Séance du
jeudi 10 avril 2014 à
17h
1re
législature -
1re
année -
7e
session -
41e
séance
IN 149-D et objet(s) lié(s)
Premier débat
Le président. Nous passons à notre point fixe, l'IN 149-D et le PL 11329. Nous sommes en débat libre. Le rapport de majorité est de M. Spuhler, le rapport de première minorité de Mme Schneider Hausser, remplacée par M. de Sainte Marie, et celui de deuxième minorité de Mme Forster Carbonnier. Je passe la parole au rapporteur de majorité.
M. Pascal Spuhler (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, nous allons parler ce soir d'un sujet important, l'IN 149 et son éventuel contreprojet, le PL 11329. La commission fiscale a longuement travaillé sur cette initiative et son contreprojet, et nous pensons que vous devez absolument rejeter cette initiative et voter le projet de loi 11329 en tant que contreprojet.
L'IN 149 critique fortement les forfaits fiscaux, les millionnaires qui abuseraient d'un cadeau qu'on leur ferait dans le cadre de leur installation à Genève - des millionnaires relativement maltraités, dirais-je, par ce texte.
Ce principe a été prévu il y a un peu plus d'une centaine d'années, à la fin du XIXe siècle, dans une loi vaudoise qui offrait à de riches retraités de venir s'installer sur la Riviera afin de profiter de leur retraite. On accordait un forfait fiscal à ces personnes. Cette loi a été appliquée par la suite dans toute la Suisse, principalement dans les cantons latins.
Ces gens installés à Genève - on parle de 710 cas aujourd'hui - ne sont pas des profiteurs. Ils amènent une manne importante dans l'économie locale et génèrent de par leur présence un certain nombre d'emplois: on parle de plus de 5000 emplois directs et indirects en Suisse, sur l'ensemble des forfaits fiscaux ! Je parle bien de la Suisse: je n'ai pas trouvé le chiffre genevois, c'est pour cela que je vous donne les statistiques pour l'ensemble du pays. (Rires.) Veuillez m'excuser, je vous dis des bêtises, on parle de plus de... Je vous donnerai ensuite le chiffre exact, parce que ce n'est pas ça du tout.
Ces forfaits fiscaux amènent donc une grande quantité de retombées dans l'économie, disais-je, et apportent des emplois directs et indirects. Les initiants estiment que ces gens ont une position abusive de par leur forfait et que c'est inéquitable. Or il est normal de traiter de manière différente ce qui est différent, et le peuple décidera de l'équité fiscale avec l'initiative fédérale... Pardon, excusez-moi. J'ai un peu mélangé mes papiers.
Une voix. Tu es tout pardonné !
M. Pascal Spuhler. Il faut juste savoir aussi qu'une initiative fédérale a été déposée parallèlement à l'initiative 149 proposée par le parti socialiste à Genève. Cette initiative fédérale est actuellement traitée par les Chambres et elle sera probablement soumise au peuple en 2016 à peu près. Première question qu'on doit se poser: est-ce vraiment utile de mettre en place ce texte alors qu'une initiative fédérale va être soumise au peuple et tranchera peut-être la question pour tous les cantons ? C'est là un premier point, ce texte me semble un peu inutile; il me paraît raisonnable de retirer cette initiative. Enfin, comment dire ? Je crois que je reprendrai la parole après, Monsieur le président, je vais mettre un peu d'ordre dans mes papiers.
Le président. Pas de problème, Monsieur le rapporteur, quand vous voulez. Je passe la parole au rapporteur de première minorité, M. Romain de Sainte Marie.
M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de première minorité ad interim. Merci, Monsieur le président. En effet, cette initiative pour la suppression des forfaits fiscaux est un sujet extrêmement important pour le canton de Genève. Ce texte est le fruit d'une récolte de 14 000 signatures en 2011 et la traduction, par conséquent, d'une volonté populaire marquée pour davantage de justice fiscale et sociale dans notre canton. On a déjà pu constater cette volonté de justice fiscale de la part des Genevoises et des Genevois lors de la votation de 2011 sur l'amnistie fiscale telle que proposée par la majorité de droite du Grand Conseil, refusée par la majorité de la population.
Pour commencer par le commencement, ces forfaits fiscaux, comme l'a dit M. Spuhler, rapporteur de majorité, sont une création de la fin du XIXe siècle pour quelques riches retraités anglais installés sur la Riviera vaudoise, du côté de Montreux et de Vevey. Si cet outil-là s'appliquait à ces quelques personnes, il est très vite devenu un moyen d'évasion fiscale: en effet, aujourd'hui, la Suisse connaît plus de 5000 forfaitaires fiscaux et plus de 700 dans le seul canton de Genève. Il ne s'agit plus là d'un outil pour quelques retraités, puisque la moitié a moins de soixante ans - je connais très peu de retraités de moins de soixante ans... (Exclamations.) ...et il est bien évident que la plupart de ces personnes, même si elles n'ont pas le droit d'avoir des activités lucratives sur le territoire helvétique, à Genève, en ont toujours. Là encore, il y a un problème d'opacité et de contrôle pour savoir si ces personnes exercent oui ou non des activités lucratives sur le sol genevois.
Mais les forfaits fiscaux posent également un problème majeur de respect de la Constitution fédérale, puisqu'ils contreviennent au principe d'égalité devant la loi contenu dans l'article 8, ainsi que de la nouvelle constitution genevoise avec une violation de l'article 155, alinéa 1, qui stipule que chaque citoyenne et citoyen doit payer des impôts en fonction de ses moyens, ce qu'on appelle ici la capacité économique. Les forfaits violent considérablement ces principes constitutionnels, puisqu'ils octroient des cadeaux fiscaux en fonction de critères de richesse et de nationalité.
Ces forfaits représentent aujourd'hui à Genève non pas une manne économique, mais bien au contraire un manque à gagner. Il s'agit là en effet de profiteurs, je crois qu'il faut le dire, de personnes qui viennent s'installer dans notre canton et en Suisse, Monsieur le président, pour payer moins d'impôts, ce que nous pouvons appeler de l'évasion fiscale. C'est un manque à gagner pour le canton de Genève qui, aujourd'hui encore, subit les effets négatifs de la baisse d'impôts sur les personnes physiques de 2009, et dont la dette s'élève à 12,9 milliards de francs. Nous ne sommes pas dans une crise des charges, mais bien dans une crise des recettes. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Le canton de Genève ne peut se permettre aujourd'hui d'octroyer de tels cadeaux fiscaux à de si grandes fortunes.
Genève doit suivre l'exemple de plusieurs cantons suisses, notamment celui de Zurich, et je crois voir - Monsieur le président, vous transmettrez au rapporteur de majorité assis juste en face de moi - toute l'utilité d'une initiative cantonale et d'une initiative fédérale, car nous ne connaissons pas forcément l'issue de ce dernier texte, mais par contre, on peut s'apercevoir d'une chose: les cantons sont en train les uns après les autres de supprimer les forfaits fiscaux. J'espère que Genève va leur emboîter le pas, et quand on connaît les résultats de Zurich, particulièrement positifs... (Protestations.)
Une voix. Mais oui, évidemment !
M. Romain de Sainte Marie. ...depuis la suppression des forfaits fiscaux... En effet, la moitié des anciens forfaitaires est partie, l'autre moitié s'est transformée en bons contribuables, tout à fait respectueux, et le canton de Zurich n'a connu aucune perte fiscale ! (Brouhaha.) A Genève, effrayer la population en faisant craindre des pertes fiscales avec la suppression des forfaits relève de la pure tromperie. Ensuite, on entend parler de postes de travail, on avance que les forfaits fiscaux généreraient 5000 emplois en Suisse: certainement, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, si l'on compte 5000 emplois pour 5000 forfaits fiscaux, je crois qu'il doit y avoir un avocat fiscaliste par forfaitaire. C'est à mon avis ce genre d'emplois qu'amènent avant tout les forfaits fiscaux !
Enfin, on a souvent entendu dire que ces forfaitaires contribuent à la culture, font du mécénat pour le canton de Genève et ses communes: mais si c'était la réalité, je crois que nous n'aurions pas ici le Musée d'art et d'histoire, mais bien le Louvre ! (Quelques applaudissements.)
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, comme vous le savez, les Verts sont opposés de longue date aux forfaits fiscaux. En effet, ils posent selon nous des problèmes à la fois éthiques et juridiques. Ils contreviennent à deux principes que nous jugeons essentiels: le premier est l'égalité de traitement, le second, l'imposition selon la capacité économique. A situation économique égale, dans ce système, une personne étrangère est ainsi moins imposée qu'une personne suisse. De plus, les personnes imposées selon la dépense sont taxées sur la base d'une estimation de leur dépense annuelle qui peut être assez rudimentaire, mais le montant exact de leurs revenus et de leur fortune est inconnu de l'administration fiscale. Les Verts sont donc en faveur de la suppression des forfaits fiscaux non seulement à Genève, mais dans toute la Suisse. A ce propos, je rejoins les propos de notre rapporteur de majorité: nous voterons bientôt pour supprimer les forfaits au niveau fédéral. Je pense que cette initiative a en effet toutes les chances d'aboutir, parce que les chiffres le démontrent bien, il y a aujourd'hui quatre cantons seulement qui bénéficient énormément de ce système et ramassent 76% des forfaitaires. Plusieurs cantons ont déjà pris la décision de supprimer les forfaits fiscaux: le rapporteur de minorité a parlé de Zurich, il y a encore Schaffhouse, Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Appenzell Rhodes-Extérieures.
Un autre élément qui nous semble important à mentionner dans ce débat est que la Suisse subit toujours des pressions extérieures, et au lieu de les anticiper, elle attend le dernier moment pour réagir. Or, attendre le dernier moment est rarement source de réponses cohérentes et intéressantes. Au moment où la Suisse subit des pressions internationales pour rendre la fiscalité euro-compatible, pour lutter contre l'évasion et la fraude fiscales, il est illusoire de croire que nos voisins vont continuer à tolérer longtemps que la Suisse attire de riches contribuables en leur proposant une imposition au rabais. Les signes avant-coureurs de ce genre de pression sont d'ailleurs là: l'OCDE a déjà dénoncé ces pratiques, ainsi qu'un commissaire européen à la fiscalité. Pour une fois, faisons donc preuve d'anticipation et osons aborder la problématique de manière cohérente. Les Verts vous proposent donc de refuser le contreprojet tel que sorti de commission et d'en rédiger un autre, lequel supprimerait la possibilité d'accueillir de nouveaux forfaits fiscaux, mais autoriserait les personnes déjà au bénéfice de cette possibilité à rester à Genève, ce qui permettrait d'étaler sur le temps les pertes fiscales. A propos du contreprojet... Combien me reste-t-il de temps, Monsieur le président ?
Le président. Il vous reste quatre minutes sur ce temps de parole, mais vous pouvez revenir après. Nous sommes en débat libre, vous avez droit à trois interventions.
Mme Sophie Forster Carbonnier. Alors je vais aborder plus en détail la proposition de contreprojet. Celui qui nous est présenté a un point positif, il faut quand même le reconnaître et le souligner: le relèvement du seuil de dépense minimale à 600 000 F, ce qui est une amélioration par rapport au droit fédéral. En revanche, Genève se singularise à nouveau avec ce contreprojet, quand tous les autres cantons ont adopté un système différent pour l'imposition de la fortune: la pratique usuelle, en effet, consiste à appliquer un multiple de la dépense pour estimer l'impôt sur la fortune. Or, là, que nous propose-t-on ? Nous allons simplement adopter une majoration de 10% de la dépense pour tenir compte de l'impôt sur la fortune. Les Verts critiquent fortement l'option choisie en commission fiscale, et cela pour plusieurs raisons. La première est qu'elle nous prive de ressources financières. Quitte à avoir des forfaits fiscaux, Mesdames et Messieurs les députés, autant qu'ils nous rapportent un maximum ! Or, la commission fiscale a délibérément choisi une option qui n'est pas la plus avantageuse quant aux ressources financières pour l'Etat, puisqu'elle nous prive de 67 millions de francs par année. Oui, 67 millions de francs, Monsieur le rapporteur de majorité. (Remarque.) Si, si ! Second point, la majoration forfaitaire de 10% est pour le moins timide, voire risible, compte tenu de la réalité des fortunes en jeu. Enfin, cette façon de procéder risque d'accroître encore l'attractivité de Genève, ce qui est à notre sens à nouveau un mauvais signal envoyé aux pays voisins. Pour toutes ces raisons, les Verts vous invitent à refuser le contreprojet. Je vous remercie, Monsieur le président. (Quelques applaudissements.)
Mme Magali Orsini (EAG). «La droite vole au secours des forfaits fiscaux», avons-nous pu lire sur les manchettes de la «Tribune» à tous les coins de rue aujourd'hui. Certes, la droite majoritaire de ce parlement va sans aucun doute refuser l'initiative qui lui est proposée et qui vise à supprimer la pratique inique des forfaits fiscaux au niveau cantonal. Nous aurons donc l'occasion d'expliquer au peuple genevois, nous aussi à tous les coins de rue, combien il est nécessaire d'en finir une bonne fois avec cette anomalie, après avoir déjà permis de faire aboutir cette initiative.
Tout ayant été dit sur le principe et l'ampleur de la pratique de l'imposition selon la dépense, je voudrais pour ma part insister sur un aspect de la loi qui n'est pas toujours mis en exergue. Celle-ci stipule que les personnes physiques fortunées au bénéfice de ce régime ne doivent pas avoir d'activité lucrative sur le territoire suisse. Or, j'ai été personnellement témoin de montages du type suivant: un oligarque crée à Genève la succursale d'une société de négoce dont le siège se trouve dans les îles anglo-normandes. Cette succursale s'installe dans une villa à Cologny. L'oligarque, actionnaire majoritaire de la société, a été mis au bénéfice d'un forfait, car il s'est engagé à ne pas travailler en Suisse. Il s'installe dans la villa voisine et se contente d'aller tous les jours, à pied, dans la villa d'à côté dire bonjour et contrôler que tout se passe bien, et cela huit heures par jour ! Cet exemple n'est pas un cas d'école: c'est le schéma type recommandé par nos savants experts fiscaux, et certains le savent pertinemment. Qu'on ne vienne pas nous dire que lorsqu'on accorde des rabais aux personnes morales, cela est compensé par l'impôt récupéré sur les personnes physiques dans ces cas-là !
L'article 14 de la LIPP, qui institue l'impôt selon la dépense, est un chef-d'oeuvre d'immoralité et d'iniquité, étant donné la façon dont il est actuellement appliqué. Comme toujours en matière fiscale, des contrevérités sont assenées à coups de millions de francs de propagande. Toutefois, dans le cas désastreux où la votation cantonale aboutirait à maintenir ces forfaits à Genève - forfaits dans tous les sens du terme ! - n'oublions pas que le parti national, La Gauche - Alternative Linke - La Sinistra, auquel j'ai l'honneur d'appartenir... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...a recueilli, avec l'aide de ses alliés, les 100 000 signatures nécessaires pour faire voter par le peuple une initiative fédérale. Cette votation interviendra à l'automne, et tous les pronostics l'annoncent gagnante, car cette imposition selon la dépense reste surtout une particularité romande, et les citoyens des autres cantons ont du mal à comprendre cette discrimination entre riches suisses et riches étrangers. (Applaudissements.)
M. Christo Ivanov (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, les forfaits fiscaux rapportent au canton de Genève environ 200 millions d'impôts par année, droits de succession inclus, parfois même beaucoup plus, comme cela a été le cas par le passé, sans compter les rentrées supérieures aux prévisions. Sans eux, cette année, les comptes 2013 n'auraient pas pu être légèrement bénéficiaires. Ces comptes laissent entrevoir un excédent de 56 millions; pour assurer une couverture des investissements, le paiement des intérêts des caisses de pension, les salaires, il faudrait en réalité 300 millions d'excédent. Or, si l'on additionne les 200 millions des forfaits fiscaux que vous voulez supprimer aux 250 millions qui nous manquent, il manque donc en réalité 450 millions à la trésorerie de l'Etat. Où trouvez-vous cet argent, pour payer le social par exemple ?
Le contribuable payant des impôts selon la dépense ne peut exercer une activité lucrative en Suisse. En Grande-Bretagne, par exemple, il bénéficie du statut de «non-domiciled resident», mais il peut exercer une activité lucrative, contrairement à ce qui se passe en Suisse. Il ne paie ni impôt sur le revenu, ni impôt sur la fortune, même en cas de décès. On croit rêver ! On parle aussi de microclimat fiscal à propos de la Belgique: pas d'impôt sur la fortune, pas d'impôt sur les gains en capitaux, etc. Nous pourrions encore parler de Malte, du Portugal depuis 2013 - du Portugal qui fait du dumping pour attirer les grandes fortunes - et aujourd'hui de l'Espagne.
J'aimerais répondre à notre collègue Sophie Forster Carbonnier qui tout à l'heure évoquait l'Union européenne: celle-ci n'a à ce jour aucune compétence en matière d'imposition des personnes physiques. Cette forme d'imposition est un excellent moyen de promotion économique afin d'attirer les entreprises rentables et les personnes fortunées dans notre canton. J'aimerais souligner l'importance que revêt l'avenir de l'impôt selon la dépense pour la place financière suisse et ses banques génératrices de nombreux emplois. J'insiste également sur le fait que beaucoup de personnes fortunées imposées à la dépense ont des fondations ou font des donations à des institutions sociales ou culturelles. Votre initiative visant à supprimer les forfaits fiscaux est suicidaire, sans compter que nous ne sommes pas encore entrés en matière sur la réforme des entreprises et sur celle de la taxe professionnelle. Quelles mesures envisagez-vous pour combler les déficits financiers abyssaux ? Laissez-moi vous rappeler qu'en 1936, sous le gouvernement Nicole, il y avait eu 10% de baisse des salaires de la fonction publique. Est-ce cela que vous voulez ? Le groupe UDC vous demande de refuser cette initiative suicidaire et d'accepter le PL 11329, contreprojet à cette initiative. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. Lionel Halpérin (PLR). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le sujet que nous traitons aujourd'hui n'est pas anodin. Il n'est pas anodin, parce que la question qui nous est posée par la gauche non seulement maintenant, mais aussi à d'autres reprises, en ce moment, est de savoir si nous voulons une Genève prospère ou au contraire une Genève qui s'attaque aux multinationales, aux forfaitaires, aux droits de succession, aux sociétés de négoce, jusqu'au jour où nous n'aurons plus de source de revenus par l'impôt dans notre canton parce que nous aurons fait partir tous ceux qui en paient actuellement l'essentiel. Dois-je vous rappeler que la pyramide fiscale implique que le départ de quelques riches contribuables causerait un tort considérable à notre canton, avec pour conséquence des diminutions importantes, comme cela a été dit, dans les prestations sociales, et probablement aussi des conséquences massives quant aux charges de l'Etat et aux charges de fonctionnement qu'il s'agirait de revoir très sérieusement à la baisse ? Voilà, au fond, le choix auquel nous sommes confrontés aujourd'hui, et, comme je l'ai dit, régulièrement ces temps-ci, par la gauche qui souhaite enclencher une machine à perdre.
Une machine à perdre qui partirait du plan moral; parce qu'on nous explique que tout cela est tellement immoral qu'il faut se débarrasser de ces forfaitaires que l'on traite d'évadés fiscaux. Il est vrai que pour les socialistes, l'Union européenne, c'est très beau, c'est bien, il faut y adhérer, il faut aussi adhérer à la libre circulation des personnes, évidemment, mais en revanche, la libre circulation des personnes fortunées, ça, non ! Les personnes fortunées qui sont dans un pays où on les saigne au niveau de l'impôt devraient être contraintes d'y rester, et quand elles se déplaceraient pour venir habiter à l'étranger où elles seraient mieux traitées, ce seraient des évadés fiscaux. C'est exactement ce que le parti socialiste nous dit, et c'est inacceptable. (Brouhaha.) C'est inacceptable, parce que la réalité est très différente, et j'ai une autre conception de la morale qui, à mon avis, en impose tout autant que la vôtre. Aujourd'hui... (Remarque.) On l'a vu, oui, effectivement, Monsieur Deneys. Monsieur le président...
Le président. Un peu de silence !
M. Lionel Halpérin. Des leçons de morale nous sont aujourd'hui données par des personnes qui au fond souhaiteraient un Etat où l'administration ne cesserait de continuer à grandir, l'imposition ne cesserait d'augmenter et le peuple n'aurait pas son mot à dire. Et c'est exactement ce qui se passe dans les Etats que l'on plaint aujourd'hui parce que les personnes fortunées les quittent. Face à cette morale-là, nous avons, nous, un système fiscal qui fait que la population se détermine sur le taux d'imposition; et ce contrat social là est un contrat social que je crois exemplaire, dont la Suisse doit être fière. Elle ne doit en tout cas pas s'en laisser imposer par des leçons de morale selon lesquelles les pays voisins qui ne laissent absolument aucun choix à leurs contribuables seraient en réalité les pauvres spoliés parce que certains de ces contribuables décideraient de partir. Voilà la morale que l'on veut nous faire ! Elle ne tient tellement pas la route qu'aujourd'hui, les pays européens - y compris certains qui ne sont pas connus pour avoir fait preuve d'une immense largesse fiscale - sont tous, ou en tout cas très nombreux, à considérer des systèmes proches des nôtres. On en a cité plusieurs tout à l'heure: le système anglais en est évidemment un, les systèmes belge, portugais, espagnol, maintenant. Tous ces pays font cela et, visiblement, l'Union européenne trouve peu à y redire, elle ne demande pas à renoncer à ces forfaits.
Alors peut-être qu'un jour, le monde changera, mais aujourd'hui, nous ne vivons pas dans un monde de Bisounours, nous vivons dans un monde de concurrence. Et dans ce monde, renoncer au forfait fiscal, c'est simplement envoyer chez nos concurrents des personnes qui sont des gens bien, venus en Suisse en général sur le tard, qui n'ont utilisé que très peu nos infrastructures, qui paient des impôts qui sont tout sauf négligeables et augmenteront nettement quand on aura adopté ce contreprojet. Ces personnes, par-dessus le marché, sont importantes pour le canton puisqu'elles y dépensent de l'argent, pratiquent pour beaucoup le mécénat et, au-delà, dépensent énormément d'argent à Genève, faisant ainsi tourner notre économie. Et l'on voudrait se priver de cette manne-là, au nom d'une morale que personne ne peut prétendre plus élevée que celle des pays voisins ?! Voilà ce que la gauche nous propose. Nous pouvons le faire, mais nous en assumerons alors les conséquences.
Quant au pari qui consiste à regarder du côté de Zurich, où la suppression du forfait fiscal se serait faite sans perte, d'abord, le canton de Zurich n'est pas comparable en la matière, parce que les cantons romands sont bien plus engagés dans ce système. Les cantons d'outre-Sarine ont en revanche souvent un taux d'imposition général sensiblement plus bas que celui que nous pratiquons à Genève. Pour cette raison, comparaison ne vaut pas raison dans ce cas. Mais même si l'on voulait comparer, ce qu'on nous tait aujourd'hui en prétendant qu'à Zurich la suppression n'aurait eu aucune conséquence, c'est qu'un seul contribuable, resté la première année, a permis d'équilibrer les comptes l'année suivante ! On sait déjà, parce que les autorités zurichoises l'ont dit, que ce contribuable étant parti, le résultat sera déficitaire, et sensiblement déficitaire pour les années à venir. Il faut donc arrêter de vouloir nous faire croire qu'à Zurich cela a été sans effet. Mais si vous voulez prendre ce pari, prenez-le ! Continuez à prendre des paris sur les multinationales, sur les sociétés de négoce, sur les forfaitaires. Et quand nous n'aurons plus que nos yeux pour pleurer, nous verrons effectivement où vous allez couper dans les dépenses, parce qu'il faudra alors sabrer très largement dans les prestations que notre Etat offre aujourd'hui et dont nous sommes en général tous fiers. (Applaudissements.)
M. Vincent Maitre (PDC). J'aimerais, si vous le voulez bien, réagir aux propos tenus par M. de Sainte Marie, qui m'ont particulièrement choqué, puisqu'il a réussi le tour de force de cristalliser à lui tout seul cette fâcheuse tendance très à la mode en ce moment, la fameuse chasse aux riches - vous savez, Monsieur le président, ces «salauds de riches», responsables de tous nos maux, qui ont l'outrecuidance, à travers des forfaits fiscaux, de venir payer des centaines de millions d'impôts sur le territoire genevois.
Je regrette que personne, à la table des rapporteurs, n'ait cru bon d'aller creuser ou au moins lire la définition de l'égalité de traitement, puisqu'elle est inhérente à l'équité fiscale. L'égalité de traitement, Monsieur le président, c'est évidemment traiter de façon semblable deux situations qui le sont, mais c'est aussi, et tout autant, traiter de manière différente deux situations dissemblables. Or, les forfaitaires fiscaux, Monsieur le président, sont tout sauf des contribuables suisses et genevois au sens strict du terme. Vous connaissez tous ici les conditions qu'il faut remplir pour être forfaitaire fiscal dans notre canton. Je ne dirai qu'une seule chose: lorsque M. de Sainte Marie prétend que ces gens sont des profiteurs et des évadés fiscaux, il se trompe lourdement. Il alléguait notamment, de manière ironique, le fait qu'il connaissait peu de retraités de moins de 65 ans, mais qu'une grande partie des personnes au bénéfice d'un forfait fiscal à Genève se trouvait cependant dans cette catégorie d'âge là. Vous avez raison, Monsieur de Sainte Marie, il n'y a pas que des retraités au bénéfice du forfait fiscal, il y a aussi des artistes et des sportifs mondialement connus qui gagnent beaucoup d'argent, et qui viennent... (Remarque. Exclamations.) Si, vous les avez bien traités d'évadés fiscaux ! Pour terminer ma phrase: vous les traitez ainsi, et pourtant, ces gens-là sont amenés à payer parfois jusqu'à 85% d'impôts sur leur revenu. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'avec l'argent qu'ils génèrent grâce à leurs exploits sportifs autour de la terre, ils paient des impôts, à chaque fois qu'ils touchent ce qu'on appelle un «price money» ou qu'ils reversent des impôts notamment par le biais du sponsoring. Ces gens-là ne seraient absolument pas tenus de venir en Suisse pour payer des impôts: au contraire, cela est même plutôt défavorable pour eux. C'est à croire que l'attractivité fiscale ne fait pas tout, qu'il y a ici une qualité de vie que ces gens-là apprécient et qu'ils sont aussi capables et d'accord de venir payer des impôts dans ce but-là en plus de ce qu'ils paient déjà partout autour du globe. (Brouhaha.)
Je reviens sur l'exemple de Zurich évoqué par M. de Sainte Marie. Jusqu'à l'année dernière, les socialistes affirmaient de façon magnifique que le forfait fiscal pouvait être aboli sans autre, sans conséquence ni retombée aucune. Ils ont juste un peu oublié d'attendre ce que cela allait donner sur le long terme, puisque plus de 52% des forfaitaires fiscaux zurichois ont aujourd'hui quitté la ville pour aller s'établir seulement une dizaine de kilomètres plus loin, notamment dans la commune de Küsnacht, voire à Winterthour, et que, de par leur départ, ils ont engendré des pertes de recettes fiscales pour Zurich. Dire que cela n'a pas de conséquence est tout simplement faux et mensonger.
Maintenant, si vraiment les socialistes sont prêts à renoncer à quelque 155 ou 159 millions de recettes fiscales, libre à eux ! A nouveau, il faudra nous expliquer comment nous pourrons continuer à payer les prestations sociales que l'Etat se doit d'assurer. Il me semble qu'une partie des socialistes se trouvait hier sur la place Neuve pour manifester leur soutien à la fonction publique en grève, dont une fraction se voit effectivement contrainte de se serrer la ceinture parce que les recettes fiscales ou en tout cas le budget de l'Etat, on le sait, sont un peu réduits de nos jours... (Brouhaha.)
Je tiens aussi à rappeler que ces forfaitaires fiscaux représentent une minorité des contribuables, c'est-à-dire 5%, et qu'ils paient plus que le contribuable moyen, l'impôt moyen étant à Genève de l'ordre de 8200 F par mois. En d'autres termes, Monsieur de Sainte Marie, ce sont 5% de ces contribuables qui financent 95% du total des recettes fiscales.
J'entendais encore M. de Sainte Marie ironiser sur l'absence prétendue de philanthropie ou de mécénat chez ces forfaitaires: c'est là probablement ignorer que, sans eux, des musées comme ceux d'art moderne et contemporain ou d'art et d'histoire n'existeraient tout simplement pas, une multitude d'événements culturels non plus. Et je prends note d'une chose: chez lui qui pense que nous aurions le Louvre plutôt que le Musée d'art et d'histoire si ces gens-là disparaissaient, je constate manifestement, je ressens une certaine nostalgie pour... (L'orateur rit.) Pardon, excusez-moi ! On me souffle les rois de France: entre cela et votre discours, il n'y a qu'un pas que je ne franchirai pas. Mais en tout cas, nous en prenons acte et je tiens juste à vous encourager à réellement regarder les comptes de ces institutions culturelles... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...de manière à vous rendre compte que l'apport de ces mécènes est tout simplement vital. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
Présidence de M. Antoine Barde, premier vice-président
M. Pierre Vanek (EAG). J'ai applaudi à l'instant, Monsieur le président, le député Halpérin qui faisait un éloge vibrant et ému de notre système démocratique et fiscal en arguant que la population peut se prononcer sur le taux d'imposition et un certain nombre d'autres choses, qu'il n'y a pas d'arbitraire: fort bien ! Mais précisément, il s'agit de savoir si nous allons soumettre l'ensemble des contribuables de notre canton à ces règles communes, établies de manière démocratique, ou si nous allons déroger au système de l'imposition ordinaire pour une petite catégorie de contribuables, en contradiction avec un autre objet sur lequel la population s'est prononcée: c'est quand même la Constitution fédérale qui prévoit l'égalité de traitement, précisément, et l'imposition selon la capacité économique. Il s'agit de savoir si l'on fait une entorse à la Constitution fédérale au bénéfice d'une petite catégorie de très riches personnes étrangères qui viennent s'établir ici pour obtenir un avantage indu ! C'est la question qu'on pose, et à laquelle la seule réponse peut être, dans l'esprit de l'éloquent plaidoyer du député Halpérin, non !
Non ! Les règles doivent être les mêmes pour tout le monde, l'égalité de traitement doit être respectée, l'imposition selon la capacité économique, principe fondamental du droit fiscal dans ce pays, doit être respectée, et ce que vous êtes en train de défendre là est indéfendable.
Deux mots encore. Le député rapporteur de majorité, M. Spuhler, a évoqué comme motif de ne pas soutenir ce texte cantonal l'initiative fédérale sur le même sujet que nous voterons bientôt. Il opine du chef, j'ai bien entendu ce qu'il a dit. C'est un tout petit peu absurde ! Evidemment qu'il faut voter l'initiative fédérale ! Evidemment que l'impulsion est venue de la Gauche, à Zurich, et s'est traduite par une initiative populaire fédérale. Bien sûr, il n'y a pas de raison que Genève déroge à ces règles fondamentales du droit fiscal, mais il n'y a pas de raison qu'aucun autre canton n'y déroge non plus. Et bien sûr, il faut en effet - et je remercie le rapporteur de majorité - voter l'initiative fédérale. Mais enfin, quand même, ce sera un coup de pouce bienvenu à l'aboutissement de l'initiative fédérale que d'adopter, comme l'a fait la population zurichoise en sa majorité, l'initiative qui nous est soumise aujourd'hui, en conséquence de quoi le contreprojet n'a aucune raison d'être.
Maintenant, il est évident que ces forfaits fiscaux posent problème, parce qu'ils dispensent les bénéficiaires de déclarer la nature de leur revenu, de leur fortune et de leur activité économique. On est dans le règne de l'opacité, et potentiellement du non-droit. Le forfait fiscal est donc évidemment un paravent commode pour frauder le fisc d'un certain nombre de pays ou pour autoriser des détenteurs de forfaits fiscaux - Mme Orsini y a fait allusion - à avoir une activité lucrative, à administrer de facto depuis la Suisse, en toute discrétion, des activités économiques dont la légalité, à laquelle nous sommes tous attachés, serait peut-être remise en cause si elles devaient être déclarées.
On nous accuse d'être des Bisounours. Quand même ! Ce que vous défendez, avec les exemples que vous alléguez, c'est la Suisse comme paradis fiscal ! Réfléchissez bien concrètement sur l'intérêt que nous avons à être rangés dans la catégorie des paradis fiscaux: il est évident que le fait de bénéficier de régimes d'impôts dérogatoires divers, de taux d'imposition anormalement bas, de la distinction qui était faite jusqu'à peu entre fraude et évasion fiscale, de taux d'imposition des sociétés de domicile inégaux et de forfaits fiscaux qui ont une visibilité considérable à l'échelle planétaire... Ce sont autant d'instruments dont s'est doté ce pays qui l'amènent en effet à être pointé du doigt comme paradis fiscal, à essuyer des critiques dont certaines sont justifiées, d'autres peut-être moins. Mais quand même ! Est-ce cette Suisse-là, cette Suisse du paradis fiscal, cette Suisse qui s'inscrit dans la succession des endroits bénéficiant de taux particulièrement bas ou de conditions particulièrement intéressantes pour des fortunes particulièrement douteuses, est-ce ce pays-là que vous voulez défendre, ou une Suisse différente dont les atouts sont ailleurs ? Pour nous, le choix est vite fait: ce n'est pas la Suisse comme paradis fiscal ou la Genève Monaco-sur-Léman que nous défendons, mais une Suisse différente. (Brouhaha.)
Une dernière chose. On nous a accusés... Bien entendu, nous soutenons l'initiative cantonale du parti socialiste, dont le titre... Rappelez-le-moi, Monsieur le député socialiste à ma gauche qui n'écoutez pas ! (On rappelle à l'orateur le titre de l'initiative.) Nous soutenons évidemment cette initiative...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Pierre Vanek. Je les prends ! ...intitulée «Pas de cadeaux aux millionnaires: initiative pour la suppression des forfaits fiscaux». Ce n'est pas un texte qui refuse de faire des cadeaux aux millionnaires: il s'adresse à tous les millionnaires normalement établis dans ce pays qui exercent une activité économique. Nous leur offrons la possibilité d'être traités de la même manière que leurs congénères, et nous évitons qu'il y ait deux catégories de millionnaires...
Le président. Il vous faut conclure !
M. Pierre Vanek. ...ceux qui seront imposés abusivement au forfait et les braves et honnêtes millionnaires suisses exerçant une activité... (Rires. Applaudissements.) Pourquoi vous riez ?
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. ...exerçant une activité économique dans ce pays. Le titre est donc peut-être légèrement inadéquat mais, à part cela, cette initiative vient à point nommé, et nous la soutiendrons, et nous gagnerons cette votation, Mesdames et Messieurs.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Roger Deneys. (Exclamations.)
Une voix. Bravo !
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, on a évoqué tout à l'heure la question de l'égalité de traitement, et j'aimerais quand même rappeler une chose, c'est la Déclaration universelle des droits de l'homme. (Exclamations.) Son article premier dit - vous devriez le savoir, à mon avis, en tant que députés responsables: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.» (Commentaires.) Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, je crois que cet article premier de la Déclaration universelle des droits de l'homme, on ne peut l'ignorer quand nous menons ce débat. Aujourd'hui, la question des recettes fiscales, en Suisse mais aussi dans tous les pays occidentaux, se pose de façon particulièrement aiguë, parce que des cadeaux ont été successivement accordés ces dernières années aux plus fortunés, aux plus riches, au nom d'une nouvelle définition de l'équité et de l'égalité selon laquelle si l'on prend dix francs à un pauvre, il n'y a pas de raison de ne pas prendre aussi seulement dix francs à un riche. Tous les êtres humains seraient du coup taxés sur le même montant nominal, et l'on ne se préoccuperait plus de savoir, Mesdames et Messieurs les députés, la chose la plus essentielle... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...c'est-à-dire avec combien chacune et chacun d'entre nous doit vivre et reçoit à la fin du mois.
Or, c'est là la seule question que nous devons nous poser: aujourd'hui, à Genève, en Suisse, en Europe, dans le monde, est-ce que chacune et chacun des êtres humains ont les mêmes moyens pour boucler leur mois ? Eh bien, la réponse est catégoriquement et clairement non, hélas; et quelque part, cette différence fondamentale du revenu avec lequel nous devons composer pour subsister sur cette planète pose un réel problème, parce que l'accumulation de richesses par les uns se fait souvent, ma foi, beaucoup trop souvent au détriment des autres, qui se trouvent poussés dans la misère parce qu'on ne leur donne tout simplement plus les moyens de vivre. Et c'est bien ça le problème ! Ce n'est plus la question de la classe moyenne qui subsiste tant bien que mal et qui se contente tout à fait de ce qu'elle a, c'est la question des personnes qui sont mises dans la misère alors que d'autres sont dans l'opulence la plus extrême.
Cette question de la différence de revenus pour vivre, Mesdames et Messieurs les députés, pose un véritable problème quand certaines personnes utilisent des avantages indus pour s'installer à un endroit où elles ne paient pas les mêmes impôts que les autres citoyennes et citoyens. L'exemple des forfaits fiscaux est particulièrement choquant, parce qu'en réalité, ces gens viennent d'Etats étrangers où ils ont grandi, certainement bénéficié des infrastructures publiques, et ces infrastructures publiques, Mesdames et Messieurs les députés, sont financées par les impôts de leurs concitoyennes et concitoyens, auxquels ils échappent. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Au nom de quel droit des privilégiés déjà pourvus de moyens suffisants pour vivre échapperaient à leurs responsabilités collectives rappelées par cet article... (Brouhaha persistant.)
Le président. Mesdames et Messieurs, puis-je vous demander de faire un peu de silence et d'écouter l'orateur ? Merci.
M. Roger Deneys. Merci, Monsieur le président, j'apprécie votre intervention. Eh bien, Mesdames et Messieurs, quand ces personnes ont quitté un Etat dans lequel elles ont grandi, pu profiter des infrastructures publiques, pour se réfugier ailleurs et ne pas payer l'impôt qu'elles devraient verser pour contribuer à la richesse de leur nation d'origine, elles sont tout simplement des parasites fiscaux. Elles n'assument pas leur part à la richesse collective de leur Etat d'origine, et nous ne pouvons pas l'admettre.
Ensuite, j'aimerais rappeler qu'à l'autre extrémité, à Genève, les dépenses sociales explosent: les comptes 2013 viennent de le montrer, Mesdames et Messieurs les députés, les dépenses de l'Hospice général, soit celles en faveur des personnes les plus précarisées à Genève, ont coûté 36 millions de plus au canton en 2013, cela dans une société où des gens bénéficient de forfaits fiscaux et ne paient pas d'impôts ! Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, c'est tout simplement choquant quand dans ce même Grand Conseil, on entend cette même droite dire: «Ah non, nous n'avons pas les moyens d'augmenter un peu les emplois de solidarité, nous n'avons pas les moyens d'augmenter l'aide sociale !» Ces gens n'ont qu'à crever dans la misère et, pendant ce temps-là, on construit des ponts en or sur la rade ou sur le lac pour des millionnaires qui profitent de nos infrastructures... Mesdames et Messieurs les députés, je crois que c'est la question fondamentale de l'égalité de traitement entre les êtres humains qui se pose avec le principe des forfaits fiscaux. Pour les socialistes, la réponse est claire: ces forfaits fiscaux doivent être abolis, et cette décision n'est qu'une anticipation de ce qui va arriver. Car Mesdames et Messieurs les députés de droite si bien...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Roger Deneys. Vous n'êtes pas si bien, en fait, Monsieur le président ! (Rires.) ...Mesdames et Messieurs les députés de droite si bien formés, les socialistes sont simplement pour l'égalité de traitement de toutes et tous devant l'impôt, aussi des étrangers. Il n'y a pas de raison que ces personnes échappent au traitement normal, comme tout le monde.
M. Stéphane Florey (UDC). Au début de ce débat, j'ai entendu parler de justice fiscale, ce qui m'a quand même surpris: je parlerais plutôt de suicide fiscal, car si cette initiative était adoptée, elle en constituerait effectivement un pour Genève. En travaillant ce matin sur le sujet et en préparant un peu mon intervention, je me suis demandé comment on pourrait compenser 155 millions de pertes fiscales éventuelles pour Genève. Je me suis dit dans un premier temps qu'il faudrait certainement que moi, qui travaille et paie déjà des impôts, j'en paie un peu plus; mais peut-être faudrait-il aussi envisager que les 30% de nos concitoyens qui ne paient pas d'impôts commencent à en payer quelque peu. Et c'est là tout le danger de cette initiative: le forfait fiscal fait partie de cet équilibre fragile entre les divers systèmes d'imposition que représente la fiscalité cantonale. Quand on a eu ce grand débat sur la révision de la LIPP, cela a aussi été évoqué: les systèmes d'imposition tels que les forfaits fiscaux - il y en a d'autres, mais celui-là en particulier - permettent justement aux classes les plus défavorisées de ne pas payer d'impôts, et c'est là qu'ils ont toute leur utilité: ils permettent cet équilibre. (Brouhaha.)
Maintenant, j'entends dire que plusieurs cantons ont aboli le forfait fiscal; en réalité, sur les onze cantons qui ont déjà voté ce genre d'initiative, il n'y en a que cinq qui l'ont aboli alors que six l'ont conservé. Mais il faut regarder combien ceux qui l'ont aboli avaient de forfaitaires: dans certains cas, il n'y en avait même pas une dizaine. C'est évident qu'ils l'ont aboli, mais pourquoi ? Pour une dizaine de personnes, ce qui est totalement ridicule, parce qu'en plus, ces cantons ont peur. On peut en effet apprendre dans le très intéressant article de la «Tribune» que justement, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Extérieures, qui l'ont aboli, n'ont pas encore pu mesurer les incidences fiscales de cette suppression, puisqu'ils sont à l'heure actuelle en plein dans l'exercice où ces forfaits ont été abolis, et ils n'auront les chiffres réels que fin 2014, voire en 2015. Et là, on pourra réellement mesurer s'ils avaient raison ou pas ! Quant à l'exemple de Zurich, on remarque que le canton est là aussi en bilan intermédiaire. On n'a donc pas pu mesurer encore toutes les incidences de cette suppression, et ce qui est intéressant à Zurich, c'est que sur la centaine de forfaitaires restés dans le canton, la moitié ont vu leurs impôts baisser ! Non seulement ils étaient forfaitaires et payaient une somme considérable, mais en plus, la gauche leur a fait un cadeau formidable, puisque finalement ils paient moins maintenant ! C'est là que se trouve le non-sens: vous parlez de justice, mais en fait, il n'y a pas de justice dans la fiscalité.
Une question me vient à l'esprit suite à certaines remarques de M. de Sainte Marie, qui disait: «Je ne connais pas de retraité de moins de 65 ans.» (Remarque.) Je vous retourne la question, parce qu'on peut comparer avec les personnes présentes dans cet hémicycle: combien avez-vous dans vos groupes respectifs de fonctionnaires de moins de 65 ans qui ont pris leur retraite en touchant leur PLEND ? Alors ne venez pas dire que cela n'existe pas, puisque dans ce parlement, il y en a plein ! Il faut quand même remettre les choses en place. (Nombreux commentaires. Le président agite la cloche.)
Enfin, j'ai été fortement choqué d'entendre M. Deneys parler de parasites fiscaux. C'est n'importe quoi ! Les forfaitaires fiscaux paient des impôts ! Ils bénéficient certes d'un système, mais ils paient des impôts. Je vais vous donner ma propre définition du parasite fiscal: à Genève, il y a entre 20 000 et 30 000 personnes qui non seulement travaillent au noir, mais ne paient pas d'impôts et profitent de toutes nos infrastructures. Vous savez très bien de qui l'on parle, ce sont les sans-papiers. Ça, ce sont de vrais parasites fiscaux, qui bénéficient de tout, mais ne paient absolument rien. Alors ne venez pas dire que les forfaitaires sont des parasites fiscaux, puisque ce n'est absolument pas le cas ! Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Très bien !
Présidence de M. Antoine Droin, président
M. Pascal Spuhler (MCG), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs, suivre les initiants, c'est niveler par le bas. Effectivement, ces riches forfaitaires fiscaux partiront à quelques kilomètres d'ici, dans le canton de Vaud, parce que celui-ci n'est pas confronté au problème d'une telle initiative, en tout cas pas en ce moment. (Brouhaha.) Et si c'est le cas dans quelques années à cause de l'initiative fédérale, il ne faudrait pas que M. Vanek - vous transmettrez, Monsieur le président - prenne ses désirs pour des réalités: quand j'ai parlé de l'initiative fédérale, ce n'était pas pour l'approuver et que vous la votiez, mais bien pour vous engager à la repousser le moment venu. J'estimais que l'initiative fédérale réglerait l'égalité ou l'inégalité entre cantons, puisque certains cantons ont des forfaits là où d'autres n'en ont pas; et je pense que tous les cantons auraient le droit d'en avoir, cela éviterait la concurrence entre eux suite à la suppression des forfaits par certains, qui entraîne un déménagement des forfaitaires dans des cantons voisins. Voilà pourquoi je mettais en exergue cette initiative fédérale.
Concernant le chiffre que j'ai émis, c'était effectivement une erreur. Les emplois directs et indirects générés par ces forfaits fiscaux au niveau du pays sont de plus de 22 500, Monsieur le rapporteur de minorité. Ma fourche a langué, ma langue a fourché ! (Rires.) Je confondais avec le nombre des bénéficiaires de forfaits - 5634 actuellement.
Vous avez parlé d'évasion fiscale. C'est intéressant: vous dites que certains riches étrangers fuient leur pays pour venir s'installer ici et profiter des forfaits fiscaux. A contrario - d'autres membres de la majorité l'ont rappelé - l'Europe a déjà plusieurs lieux où bénéficier de tels forfaits: on a cité la Belgique, l'Espagne - qui a notamment créé un forfait spécial pour David Beckham, Madame et Monsieur les rapporteurs de minorité - ou encore le Portugal. J'ai aussi noté un article paru dans la «Tribune» du 4 février dernier: «Londres et ses forfaits. Le Royaume-Uni offre un régime fiscal très intéressant pour de nombreux riches étrangers». Cela fait une page entière, et je vous garantis que l'article est intéressant. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Quand l'Europe vient nous taper sur les doigts en disant que les forfaits fiscaux, ce n'est pas bien, je suis un peu étonné qu'ils ne regardent pas comment cela se passe chez eux ! Bien.
Quant au projet de loi, qui forme le contreprojet à cette initiative, il faut savoir qu'il constitue une adaptation par rapport à la loi fédérale sur les forfaits fiscaux, et il y a eu, on l'a dit, un rehaussement de la dépense minimale à 400 000 F. Genève passerait à 600 000 F, quand même. Je pense que c'est tout à fait correct; d'ailleurs, contrairement à ce qui a été dit, cette adaptation amènerait dans nos caisses une manne supplémentaire de plus de 40 millions, selon les calculs de 2012 sauf erreur. (Brouhaha.)
On parlait également de mécénat. Je crois que c'est un point important: ces riches personnes bénéficiant de forfaits fiscaux, ces «vilains riches», comme j'ai cru l'entendre de la part des initiants... (Brouhaha persistant. Le président agite la cloche.) ...ces parasites, et autres insultes et quolibets qu'on leur a adressés... Mesdames et Messieurs, pour commencer, sur ces 710 forfaitaires, on parle de plus de 50% de gens âgés de plus de 60 ans. Un peu de respect pour eux qui ont travaillé toute leur vie et viennent prendre leur retraite en Suisse et profiter de notre climat favorable. Ces gens-là sont justement des amateurs d'art, et il est bien connu que ce sont eux, les mécènes de notre vie culturelle ! J'en veux pour preuve, Mesdames et Messieurs, une exposition qui va ouvrir la semaine prochaine à l'Ariana: «Création contemporaine et mécénat, une alliance durable». Je vous invite à aller la voir. On parle du mécénat, il est le fait des personnes aisées, des personnes riches, des forfaitaires fiscaux, et non des pauvres, malheureusement c'est ainsi ! (Brouhaha.) Si nous n'avions pas ces gens-là, notre offre culturelle à Genève serait assez calamiteuse, et vous savez mieux que moi comment vos rangs, justement, insistent pour qu'on ait cette offre culturelle variée et intéressante.
A mon avis, abolir ces forfaits fiscaux est une hérésie, une imbécillité totale; mais vous n'en êtes pas à une près, vous voulez supprimer toute la richesse de Genève et maintenir la pauvreté, alors que nous voulons supprimer la pauvreté et essayer de trouver un meilleur équilibre. Mesdames et Messieurs, je vous invite évidemment à refuser cette initiative et à soutenir le projet de loi qui servira de contreprojet à ce texte malheureux.
Le président. Merci, Monsieur le député. Le Bureau a décidé de clore la liste des orateurs. Restent inscrits M. Baertschi, M. Genecand, Mme Mazzone, M. Amaudruz, M. Riedweg, M. Wenger, M. Lussi, M. Zacharias, M. Thierry Cerutti, M. de Sainte Marie, M. Frey, Mme Sobanek, M. Cuendet, Mme Forster Carbonnier, M. Aellen, M. Stauffer, Mme Wenger, M. Ducommun, M. Buschbeck, M. Buchs, M. Deneys, M. Alder et M. Florey. Je donnerai la parole aux rapporteurs à la fin du débat. Je passe la parole à M. le député Edouard Cuendet.
M. Edouard Cuendet (PLR). Merci, Monsieur le président. L'acharnement que le PS et ses alliés mettent à assécher les recettes fiscales du canton est stupéfiant. Ils le font notamment par le biais de deux initiatives. L'une vise directement les sociétés multinationales et leurs plus de 50 000 emplois - le parti socialiste qualifie ces entreprises de parasites; l'autre vise les forfaitaires fiscaux, qui sont considérés par le PS, comme l'a dit M. de Sainte Marie, comme des profiteurs. Ce soir, nous parlons de cette seconde initiative.
Quand j'écoute M. de Sainte Marie, les bras m'en tombent: il s'offusque de la présence en Suisse de quelque 6000 bénéficiaires du forfait fiscal, dont 700 résident à Genève. Il oublie que la Suisse n'est pas une île, qu'il règne une concurrence fiscale féroce et qu'à Londres, on compte plus de 100 000 bénéficiaires du statut de résident non domicilié, je dis bien plus de 100 000, alors qu'en Suisse ils sont moins de 6000 ! Ils sont 100 000 à Londres, qui en plus travaillent, peuvent travailler comme ils l'entendent. Londres se frotte les mains ! Londres envoie notamment des gens pour démarcher nos multinationales en Suisse. Evidemment, nos multinationales, qui se font insulter à longueur de journée par le parti socialiste, prêtent une oreille attentive aux sirènes londoniennes. Mais Londres regarde aussi avec beaucoup d'attention les attaques que nous menons contre les personnes physiques. Et pour voir que cela fonctionne, il suffit de constater que Londres et le Royaume-Uni en général accueillent à bras ouverts les exilés français qui fuient un régime socialiste si cher à la gauche genevoise et surtout les mesures fiscales confiscatoires du gouvernement en place. Si bien que Londres est devenue l'une des dix plus grandes villes françaises !
Cessons donc d'être naïfs, cessons de nous tirer des rafales dans le pied, cessons de favoriser de manière irresponsable nos concurrents qui attirent sans complexe nos personnes physiques et morales, qui attirent notre prospérité, nos emplois. Disons non à cette initiative irresponsable qui va assécher nos finances cantonales au détriment d'une classe moyenne que le parti socialiste et ses alliés prétendent défendre mais qui devra payer les pots cassés, conséquence de cette frénésie anti-riches ! Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)
M. François Baertschi (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu ce soir des mots comme «éthique» et «morale». (Remarque.) Mais je comprends un autre discours derrière ces mots: un discours de mesquinerie, de jalousie et même, un peu, de haine. L'éradication des riches pour n'avoir que des pauvres: tel semble le programme de cette initiative. Il fut un temps, sous Napoléon III - cela ne date pas d'aujourd'hui - où l'on cherchait à éradiquer le paupérisme. Maintenant, on cherche la suppression de la richesse, de la prospérité, des millionnaires. D'ailleurs le titre est très clair: il s'agit de cadeaux qu'on ferait aux millionnaires. Mais je regrette, ouvrons les yeux ! Ce sont les millionnaires qui nous font des cadeaux.
Une voix. Sans blague ! (Rires.)
M. François Baertschi. Revenons sur terre ! Nos finances... (Remarque. Rires. Applaudissements.) Cela peut vous déplaire !
Le président. S'il vous plaît !
M. François Baertschi. Nos finances sont dans le noir, mais leur situation est fragile, comme on a pu le voir lors des discussions sur les comptes, tout récemment. Cela prouve qu'il faut des moyens pour les besoins légitimes de la population. Ces besoins, c'est le social, c'est la fonction publique, que le MCG défend - nous nous sommes d'ailleurs opposés à SCORE et à cette politique complètement irresponsable de dégradation de la fonction publique, négative socialement parlant. Il y a aussi d'autres choses que nous devons payer: toutes ces charges et dépenses idiotes comme le CEVA... (Protestation.) ...mais je ferai l'économie de tout cela.
Plus nous aurons de forfaits fiscaux, mieux Genève se portera: c'est la conviction que nous avons au sein du MCG; plus nous attirerons la richesse, mieux ce sera. Et n'en déplaise à certains ou à certaines dans cette enceinte, former un grand Monaco ne nous déplairait pas. (Remarque.) Mais le choix en face duquel nous nous trouvons ce soir est simple: c'est celui de la misère ou de la prospérité. Soit nous cherchons la misère pour tous, soit le maximum de prospérité. Et nous obtiendrons celle-ci si nous acceptons le contreprojet. A titre personnel, j'aimerais qu'on aille plus loin, mais ce texte me semble susceptible d'être accepté par une majorité de cet hémicycle.
M. Benoît Genecand (PLR). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit là de l'un de ces débats de société qui animent ce parlement, comme la traversée du lac, le droit de vote des jeunes, sur lesquels la population peut avoir une opinion sans forcément lire les avis des uns et des autres. Evidemment, qui dit forfaits fiscaux dit étrangers, dit favorisés, dit inégalité. Il y a de fortes chances que les forfaits fiscaux soient supprimés par le peuple, surtout si le vote a lieu au niveau national. Je pense que les Genevois seront raisonnables, mais puisque beaucoup de cantons n'appliquent pas les forfaits, il est très probable que le combat contre les forfaits puisse être gagné, même si nous serons nombreux à mener la résistance.
On nous parle de morale, et c'était attendu. Il y a de grandes envolées, de grands mots... Cela me paraît tout de même un peu exagéré. On a dit à ces gens-là, à un moment donné de notre histoire, qu'ils pouvaient s'installer ici à certaines conditions. On leur a fait une offre qu'ils ont acceptée. Nous pouvons très bien, comme communauté, retirer notre offre, ils pourront partir ou rester. Or, il faut souligner un point en passant: les proposants poussent le bouchon un peu loin en affirmant que ces forfaits ne sont pas moraux, qu'il faut augmenter les impôts des personnes qui en bénéficient et que celles-ci vont rester. Mais la proposition ne sera plus du tout la même, elles vont partir ! Il faut accepter qu'elles partent, si l'on veut être en accord avec cette vision morale, qui semble une vision de puriste; et nous y perdrons alors entre 100 et 200 millions par année. Voilà pour la situation.
Le canton de Genève est celui où les impôts sur les entreprises et les particuliers sont les plus élevés de Suisse; ils n'ont pas bougé ces dernières années, contrairement à d'autres cantons où ces impôts ont diminué. On nous répète dans ce parlement à intervalles réguliers que lors de la seule petite diminution qui a eu lieu ces dernières années, en 2009, on a volé la classe moyenne, l'Etat, etc. C'est tout simplement contraire à la réalité: nous avons les impôts les plus élevés de Suisse, tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales. Autre particularité: nous sommes le canton le plus prospère de Suisse. Les cantons qui se trouvent juste derrière nous sur le tableau des impôts les plus élevés sont le Jura et Neuchâtel, où la prospérité est un peu moins grande. Le taux le plus élevé d'impôts, donc, l'économie la plus prospère, et la capacité de faire des dettes; la capacité réitérée année après année, malgré ces deux facteurs qui devraient faire de nous un canton prospère et sain, de générer des dettes. D'ailleurs, en passant, sans vouloir écorner un mythe, les années prétendument prospères de David Hiler ont aussi été favorisées par une dissolution de réserves latentes sur les arriérés fiscaux, qu'on ne pourra plus réaliser dans les années futures, et la revalorisation de certains terrains du canton, notamment le projet PAV, à propos de quoi le ministre en charge regrettait que cet argent n'ait pas été attribué à la construction mais dépensé dans le budget courant. Avec des années de prospérité, des taux très élevés, nous continuons à faire des dettes ! Nous avons une fonction publique efficace mais très bien payée: la fonction publique genevoise gagne un salaire médian de 2000 F plus élevé que la population qui ne travaille pas à l'Etat - très bien payée donc. Et l'on peut se demander, Mesdames et Messieurs, si la question morale n'est pas celle-ci: est-il moral, pour une communauté comme la nôtre, dans les circonstances que je viens de décrire, de laisser une dette aux générations futures ? (Remarque.) Est-il moral, bien qu'on profite d'une conjoncture extraordinairement bonne, de reporter nos charges sur les prochaines générations ?
A ceux qui proposent la suppression du forfait fiscal, la seule chose qu'il faudrait demander, ce serait de trouver les 155 millions d'économie. Trouvez-les d'abord, et ensuite, revenez avec cette belle proposition ! Mais ne proposez pas juste une économie ou un combat prétendument moral sans avoir fait le nécessaire en termes de gestion, et de bonne gestion, de l'Etat. Merci de votre attention. (Applaudissements.)
Mme Lisa Mazzone (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, c'est d'une question de principe qu'il s'agit. Est-il acceptable que plus de 750 personnes au portefeuille pourtant boursouflé ne contribuent pas à hauteur de leur capacité économique ? Non, ce n'est pas le cas. Est-il acceptable que l'on s'assoie sur des principes énoncés tant dans la Constitution fédérale que dans notre nouvelle constitution, à savoir ceux d'un impôt basé sur l'égalité de traitement et la capacité économique ? Non, ce n'est pas non plus le cas.
La question que l'on peut se poser est celle-ci: quel est donc le profil des personnes que soutiennent l'Entente et ladite «Nouvelle Force», pourtant fort nationaliste ? Ce sont de riches étrangers qui échappent souvent au fisc de leur pays, font exploser le prix de l'immobilier genevois, et parfois ne sont connus que des postiers qui dépoussièrent de temps à autre leur boîte aux lettres.
Nous nous devons de sortir de ce bas système de compétition entre cantons et de montrer l'exemple à nos voisins vaudois. Certains députés se sont plu à ergoter: Monsieur Maitre - vous transmettrez, Monsieur le président - certes, il n'y a pas deux personnes pareilles, bien heureusement, mais tout le monde doit se voir traité pareillement. J'estime ainsi qu'un Suisse et un riche étranger doivent être traités de la même manière. Mais comme vous l'avez dit, parmi ces personnes, celles qui habitent réellement à Genève y sont pour différentes raisons, et notamment pour la qualité de nos infrastructures dont elles profitent, d'ailleurs.
On a entendu parler à cet égard d'une initiative suicidaire; mais ce ne sont pourtant qu'environ 1,5% des recettes fiscales qui sont dues à ces personnes. Et celles-ci restent non seulement, comme vous l'avez dit, pour des raisons fiscales, mais également pour la qualité de vie dont bénéficie le canton de Genève - à l'exception des voitures, évidemment, qui encombrent cette ville et ce canton.
Ainsi, cet argumentaire relève de l'intimidation, et l'expérience de Zurich doit finir de nous convaincre que c'est de l'intimidation qu'on est en train de faire, constamment, quand on tente de faire appliquer un principe d'égalité. Eh bien, nous continuerons de répondre par un seul et même mot: l'égalité; et l'égalité aujourd'hui, c'est refuser un système opaque de cadeaux aux plus riches qui continue seulement de creuser le fossé entre riches et pauvres. Les personnes qui refusent cette initiative dédaignent tout simplement l'égalité. Nous n'entrerons donc pas en matière et refuserons catégoriquement le principe du forfait fiscal, de quelque nature qu'il soit. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, les Verts vous engagent à refuser le principe du contreprojet et à soutenir avec vigueur et conviction cette initiative. Je vous remercie.
M. Michel Amaudruz (UDC). Ecoutez, en simplifiant, je dirais que tout a déjà été dit d'un côté comme de l'autre. Alors évidemment, vous me rétorquerez que c'est inutile que je prenne la parole, puisque je vais sombrer dans le péché de la répétition. Néanmoins, on pourrait peut-être présenter les choses de manière différente.
En tout premier lieu, à mon avis, la position de ces bancs a bien été exposée et expliquée notamment par MM. Halpérin et Maitre. D'un autre côté, je dirais, Monsieur le président, que tant Mme Orsini, M. Vanek que M. Deneys m'ont laissé songeur. J'ai surtout perçu un sentiment de revanche déplacé, et j'ai envie de leur offrir un bouquin excellent qui les réconciliera avec toutes les tendances politiques, «Le Canapé de Staline». (Rires.)
Voyez, je suis un peu voyageur, et j'adore me rendre à Disney World, à Orlando. J'ai vu qu'on y travaille à la confection d'une nouvelle maquette à mettre à côté de Goofy, Pluto, Donald, Mickey: c'est le Suisse bêta. Alors évidemment, j'ai demandé au promoteur de cette maquette: «Pourquoi le Suisse bêta ?» Il m'a répondu: «Parce que les Suisses sont des enfants qui cassent tous leurs jouets.» Et c'est bien ce que nous sommes en train de faire.
Partons pour une petite promenade géographique. Si vous quittez cette belle Floride où l'on vit des moments extraordinaires sur le plan de la fiscalité, il n'y a pas que le Delaware ! Aventurier, je prends mon youyou, je traverse l'Atlantique, j'arrive au Portugal. Je sors ce midi d'une conférence où il y avait des ténors de l'économie et de tout ce que vous voudrez venant du Portugal: c'est un Eldorado fiscal, pas un paradis, un Eldorado ! C'est simple, on n'y paie pas d'impôts. De là, vous allez en Angleterre, et vous pouvez faire un petit crochet en Irlande - c'est magnifique. Et puis après, vous traversez la Manche et vous débarquez en Belgique, extraordinaire: Depardieu y a son bistrot, il vous accueille à bras ouverts. Ne croyez pas qu'en Europe occidentale, les avantages s'arrêtent là. Parce que vous savez ce qu'il y a de bête, chez les Suisses ? Ils font des lois, mais ce sont les seuls à les appliquer ! (Rires.) Non, mais c'est un peu bête ! Alors évidemment, au risque de heurter M. de Sainte Marie, même en France vous trouvez des combines, même en France ! En Italie aussi, et si vous allez plus loin... Bon, Mme Merkel, je ne m'y frotterais pas trop - enfin, c'est ce que m'a dit le président du Bayern... Si vous allez en Autriche, vous êtes accueilli; si vous allez en Hongrie, etc., ça continue. Et l'on peut même aller chez M. Poutine pour rejoindre le canapé de Staline. Après, vous allez dans le Sud-Est asiatique, c'est merveilleux. Bref, il n'y a qu'en Suisse qu'on se pose ce genre de question stupide, tuer la vache à lait. Parce que quand vous ne pourrez plus traire, Monsieur de Sainte Marie, bye-bye les associations, bye-bye la mère nourricière !
Que voulez-vous qu'on fasse ? C'est quand même aberrant de voir que depuis 2008, la Suisse poursuit - sous la férule de Mme Widmer-Schlumpf, c'est vrai - une politique d'autodestruction, suicidaire; et tout ce qui peut rendre la Suisse attractive, on veut le jeter à la poubelle pour des motifs spécieux et qui ne tiennent pas compte de la réalité économique. M. Michel Halpérin, qui fut président du Grand Conseil, le père de Lionel, a écrit dans la «Tribune de Genève» un excellent article paru il y a une dizaine de jours: «La Suisse sur le chemin de la paupérisation». Mettons-nous à votre suite, Monsieur de Sainte Marie, vous nous ferez pauvres ! Monsieur Deneys, bravo, vous avez raison avec l'égalité, on ira tous à la soupe populaire, vous le premier ! On est en train de détruire ce qui a fait la force de la Suisse. Il en ressort, Monsieur le président, qu'il est un devoir... Nous savons très bien qui va voter comment, de sorte qu'on ne devrait pas trop s'égosiller sur ce sujet. Laissez votre morale de côté, parce que la morale n'est pas en cause. Il s'agit de trouver un équilibre qui permette à un pays, à un canton de trouver des ressources suffisantes pour subvenir le mieux possible aux besoins de chacun; et halte à la route de la pauvreté sur laquelle on veut nous conduire.
Le président. Il vous faut conclure.
M. Michel Amaudruz. Je conclus: merci, Monsieur le président, merci de m'avoir écouté aussi longtemps, et je vous souhaite une bonne soirée. (Rires. Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. A vous aussi ! La parole est à M. le député Bernhard Riedweg.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le président. Les ultra-riches profitent d'opportunités pour diminuer légalement leurs impôts sur le revenu et la fortune, car ils estiment que les fiscs de leurs pays sont trop voraces par rapport aux avantages qu'ils retirent des prestations que proposent ces pays. En Suisse, ils font appel, on l'a dit tout à l'heure, à des sociétés de services comme les banques, les compagnies d'assurance, les avocats d'affaires, les fiduciaires, les notaires, sans oublier les employés de maison. Ce sont 3000 personnes qui travaillent pour ces 700 ou 710 contribuables bénéficiant d'un forfait fiscal. Ils n'envoient pas leurs enfants dans les écoles publiques, mais les confient à des écoles privées. Ces contribuables ne font pas appel à l'action sociale pour les personnes âgées, ils n'utilisent pas les infrastructures communes et n'ont aucune activité lucrative en Suisse; ils n'occupent donc pas de poste de travail en Suisse. Ils investissent dans l'immobilier de luxe et dans des villas cossues dont le prix dépasse les 10 millions, ce qui n'influence aucunement le prix des objets immobiliers destinés au commun des contribuables: il n'y a donc pas de concurrence sur ce plan-là. Quelques-uns de ces riches sont aussi des mécènes, des sponsors, de généreux donateurs pour la culture, le sport et les institutions sociales. Un auditionné a estimé à 470 millions par année le montant de leurs dons. Le Conseil d'Etat sait l'importance que l'imposition d'après la dépense revêt pour l'attrait de Genève, et par conséquent pour les produits des impôts et l'économie.
Ces contribuables paient 113 millions d'impôts cantonaux et communaux, ce qui représente 1,8% des impôts totaux encaissés par l'Etat en 2011. Il faut ajouter à cela les impôts sur les successions qui se sont élevés à 35 millions. De par les forfaits fiscaux, les ultra-riches sont en mesure d'attirer d'autres contribuables issus de leurs réseaux, ce qui contribue à augmenter les recettes fiscales. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
A Zurich, une année après l'abolition des forfaits fiscaux, le département des finances a constaté se trouver en situation de perte à la suite des départs des contribuables imposés à la dépense. Il est vrai que Zurich a baissé le taux d'imposition sur les hauts revenus en même temps que les forfaits fiscaux ont été abolis. En cas d'acceptation de cette initiative, il serait aisé pour les contribuables au bénéfice de forfaits fiscaux de se déplacer de vingt kilomètres pour aller dans le canton de Vaud, où il y a 1400 forfaitaires; ils pourraient aussi aller vivre en Valais, canton qui nous livre une concurrence fiscale vorace. (Brouhaha.) Dans le contreprojet, qui va dans une certaine mesure dans le sens de l'initiative, la dépense minimale des personnes bénéficiant du forfait fiscal est augmentée de 400 000 F à 600 000 F et le loyer annuel ou la valeur locative est calculé sept fois au lieu de cinq fois. Pour mémoire, ce montant est de 400 000 F au niveau fédéral. Ainsi, en fixant la dépense minimale à 600 000 F, le montant total des impôts encaissés s'élèverait à 124 millions au lieu des 85 millions actuels. Si on adopte ces nouveaux paramètres fiscaux, l'avenir nous dira quel est le taux de sensibilité ou les conséquences que ces augmentations auront sur les bénéficiaires des forfaits fiscaux. Il ne faut pas oublier qu'ils sont conseillés par des fiscalistes qui ne manqueront pas de leur soumettre des calculs pertinents.
En guise de complément, sachez que si l'on abolissait l'impôt sur la dépense, il faudrait probablement supprimer à Genève l'impôt sur la fortune, qui est déjà l'un des plus élevés de Suisse. En parlant d'égalité de traitement sur le plan fiscal, pensez-vous que les contribuables qui bénéficient de subventions pour l'assurance-maladie, pour le logement, et des prestations complémentaires, et qui n'ont pas ou qu'un petit revenu imposable, sont traités de manière égale avec les contribuables qui ont un revenu suffisant pour vivre à Genève et sont imposés normalement ? Une abolition du forfait fiscal risque de se répercuter sur les autres contribuables genevois, respectivement sur les contribuables disposant de revenus plus faibles. (Brouhaha.)
L'imposition à la dépense constitue un élément de compétitivité fiscale pour Genève. S'attaquer aux rentrées d'argent dont nous avons tellement besoin dans notre canton est très dangereux. Selon les statistiques fiscales parues dans un article d'un journal de la place, les dépenses annuelles des étrangers bénéficiant du forfait fiscal tournaient autour des 595 000 F en 2010 et leurs impôts annuels atteignaient les 160 000 F par contribuable. Je vous rappelle que nous voulons augmenter ce chiffre de 400 000 F à 600 000 F. Ce sont 9900 F de moins que l'impôt payé par un contribuable genevois ayant deux enfants et déclarant un revenu du même montant, ou 18 000 F de moins pour un célibataire sans enfants par rapport à un contribuable local ayant le même profil mais non bénéficiaire du forfait fiscal. Etant donné que les forfaits fiscaux sont un instrument politiquement important pour l'économie, nous vous demandons de rejeter cette initiative et d'accepter le contreprojet. Merci, Monsieur le président.
M. Thomas Wenger (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, les forfaits fiscaux, cela a été dit et il faut le rappeler... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît, un peu de silence !
M. Thomas Wenger. ...sont légalement et moralement tout à fait injustifiables. Ils sont injustes par rapport aux riches contribuables suisses ou genevois. Je suis assez étonné non par la position du PLR consistant à défendre les plus riches - ce n'est pas une surprise pour nous socialistes - mais par celle du MCG et de l'UDC à nouveau, après les PPE notamment: ils défendent les plus aisés au détriment de la population genevoise qui certainement a voté pour eux avec beaucoup d'espoir et qui aujourd'hui doit légèrement regretter son vote. (Brouhaha.)
Je reviens aussi sur les paroles de M. le député Genecand, qui nous a fait une leçon de bonne gestion - vous lui transmettrez, Monsieur le président - et évoque la dette publique genevoise qui ne cesse d'augmenter: il faut le rappeler à nouveau, qui a la majorité dans ce canton ? Qui gouverne ce canton depuis des décennies ? Mais c'est vous ! Alors à un certain moment, quand on parle de dette et de bonne gouvernance, donnez-nous une fois la double majorité - je parle maintenant à la population - et peut-être alors conduirons-nous ce canton comme nous gérons d'autres villes en Suisse, mieux que ce canton n'est parfois gouverné ! (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Thomas Wenger. Pour revenir au sujet de ce soir, on parle de flou dans le mode de calcul du forfait. Comment ces forfaits sont-ils calculés ? On ne le sait pas vraiment, ce sont souvent des négociations, dont certaines - ma collègue Mme Orsini l'a dit - concernant des cas litigieux de personnes qui ne sont pas censées avoir d'activités lucratives en Suisse, mais qui peut-être, hypothétiquement, en ont quand même en partie. Quant à l'autre argument - ces forfaits fiscaux permettent d'attirer des fortunes venant d'autres pays - il ressort effectivement à l'éthique et à la moralité. On a parlé des artistes, on a longuement évoqué Johnny Hallyday à Gstaad, par exemple; on parle aussi des sportifs. Si l'on prend ceux-ci, comme les pilotes de Formule 1 ou les tennismen français, ce sont des exemples assez intéressants: ils ont été formés en France, grâce à l'impôt public, et à partir du moment où ils ont fini leur formation, qu'ils commencent à faire des tournois, à gagner de l'argent et qu'ils deviennent professionnels, hop ! ils déménagent en Suisse, ils ont un forfait fiscal, ils ne paient pas les impôts qu'ils devraient payer en France. Mais c'est inadmissible ! Et que font-ils ensuite ? Ils reviennent jouer pour la coupe Davis avec le drapeau tricolore. Imaginez la même chose avec Federer allant habiter Strasbourg parce qu'il y bénéficierait d'un forfait fiscal, ou de Wawrinka qui grâce à un formidable arrangement irait vivre à Annecy et reviendrait jouer à Genève pour gagner la coupe Davis au nom de la Suisse... Pour moi, c'est honteux, Mesdames et Messieurs, et pour les socialistes aussi. (Applaudissements.)
Rappelons que les gens soumis aux forfaits fiscaux à Genève et en Suisse utilisent les infrastructures, on l'a dit: on peut parler des routes, des aéroports, des transports publics, de l'école, des universités, de la police pour la sécurité, des hôpitaux, etc. (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Thomas Wenger. Les forfaits fiscaux ont effectivement été abolis par des votations populaires dans cinq cantons, dont celui de Zurich. C'est tout de même étonnant, incroyable que Zurich, troisième place financière du monde après New York et Londres - peut-être me contredirez-vous sur les bancs d'en face - que la population zurichoise, Mesdames et Messieurs, ait osé supprimer ces forfaits fiscaux ! On peut se battre longtemps sur les conséquences; aujourd'hui, d'après les informations à disposition, environ 50% des gens soumis au forfait fiscal à Zurich sont partis, 50% sont restés, et il n'y a à ce jour pas de perte fiscale due à cette suppression. (Protestations.)
Je finirai mon intervention en rappelant que ces forfaits fiscaux sont injustes, immoraux, et qu'ils sont impossibles à contrôler: on a bien vu avec les sportifs d'élite, on a bien vu avec les musiciens qu'on ne peut pas savoir si effectivement ils sont en Suisse ou à Genève au minimum six mois, on ne le sait jamais. Le PS refusera donc le contreprojet et se réjouit que l'initiative passe devant le peuple: nous avons confiance dans le fait que la population genevoise ne sera pas dupe et voudra une meilleure justice fiscale pour tous. En effet, on ne voit pas pourquoi la population paierait ses impôts alors que les bénéficiaires de forfaits fiscaux ne les paient pas comme ils le devraient, et pour revenir sur l'image de notre collègue Amaudruz qui nous parle de tuer la vache à lait - je terminerai par là - quand on broute l'herbe suisse, on donne le lait qui est dû, comme le reste du troupeau. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, comme l'a dit mon excellent préopinant Me Michel Amaudruz, il est vrai qu'il s'agit de parler de quelques détails et surtout d'écouter quelques inepties et de les commenter.
Mesdames et Messieurs les députés, et si l'on inversait la donne ? Et si l'on imaginait simplement que tous ces braves gens, qui pourraient être clandestins vu leur particularité fiscale, séjournent chez nous sans accepter de payer grassement des impôts basés sur une estimation qui est loin d'être complaisante, malgré ce que les bancs d'en face aiment à nous dire ? Mesdames et Messieurs les députés, vous qui aimez tant accueillir, vous qui aimez tant dépenser, vous qui aimez tant donner, j'aimerais profiter de ces quelques secondes pour vous engager peut-être à accepter qu'on change de cible: les gens que vous êtes en train de vilipender sont nos braves clandestins honnêtes qui bénéficient de forfaits fiscaux librement consentis et qui sont là pour donner cette manne dont certains ont rappelé qu'elle allait cruellement nous faire défaut, quand notre canton entretient généreusement tous les nécessiteux que vous ne traitez pas d'exploiteurs du système fiscal suisse, alors qu'ils ne viennent pas payer, ils ne viennent qu'en bénéficier.
Mesdames et Messieurs les députés, il faut savoir raison garder de temps à autre, comprendre ce qui se passe et, comme a dit mon préopinant Me Michel Amaudruz, oui, il y a des gens qui donnent, qui acceptent de donner alors qu'ils n'y sont pas obligés, qui ne consomment rien, et qu'au final nous n'aurons pas l'obligation d'entretenir. Raison pour laquelle l'Union démocratique du centre vous invite à renoncer à l'initiative 149, à la refuser en acceptant le contreprojet. (Quelques applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Le président. Nous arrêtons là notre débat, que nous reprendrons tout à l'heure.
Fin du débat: Session 7 (avril 2014) - Séance 42 du 10.04.2014