Séance du
vendredi 20 février 2015 à
15h
1re
législature -
2e
année -
2e
session -
11e
séance
P 1921-A
Débat
Le président. Nous passons à la P 1921-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole au rapporteur de majorité, M. Jean Romain.
M. Jean Romain (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, l'histoire suisse, l'histoire genevoise, nous y pensions depuis longtemps. Eh bien cette pétition demande qu'on prenne en compte l'histoire suisse et l'histoire genevoise dans l'enseignement de nos écoles. On va rétorquer deux choses: d'une part, cela se fait, merci, nous sommes servis, passez votre chemin, il n'y a rien à voir; d'autre part, le Plan d'études romand, le PER, prévoit cet enseignement, merci, nous sommes servis, passez votre chemin, il n'y a rien à voir. Deux réponses à cela: d'abord, ce n'est pas vrai que cet enseignement se fasse à satisfaction. Oui, on parle un peu, mais pas beaucoup, de l'histoire suisse ou de l'histoire genevoise. Posez une question à n'importe quel élève sortant du cycle d'orientation et vous serez édifié par ce qu'il vous répondra. Ensuite, il est tout à fait vrai de dire que le PER, le Plan d'études romand, prévoit l'enseignement de l'histoire suisse selon la courte, la moyenne et la longue durée. Mais ce plan d'études est tellement vaste que chaque maître est contraint de sélectionner ce qu'il va enseigner. Il est ainsi possible que des élèves, en fonction des choix subjectifs du maître, n'aient pas tellement entendu parler de notre histoire ni locale, ni nationale. En plus, le manque de manuel est dommageable à l'enseignement; en effet, un manuel accompagne mieux que toutes les photocopies du monde un élève dans son cursus scolaire.
Soyons clairs: je l'ai répété, ce n'est pas au citoyen de venir, par le biais d'une pétition, expliquer aux maîtres ce qu'ils doivent enseigner, ni, surtout, comment ils doivent le faire. Nous demandons au médecin de soigner son patient, libre à lui de choisir comment il y parvient et avec quels moyens. Reste évidemment que l'école doit soigner l'ignorance, cette ignorance que déplore à juste titre cette pétition. La chronologie historique a une vertu; il ne s'agit pas d'apprendre des dates par coeur, car c'est abrutissant d'apprendre des dates et des faits bruts. Mais un minimum, accordez-le-nous, est nécessaire pour éviter la confusion et ne pas placer Marignan à l'époque de Cro-Magnon. La chronologie est la partition, chers collègues, qui permet de composer un ensemble plus large et plus critique, et ainsi de relier le temps et l'espace de notre pays. Quant au danger de l'instrumentalisation de l'histoire suisse, il existe, je le veux bien, mais il est faible !
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Jean Romain. En tout cas, il est de même ampleur que le danger qui consiste à instrumentaliser une doctrine politique. Imaginez qu'on interdise aux profs de philosophie de parler de Marx sous prétexte qu'il existe un danger d'instrumentalisation de ce cours ! Mme Anne Emery-Torracinta, que nous avons entendue en commission, ne verrait pas d'objection à ce qu'on lui renvoie cette pétition; elle-même le dit, «herself» le dit ! C'est donc qu'elle lui reconnaît un fondement ! Il existe un malaise en ce qui concerne l'enseignement de cette histoire. Dissipons-le, chers collègues, en suivant la majorité de la commission qui préconise le renvoi au Conseil d'Etat. (Quelques applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. Il n'est pas simple de s'exprimer après le brillant exposé du rapporteur de majorité, qui a également rendu un excellent rapport, fort bien illustré par de nombreuses situations et fort fourni. Néanmoins, j'aimerais rappeler que dans l'invite, il est question d'une histoire qui reprendrait l'histoire suisse de manière factuelle et chronologique, de Guillaume Tell à nos jours. Et c'est cet aspect factuel et chronologique qui gêne beaucoup. Dans le rapport de majorité, à un certain moment, on évoque une vision panoramique. Ça me rappelle le panorama Bourbaki, qui explique de manière extrêmement large et transversale ce qui s'est passé au moment où les soldats de l'armée Bourbaki ont été accueillis en Suisse, aux Verrières. Le problème, c'est qu'on ne peut pas enseigner l'histoire uniquement de manière chronologique et factuelle, d'autant moins que, selon ce que demandent les pétitionnaires, il s'agirait des élèves de l'école primaire.
La deuxième question, et le rapporteur de majorité en a déjà parlé, c'est: peut-on imposer à des enseignants la manière d'enseigner et ce qu'ils doivent enseigner ? Ce sont eux qui sont devant les élèves, et il n'est pas question de leur dire qu'ils doivent enseigner l'histoire suisse de manière factuelle et chronologique.
La troisième question, c'est de savoir si un tel enseignement, à l'école primaire, a du sens. Je cite souvent Piaget, c'est une référence pour moi; dans d'autres commissions on m'a déjà dit qu'il ne fallait pas trop en parler, mais n'empêche que la présidente du DIP l'a confirmé: avant l'âge de douze ans, cela n'a guère de sens de croire qu'un enfant peut comprendre la dimension chronologique d'événements qui se déroulent les uns après les autres. Ça, c'est une donnée objective, scientifique.
Ensuite, comment enseigner ? L'idée développée dans le rapport de minorité est que comme les différentes couches d'un millefeuille...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Christian Frey. ...il faudrait prendre chaque thème de manière transversale, de manière élargie, comme le propose d'ailleurs le PER, le Plan d'études romand, et analyser, par exemple, la Réforme à partir de l'Europe avec ses répercussions en Suisse, et non pas de manière chronologique et en Suisse seulement.
Rapidement, encore quelques mots sur le risque qui existe. Le risque, effectivement, est une instrumentalisation de l'histoire. La bataille de Marignan est un excellent exemple: pourquoi fêter une déculottée... (Commentaires.) ...une défaite qu'ont vécue des mercenaires suisses et en faire un événement qu'on commémore comme le début de la neutralité de la Confédération helvétique ? Ça n'a simplement pas de sens.
Dernier argument, la question du manuel. Je viens d'en avoir, cher Monsieur le rapporteur de majorité, la confirmation: un manuel d'histoire est en préparation au niveau romand, les élèves de 5P et 6P vont pouvoir en bénéficier dès la rentrée 2015, et il est donc nécessaire d'attendre et de ne pas surcharger le département de l'instruction publique et sa présidente avec des pétitions qui n'ont pas lieu d'être. La minorité vous recommande donc, Mesdames et Messieurs les députés, de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, quitte à la reprendre en 2016 si jamais ce manuel d'histoire ne devait pas donner satisfaction. Il ne s'agit pas d'enfoncer des portes ouvertes, et ce n'est pas parce qu'une conseillère d'Etat responsable du DIP nous dit qu'elle n'est pas opposée à ce qu'on lui renvoie la pétition qu'il faut la lui renvoyer; il faut renvoyer une pétition quand cela a un sens de le faire, quand il y a un travail à effectuer, quand il y a des problèmes à résoudre, et non pas quand des solutions sont attendues pour la rentrée 2015. En 2015, les élèves de 5P et 6P en Suisse romande pourront avoir un manuel d'histoire. Je vous remercie ! (Quelques applaudissements.)
M. Jean-Michel Bugnion (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, voilà une pétition intéressante. Elle se base sur un constat pour le moins fragile, puisqu'il s'agit de quatre expériences vécues de pétitionnaires, en matière de scolarité, je précise, dont une essentiellement vaudoise. Pour le reste, ce sont des on-dit selon lesquels on ne fait pas assez d'histoire. Mais qu'est-ce qui permet aux pétitionnaires de l'affirmer ? Personnellement, je peux en tout cas vous dire que tout au long de ma carrière d'enseignant d'histoire, et tout au long de ma carrière de directeur de cycle, j'ai vu que nous enseignions, mes collègues et moi, l'histoire suisse et genevoise. Le premier point est donc que cette pétition se base sur un constat un peu fragile.
Deuxième point, c'est un peu préoccupant. Vous savez, quand j'entends que le pouvoir politique se mêle de l'enseignement de l'histoire, j'ai un haussement de sourcils. Les régimes totalitaires, c'est leur propre, commencent par vouloir contrôler l'histoire et son enseignement. Evidemment, vous vous souvenez de «1984», merveilleuse illustration par George Orwell de ce pouvoir que le politique essaie de s'arroger sur l'histoire. Bien sûr, on n'en est pas là. Néanmoins, on voit bien, dans cette pétition, le nationalisme pointer le bout de son nez.
Ensuite, on nous parle d'un enseignement factuel, c'est-à-dire des faits. L'histoire événementielle est nécessaire, certes, mais pas suffisante ! Quand vous apprenez des données sans les relier à une réflexion, sans les relier à un éclairage, sans les relier à des interrogations, vous obtenez le même taux de rétention de la mémoire que nous avions pour le vocabulaire du «Wir sprechen deutsch». Cet enseignement n'est donc pas suffisant; il faut l'éclairer. Alors à ce moment-là se pose la question du comment. Qu'est-ce que vous voulez ? Un panorama, allez, d'histoire diplomatique, du pacte de 1291 aux Bilatérales ? Ou alors un panorama d'histoire économique, de la Suisse d'émigration à la Suisse d'immigration ? Ou encore, un panorama d'histoire, allez, on va dire militaire...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Jean-Michel Bugnion. ...du morgenstern au Gripen ? (Commentaires.) Effectivement, la réalisation concrète pose problème et fera polémique. Déposez cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, c'est la recommandation des Verts, et s'il fallait vraiment que la majorité la renvoie...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Jean-Michel Bugnion. ...au Conseil d'Etat - je conclus, Monsieur le président - alors à ce moment-là, je souhaiterais vraiment que le département réponde par des mesures incitatives plutôt que par des mesures...
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député !
M. Jean-Michel Bugnion. ...prescriptives du genre... «Big Stauffer is watching you !». (Rires.)
M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, après la démonstration de M. Bugnion, j'ai envie de dire «mais pourquoi pas» ! Pourquoi pas tout ce panel que vous nous avez cité, Monsieur Bugnion, pourquoi pas «du morgenstern au Gripen» ? Parce que justement, ce que nous demandent ces gens qui représentent la population, c'est qu'on enseigne l'histoire au sein de l'école primaire, et non pas au sein du cycle d'orientation, dont vous êtes un ancien directeur. Mesdames et Messieurs, le rapporteur de majorité l'a bien dit: Mme Torracinta accueille volontiers cette pétition, parce qu'elle prépare, comme l'a également souligné le rapporteur de minorité - qui nous parle d'ailleurs d'histoire en extrapolant sur le futur - un manuel d'histoire pour la rentrée 2015. Peut-être qu'il sera prêt, peut-être pas. Mais la question est la suivante: faut-il imposer un enseignement de l'histoire ou saupoudrer l'histoire politique mondiale de notions historiques suisses ? C'est la différence qu'il faut faire ! Est-ce qu'il nous faut imposer des horaires d'histoire ou laisser chacun saupoudrer, comme un cuisinier saupoudre du sel sur un rôti, selon sa volonté et son goût ? Le problème est là ! Il y a une interprétation des professeurs, qui, selon leurs goûts et leurs désirs, leurs tendances politiques ou autres, vont raconter l'histoire, vont enseigner l'histoire à nos enfants de manière différente. Tout l'enjeu est là: il y a une sensibilité très différente selon les professeurs. Il nous semble donc important que l'histoire fasse partie des manuels et des enseignements scolaires. Je vous remercie, Monsieur le président.
M. Stéphane Florey (UDC). A midi, en rentrant à la maison, quand j'ai posé la question à ma fille: «Connais-tu les Waldstätten ?», elle m'a répondu: «Qui ? Quoi ? C'est où ?» (Commentaires.) Voilà le triste constat que j'ai fait aujourd'hui. Les élèves de 8P ne connaissent quasiment rien du tout de notre histoire suisse. Ça, c'est la réalité. Vous pouvez poser la même question à n'importe quel élève, certains auront peut-être la réponse par chance, mais la majorité ne la connaîtra pas. En commission, on nous a dit: «La chronologie, vous comprenez... Avant douze ans, l'élève est incapable de situer la dimension temporelle de l'événement.» Alors d'accord, c'est une théorie de pédagogue, qui a décidé ou décrété que. OK, c'est peut-être vrai, ce n'est pas contesté ! Simplement, savoir d'où on vient et où on va, c'est ça qui est important. Avec le temps, l'élève arrivera à situer l'événement. L'autre jour, mon dernier m'a demandé ce que c'était que l'époque. Là, on est typiquement dans la théorie des douze ans - il a sept ans. C'est quoi, l'époque ? Alors bon, je lui ai expliqué que quand on disait «à l'époque», ça se rapportait à un événement qui avait eu lieu avant ! Après il faut juste situer quand. Je lui ai expliqué ça en deux mots, assez simplement, et il a compris. Maintenant c'est clair que si je lui parle d'un événement précis, il ne saura pas le situer ! Mais au moins il sait que c'était avant, et c'est ça qui est important quand on apprend l'histoire. (Brouhaha.)
Autre constat: on nous a dit que la chronologie ne servait absolument à rien, que mieux valait apprendre l'histoire dans sa globalité par rapport à d'autres événements plutôt liés à l'Europe. Mais prenez les manuels d'histoire: 90% de l'histoire suisse...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Stéphane Florey. ...est liée à l'Europe ! Donc en apprenant l'histoire suisse, vous connaissez à peu près la totalité des grands événements européens. Et quand on parle de manuel scolaire, pourquoi réinventer la roue sans cesse ?
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Stéphane Florey. On ne va pas refaire l'histoire, donc revoir les manuels ne sert absolument à rien. On ferait mieux de reprendre les vieux manuels que nous avions à l'époque, qui parlaient au moins de l'histoire suisse...
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député.
M. Stéphane Florey. ...selon la chronologie. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Jean-François Girardet pour une minute et vingt secondes.
M. Jean-François Girardet (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier le rapporteur de majorité parce qu'il a bien résumé les travaux et les définitions dégagées durant l'étude de cette pétition. J'aimerais remercier également Mme Anne Emery-Torracinta, qui saura apprécier le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, puisqu'elle aura certainement l'occasion de donner des réponses adéquates et professionnelles.
Je voudrais insister sur trois points. Le premier, c'est que l'élaboration d'un manuel d'histoire, sous la haute surveillance du Conseil d'Etat, est importante, parce que c'est là-dessus non seulement que sont formés les élèves, mais aussi les enseignants. C'est donc une base commune à toute la Suisse romande, qui semble utile et qui fait défaut aujourd'hui. Le deuxième point, c'est qu'il faut utiliser les grandes fêtes. A Genève, on a le privilège de célébrer chaque année l'Escalade à l'école primaire, et c'est bien clair que c'est un fait marquant.
Le président. Il vous reste vingt secondes.
M. Jean-François Girardet. Cette année il y a aussi la fête du 200e anniversaire de l'entrée de Genève dans la Confédération, et les élèves et les enseignants devraient se servir de ces occasions pour amener des éléments supplémentaires d'enseignement.
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Jean-François Girardet. Le troisième élément c'est la formation initiale. J'espère que...
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député.
M. Jean-François Girardet. ...Mme Anne Emery-Torracinta insistera pour que les enseignants soient formés à la discipline de l'histoire dans la formation initiale des enseignants primaires. Je vous remercie.
M. Jean Romain (PLR), rapporteur de majorité. Premièrement, j'ai trouvé l'intervention de M. Bugnion tout à fait détestable sur un point, celui qui consistait à s'attaquer aux quatre pétitionnaires que nous avons vus. Les quatre pétitionnaires, a-t-il dit en substance, dont une ou un a fait ses études dans le canton de Vaud, ne sont pas crédibles. Je signale à mon collègue Bugnion, qui veut discréditer - et je ne comprends pas bien pourquoi - les gens que nous avons reçus, qu'on a ici une pétition signée par 2221 personnes ! Je veux bien que tous ne soient pas genevois, que certains aient fait leur cursus scolaire dans le canton de Vaud, mais enfin, on ne pouvait pas accueillir les 2221 signataires pour prouver à M. Bugnion que problème il y avait.
Deuxièmement, j'ai aussi entendu M. Bugnion agiter le spectre des régimes totalitaires. Oh, il m'a fait peur ! Parce que c'est vrai qu'au sein des régimes totalitaires, il est de mise d'essayer de mettre la main non seulement sur l'école mais aussi sur l'histoire, car qui tient le temps tient le pouvoir ! On le sait très bien, au Moyen Age c'étaient les églises qui, du haut de leur clocher, distribuaient le temps à tout le monde, et il y a une relation de force entre le temps, la division du temps et le pouvoir. Ça, c'est vrai. Mais enfin, Monsieur Bugnion, ne nous faites pas rire ! Ou alors, est-ce que je ne serais pas fondé à dire, quand je vois les conclusions du vote gauche-droite, que la gauche veut maintenir un certain pouvoir sur l'histoire au point de ne pas vouloir de changement ? Je n'irai pas jusque-là, vous connaissez mon honnêteté, Monsieur Bugnion... (Exclamations. Commentaires.) ...mais soyons simplement - Monsieur Vanek, on en reparlera - des gens de bonne foi, et selon la majorité de cette commission, malheureusement de droite, renvoyons cette pétition au Conseil d'Etat. Nous écouterons d'une oreille attentive et filiale les propos de Mme Emery-Torracinta, ancienne prof d'histoire !
Le président. Je vous remercie, Monsieur le rapporteur de majorité. Je passe la parole à M. Christian Frey, rapporteur de minorité, pour une minute et vingt secondes.
M. Christian Frey (S), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Très rapidement, au fond, que visait cette pétition ? Elle parlait effectivement d'un enseignement chronologique et factuel, mais avec quel objectif ? Je cite: «[...] que soient effectivement transmises à nos jeunes les connaissances fondamentales leur permettant de devenir des citoyens et citoyennes libres et responsables, motivés à participer de façon active, en connaissance de cause, à la prise des décisions affectant notre pays.» Genève a beaucoup de moyens et est en avance sur les autres cantons romands sur tout ce qui concerne la citoyenneté et d'autres éléments de ce genre-là. Il y a encore des projets que nous allons traiter qui vont dans le même sens. La majorité ne pense donc pas que c'est en partant des Waldstätten, comme certains le souhaitent dans ce cénacle, et en passant ensuite en revue la soupe de Kappel, Morgarten, Marignan, etc., qu'on devient...
Le président. Il vous reste vingt-cinq secondes.
M. Christian Frey. ...des citoyens et citoyennes libres et responsables ! (Commentaires. Brouhaha.) C'est la raison pour laquelle, comme tout est disponible, nous vous recommandons de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je ne sais pas si j'ai eu un moment de faiblesse, en tant qu'ancienne professeure d'histoire... (Commentaires. Brouhaha.) ...en m'épanchant devant vous et en vous disant que je n'avais pas d'objection à ce qu'on me renvoie cette pétition. Je n'ai effectivement pas d'objection, mais je vous répondrai sur la base des excellents documents qu'on vous a déjà fournis et qui se trouvent en annexe, en complétant cela de quelques phrases qui ont, d'ailleurs, déjà été dites. Vous n'aurez donc pas de scoop magistral si vous nous renvoyez cette pétition.
Quelques éléments concrets, d'abord. La première invite demande que tous les élèves bénéficient, au cours de leur formation obligatoire, d'un enseignement chronologique et factuel de l'histoire suisse et genevoise. C'est par rapport à cette invite que j'avais rappelé, et j'insiste sur cet élément, que nous sommes dans la ville d'adoption de Jean Piaget, qui a montré que le développement cognitif de l'enfant faisait qu'en moyenne la notion de chronologie, la notion d'épaisseur, de profondeur du temps, cette notion qui vous fait comprendre le fait qu'«à l'époque» peut se rapporter à vos parents, à vos grands-parents, etc., mais aussi à 3000 ans en arrière, s'acquiert environ à l'âge de douze ans - il y a des exceptions, pour certains c'est plus tard, pour d'autres, plus tôt. Un enseignement purement chronologique ne veut donc rien dire pour un enfant ! Tout ce qui est avant lui, et éventuellement avant ses parents, n'a aucun sens. Ce que j'essayais donc de vous expliquer, c'est qu'au vu de ces éléments-là, qu'on connaît bien, on enseigne l'histoire à l'école primaire à partir de la réalité de l'enfant, de ce qu'il peut comprendre. Et comme M. Girardet l'a indiqué, on utilise typiquement un événement comme l'Escalade, qui est fêté, pour pouvoir expliquer un certain nombre de choses sur l'histoire de Genève. On essaie toujours de ramener les faits à la réalité de l'enfant, et on fait d'ailleurs beaucoup plus de l'histoire locale et de l'histoire genevoise que de l'histoire nationale à l'école primaire.
Et cela m'amène à une autre question, que je vous renvoie. Vous nous dites qu'il faut faire de l'histoire factuelle, de l'histoire suisse et genevoise. Mais est-ce à dire, puisque nous sommes entrés dans la Confédération en 1815 - alors je veux bien imaginer qu'on a préparé ça à partir de 1813-1814 - qu'on ignore tout le reste ? C'est une question que je vous pose, parce qu'on pourrait parfaitement partir du principe que nous faisons de l'histoire contemporaine uniquement quand on parle de l'histoire suisse. (Brouhaha.) Et puis, Monsieur le député Florey, les Waldstätten, le Grütli, etc., etc., je veux bien ! Mais vous savez, Monsieur le député, que si on fait de l'histoire suisse honnête, ça n'a eu aucune espèce d'importance ! 1291, ça ne veut rien dire dans l'histoire suisse ! (Remarque.) C'est bien plus tard, au XIXe siècle, quand on a cherché à reconstruire une unité suisse... (Commentaires.)
Le président. Chut !
Mme Anne Emery-Torracinta. ...qu'on a retrouvé cet acte qui avait effectivement été signé, et qui s'inscrit à un moment extrêmement intéressant de l'histoire suisse, d'une petite Suisse dite primitive qui se construit autour des échanges commerciaux entre le Nord et le Sud de l'Europe, autour du Gothard. C'est ça qui est intéressant, ce n'est pas le serment du Grütli en tant que tel ! C'est d'expliquer comment la Suisse se construit avec les échanges Nord-Sud, combien toute notre histoire s'est faite autour de l'économie, des banques, jusqu'à l'attitude de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale; c'est ça qui a déterminé l'histoire de la Suisse. Quand on creuse un petit peu les choses, on s'aperçoit donc que ce n'est pas le mythe qui est intéressant, c'est la réalité, et la réalité est aussi une construction du XIXe siècle. Et cela m'amène à vous rappeler une chose: l'histoire, ce n'est pas la connaissance du passé humain. En réalité, l'histoire c'est la connaissance du présent humain. C'est-à-dire que c'est toujours avec les lunettes d'aujourd'hui qu'on regarde le passé. Donc, Monsieur le député Florey, si en tant qu'historienne je voulais vous parler de l'histoire suisse - je le ferais bien volontiers - je suis sûre que vous seriez très déçu, parce que l'histoire suisse que je vous raconterais ne serait certainement pas celle, un peu mythique, que vous avez sans doute connue ou que vous appelez de vos voeux. (Commentaires.) Guillaume Tell, c'est un mythe ! (Rires. Brouhaha.) Mais qu'est-ce qui est intéressant dans Guillaume Tell ? Peu importe, d'ailleurs, que ce soit un mythe ou une réalité, au fond on s'en fiche ! Qu'est-ce qu'il y a d'intéressant dans Guillaume Tell ? (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
Mme Anne Emery-Torracinta. Guillaume Tell, c'est la résistance à l'oppresseur européen. (Exclamations. Applaudissements.)
Une voix. Vive Guillaume Tell !
Mme Anne Emery-Torracinta. Donc ceux qui s'intéressent au mythe de Guillaume Tell sont les mêmes qui, aujourd'hui, ne veulent pas de la Suisse dans l'Europe ! (Brouhaha.) Mais si vous faites une vraie histoire de la Suisse, vous verrez que la Suisse a toujours eu besoin de l'Europe. Et au fond, quand Genève entre dans la Confédération... (Exclamations. Applaudissements.) Bien sûr ! Prenez l'histoire des banquiers genevois, ou notre symbole national, la Mère Royaume, qui est une réfugiée française ! Une réfugiée lyonnaise ! (Exclamations. Protestations.) Eh bien oui !
Le président. S'il vous plaît ! Mesdames et Messieurs ! Monsieur Spuhler, s'il vous plaît ! (Brouhaha.)
Mme Anne Emery-Torracinta. La force de la Suisse s'est faite sur son commerce, mais aussi sur la peur des étrangers. Donc vous voyez, il y a mille et une manières de faire de l'histoire suisse, et je ne suis pas sûre que nous serions forcément d'accord là-dessus. Mais revenons maintenant à la deuxième et à la troisième invite de cette pétition.
Le président. Il vous faut conclure, s'il vous plaît !
Mme Anne Emery-Torracinta. Oui, oui, mais je crois que le sujet intéresse ce parlement. Deuxième et troisième invite, donc. L'éducation à la citoyenneté, elle se fait, notamment au cycle d'orientation; il y a un cours d'éducation citoyenne qui est très clairement identifié dans les différents degrés. Quant au manuel, puisque c'était cela qui était réclamé, vous savez qu'on dépend maintenant du Plan d'études romand, et donc des moyens d'enseignement romands et des manuels romands qui sont à mettre en place. Ils arrivent pour la rentrée 2015, en 5P et 6P, à la rentrée 2016 pour les 7P et 8P - donc les dernières années de l'école primaire - et pour le cycle d'orientation, de manière échelonnée aux rentrées 2016, 2017 et 2018. En attendant, on a des séquences provisoires, mais les manuels arrivent, ils étaient simplement en cours d'élaboration. Alors faites ce que vous voulez de cette pétition, mais les réponses sont déjà dans les deux rapports, tant de majorité que de minorité !
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais voter sur les conclusions du rapport de majorité, qui sont donc le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 1921 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 57 oui contre 23 non et 3 abstentions.