieur Deneys, si vous aviez lu mon rapport, si vous aviez vu l'annexe qui nous a été présentée par la CGAS et l'UAPG, vous auriez constaté que l'expression «un inspecteur pour 10 000 emplois» n'a pas été touchée. Vous semblez maintenant déjà estimer qu'on pourrait revenir là-dessus alors que ce n'est absolument pas la volonté des parties. Je trouve ça regrettable et j'estime que c'est vous qui attisez ce populisme.

Je relève enfin quelque chose qui fait la force de notre démocratie, à savoir que c'est la CGAS qui a lancé cette initiative et récolté les signatures, et c'est tant mieux si ça permet de faire avancer les choses. Il y a dans ce parlement certaines personnes - qui, heureusement, ne siègent pas à la commission de l'économie - qui veulent un combat jusqu'au-boutiste afin qu'il n'y ait qu'un seul vainqueur, alors que les initiants eux-mêmes sont prêts à retirer leur initiative s'ils aboutissent à un contreprojet avec - entre guillemets - la «partie adverse». C'est aussi ce que je souhaite, Mesdames et Messieurs; je souhaite qu'on parvienne à ne pas laisser ces jusqu'au-boutistes polluer le débat et qu'il y ait des milliers de vainqueurs. Pas un seul mais des milliers de vainqueurs: les entreprises et les travailleurs qui font la prospérité de ce canton, n'en déplaise à certains !

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat a écouté votre débat avec grande attention et beaucoup d'intérêt, et aimerait rebondir sur cette note «oecuménique» du rapporteur, qui vient à l'instant de rappeler que Genève est un peu un monde en soi. A la faveur de cette initiative, on assiste tout de même au rapprochement des syndicats de travailleurs et des associations patronales, qui se tombent mutuellement dans les bras ! Or on a le sentiment ce soir que d'aucuns seraient enclins à gâcher la fête, alors même que nous n'en sommes qu'à son début. Je m'inscris ici dans la droite ligne de ce qu'évoquait tout à l'heure le député Deneys: nous allons voir ce que donneront les travaux de la commission - mais il faut payer pour voir - laquelle est prête à passer au-delà de l'initiative et à entamer l'idée d'un contreprojet, ce qu'elle vous incite à faire aussi. Pour notre part, nous nous y associons, ce d'autant plus volontiers qu'au-delà du constat d'un consensus et de la satisfaction exprimée par certains d'entre vous quant au travail de l'OCIRT - d'ailleurs, je souhaite également rendre hommage au travail de cet office et de sa directrice générale - le terreau est propice, la méthode est bonne et le résultat escompté est sans doute à notre portée.

Je m'arrête tout d'abord sur le terreau, parce qu'il faut souligner que nous ne partons pas de rien et que, contrairement aux propos quelque peu catastrophistes exprimés tout à l'heure, nous avons de quoi nous rassurer. «Quand je me regarde, je me désole; quand je me compare, je me console»: si nous nous comparons aux autres cantons suisses, nous pouvons en effet constater que les contrôles sont nombreux à Genève. En 2013, près de 1700 contrôles ont été effectués par l'OCIRT dans le cadre des mesures d'accompagnement, en sus du travail des commissions paritaires. D'ailleurs, comparons ce qui est comparable: il faut cesser d'omettre - parce que c'est une omission volontaire - l'important travail réalisé par les commissions paritaires. Sur ces 1700 contrôles, seuls 10% d'entre eux ont révélé des cas de sous-enchère salariale. Dès lors, on peut se demander si ces 10% sont le reflet de l'activité des contrôleurs ou bien celui d'une réalité étayée; nous ne le savons pas vraiment parce que les éléments de comparaison manquent.

Ceci dit, et il est important de le souligner, on peut également estimer que si l'on tombe sur des cas, que d'aucuns jugent trop nombreux, c'est précisément parce qu'on les cherche en faisant des contrôles essentiellement dans les secteurs à risque; il est donc logique qu'un certain nombre de cas émergent. S'agissant par exemple des informaticiens évoqués tout à l'heure, je rappelle que les travailleurs détachés représentent 0,2% du volume total des travailleurs du canton. Oui, bien sûr, c'est un cas choquant; oui, bien sûr, il faut opérer des contrôles; oui, bien sûr, l'idéal serait d'avoir un élargissement de la base légale, mais nous sommes aussi dans une logique, par ailleurs défendue à maintes occasions par les syndicats des travailleurs, de contrôles a posteriori. Il y aura toujours des tricheurs; il faudrait en réduire le nombre et, lorsqu'on en débusque, les saisir. Dans le cas d'espèce, le Conseil d'Etat a répondu honnêtement; en une semaine, l'affaire était réglée, et cette situation doit d'ailleurs servir de vaccin. Mais, de grâce, ne confondons pas la paille et la poutre: nous parlons ici de 0,2% du volume total des travailleurs du canton.

Genève, je le rappelle et cela doit nous rassurer, ce sont 147 conventions collectives de travail, 50% des employés qui sont couverts. Au regard d'autres cantons, c'est énorme ! Sur ces 147 conventions, 27 d'entre elles sont étendues. En 2014, deux arrêtés du Conseil d'Etat concernaient des extensions facilitées, tandis que six procédures d'extension ordinaire de CCT ont été initiées. Genève est également l'un des quatre seuls cantons suisses à avoir initié des contrats types de travail, un dispositif nouveau qui a émergé à la faveur des mesures d'accompagnement - c'est assez rare pour être souligné. Là encore, il s'agit de mesures assez coercitives prises par le gouvernement sous l'impulsion des syndicats, visant, dans quatre secteurs donnés, à ne pas laisser les travailleurs à la merci de conditions non correctes. J'insiste sur ces décisions parce qu'elles ont été prises par le nouveau gouvernement en janvier de l'année passée, malheureusement à la suite du cas du chantier de l'hôpital évoqué tout à l'heure: ce sont des décisions dures et contraignantes dans le domaine des marchés publics destinées à sanctionner sévèrement les entreprises qui sortiraient du cadre, c'est une cellule de crise que nous avons mise sur pied avec les syndicats pour exprimer notre ferme volonté d'aller de l'avant ensemble. Monsieur de Sainte Marie, cessez d'omettre en permanence les commissions paritaires; il n'y a pas que le travail de l'OCIRT qui compte, mais aussi le leur. Nous ne pouvons pas considérer que l'OCIRT sera la solution à tout car ce serait passer sous silence l'importance du partenariat social.

J'en arrive maintenant au deuxième point: après avoir évoqué le terreau, il faut parler de la méthode proposée, soit celle du tripartisme. Nous sommes des adeptes du tripartisme. Ce matin encore, j'ai présidé durant près de trois heures le Conseil de surveillance du marché de l'emploi, qui est la commission tripartite instaurée dans le cadre législatif fédéral; cette commission nous permet d'avancer, de faire évoluer des positions, de nous rassembler sur des points précis. Vous avez reconnu que nous n'avions pas encore de position tripartite, et c'est sans doute le chemin supplémentaire à faire. Nous avons une ébauche de projet dont je me félicite qu'elle existe pour pouvoir en discuter, nous aurons sans doute des apports du côté de l'Etat, et je veux croire que nous trouverons à la commission de l'économie un texte qui fasse consensus. Cette méthode est importante, et il vaut la peine de mener cet exercice qui a donné de bons résultats dans d'autres domaines.

Troisième et dernier aspect, après avoir parlé du terreau et de la méthode, je veux évoquer les résultats. Quels résultats veut-on obtenir ? Je vais aller un peu plus loin que le député Deneys parce qu'on peut déjà poser quelques jalons. Je pense que nous devons confirmer, à travers le contreprojet qui émergera, la volonté de partager les responsabilités. C'était l'un des défauts qu'a corrigés le Tribunal fédéral et ce n'est pas là le moindre des apports de la haute cour. Il s'agit d'avoir un réel souci de coordination et d'efficacité vis-à-vis des entreprises, pas juste d'ajouter une couche supplémentaire ou de procéder à quelques gesticulations pour se donner bonne conscience. Non, cela doit être coordonné avec le reste et efficace, ce qui demeure encore à démontrer. Nous devons être soucieux des deniers publics, et j'ai eu le plaisir d'entendre tout à l'heure sur les bancs socialistes l'expression de cette volonté-là; nous ne pouvons pas gaspiller les fonds publics, il ne s'agit pas simplement d'ajouter des postes pour se faire plaisir mais de déterminer comment ces fonds seront utilisés, à plus forte raison en période de difficultés budgétaires. Enfin, il s'agira de doser le contrôle. Les références et métaphores policières m'enchantent d'ordinaire et j'ai adoré les entendre, mais je vous le dis d'emblée: pour le Conseil d'Etat, s'il s'agit, à travers ce contreprojet, de renforcer massivement les contrôles pour les contrôles eux-mêmes, la réponse sera non, et je signe demain l'affiche d'Ensemble à Gauche intitulée «Non à une économie militarisée !».

Une voix. Mais non ! (Rires.)

M. Pierre Maudet. Il s'agira donc, Mesdames et Messieurs, de doser le contrôle et, encore une fois, d'en appeler à la responsabilité des entreprises. J'ai trop peu entendu aujourd'hui le fait que renforcer les contrôles, c'est également mettre en exergue les employeurs qui jouent le jeu. Vous l'avez dit, Monsieur de Sainte Marie, et c'est juste: dans le fond, nous voulons montrer à travers ce processus et les résultats escomptés que beaucoup d'entreprises jouent le jeu et méritent d'être récompensées, d'abord en soulignant le fait qu'elles jouent le jeu et ensuite en punissant celles qui se livrent à une concurrence déloyale. J'aimerais ajouter que je rencontre beaucoup d'employeurs qui en ont assez de vivre cette situation de concurrence déloyale. Il est également nécessaire de penser à eux, pas seulement aux travailleurs, et de les soutenir. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, précisément à l'inverse de la métaphore policière qu'on aurait pu filer, j'aurais tendance à dire que plus l'économie sera policée, moins elle sera policière.

Nous avons peut-être l'occasion, à travers le processus que nous allons initier dans le contreprojet - je vais finir sur cet enjeu parce qu'il est très important et qu'on en a parlé durant plusieurs heures ce matin avec les syndicats patronaux et ouvriers - de donner un exemple au reste du pays ! Je reviens sur mes propos de départ: «Quand je me regarde, je me désole; quand je me compare, je me console.» Le reste de la Suisse se trouve à des années-lumière de la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement. Il y a dans les cantons voisins ou proches des situations bien pires mais dont on ne parle pas parce qu'on ne les découvre jamais. Et pour cause, il n'y a pas de contrôles ! L'enjeu est de servir d'aiguillon pour notre pays, de façon solidaire, conjointement avec les syndicats de travailleurs et les associations patronales, parce que nous sommes, un peu malgré nous, à l'avant-garde dans ce domaine.

Les questions qui se posent maintenant à Genève vont se poser demain voire dans les heures qui viennent, pour utiliser la métaphore horaire, dans d'autres cantons, lesquels vont vivre les mêmes secousses que nous. Le but est donc de faire passer le message à M. Schneider-Ammann, au Conseil fédéral et aux organisations faîtières patronales et syndicales qui se trouvent encore dans une guerre pour partie larvée, pour partie franchement apparente, que nous arrivons à trouver des solutions ensemble. Faute de quoi, l'ensemble de l'économie, et vous savez que c'est un écosystème qui dépasse largement les frontières genevoises, va péricliter par l'accroissement des inégalités et par le désordre, ce que nous ne voulons pas parce que ce n'est précisément pas le terrain propice au développement de l'économie. Je conclurai ainsi, Mesdames et Messieurs: notre enjeu est de donner, à travers le résultat d'un processus assumé qui nous mènera à un contreprojet tripartite, un modèle pour le pays, une ambition pour une économie qui favorise l'emploi et permette indirectement de lutter contre la pauvreté en générant des richesses les mieux réparties possible. Ce jour-là, nous aurons peut-être réussi bien plus que nous ne l'imaginions au départ. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons maintenant procéder aux différents votes en commençant par la prise en considération de l'initiative 151.

Mise aux voix, l'initiative 151 est refusée par 60 non contre 29 oui et 1 abstention.

Le président. Vous êtes donc priés de vous prononcer sur le principe d'un contreprojet. Oui, Monsieur Hiltpold ?

M. Serge Hiltpold. Je demande le vote nominal !

Le président. Etes-vous soutenu ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, vous l'êtes. Nous passons donc au vote nominal.

Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est accepté par 91 oui et 1 abstention (vote nominal). (Applaudissements.)

Vote nominal

L'initiative 151 est renvoyée à la commission de l'économie.

Les rapports IN 151-A et IN 151-C sont renvoyés à la commission de l'économie.