Séance du
jeudi 15 mai 2014 à
17h
1re
législature -
1re
année -
8e
session -
46e
séance
R 763
Débat
Le président. Nous passons à notre première urgence, la proposition de résolution 763. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à la première signataire, Mme Forster Carbonnier.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Merci, Monsieur le président. Tout d'abord, je regrette ce changement de programme: nous sommes habitués à traiter les urgences à 20h30, Monsieur le président... C'est à vous que je parle, en effet ! Je disais que je regrette vraiment ce changement de programme. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) C'est un peu la coutume dans ce parlement de traiter les urgences à 20h30, et je ne comprends pas pourquoi nous commençons les urgences maintenant au lieu d'entamer le premier point de l'ordre du jour normal. Je trouve cela un peu cavalier... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît, un peu de silence, je n'entends rien du tout !
Mme Sophie Forster Carbonnier. ...parce que cela ne permet pas aux différents groupes de se consulter. Il y a eu en effet un certain nombre de consultations. Je voudrais donc savoir si l'on ne pourrait pas reprendre l'ordre du jour normal.
Le président. Non, j'ai annoncé tout à l'heure que les urgences seraient traitées à la suite de l'initiative. Nous sommes dans le débat sur cette première urgence, et c'est vous qui avez la parole, Madame.
Mme Sophie Forster Carbonnier. Très bien, mais je regrette cette décision. Je vais donc improviser mon intervention en vous bénissant, Monsieur le président !
Mesdames et Messieurs les députés, voici donc une proposition de résolution qui fait suite au scandale des enfants placés depuis la fin du XIXe siècle. Il faut savoir qu'en Suisse, des enfants ont été placés de force, soit dans des institutions, soit chez des particuliers, pour divers motifs, dont la pauvreté, jusqu'en 1981 pour certains cantons - pas à Genève, il est vrai. Bon nombre d'entre eux ont connu de très mauvaises conditions de placement, des mauvais traitements, et, devenus adultes, ils portent encore au quotidien, dans leur chair, psychologiquement ou physiquement, les abus et la grande tristesse causée par les années de placement qu'ils ont vécues. Il faut savoir que, depuis quelque temps, les choses bougent: la Suisse s'est rendu compte de ces faits et a enfin levé le voile sur cette sombre époque. Je tiens à remercier ici le Conseil d'Etat qui, en mai 2013, a exprimé ses excuses publiques aux victimes genevoises de cette politique. L'Etat a une responsabilité dans ces placements, non seulement parce qu'ils étaient souvent ordonnés par lui, mais parce qu'il ne contrôlait pas les conditions d'accueil ni la manière dont on s'occupait de ces enfants. Aujourd'hui, suite aux excuses fédérales, une table ronde a été mise en place avec un certain nombre d'acteurs, et il y a des propositions d'indemnisation de ces enfants devenus adultes, car beaucoup d'entre eux vivent dans une grande précarité financière ou en tout cas psychologique. Mais, comme vous le savez, il faudrait pour cela une loi fédérale, qui prendra énormément de temps à mettre en place, raison pour laquelle la table ronde fédérale propose qu'un fonds d'aide d'urgence soit créé. Pour ce faire, il demande à tous les cantons d'y participer financièrement. Ce serait une première étape qui donnerait une petite aide financière à des gens qui connaissent actuellement des situations difficiles. Plusieurs cantons ont déjà répondu positivement, mais le nôtre a malheureusement annoncé qu'il ne désirait pas participer à la création de ce fonds, sous prétexte que nous ignorions le nombre exact de victimes concernées à Genève, et que Genève en avait assez de devoir payer pour les autres. Si je comprends bien, lorsqu'il s'agit de la RPT, des assurances-maladie, de ce genre de choses, cet argument... Je trouve que c'est là faire des calculs d'épicier et que cela témoigne d'un esprit un peu mesquin alors qu'il s'agit de victimes. Cette décision m'a donc profondément déçue, et je crois pouvoir me faire l'écho de personnes que j'ai rencontrées, qui avaient connu les placements forcés, et qui ne comprenaient pas pourquoi Genève avait cette attitude-là.
On m'a ensuite expliqué que Genève allait de nouveau faire beaucoup mieux que tous les autres en indemnisant au cas par cas, avec des montants peut-être même plus importants que ceux qu'allouerait ce fonds d'urgence - mais évidemment, aucun montant précis n'est articulé, on ne sait pas exactement ce que Genève va faire. Je m'interroge donc à nouveau: n'allons-nous pas créer une usine à gaz ? N'est-il pas mieux qu'il n'y ait qu'une seule instance à laquelle toutes les personnes ayant été victimes de ces placements puissent s'adresser, ce qui facilitera énormément leurs démarches et la reconnaissance de leurs souffrances, dont ils ont besoin ? C'est la raison pour laquelle je maintiens l'invite de cette proposition de résolution, qui demande au Conseil d'Etat que Genève participe financièrement au fonds national d'aide immédiate pour les enfants placés. Je maintiens cela malgré une demande d'amendement du MCG qui revient à supprimer cette invite. J'ai donc déposé un second amendement, un contre-amendement à celui du MCG - le MCG a eu d'excellentes idées aussi, il faut le reconnaître: si je peux accepter les trois premières invites que propose d'ajouter leur amendement, c'est juste la quatrième qui me pose problème. En effet, dans le cas où Genève compléterait la somme versée par le fonds d'aide d'urgence, je trouve un peu difficile de demander à une victime de s'adresser à ce fonds alors que l'Etat n'y participe pas, ensuite de faciliter ses démarches alors que - je le répète - l'Etat n'y participe pas, et enfin... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...de dire qu'on complétera la somme le cas échéant. Non, la méthode la plus simple, Monsieur le président, c'est à mon avis que Genève, ayant déjà exprimé ses excuses, participe maintenant à ce fonds: cela facilitera énormément les démarches administratives de ces gens, et symboliquement, c'est important. Je pense qu'il en va du devoir de notre république de soutenir ces personnes qui ont vécu des années si difficiles et de leur lancer un signal positif. Raison pour laquelle je vous invite à accepter cette proposition de résolution ainsi que les nouveaux amendements que je viens de déposer, qui reprennent les amendements du MCG, sauf leur dernière invite. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député François Lefort, à qui il reste... (Remarque.) Non ? Très bien, la parole est donc à M. le député Marc Falquet.
M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, c'est vrai que pendant quarante ans, la Suisse a arraché, volé des enfants à leurs familles pour des raisons complètement farfelues: soit parce que les parents étaient pauvres, soit parce que les mères étaient célibataires, ou pour d'autres raisons qui nous semblent maintenant totalement aberrantes. Aujourd'hui, la Confédération veut demander pardon à toutes ces victimes traumatisées par des placements complètement abusifs. Une table ronde a été mise en place et un fonds prévu, mais vu les lourdeurs administratives, la table ronde a décidé de créer un fonds d'urgence pour que les victimes soient respectées et prises en charge immédiatement. (Brouhaha.) Je trouve que ce serait la moindre des choses que Genève s'y associe, surtout que sur les quelque 40 000 enfants - on parle de ce chiffre - qui pendant des dizaines d'années ont été arrachés à leurs familles, on ne sait pas combien ont fait l'objet de telles mesures à Genève. Je crois que c'est la moindre des choses de rendre hommage maintenant à toutes ces familles, psychologiquement, financièrement, en nous associant à ce fonds provisoire. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Par ailleurs, je voudrais préciser que la loi sur la protection des mineurs est actuellement en révision, et que j'espère qu'on pourra trouver des méthodes alternatives à ces placements, car il y a toujours des enfants dans des foyers qui finissent traumatisés: les placements punissent finalement les enfants, comme il y a quarante ans, en prétendant les protéger. L'Union démocratique du centre soutiendra donc évidemment cette proposition de résolution ainsi que les amendements qui reprennent ceux du MCG, sauf la dernière invite. Mesdames et Messieurs, je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je salue à la tribune des classes du collège Claparède et du Centre de formation professionnelle des arts appliqués, qui viennent assister à notre séance. Ils sont accompagnés par leur enseignante, Mme Catherine Roten-Béran. (Applaudissements.)
Mme Christina Meissner (UDC). Monsieur le président, j'aimerais faire une motion d'ordre !
Le président. Allez-y, Madame.
Mme Christina Meissner. Veuillez excuser cette interruption, mais ces débats sur les urgences, nous les faisons toujours à 20h30. (Protestations.) Nous les faisons toujours à 20h30, et là, ô surprise, on traite directement les urgences maintenant, au lieu de commencer par le premier point à l'ordre du jour ! Je demande donc d'arrêter le débat sur cet objet, de le reprendre à 20h30 et de traiter le premier point à l'ordre du jour, comme c'était prévu. On n'a jamais discuté de cela au Bureau. Vraiment, ce n'est pas sérieux !
Le président. Je mets donc aux voix cette motion d'ordre consistant à arrêter le débat sur cette proposition de résolution et à traiter le premier point à l'ordre du jour.
Mise aux voix, cette motion d'ordre est rejetée par 38 oui contre 26 non et 2 abstentions (majorité des deux tiers non atteinte).
Le président. Je passe la parole à M. le député Jean-Marie Voumard.
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Merci, Monsieur le président. Comme vous l'avez lu, le MCG a également signé cette résolution. Nous comprenons tout à fait la maltraitance, la souffrance psychologique des enfants placés, d'où nos amendements à cette résolution. Nous sommes heureux d'apprendre que les Verts nous suivent pour les trois premières invites, et pour la dernière, c'est une prestation financière unique qui serait allouée en fonction des particularités de chaque cas. Comme nous ne connaissons pas le nombre de cas à Genève, je demande que cette proposition de résolution soit renvoyée à la commission des finances pour traitement. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je ferai voter cela tout à l'heure. Je passe la parole à M. le député Christian Frey.
M. Christian Frey (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, jusqu'au tout début des années 80, l'éducation spécialisée à Genève avait des orphelinats - on les appelait ainsi. J'en sais quelque chose puisque j'y ai travaillé. (Brouhaha.) Les placements forcés ne se faisaient pas seulement parce que les enfants avaient des problèmes particuliers, mais aussi, notamment, à cause des problèmes de comportement de leurs parents. On les plaçait soit dans le canton de Genève, soit, plus fréquemment, en dehors, par exemple dans le canton de Vaud: on les mettait au vert pour qu'ils s'y refassent une santé. La situation de ces enfants n'était ni surveillée ni suivie par le tuteur général qui prenait ces décisions. Le tuteur général des années 70-80, M. Raymond Uldry, décédé à l'heure actuelle, le reconnaissait dans une émission de «Temps présent» en 2005: son service n'avait pas les moyens de suivre, de vérifier et de contrôler ce qui se passait avec ces placements.
La deuxième question qu'on peut alors se poser est la suivante: Genève est-elle concernée ? Beaucoup de gens disent que Genève, étant un canton urbain, n'est pas vraiment concernée, qu'il y a eu peu de placements, etc. Il est extrêmement difficile de savoir ce qu'il en est vraiment dans la mesure où, comme vous le savez, sur recommandation de la CDAS, une bonne partie des dossiers avait tout simplement été détruite à l'époque, apparemment pour une bonne raison: ne pas nuire à la carrière d'adultes des mineurs placés. Genève est concernée: pour le moment, une dizaine de personnes ont consulté les archives genevoises et n'ont pas toujours obtenu satisfaction sur ce qu'elles cherchaient. Les journaux en ont parlé, je ne reviens donc pas là-dessus. A Fribourg, une cinquantaine de personnes ont consulté les archives qui les concernent pour savoir ce qui s'est vraiment passé. Ne faisons pas de comptes d'épicier: Genève est effectivement concernée, il n'est simplement pas possible pour le moment de dire dans quelle mesure.
Concrètement, qu'est-ce que ce fonds visant à donner une aide immédiate ? L'Office fédéral de la justice a effectivement entrepris une démarche qui va demander un certain temps, peut-être trois ans, peut-être quatre. Entre-temps, il s'agit, pour des personnes qui souvent ont l'âge de l'AVS, dont certaines sont à l'AI, de prendre des mesures immédiates pour leur offrir un soutien. Le fonds de solidarité prévu veut plus particulièrement, pour les personnes à l'AI et celles qui sont au bénéfice de prestations complémentaires, pour lesquelles l'aide fédérale pourrait arriver trop tard, mettre en place - il l'a en réalité déjà fait - une aide d'urgence.
Le président. Il vous faut conclure.
M. Christian Frey. J'aimerais juste encore dire très concrètement de quoi il s'agit: cela consisterait à pouvoir donner entre 4000 F et 12 000 F au maximum d'aide immédiate à ces gens qui en ont besoin pour qu'on leur restitue une partie de leur dignité et qu'ils puissent ainsi vivre ou terminer leur vie dignement. Je reviendrai sur les amendements, si vous le permettez, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Vous avez épuisé votre temps de parole. La parole est à Mme la députée Anne Marie von Arx-Vernon.
Mme Anne Marie von Arx-Vernon (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, pour le parti démocrate-chrétien, Genève doit montrer sa solidarité confédérale. Dans ce cas-là, bien sûr je parle au nom du parti démocrate-chrétien, mais je parle aussi en tant que membre du conseil de fondation de Pro Juventute. Je suis particulièrement convaincue, s'agissant de ce qui s'est passé à l'époque pour les enfants de la grand-route, qu'il est indispensable de reconnaître cette souffrance. Genève ne peut y échapper et nous devons, par un dédommagement financier adapté, apporter cette reconnaissance aux victimes. C'est indispensable, Monsieur le président. Il est indispensable d'envoyer ce message très clair assorti d'un soutien psychologique, pour que les personnes concernées puissent ainsi s'inscrire dans une histoire reconnue, permettant une reconstruction et un apaisement. Leur statut de victime doit être reconnu et doit nous rappeler notre devoir de mémoire, afin qu'on puisse dire: «Plus jamais ça !» Nous avons pourtant la mémoire courte, Monsieur le président, vous le savez, et chaque fois que nous pouvons témoigner que nous ne devrons plus jamais faire ce genre de chose, il faut le répéter, le répéter et le répéter encore.
Merci, Monsieur le président, de bien vouloir faire accepter cette proposition de résolution, la faire renvoyer à la commission des finances, et permettre à cette assemblée de soutenir les amendements proposés sous la signature de Mme Forster Carbonnier. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Nous voterons le renvoi en commission avant les amendements. Je passe la parole à M. le député Pierre Conne.
M. Pierre Conne (PLR). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, oui, effectivement, nous avons un devoir de mémoire, et un devoir d'indemnisation de ces victimes, enfants placés et maltraités. L'essentiel de l'argumentation a été développé. Pour ma part, et au nom du PLR, j'aimerais attirer votre attention sur les modalités de financement de cette indemnisation: ce qui est prévu à l'heure actuelle par la CDAS, c'est de créer un fonds qui serait financé à partir des revenus des loteries. On serait alors en face d'une difficulté: le revenu des loteries ne peut pas être attribué à des individus mais à des associations ou à des projets collectifs. C'est là le premier point.
Deuxième point, également à propos des modalités de financement. Il est prévu avec le fonds fédéral que le taux de participation financière soit basé sur la population actuelle des cantons. Il nous semblerait plus équitable de pouvoir nous baser sur le nombre de personnes réellement victimes de maltraitances dans le cadre de ces placements.
Un dernier point sur lequel j'aimerais insister: l'un de mes préopinants l'a mentionné, Genève n'est probablement pas le canton qui a la plus grande responsabilité en termes de nombre de personnes concernées. Ce n'est pas parce que Genève est un canton urbain: dans ce dossier, notre canton - soulignons-le - a été, dès le début des années 50, particulièrement attentif à la manière dont ces enfants placés pourraient être suivis dans leurs familles d'accueil. Et j'aimerais quand même relever le fait que le tuteur général de l'époque, M. Uldry, en 1952 ou 1953, a participé notamment à la mise sur pied d'une association qui existe toujours, l'association Astural, qui s'investit dans l'éducation des enfants et des adolescents, particulièrement des jeunes délinquants en phase de réinsertion. Au départ, cette association a justement été créée pour pouvoir suivre et accompagner les enfants dans leurs familles d'accueil. (Brouhaha.) Ce n'était donc pas l'esprit de bienfaisance un peu hautaine, je dirais, tel que décrit dans l'exposé des motifs, laissé à certaines dames patronnesses: non, le canton de Genève a pris cela très au sérieux. Nous parlons là du début des années 50, alors que ces cas-là sont survenus déjà dans l'entre-deux-guerres, il est vrai, mais cela s'inscrivait quand même dans une tradition genevoise de respect de certaines minorités et de l'action sociale que Genève a menée depuis la fin du XIXe siècle de façon probablement pionnière en Suisse.
Je pense donc que sur la base des éléments de fond - le sérieux et le respect que Genève a témoignés envers ces personnes, les moyens qu'elle s'est donnés depuis plus de soixante ans, le fait que le mode de financement tel qu'il est prévu ne sera pas applicable, et notre souhait, au PLR, d'un accès aux archives et d'une indemnisation individuelle - nous allons bien sûr soutenir globalement la démarche, mais nous demandons que la commission des finances...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Pierre Conne. ...puisse reprendre non sur le fond, mais sur la forme, les modalités de financement, et dans ce cadre-là, intégrer les amendements proposés. Notre demande - je conclurai ainsi - est donc un renvoi à la commission des finances. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme la députée Forster Carbonnier, à qui il reste trente secondes.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Ce ne sera pas très long, Monsieur le président. J'aimerais simplement dire que le groupe des Verts vous demande de ne pas renvoyer cette proposition en commission des finances: c'est maintenant que ces gens ont besoin d'une réponse, non dans six mois, une fois que la commission aura épuisé son ordre du jour. Je pense qu'il y a une certaine urgence à traiter cette question: notre demande est très claire, il nous semble que Genève peut participer à ce fonds. Ce n'est pas excessif, c'est un geste de solidarité envers les victimes. Je vous remercie donc de ne pas renvoyer ce texte en commission.
Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Ce qui s'est passé il y a un certain nombre d'années est le reflet de cette déclaration. Les dispositions prises à l'époque, prétendument pour le bien des personnes, n'ont finalement été que les vecteurs de concepts moraux discutables, et une manière aussi de gérer la pauvreté et de contrôler les pauvres. Ces choses sont inacceptables; elles ont pourtant eu lieu. Aujourd'hui, Dieu merci, on porte un peu plus d'attention à la manière dont s'appliquent les politiques sociales et les mesures de protection qu'on entend mettre en place.
Cela étant, nous avons là l'occasion de donner un message clair par rapport à ce qui s'est passé il y a un certain nombre d'années, et surtout, après avoir fait un travail de mémoire et avoir présenté des excuses, de passer à une phase concrète, celle de la réparation; mais une réparation qui soit efficace. Pourquoi vouloir se singulariser ? Pourquoi vouloir se distinguer de ce fonds national ? Pourquoi vouloir compliquer les démarches pour tenter d'obtenir réparation et des mesures concrètes d'aide ? Notre groupe - dont les membres, comme beaucoup d'entre vous ici, ont récolté, enfants, des commandes de timbres Pro Juventute, en ont vendu, ont cru bien faire en l'occurrence, et ont participé finalement à une forme de contrôle moral des pauvres - se dit qu'aujourd'hui, nous devons être beaucoup plus nuancés dans l'approche que nous avons de la pauvreté et dans la manière dont on la traite - vous nous entendrez sur ce sujet à bien d'autres reprises. Mais, pour le moment, sur cette question, nous vous invitons à soutenir la proposition de résolution qui vous est proposée. Je vous remercie.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Je voudrais qu'on ne se méprenne pas sur la proposition du MCG, dans la quatrième invite, de compléter ce qui pourrait être octroyé au niveau confédéral. Ce qui était important, pour notre conseiller d'Etat en charge de ce dossier, c'était de penser aux personnes. Il faut se rendre compte que les enfants d'alors sont aujourd'hui des adultes d'au moins 60 ans, si ce n'est plus. Il n'y a aucune négation de la connaissance des orphelinats, etc., puisque nous savons qu'il en existe aussi dans notre canton. La question que nous posions était non seulement de participer à ce fonds confédéral, mais beaucoup plus de mettre l'accent sur le fait de reconnaître chacune des personnes qui va aux archives consulter son dossier. Cela nous paraît plus important d'avoir une approche aussi psychologique vis-à-vis de ces gens, et de pouvoir, si nécessaire, compléter financièrement et leur donner ce dont ils ont besoin aujourd'hui, puisque notre canton a cette responsabilité-là. La question n'est donc pas de nous éparpiller, si vous voulez: ce n'est pas une question de charité humaine, cela n'a rien à voir ! C'est une question de reconnaissance individualisée. Parce qu'à force de voir les choses à un niveau général, on finit par traiter les problèmes d'une manière aussi très générale. Or, cette problématique-là est complexe, elle a été vécue par chaque enfant dans son histoire de vie pendant plus de quarante, cinquante, soixante ans, voire soixante-dix ans, et c'est de ceux-là qu'il est question: il n'est pas question de simplement uniformiser la réponse. C'est très bien, de répondre dans l'urgence. Mais vous savez, à soixante ou soixante-dix ans...
Le président. Il vous faut conclure.
Mme Marie-Thérèse Engelberts. ...l'urgence devient relative, elle est surtout de nature psychologique plus que financière, très certainement.
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, en l'absence de mon collègue Mauro Poggia retenu par une séance intercantonale en Suisse alémanique, je réponds au nom du Conseil d'Etat aux différents éléments abordés dans ce texte. J'aimerais tout d'abord rappeler certains faits. Par la voix de son président d'alors, M. Charles Beer, le Conseil d'Etat genevois a été le premier des gouvernements suisses, en 2012 déjà, à présenter au nom des autorités ses excuses pour les différents cas qui ont défrayé la chronique, pour les divers éléments qui, à travers toute la Suisse, ont amené des pages plutôt noires, plutôt sombres, de notre histoire, et à exprimer le désir de faire toute la lumière sur les diverses procédures et situations dont il était question. Genève a aussi été le premier de tous les cantons suisses à ouvrir ses archives de manière systématique à toute personne qui en faisait la demande, en respectant les conditions fixées par la Confédération, c'est-à-dire non seulement l'ouverture du dossier, mais aussi l'accompagnement de la personne par un professionnel du centre d'aide aux victimes.
Pourquoi avons-nous fait cela ? Je l'ai dit: parce que la Confédération a fixé cette procédure, mais aussi parce que, Mesdames et Messieurs - je pense notamment à un cas qui remonte à la semaine dernière - ouvrir des archives et présenter la réalité de certains dossiers non telle que peut-être elle a été imaginée ou souhaitée, mais dans toute sa crudité, peut causer un choc que je peux me représenter: savoir que vos véritables parents ne vous ont pas forcément abandonné pour les raisons que vous pensiez, mais ont éventuellement fait l'objet de procédures pour des atteintes graves à l'intégrité ou des comportements incestueux, prendre connaissance des décisions qui ont parfois été prises par des tribunaux peut assurément ébranler la victime. C'est la raison pour laquelle dans les douze cas où des personnes se sont présentées aux archives, nous n'avons jamais transigé sur le fait qu'elles se trouvent face à des archives ouvertes en bénéficiant de l'accompagnement de gens de qualité, professionnels en la matière, qui travaillent dans le cadre de l'aide aux victimes.
Nous avons aussi estimé que le canton de Genève devait assumer ses responsabilités, si demande était faite, soit assumer la responsabilité des dysfonctionnements de nos administrations, de nos services juridiques, de nos services d'adoption de l'époque, même si pour certains cas, cela remonte, vous l'avez dit, à plusieurs décennies: en effet, nous sommes les héritiers d'une histoire, d'un Etat, et nous devons en assumer le bon comme le moins bon. S'il y a eu des fautes, des enfants placés de manière irrégulière, si des enfants n'ont pas été traités de manière correcte, même si cela remonte à une autre époque, nous devons, vingt, trente, quarante, cinquante ans après, assumer ces responsabilités, et l'Etat de Genève, qui a été le premier, je le répète, à présenter ses excuses et à ouvrir ses archives, n'a certainement pas de leçons à recevoir d'autres cantons.
Cela dit, dans l'incapacité de la Confédération à trouver une solution stabilisée au niveau national, une proposition visant à créer un fonds d'urgence pour une aide exceptionnelle et rapide a vu le jour. Pour des raisons qui tiennent à la forme et au fond, le canton de Genève a décidé de ne pas s'y associer. Sur la forme, nous n'estimons pas qu'il revienne à un fonds paritaire de régler les responsabilités de chacun en particulier. Le canton de Genève réparera les erreurs qui sont les siennes: nous vous présenterons, dans le cadre des budgets LAVI que vous votez chaque année, les sommes nécessaires à l'indemnisation pour les erreurs commises. En revanche, Mesdames et Messieurs, alors même que ce canton donne 1 million de francs par jour à la péréquation, qu'il verse en moyenne par habitant, au titre de l'impôt fédéral direct, plus du double que les autres cantons, nous n'entendons pas assumer, il n'entend pas assumer, d'une manière un peu étrange, les dysfonctionnements, les erreurs et les responsabilités, y compris juridiques, d'autres cantons. Nous assumerons les nôtres, nous irons jusqu'au bout; nous avons déjà commencé à le faire avec transparence, mais nous ne continuerons pas n'importe comment.
Quant à la forme, Mesdames et Messieurs, les cantons qui ont créé ce système d'urgence ont imaginé le financer par le produit des loteries et non par leurs propres budgets. Parce qu'ils n'ont pas le courage, les moyens ou la volonté d'agir ainsi que nous agissons, ils font porter sur le produit des loteries des indemnisations qui sont des actes de responsabilité civile. Or, il y a, tant dans les accords concordataires sur la Loterie romande que dans la législation fédérale sur les jeux de loterie, dont les produits reviennent aux cantons, des règles très précises qui disent à quoi doivent être affectées ces sommes, et d'évidence, elles ne peuvent l'être à des actions en responsabilité civile pour des erreurs administratives ou de placement. Pour prendre le cas récent d'une erreur que nous avons elle aussi reconnue, celle, tragique, de l'affaire Adeline, qui a défrayé la chronique l'automne dernier, que n'aurait-on pas dit, Mesdames et Messieurs, si nous étions venus vous présenter l'idée que ce seraient les fonds de loterie qui assumeraient les responsabilités à la place des HUG et de l'Etat de Genève ! Mesdames et Messieurs, il faut garder une certaine dignité, assumer ses responsabilités, le dire - le gouvernement l'a fait - ouvrir les archives, prévoir un appui psychologique, le cas échéant, pour que chaque personne puisse être accompagnée - je note que sur les dix premières personnes accompagnées jusqu'ici, aucune n'a estimé nécessaire d'ouvrir une action en responsabilité après avoir pris connaissance de son dossier, parce qu'elles ont pu le lire, ont compris ou peut-être découvert des éléments, et ont considéré que c'était ainsi qu'il fallait procéder. Si vous renvoyez ce texte en commission, nous aurons l'occasion de vous donner toutes les explications nécessaires, dans la limite évidemment du respect de la personnalité et du secret des différents dossiers. Pour avoir pris connaissance de certains dossiers, je vous assure que nous sommes confrontés à des faits tragiques à propos desquels le canton de Genève assumera dignement ses responsabilités, sans se reporter sur les autres, sans demander un paiement à d'autres parties ou à des fonds de loterie qui ne sont assurément pas propres à de telles indemnisations. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Je vais faire voter l'assemblée sur la demande de renvoi en commission; si elle est refusée, nous voterons les amendements proposant différentes invites, d'abord celui des Verts, puis celui du MCG, si celui des Verts est refusé.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 763 à la commission des finances est adopté par 59 oui contre 29 non et 1 abstention.
Le président. Mesdames et Messieurs, j'ai bien entendu vos remarques tout à l'heure: vous m'excuserez d'avoir été un peu rapide et de ne pas vous avoir prévenus que nous aborderions les urgences dès après le point fixe. Nous en tiendrons compte à l'avenir et traiterons dorénavant les urgences à 20h30. Chose promise !