Séance du
mardi 27 mai 2014 à
17h
1re
législature -
1re
année -
8e
session -
52e
séance
Discours du président du Grand Conseil
Discours du président du Grand Conseil
(L'un des deux huissiers du Grand Conseil accompagne le président au micro et se tient à côté de lui pendant l'allocution.)
M. Antoine Droin, président. Nous sommes tous égaux devant la loi, que nous soyons avec ou sans charge et fonction. Les salutations protocolaires ayant été faites, il ne me reste qu'à vous saluer en vous honorant d'un chaleureux «Mesdames et Messieurs, chères concitoyennes, chers concitoyens».
Platon le premier attribue à la puissance publique le droit de punir. L'intérêt de la cité impose de mettre le criminel hors d'état de nuire, évitant à autrui de commettre les mêmes infractions par l'exemple de la punition infligée. Depuis Platon, le monde a largement légiféré et s'est donné, pour pouvoir vivre ensemble, des textes de lois, de morale, de bonne conduite, de normes à respecter, de gestion, d'administration, de règles de bienséance... L'évolution de la société et des politiques judiciaires ainsi que le rôle et l'importance accrus du droit international ont justifié, ces dernières années, des refontes approfondies des législations dans notre pays, qu'il s'agit d'appliquer.
J'ai déjà eu à relever le moment privilégié de ce début de législature, qui voit ses trois pouvoirs renouvelés, témoins du fonctionnement d'une réelle démocratie pour élaborer, ajuster et mettre en oeuvre les lois et la nouvelle constitution entrée en vigueur en 2013.
Il me plaît de relever que les prochaines fois que les trois pouvoirs seront renouvelés simultanément, nous serons en 2038, puis en 2068. Cette donnée mathématique me permet de souligner de manière significative l'aspect solennel de ce que nous vivons aujourd'hui.
Le Pouvoir judiciaire fait donc peau neuve par des élections tacites pour tous et ouvertes seulement pour celle du procureur général. Pour certains, l'élection tacite écorne peut-être le droit populaire de l'accès au choix, mais cela ne remet heureusement pas en cause la légitimité des élus. Il est vrai que, pour les électeurs, nommer plusieurs centaines d'acteurs judiciaires ne peut se faire dans une véritable connaissance de ce que sont les uns et les autres. Cela est inhérent au choix de l'élection des juges par le peuple.
Dans notre démocratie, le pouvoir suprême appartient donc à celui-ci, qui délègue son exercice quotidien à trois autorités distinctes: législative, exécutive et judiciaire. L'étude et le choix des candidatures par les partis politiques, suivis par le travail de la commission informelle interpartis, sont en quelque sorte une application de démocratie déléguée à des acteurs représentant les diversités d'opinions. Actuellement, c'est le choix en vigueur en matière d'élections judiciaires dans notre canton qui permet d'aboutir à un résultat adapté.
Plus de cinq cents d'entre vous, novices ou expérimentés, connus ou méconnus, viennent de prêter serment. Gageons naturellement que le nombre en fera aussi la qualité. La justice genevoise n'a donc jamais été aussi étoffée, signe, pour les optimistes, que notre société met en avant un besoin de justice ou, pour les pessimistes, que les causes judiciaires sont en augmentation.
Vous tous ici rassemblés avez en commun l'idéal d'assurer la suprématie de la règle de droit, de contribuer à réaliser notre Etat de droit. Vous êtes maintenant appelés à rendre justice de manière neutre et impartiale. Alors je souhaite évoquer ici plus en profondeur l'importance du serment que vous venez de prêter.
Prêter serment consiste à affirmer votre volonté de rechercher la vérité, de rendre la justice, de remplir votre mission selon les lois et de respecter les règles avec droiture, sans succomber aux tentations, sans fléchir.
Ce bref rappel de l'engagement que vous venez de valider par ces trois mots, «je le jure» ou «je le promets», vous oblige. Il vous oblige d'attester de ce qui est juste, de pleinement et impartialement remplir les devoirs de votre fonction, d'exercer un pouvoir sans défaillance au plus proche de votre conscience, avec droiture, et d'en respecter les cadres normatifs. Il vous oblige de remplir votre tâche irréprochablement et avec fidélité, fidélité pour vous aussi face aux institutions, à vos charges et devoirs. Celui qui appartient à l'un des pouvoirs ne prend-il pas une valeur morale et intellectuelle aux yeux de ses concitoyens ? Il n'a que peu d'espace à consacrer à autre chose qu'aux devoirs de sa fonction.
Votre responsabilité comporte une finalité: la capacité d'avancer vers ce qui est juste, de réparer les torts causés, d'éviter des conflits futurs, d'offrir des perspectives de réinsertion dans la société selon ses règles. Ce devoir, vous venez de l'accepter. Vous êtes maintenant appelés à l'assumer en toute indépendance.
L'indépendance ! Que l'indépendance de la justice soit un droit pour le justiciable est une chose et une évidence. Bernard Bertossa, ancien procureur général de notre canton, écrivait: «L'indépendance, c'est d'abord dans la tête et aliéner son indépendance en faveur d'un comportement partisan est un danger personnel et non structurel.» Il ajoutait que l'indépendance des juges est en danger lorsque les magistrats eux-mêmes se laissent influencer dans leurs décisions par des critères étrangers à la justice et à la loi. Finalement, le devoir d'indépendance est aussi de vous assurer, dans votre sphère de compétences, que les intérêts des citoyennes et des citoyens tout autant que ceux des collectivités soient adéquatement pris en compte, d'autant plus que l'indépendance du troisième pouvoir est garantie par notre constitution. Cela se manifeste notamment par la possibilité que l'Etat et son administration puissent être mis en cause devant le juge.
Pourtant, indépendance ne signifie pas manque de dialogue. Il reste la nécessaire interpellation réciproque des trois pouvoirs pour qu'ils puissent, de manière concertée, se parler, s'écouter et s'entendre pour se mettre en harmonie en matière:
- de stratégies préventive, répressive et carcérale;
- d'accompagnements sociaux et de santé;
- de promotion de la médiation;
- de mise à disposition des ressources humaines et matérielles nécessaires pour que les décisions soient applicables dans chaque juridiction et égales pour tout un chacun, en tout temps et en tout lieu.
Mais revenons-en à votre engagement de rechercher la vérité. Permettez-moi de citer ici Romain Rolland, prix Nobel de littérature en 1915. Il écrivait: «Il faut aimer la vérité plus que soi-même et les autres plus que la vérité.» Son exigence de justice le poussa à se situer «au-dessus de la mêlée», selon les termes de ses écrits publiés en 1944. Il est donc impératif pour vous de prendre de la distance, du recul, de l'impartialité, lesquels mènent à la vérité, seul élément permettant d'envisager une approche équilibrée envers les justiciables, avec toutes les contingences inhérentes à une activité humaine. Pour répondre à votre désir de faire le bien, vous devez donc être au-dessus de la mêlée, rendre la justice uniformément pour qu'elle reste accessible à chacune et à chacun, quel qu'il soit.
Mesdames et Messieurs, vous avez promis ou juré solennellement. Vous voici acteurs et actrices de la vie de la cité et de la collectivité, actrices et acteurs du bien vivre en commun. Vous êtes les garants de l'égalité devant la justice pour tous les habitants de notre canton. Qu'il me soit permis, au nom du parlement, de vous souhaiter une heureuse carrière. Même si nous la savons pleine de difficultés, nous ne doutons pas que vous saurez l'exercer avec compétence, dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité.
Que vive une Genève juste pour le pauvre tout autant que pour le riche, pour le faible comme pour le puissant, pour le Suisse et pour l'étranger ! (Applaudissements.)
(Le «Salve Regina» de Giacomo Puccini est interprété par M. Laurent Dami, accompagné à l'orgue par M. François Delor. Applaudissements.)