Séance du
vendredi 6 juin 2014 à
20h30
1re
législature -
1re
année -
9e
session -
57e
séance
IN 150-D
Suite du débat
Le président. Nous poursuivons notre débat sur l'IN 150-D. Je passe la parole à M. Spuhler.
M. Pascal Spuhler (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons effectivement nos débats sur cette initiative 150 qui émane bien sûr des bancs d'en face, du parti socialiste. Celui-ci s'enfonce dans un dogmatisme crasse, entre la fameuse initiative contre les forfaits fiscaux pour les millionnaires - pardon, les milliardaires, les parasites milliardaires, et cette initiative 150 contre les allégements fiscaux pour les multinationales. Vous l'aurez compris au cours des débats qui ont précédé, il n'y a pas que les multinationales mais également de jeunes entreprises, des entreprises novatrices, qui peuvent bénéficier de ces exonérations temporaires - temporaires parce qu'elles durent au maximum dix ans, il ne faut pas l'oublier, Mesdames et Messieurs ! (Remarque.) Ce n'est pas seulement les riches que l'on favorise ! Ce sont aussi des entreprises pionnières que l'on essaie de soutenir pour une période déterminée, afin qu'elles puissent émerger dans un marché souvent tendu et difficile. Mais évidemment, selon la vision dogmatique des socialistes, il faudrait supprimer les riches pour stopper la pauvreté, alors que nous, nous aimerions plutôt développer la richesse pour supprimer la pauvreté ! Je crois qu'on n'a pas tout à fait la même vision des choses, et quoi qu'il en soit, on n'arrivera jamais aux mêmes conclusions.
J'aimerais encore préciser une chose: ces entreprises - même si effectivement, il y a aussi des multinationales qui bénéficient d'exonérations ou de baisses d'imposition - pratiquent quand même une politique du développement durable; elles investissent là-dedans, elles permettent la création de nouveaux emplois, et elles participent également à des actions de bénévolat en soutenant des associations humanitaires et autres. D'ailleurs Mme Reeb-Landry, qui était la représentante de l'association des entreprises multinationales, nous a bien expliqué les différentes actions qui étaient entreprises par les grandes sociétés multinationales à Genève. Je pense que ça, on ne peut pas le nier. Plusieurs d'entre nous ont d'ailleurs eu l'occasion de visiter ces entreprises, y compris les socialistes; M. Romain de Sainte Marie, rapporteur de minorité, y était aussi, et il a pu constater comme moi que ces entreprises s'investissent réellement dans le social, dans le développement durable et dans la création d'emplois, pour les jeunes par exemple. Ce ne sont pas que des vilains riches qui abusent et qui profitent du système, ce sont bien des entreprises qui sont là, qui développent le canton et qui sont des acteurs de la citoyenneté. Donc, Mesdames et Messieurs, je ne peux que vous engager, évidemment, à refuser cette initiative 150 et à soutenir le contreprojet qui sera proposé ultérieurement.
M. Philippe Morel (PDC). Renoncer à cet instrument de politique économique est une ânerie ! Ce propos n'est pas de moi, il est de l'ancien ministre des finances, M. David Hiler. Je répète: renoncer à cet instrument de politique économique est une ânerie ! C'est en 1988 que cette loi a permis l'allégement fiscal des entreprises. Le but, à l'époque, était bien sûr d'encourager le développement économique, non seulement des entreprises étrangères mais aussi des entreprises suisses, et également de sortir de la monoculture des banques, pour lesquelles nous avons la plus grande estime mais dont on peut dire a posteriori que le succès s'est malheureusement estompé et dont la valeur économique a régulièrement baissé. Heureusement, donc, que cette mesure est arrivée pour que l'on sorte de cette monoculture des banques, malgré toute la considération que je peux avoir pour elles. L'objectif était également d'aider les jeunes entreprises genevoises, ce qui a fonctionné.
Savez-vous qu'en Suisse romande, il y a 400 entreprises qui bénéficient d'un allégement fiscal, et que seules 39 d'entre elles se trouvent à Genève ? (Brouhaha.) Il y en a 125 dans le canton de Vaud, 107 dans le canton de Neuchâtel, 47 dans le Jura, 45 en Valais et, je l'ai dit, 39 seulement - c'est-à-dire 10% - à Genève, qui emploient actuellement 7300 personnes qui, elles, sont imposées selon les calculs qui vous ont été montrés tout à l'heure. De nombreux chiffres ont été exposés, parfois par des orateurs littéralement apoplectiques, ce qui m'a fait craindre pour leur santé et leur vie; j'ai eu peur de devoir utiliser le défibrillateur à l'entrée. Heureusement, cela n'a pas été le cas, ils ont survécu à leurs chiffres, je ne vais donc pas vous en soumettre de nouveaux. En revanche, je vais vous illustrer en quelques mots...
Le président. Excusez-moi, Monsieur le député. Si M. Stauffer, M. Baud et d'autres pouvaient aller discuter dehors... Merci ! Voilà, poursuivez, Monsieur le député !
M. Philippe Morel. Ils peuvent aussi rester dedans ! (Commentaires.) Je vais donc illustrer le bénéfice de cet allégement fiscal. D'abord, il faut dire que ces entreprises et ces multinationales sont une vitrine sur l'extérieur pour la Suisse; elles permettent à notre pays d'avoir des débouchés à l'étranger, de se faire connaître, de se faire reconnaître et de se faire apprécier. Deuxièmement, il est évident que ces multinationales attirent nombre de personnes de l'étranger qui font marcher notre économie hôtelière, nos restaurants et nos commerces, et même si cela est bien sûr difficile à chiffrer, c'est également un effet secondaire clairement lié au développement de la présence d'industries, d'entreprises multinationales à Genève. (Brouhaha.) Et puis cela représente aussi le développement de notre Genève internationale, et il est indispensable que ces multinationales et leurs quartiers généraux se trouvent à Genève, pour pouvoir assurer notre aura, notre réputation et nos débouchés. Alors j'aimerais que le parti socialiste m'explique comment il entend s'y prendre, dans cette situation économique actuellement très difficile où l'on ne veut pas augmenter les impôts des personnes physiques, avec, dans les années qui viennent, une diminution claire des impôts liée à la situation économique, pour maintenir les prestations sociales en se privant peut-être du seul instrument qui permet une modification économique et qui attire de l'argent dans notre pays et dans notre canton, c'est-à-dire les allégements fiscaux ! Car qui dit allégements fiscaux ne dit pas absence de fiscalité, puisque ces entreprises se soumettent à une fiscalité, et qu'en plus les employés qui y travaillent ont des revenus qui, eux, sont imposables ! Alors expliquez-moi, Messieurs de la gauche, comment il faut résoudre cette quadrature du cercle et continuer à proposer les mêmes prestations sociales !
Le parti démocrate-chrétien vous recommande par conséquent d'accepter le contreprojet que proposera le Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Tout d'abord, j'aimerais souligner qu'il n'y a pas que des messieurs à gauche; peut-être que mon préopinant pourrait s'en rendre compte ! (Rires.) Ensuite, j'ai écouté avec beaucoup d'attention toutes ces leçons de morale que les différents partis ont adressées aux initiants, et je dois dire que je trouve leurs propos fort indécents: en effet, même si les Verts ne soutiennent pas la suppression totale des instruments en question, je trouve qu'accuser les initiants, comme vous l'avez fait, de vouloir, je cite, «casser l'économie et nuire à la prospérité» est tout simplement honteux. En effet, ce n'est pas la suppression de cet instrument-là, même s'il concerne la politique économique, qui va nuire à la prospérité du canton ! (Brouhaha. L'oratrice s'interrompt.)
Le président. Poursuivez, Madame la députée !
Mme Sophie Forster Carbonnier. Oui, oui, j'attendais que M. Cuendet ait fini ! Je trouve donc qu'ici il faut raison garder et remettre l'église au milieu du village. En effet, cette initiative, même si elle devait être acceptée par le peuple, ne nuirait en rien à ce point à la prospérité du canton. Certes, ce serait un instrument de moins à la disposition du Conseil d'Etat pour venir en aide à des entreprises qui en ont besoin, mais nous ne mettrions pas en péril toute notre économie. Par contre, je trouve ces leçons de morale extrêmement mal venues de la part de partis qui font voter des initiatives qui, elles, nuisent énormément à l'économie ! Je veux parler de l'initiative contre l'immigration de masse; cela, c'est quelque chose qui a une répercussion tout à fait directe sur l'économie genevoise... (Protestations.) ...et sans aucune mesure avec l'initiative socialiste. De même pour le MCG, qui à longueur d'année vomit sur les frontaliers et le bassin de population qui travaille ici: cela aussi a un impact extrêmement négatif... (Protestations.) ...sur notre économie...
Le président. S'il vous plaît !
Mme Sophie Forster Carbonnier. ...donc je voudrais bien qu'on remette les choses à leur place ! (Commentaires.)
Le président. S'il vous plaît ! On a compris, merci ! Poursuivez, Madame la députée.
Mme Sophie Forster Carbonnier. Merci ! Certes, je l'ai dit, les Verts ne veulent pas supprimer cet instrument, mais nous souhaitons le recadrer sévèrement. Et j'insiste sur le fait que notre Grand Conseil devra mettre en place des critères extrêmement stricts, des critères sociaux, des critères environnementaux. Il faut des garde-fous, et cela c'est aussi notre grand ministre Hiler qui l'avait dit; il est nécessaire de mettre en place des limites dans l'utilisation de cet instrument-là. (Commentaires.) Et, oui, il faut de la transparence ! J'ai entendu un député PLR dire que la transparence nuisait; non, la transparence est nécessaire ! On ne demande pas d'avoir les noms des entreprises, mais simplement qu'il y ait davantage de transparence dans l'attribution de ces allégements fiscaux. Le fait que tout le monde soit informé au même niveau, que les choses ne se fassent pas dans l'ombre ni par des cachotteries est absolument impératif pour qu'une société fonctionne bien.
Enfin, j'ai dit que je me réjouissais que le Conseil d'Etat ait déposé un projet de loi, mais il faudra bien le travailler car pour l'instant - et en cela je suis d'accord avec les socialistes - c'est un peu une coquille vide ! Nous attendons beaucoup plus de ce parlement, notamment sur le «clawback» qui devrait évidemment passer à dix ans. Je vous remercie, Monsieur le président.
Mme Magali Orsini (EAG), rapporteuse de deuxième minorité. A ceux qui nous accusent de vouloir briser la prospérité du canton, je demanderai ce qu'ils entendent exactement par «aller trop bien». Il semblerait qu'il y ait un certain nombre de personnes, à Genève, qui aillent vraiment très bien. Maintenant, est-ce qu'aller trop bien c'est applicable quand les classes moyennes ne trouvent plus à se loger et doivent s'expatrier en France voisine, avec tout ce que cela comporte comme nuisances en matière de transport ? Non, nous ne souhaitons pas Monaco-sur-Léman, si c'est là-dessus que porte votre interrogation, avec des ultra-riches et des personnes à revenus si faibles qu'elles ne peuvent malheureusement pas payer d'impôts, effectivement. La tradition genevoise, ce n'était pas cela ! Les citoyens, dans le temps, ne rechignaient pas à payer la part qu'ils estimaient devoir comme contribution à la prospérité générale. On est entré dans un système de dumping fiscal permanent, et cela a abouti à une économie éminemment fragile. Les bénéficiaires qui sont uniquement à la recherche du moins-disant en matière d'impôts finiront par partir de toute façon, après avoir profité de tous les avantages possibles et imaginables.
Par ailleurs, je remercie ceux qui doutent de nos capacités intellectuelles, mais il me paraît pourtant facile à comprendre qu'un manque à gagner en matière d'impôts revient exactement au même, en matière de finances cantonales, qu'une subvention correspondante. La différence, c'est effectivement la transparence, le caractère public du type d'aide aux sociétés prétendument en difficulté.
Je répète aussi que la comparaison avec le canton de Vaud n'est pas pertinente puisque tout le monde sait que celui-ci a bénéficié de l'arrêté Bonny, et qu'il est temps que disparaissent de telles disparités fiscales dans les cantons.
Cela dit, je n'ai toujours pas compris - puisque pas un seul d'entre vous n'a répondu à ma question - ce qu'on propose comme allégement fiscal à une société qui ne fait pas de bénéfices. On nous a dit que ces allégements concernaient des sociétés qui allaient tellement mal que cela leur permettait d'éviter la faillite. Alors quel allégement d'impôt sur le bénéfice peut-on bien offrir à ces sociétés-là ? J'attends une réponse pertinente à cette question. (Remarque.) Je parle des allégements fiscaux, pour celui qui vient de pousser ce petit glapissement ! (Exclamations. Rires.) Je ne parle pas d'emploi en ce moment, effectivement.
Je rappelle une dernière fois que le rôle de l'Etat, c'est de redistribuer harmonieusement les richesses produites pour le plus grand bien-être général. Pour cela, il faut effectivement disposer d'une législation fiscale appropriée. L'Etat ne sert pas uniquement à renflouer les entreprises quand elles perdent leurs billes et à aider les plus prospères à le devenir encore plus, tout en vidant les caisses pour ensuite lésiner sur des prestations sociales minimales. (Un instant s'écoule.) C'est tout !
Le président. Vous avez fini ? Très bien, merci, Madame la rapporteure ! (Rires. Applaudissements.) On n'avait pas compris tout de suite mais maintenant c'est bon ! La parole est au rapporteur de première minorité, M. Romain de Sainte Marie.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de première minorité. Merci, Monsieur le président, ça va être difficile après une telle chute ! (Rires.) Après avoir entendu ce soir beaucoup d'idées reçues de la part de la droite, je crois qu'il s'agit de faire la lumière sur le sujet avec pragmatisme et objectivité. Je pense que c'est le rôle d'un parlement, et cette initiative a justement le mérite de nous faire débattre et peut-être de conduire à demander des éclairages sur les allégements fiscaux. C'est donc le lieu et le moment pour apporter quelques réponses et briser les idées reçues sur ces pratiques.
J'ai souvent entendu dire ce soir que les allégements fiscaux rapportaient énormément de façon indirecte, tant en termes d'emploi que fiscalement. Selon M. Stauffer - vous transmettrez, Monsieur le président - ils peuvent apporter une contribution à hauteur de 160 millions de francs. Or, c'est très intéressant d'observer le rapport du Contrôle fédéral des finances - et je vous invite à la lecture des pages 189 et 190 du livret du rapport de minorité - puisqu'il y est fait mention d'une conséquence plutôt négative pour les cantons qui octroieraient des allégements fiscaux, car le potentiel que représentent les bénéfices non soumis à la taxation est pris en compte dans l'indice des ressources de la péréquation, la RPT. (Brouhaha.) Or cela signifie que ces entreprises, finalement, coûtent davantage en contribution à la RPT qu'elles ne rapportent d'impôts, tant au niveau du bénéfice de la société qu'au niveau des impôts des employés. Et cette conséquence-là est souvent passée sous silence au bénéfice de l'idée reçue selon laquelle ces entreprises rapporteraient au canton de Genève. En réalité, et il suffit de se pencher sur cette étude, on s'aperçoit que ce n'est absolument pas le cas et qu'il s'agit là d'un apriori.
Autre idée reçue, la transparence, le respect des règles; mais à quoi cela sert-il d'être davantage transparent puisque toutes les règles sont absolument respectées, les conditions d'octroi aussi ? Je vous invite à lire ce même rapport du Contrôle des finances, qui fait la lumière sur les pratiques qui ont eu lieu dans des cantons au bénéfice de l'arrêté Bonny, et qui montre très clairement, avec plusieurs exemples, que dans de nombreux cas les conditions d'octroi n'ont pas été respectées, tout comme les sanctions qui ont suivi.
Il faut également revenir sur cette fameuse clause du «clawback», qui fait qu'une entreprise doit respecter les conditions d'octroi dans les cinq à dix ans après la période d'allégement fiscal. Là encore, c'est passé sous silence, mais bien souvent cette clause n'est pas respectée et il n'y a aucune sanction.
Enfin, le point le plus important: j'entendais M. Stauffer nous dire que nous, socialistes, voulons scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Eh bien c'est simplement faux, car aujourd'hui ce sont ces pratiques de diminutions fiscales et les allégements fiscaux... (Commentaires.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Romain de Sainte Marie. ...qui scient la branche sur laquelle nous sommes. En effet, la fiscalité n'est pas le seul facteur d'attractivité économique; les infrastructures le sont tout autant. Il s'agit donc d'un juste équilibre à trouver. Or, dans le contexte que nous connaissons actuellement, nous avons des projections sur la troisième réforme des entreprises, avec des pertes estimées de l'ordre de 500 à 600 millions pour le canton de Genève; nous avons encore, et cela a été mentionné, les pertes de rentrées fiscales liées à la réforme de l'imposition sur les personnes physiques de 2009; il y a également les différents projets de lois qui sont proposés par la droite qui, encore une fois, entraîneront des pertes sur les rentrées fiscales. Eh bien avec tout ça, nous scions la branche sur laquelle nous sommes. Car ces mêmes entreprises ne resteront pas à Genève, et d'autres ne viendront pas s'implanter si nous n'avons pas des infrastructures de qualité: un aéroport, des transports, de la sécurité et une formation de qualité. Tout cela coûte cher, et si nous ne voulons pas être Monaco-sur-Léman, si nous voulons avoir une véritable cohésion sociale, si nous voulons que ces entreprises restent de façon durable dans le canton, alors il faut cesser la pratique des allégements fiscaux, car elle va absolument à l'encontre de cette volonté d'un développement économique durable ! C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs, je vous invite à voter cette initiative et à supprimer la pratique des allégements fiscaux. (Applaudissements.)
M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Nous ne sommes pas là pour faire la morale, contrairement à ce que disait Mme Sophie Forster Carbonnier. Ce n'est pas une question de morale, c'est une question de vision de la société. Qu'est-ce qu'on veut ? Monsieur Romain de Sainte Marie, je suis désolé mais vous n'êtes pas convaincant ! Depuis que les allégements fiscaux existent, sur 191 sociétés qui en ont profité, il y en a encore 130 qui sont toujours présentes à Genève. Il n'y en a que 13 qui ont quitté le canton, les autres ont fait faillite ou ont cessé leurs activités, et il n'y a pas eu un seul départ depuis dix ans. Cela montre quand même qu'il y a un intérêt ! Ce n'est pas pour rien qu'il y a ces allégements fiscaux, qui représentent une dizaine de cas par année.
Je peux vous rejoindre par rapport à la transparence. Ou plutôt par rapport à la publicité du processus, pas à la transparence. Nous avons entendu M. Broulis en commission, qui nous a clairement expliqué qu'il ne fallait pas aller trop loin dans la transparence, parce que pour finir cela tue l'outil. Il ne faut notamment pas qu'on sache qui peut bénéficier des allégements fiscaux, parce qu'inévitablement cela peut donner des indices aux entreprises concurrentes à l'étranger. Car encore une fois, malgré ce qui a été dit aujourd'hui, il n'y a pas de concurrence entre les entreprises qui bénéficient d'allégements fiscaux et les entreprises genevoises; c'est un leurre, c'est faux de dire le contraire ! Les directives existent déjà; ce sont des directives internes qui ne sont pas publiques, et je pense qu'il y aura une grande réflexion à avoir avec le département pour savoir ce qu'on rend public ou pas. Mais ces directives existent depuis 1999, elles ont encore été adaptées, on y parle de développement durable, de respect des conventions collectives de travail, ce sont des choses qui sont déjà en place. Il n'est donc pas question d'octroyer des allégements à des banques, à des holdings, à des sociétés auxiliaires qui n'ont qu'une activité administrative sur le canton, à des entreprises qui font du commerce de détail, par exemple, pour faire concurrence aux entreprises genevoises, ou bien même à des hôtels et à des restaurants ! Non, il s'agit de proposer des allégements à des sociétés qui vont apporter quelque chose à notre canton, et contrairement à ce que disait Mme Orsini, qui pense que certains glapissent, eh bien je crois qu'à l'Alliance de gauche, ou plutôt à Ensemble à Gauche - je m'excuse, j'ai quelques années de retard - ils sont là pour éructer ! C'est tout ce que vous faites ! Ça ne sert à rien d'essayer d'attaquer le capitalisme et de le combattre de cette façon-là ! (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Jacques Béné. Pourquoi est-ce qu'on offre des allégements fiscaux ? Et pourquoi est-ce que c'est intéressant pour une entreprise ? Une entreprise, que ce soit une start-up ou une entreprise qui a du capital risque, a besoin de lever des fonds; mais pour lever des fonds, il faut avoir le maximum de garanties que ces fonds ne vont pas être perdus, notamment dans des impôts, en tout cas au départ et jusqu'au moment où la société va effectivement bien fonctionner. Donc quand vous devez lever des fonds, si vous avez la garantie qu'il n'y aura pas d'impôts à payer pendant quelques années et que vous allez pouvoir faire travailler cet argent... Car le but n'est pas de le redonner aux actionnaires, puisque de toute façon il y a aussi une directive qui dit qu'il faut faire des réserves sur les impôts qui n'auraient pas été payés, pour justement éviter qu'ils ne soient distribués aux actionnaires. Ces directives existent, et on devrait effectivement aller vers une piste comme celle du canton de Vaud, qui a un site internet où les directives sont publiées - en une quinzaine de pages, on explique clairement ce qui se fait. En revanche, cela ne veut pas dire que parce qu'il n'y a pas cette publicité-là, les choses ne se font pas correctement. Il y a un préavis de la promotion économique qui est donné, il y a un préavis de l'AFC, et ensuite c'est le Conseil d'Etat in corpore qui prend position. Et moi, le respect de nos institutions...
M. Roger Deneys. A l'unanimité ?
Le président. Monsieur Deneys, s'il vous plaît !
M. Jacques Béné. Mais Monsieur Deneys, vous dites à l'unanimité, mais s'il y avait une commission... (Commentaires. Exclamations.) Non mais je vous pose la question aussi, Monsieur Deneys !
Le président. Monsieur Béné ! Adressez-vous à moi, ça ira mieux ! (Exclamations. Protestations.)
M. Jacques Béné. Alors je m'adresse à vous, Monsieur le président, vous transmettrez à M. Deneys ! Si on avait une commission d'attribution, vous croyez que les décisions seraient tout le temps prises à l'unanimité aussi ? Il y aurait une plus belle unanimité qu'au niveau du Conseil d'Etat ? Le Conseil d'Etat a été élu par le peuple, nous lui faisons confiance; vous êtes un parti - ceci pour les socialistes - qui est aussi gouvernemental, je pense que c'est notre rôle de faire confiance au Conseil d'Etat, qui en plus demande le préavis de la commune, puisque les allégements concernent aussi les impôts communaux. Non, Mesdames et Messieurs, vraiment, je pense qu'aujourd'hui on est dans une situation où l'équilibre économique est très fragile; ça ne suffit plus, malheureusement, de vendre le jet d'eau et l'horloge fleurie pour faire venir des entreprises. Il faut d'autres choses, et là il s'agit d'un petit outil économique.
M. Romain de Sainte Marie a parlé d'un milliard, très bien; admettons que ce soit un milliard. Mais un milliard, sur dix-sept ans, qu'est-ce que cela représente ?
Une voix. Sur dix ans !
M. Jacques Béné. Alors un milliard sur dix ans, qu'est-ce que cela représente ? Ce sont cent millions par année qui sont dans les mains du Conseil d'Etat pour faire de la diversification ou de la revalorisation économique. Il faut lui laisser cette réactivité, cela me paraît important !
Encore un dernier mot: on a dit que cela allait toucher aussi les entreprises qui ont aujourd'hui des allégements. C'est faux ! Il ne s'agit pas de parler des entreprises qui ont des allégements puisque le Tribunal fédéral a très clairement rejeté la rétroactivité de l'initiative. Donc on ne parle que des cas futurs. Eh bien parmi ces cas futurs, nous estimons qu'il y a des possibilités d'avoir des entreprises qui apportent une réelle plus-value économique à notre canton, et qu'on serait en tort de vouloir se priver de leur octroyer des allégements sur un certain nombre d'années, dans la mesure, encore une fois, où le Conseil d'Etat a tout en main pour prendre une décision, et une décision sensée. Alors personnellement, je regrette que le parti socialiste, qui est un parti institutionnel, fasse preuve d'un malthusianisme mal placé. Vous voulez remettre en question le système économique dans lequel nous vivons, très bien, ce peut être un choix; je le comprendrais d'Ensemble à Gauche, mais j'ai plus de peine à le comprendre de votre part, surtout que vous êtes représentés au Conseil d'Etat. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, la responsabilité d'un Etat en matière économique, c'est de créer des conditions favorables à l'économie; c'est ce que le Conseil d'Etat fait depuis des lustres. Il le fait par le biais de la mise à disposition d'infrastructures de qualité - des infrastructures qui, certes, nécessiteraient aujourd'hui d'être remises à neuf, mais cela coûte beaucoup d'argent - et aussi par le biais d'instruments fiscaux. Or, il se trouve que l'Etat de Genève ne dispose pas d'une panoplie d'instruments très étendue en matière fiscale. Dans son carquois, il n'y a qu'une seule flèche, précisément cette possibilité d'accorder des allégements fiscaux dans certaines conditions, qui sont celles que le Conseil d'Etat a toujours voulues et qu'il a voulues depuis la création de ces allégements, il y a maintenant un peu plus d'une quinzaine d'années. Et le Conseil d'Etat a surtout utilisé cette faculté dans les années nonante.
J'ai bien écouté les rapporteurs et les personnes qui se sont exprimées, en particulier M. de Sainte Marie, qui est un jeune politicien très talentueux... (Exclamations.) ...mais dont le jeune âge ne lui permet d'avoir qu'une connaissance très diffuse de ce qui se passait dans les années nonante ! (Commentaires. Brouhaha.) Dans les années nonante - excusez-moi, Monsieur de Sainte Marie, pour cette évocation historique - le canton a dû traverser une période véritablement très difficile, avec des recettes fiscales en baisse, avec un taux de chômage stratosphérique, avec trente mille collaborateurs de la fonction publique dans la rue. En somme, une situation vraiment très délicate. Le Conseil d'Etat et le parlement ont donc institué la possibilité des allégements, et il en a été fait un usage intelligent, comme cela a été dit très clairement, de manière à reconstituer et à diversifier le tissu économique du canton. Le Conseil d'Etat y est parvenu au-delà de toute espérance, puisque les années nonante ont contribué à reconstituer peu à peu - cela a pris une dizaine d'années - ce tissu diversifié, grâce à cette politique intelligente. Le résultat, c'est que pendant les années 2000 l'économie s'est parfaitement redressée et a généré de nombreux emplois. D'autres éléments ont joué un rôle, j'en conviens, comme la libre circulation dès 2002, par exemple, mais le repositionnement permis par cette politique a été salutaire, et c'est un élément sur lequel il faut vraiment insister. La preuve que cet outil a été utilisé avec intelligence, c'est que depuis que l'économie, dans ces conditions favorables recréées, fonctionne mieux, c'est-à-dire depuis les années 2000, en gros, c'est avec beaucoup de modération que l'Etat a usé de cette possibilité, avec un nombre très restreint d'allégements. On voit donc bien qu'il y a eu une attitude réfléchie, une attitude modérée, une attitude intelligente dans l'utilisation de cet instrument.
Mesdames et Messieurs, je ne veux pas répéter les termes utilisés par mon estimé prédécesseur, M. David Hiler, qui parlait d'ânerie dans cette situation qui serait celle où l'on se priverait volontairement d'outils de ce type, mais c'est le pire moment que les initiants et le côté gauche de ce parlement puissent choisir pour faire ce genre de proposition. Le pire moment ! Nous sommes - et vous êtes d'accord sur ce point - dans une situation de mutation économique, dans un contexte concurrentiel très fort, redoutable pour notre pays, avec des modifications structurelles - en particulier dans le domaine fiscal - qui deviennent indispensables. Des changements sont à venir, sur lesquels il n'y a pas encore de certitudes - j'ai passé deux jours à Appenzell avec des collègues ministres des finances de tous les cantons suisses, nous ne sommes pas encore tout à fait d'accord sur la manière dont la réforme va être menée. Il y a beaucoup d'incertitudes, et les entreprises le ressentent énormément. Avec mon collègue Pierre Maudet, depuis notre entrée en fonction, nous recevons deux à trois grandes entreprises par semaine, et toutes, toutes sans exception, nous font part de leurs craintes quant à la situation difficile dans laquelle elles se trouvent par rapport au futur. Elles ne savent pas ce qui va se passer, il n'y a pas de lisibilité, il n'y a pas de certitudes, et c'est vraiment quelque chose qui les déstabilise parce que la Suisse ne les avait pas habituées à cela. Et vous venez avec cette proposition vraiment au pire moment qui soit. Il faut donc vraiment faire très attention, Mesdames et Messieurs. Et je peux vous garantir que le Conseil d'Etat, avec toutes ses composantes et toutes ses sensibilités, est parfaitement réaliste et parfaitement pragmatique par rapport à cette situation. Je vous appelle donc à en faire de même !
Alors bien sûr, on sent bien quelle est la majorité qui va se dégager. Mais cette initiative, quel que soit le sort que les initiants comptent lui réserver ensuite - c'est-à-dire la proposer ou non au peuple - porte les germes d'un certain danger. Parce qu'on crée et qu'on alimente un climat hostile, alors qu'on devrait créer un climat favorable. Pas par idéologie, pas parce qu'on serait orienté vers un capitalisme à outrance. (Commentaires.) Pas pour cela ! Mais parce que nous avons besoin de ces recettes, besoin de ces emplois, parce que si par malheur la conjoncture venait à se retourner, eh bien nous serions vraiment en très mauvaise posture pour continuer à assurer nos prestations, et vous le seriez vous aussi, qui les défendez parce que c'est votre position politique. J'en appelle donc vraiment, et presque solennellement, à un sursaut de responsabilité par rapport à cette situation et à l'objectif hasardeux de cette initiative.
Nous proposons et nous allons soutenir - et vous pouvez voir là la preuve que le Conseil d'Etat prend cette affaire très au sérieux - le principe de ce contreprojet. Nous avons anticipé la chose avec un projet de loi qui précise un certain nombre d'éléments dont celui de la transparence, si on veut, avec un certain nombre de guillemets, simplement grâce à des règles que l'on va coucher sur le papier, avec des critères à large spectre qui vont cadrer les choses de manière un peu plus précise que cela n'est fait aujourd'hui; même si, en réalité, l'application se fait avec beaucoup d'intelligence, je peux vous l'assurer.
Alors j'aimerais juste savoir, Monsieur Romain de Sainte Marie: vous avez évoqué le fait que selon vous, le rappel d'impôts, le fameux «clawback», ne se ferait pas. Pourtant, en parallèle, vous affirmez qu'il n'y a aucune transparence ! Comment pouvez-vous prétendre que le «clawback» ne se fait pas d'un côté, et de l'autre dire qu'il n'y a aucune transparence ?
Et puis, Madame Orsini, c'est vrai, bon nombre des entreprises qui profitent de ces allégements, en tout cas pendant une certaine période de leur vie, ne font pas de bénéfices. Mais elles paient un impôt sur le capital ! Et l'impôt sur le capital est aussi réduit lorsqu'il y a un allégement ! Et effectivement, pour certaines entreprises, c'est important. Donc vous voyez, il faut aussi considérer cet aspect-là des choses.
Mesdames et Messieurs, je ne veux pas m'allonger... (Commentaires. Rires.) ...si ce n'est pour vous dire le caractère dangereux...
Le président. S'il vous plaît !
Une voix. Ne vous allongez pas !
M. Serge Dal Busco. J'ai plutôt tendance à me tasser ! Je ne voudrais pas allonger mes propos, si ce n'est pour vous dire, encore une fois, la nécessité qu'il y a pour le canton de Genève de garder cette possibilité dans notre arsenal fiscal, et vous dire que le projet de loi que le Conseil d'Etat a déposé constitue selon nous une bonne base pour répondre à ce souhait de transparence, de clarté dans l'octroi de ces principes d'allégements; on verra pour les modalités. Personnellement, je pense que les solutions proposées et mises en place avec beaucoup de pragmatisme - bien plus que chez nous - par nos collègues vaudois pourraient constituer une excellente base pour nos travaux ici, à Genève. Mesdames et Messieurs, dites non avec fermeté à cette initiative, soutenons le principe de ce contreprojet et allons de l'avant, parce que la situation n'est pas facile dans ce canton. Merci beaucoup ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vais mettre aux voix cette initiative.
Une voix. Vote nominal !
Le président. Le vote nominal est demandé. Est-il soutenu ? (Des mains se lèvent.) Le vote nominal est soutenu, c'est parfait.
Mise aux voix, l'initiative 150-TF est refusée par 64 non contre 21 oui et 10 abstentions (vote nominal).
Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est accepté par 64 oui contre 11 non et 16 abstentions.
L'initiative 150-TF est renvoyée à la commission fiscale pour l'élaboration du contreprojet.
Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission IN 150-D.