Séance du
vendredi 20 février 2015 à
20h30
1re
législature -
2e
année -
2e
session -
13e
séance
M 2186
Débat
Le président. C'est le tour de la M 2186. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à l'auteure de cette motion, Mme Caroline Marti.
Mme Caroline Marti (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, après notre séance plénière de janvier, je suis allée boire un verre dans un café du Bourg-de-Four avec quelques-uns de mes camarades socialistes. Nous y avons rencontré deux collégiens de troisième et quatrième année avec qui nous avons engagé la conversation. Nous leur avons expliqué que nous sortions du Grand Conseil, et puis nous avons commencé à discuter un peu de politique... (Brouhaha. Un instant s'écoule.)
Le président. Poursuivez, Madame.
Mme Caroline Marti. Merci. Bien que plutôt intéressés par notre discussion et par la politique, force est de constater qu'ils ne savaient pas très bien ce qu'était le Grand Conseil ni à quoi il servait. Le Conseil d'Etat ? A peu près la même chose. On leur a demandé s'ils connaissaient une personnalité politique du canton de Genève, par exemple le président du Conseil d'Etat; eh bien non, ils n'en avaient absolument aucune idée. Pourtant, ces étudiants se sont montrés plutôt intéressés par la chose politique, ils ont très volontiers discuté de ça avec nous.
En Suisse, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons la chance de connaître une forme particulièrement développée et extensive de la démocratie, à savoir la démocratie directe. Cela implique de devoir nous prononcer fréquemment, nous et nos concitoyens, sur des sujets variés, mais parfois complexes ou techniques. Et, Mesdames et Messieurs les députés, nous estimons que pour préserver toute la valeur de notre démocratie, il est absolument impératif que les citoyens puissent se forger une libre opinion, voter en toute connaissance de cause et maîtriser le fonctionnement de nos institutions. Or actuellement, à l'école publique genevoise, les élèves ne suivent qu'une heure de cours d'éducation citoyenne ou éducation civique - peu importe comment on la nomme - au cycle d'orientation, et c'est tout: à notre sens, cela ne donne absolument pas aux futurs citoyens les outils et connaissances nécessaires à l'exercice de leur rôle civique. Pourtant, nous pensons qu'il relève de l'école de leur offrir ces instruments et ces connaissances; c'est d'ailleurs ce que rappelle l'article 4 de la LIP, qui stipule que l'école publique a pour ambition, je cite, «de préparer chacun à participer à la vie sociale, culturelle, civique, politique et économique du pays, en affermissant le sens des responsabilités, la faculté de discernement et l'indépendance de jugement».
De plus, Mesdames et Messieurs les députés, le taux de participation aux votations en Suisse est particulièrement faible, malheureusement, bien souvent en dessous de 50%; il est généralement de 40% chez les jeunes de 18 à 24 ans. Du coup, les décisions qui sont prises, certes démocratiquement mais néanmoins par la seule moitié du corps électoral, souffrent manifestement d'un déficit de légitimité. L'article 194 de notre nouvelle constitution, récemment adoptée, introduit la formation jusqu'à 18 ans, ce qui nous offre une formidable opportunité de donner outils et connaissances aux jeunes et de les inciter à s'intéresser à la vie politique au moment où ils entrent dans leur vie de citoyen. C'est justement pour mener cette réflexion globale sur le rôle de l'instruction publique dans la formation citoyenne que nous avons déposé cette motion, que nous vous proposons de renvoyer à la commission de l'enseignement. Je vous remercie.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Guy Mettan... qui ne la prend pas. Je cède donc la parole à M. Jean Romain. (Un instant s'écoule. Commentaires.) Vous la prendrez tout à l'heure, si vous le souhaitez ! (Remarque. Rires.)
Une voix. Qu'est-ce qui se passe, là ?
Le président. Bon, c'est à vous, Monsieur Mettan.
M. Guy Mettan (PDC). D'accord, d'accord...
Le président. Allez-y, je vous en prie.
M. Guy Mettan. Votre magnanimité vous sera comptée, Monsieur le président ! Chers collègues, tout à l'heure, nous avons parlé de civisme. Il se trouve que, comme je l'ai dit, cette motion reprend l'idée d'une éducation citoyenne; c'est la raison pour laquelle je serai court. Nous acceptons de renvoyer cette motion en commission, où nous pourrons d'ailleurs en parler en même temps que de la nôtre, voire peut-être lier ces deux cas et trouver, avec le département, une solution commune à l'éducation citoyenne dans l'ensemble du secondaire, que ce soit dans le postobligatoire, l'Ecole de culture générale ou autres. Nous vous invitons donc à renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement.
M. Jean Romain (PLR). Chers collègues, il existe quantité de cours. La liste de ce qu'il faudrait étudier est, quantitativement et qualitativement, interminable. Aujourd'hui, une motion voudrait pour le cycle d'orientation, qui ne parvient déjà pas à faire ce qu'il devrait, un renforcement des cours d'éducation citoyenne, et pour le secondaire II, créer une introduction à la pensée politique. Louable intention, puisqu'il s'agirait d'apporter aux élèves les moyens d'entrer dans le débat politique et de les inscrire au mieux dans la démocratie directe. Or dans le cas du CO, ce cours est déjà donné ! On peut certes le renforcer, mais qualitativement seulement. Parce que si on devait ajouter une heure à la grille horaire, il faudrait alors enlever cette même heure à une autre discipline, ladite grille n'étant pas extensible. Une guerre des branches s'ensuivrait, alors qu'il est aisé d'insister sur les enjeux et les prises de position dans le cadre d'autres disciplines ou à des moments clefs des votations. Comme je l'ai dit tout à l'heure, certaines classes organisent parfois de tels débats fictifs, d'autant que le site suisse easyvote.ch est une aide pour ceux qui peinent - et je le comprends - à saisir de quoi il retourne.
Mes chers collègues, cette motion a une autre intention: augmenter le taux de participation du peuple lors des élections et des votations, et elle table sur le constat incomplet que c'est la connaissance du système politique... (Remarque.) Monsieur Deneys, je savais... Il y a un proverbe qui dit, cher Monsieur Deneys, qu'il ne faut pas mourir idiot. Vous venez de prendre votre billet pour l'immortalité ! (Rires. Applaudissements. Commentaires.) Cette motion a pour but d'augmenter le taux de participation du peuple lors des élections et des votations, et elle table sur le constat incomplet que c'est la connaissance du système politique qui augmente le désir de participer. Cependant, rares sont les citoyens qui ne votent jamais, et la pratique de l'intermittence est assez ancrée chez les jeunes. Ceci dit, il est difficile de décider si cette intermittence hétérogène est la marque d'un déficit démocratique tant l'analyse de l'abstention ne peut s'en tenir à des explications simples et à des causalités univoques. Le vote doit rester un acte libre, engageant la responsabilité d'un citoyen éclairé. Or le monde a changé, ainsi que les notions d'obligation et d'autorité. Selon le mot de Pierre Rosanvallon, on est passé, je cite, «d'une démocratie»...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Jean Romain. Je termine, Monsieur le président, parce qu'on m'a interrompu. On est passé «d'une démocratie politique "polarisée" à des formes de "démocratie civile" plus disséminées». En d'autres termes, la démocratie ne se contente plus de s'exprimer dans le vote, il y a la démocratie d'implication ou encore celle d'intervention; le vote ne les contient plus, comme par le passé, à lui tout seul. Le devoir de voter n'est pas remis en cause, il obéit simplement à un impératif moral et social moins fort qu'auparavant. C'est pourquoi, chers collègues, le PLR vous propose de refuser cette motion.
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, il est toujours difficile de prendre la parole après un orateur tel que Jean Romain puisqu'il a dit en substance beaucoup de choses que j'allais dire. Je vais donc peut-être en rester à quelque chose de plus trivial. Quand j'ai lu cette motion, je me suis demandé ou plutôt je me suis dit: heureusement que ce n'est pas l'UDC qui l'a déposée ! Sinon, on aurait entendu que le fascisme allait arriver, que le directivisme de droite voire d'extrême droite allait survenir, etc. Mesdames et Messieurs les députés, l'invite appelant à créer un cours d'introduction à la politique peut sembler à peu près correcte. Il est clair - et vous nous entendez souvent à ce sujet, n'est-ce pas ? - que c'est bien là un gros reproche que l'on fait ! Tous les professeurs d'université qui montrent quelque tendance à émettre de temps à autre un avis de droite sont presque cloués au pilori et souvent mis à l'index. Non, Mesdames et Messieurs, comment osez-vous proposer ceci ? Je dirais, pour finir de vous choquer - parce qu'il vaut parfois la peine de vous choquer pour vous montrer jusqu'où ça peut aller - que j'ai presque fait un tour dans la Chine ancienne, où l'empereur ordonnait, pour éviter les déviances politiques et faire en sorte que les gens ne s'attachent vraiment qu'à leur devoir, que tous ceux ayant un pouvoir soient castrés. Je me demande, si on suit votre motion, s'il ne faudrait pas castrer tous les enseignants ! Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Jean-Michel Bugnion (Ve). Le groupe des Verts partage les préoccupations des motionnaires et souhaite que cette motion soit renvoyée à la commission de l'enseignement parce qu'il y a effectivement passablement de choses à débattre. La première question qui se pose - le député Romain l'a signalé - est la suivante: où serait récupérée l'heure dévolue à l'éducation citoyenne ? Et la seconde, qui est plus intéressante, on a d'ailleurs déjà commencé à en parler: est-ce qu'il s'agit vraiment de faire un cours spécifique ? Encore une fois, ne pourrait-on pas imaginer une approche combinée avec l'histoire et la géographie qui aurait davantage de sens et permettrait, comme ça se fait déjà actuellement, de mener des actions comme le vote en blanc ? Cela se passe dans certains collèges, et à mon sens, c'est beaucoup plus efficace en termes d'apprentissage de la démocratie. Le groupe des Verts est pour un renvoi à la commission de l'enseignement.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, quoi que vous puissiez penser du fond de cette motion, si vous êtes un tant soit peu cohérents avec ce que vous avez voté en début de soirée - vous avez en effet accepté le renvoi en commission d'une motion qui portait sur le même sujet mais ne concernait que l'Ecole de culture générale - la logique voudrait que vous renvoyiez celle-ci aussi en commission afin qu'elle soit traitée globalement. Je ne vois pas pourquoi on ne s'occuperait que de l'Ecole de culture générale et pas de l'ensemble des écoles du secondaire II. Cela dit, je rejoins le député Bugnion sur une chose, à savoir que ce n'est pas forcément un cours à part qui doit permettre de résoudre cette question. Il faut simplement s'assurer - il faut y être attentif dans la confection des programmes - qu'un certain nombre de notions soient traitées et bien acquises, notamment dans le cadre des cours d'histoire et de géographie.
Maintenant, j'aimerais rappeler que l'éducation citoyenne ne se résume pas à des cours spécifiques liés à cette discipline. Je vais vous donner un exemple, il n'y a pas besoin de chercher bien loin: ce matin, je me trouvais à la conférence de presse du lancement de CinéCivic. Entreprise au départ par la chancellerie, cette action est menée avec des jeunes - des apprentis de l'Espace entreprise et du Centre de formation professionnelle arts appliqués - et pour des jeunes. Il s'agit de réaliser de petits films ou des clips pour les inciter à voter. Cela se déroule sous forme de concours avec des prix allant jusqu'à 3000 F et aboutit à des films absolument remarquables, qui peuvent par la suite être diffusés dans les écoles. Cette opération existe depuis quelques années; eh bien, voilà un bel exemple d'une démarche citoyenne qui ne prend pas la forme d'un cours en particulier.
Au secondaire II, certains élèves participent à ce qu'on appelle le SUN, c'est-à-dire les Nations Unies pour étudiants. Là aussi, il s'agit de ce que j'estime être une activité de type citoyen, c'est-à-dire que ce sont des jeunes qui se retrouvent à l'ONU, dans un hémicycle un peu comme le nôtre, et qui ont à charge de défendre un pays qu'ils ont préalablement tiré au sort. Ils n'ont pas forcément choisi ce pays, ils doivent se mettre dans la peau d'un gouvernement et défendre les intérêts d'un Etat qui n'est pas forcément le leur. Cette activité est suivie par de nombreux élèves chaque année.
Autre exemple: il y a quelques semaines, j'ai été membre du jury d'un concours intitulé «La jeunesse débat», ouvert à tous les élèves du secondaire II. Des débats étaient organisés sur des thématiques qui pourraient parfaitement vous intéresser, telles que: «Faut-il ou non donner le droit de vote aux étrangers en Suisse ?» ou - totalement dans l'actualité - «Peut-on rire de tout ?». Ces jeunes ont débattu, et les quatre meilleurs d'entre eux ont été sélectionnés pour participer à la finale à Berne, qui aura lieu d'ici trois semaines. Aujourd'hui, il existe donc déjà énormément d'activités au sein du DIP pour promouvoir l'éducation citoyenne. Mais vous avez raison: on peut certainement faire mieux, il faut simplement coordonner les choses. Je vous invite, dans la logique de ce qui a été voté tout à l'heure, à renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement, et nous traiterons les deux textes en parallèle parce qu'il s'agit bien de la même problématique.
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat, et invite l'assemblée à se prononcer sur le renvoi de cette motion en commission.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2186 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 47 non contre 37 oui.
Mise aux voix, la proposition de motion 2186 est rejetée par 47 non contre 36 oui et 1 abstention.