Séance du vendredi 14 février 2014 à 17h
1re législature - 1re année - 5e session - 26e séance

M 2146
Proposition de motion de Mmes et MM. Lydia Schneider Hausser, Jean-Louis Fazio, Anne Emery-Torracinta, Roger Deneys, Loly Bolay, Marion Sobanek, Irène Buche, Melik Özden, Christian Dandrès, Marie Salima Moyard, Prunella Carrard, Christine Serdaly Morgan : Le CEVA à quel prix salarial et de sécurité ?
Ce texte figure dans le «Recueil des objets déposés et non traités durant la 57e législature».

Débat

Le président. Nous passons à la proposition de motion 2146. Nous sommes toujours en catégorie II, trente minutes. La parole est à Mme Schneider Hausser.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Merci, Monsieur le président. Après la résolution 755 arrive cette motion qui, depuis la date de son dépôt en mai 2013, a vu des mesures déjà prises; des demandes contenues dans ses invites, certaines ont déjà été résolues au travers d'un accompagnement tripartite du chantier du CEVA. Il y a eu la constitution d'un fonds social, l'idée de la responsabilité solidaire a été introduite et des contrôleurs supplémentaires ont été nommés. Seulement voilà, le 9 février 2014 est passé par là, et nous nous devons d'aller au-delà du CEVA en matière de lutte contre la sous-enchère salariale. En effet, d'autres alarmes sur d'autres chantiers de l'Etat ont été tirées ces derniers temps, par exemple sur les deux chantiers en cours aux HUG, dans les bâtiments des lits et des laboratoires. C'est la raison pour laquelle nous désirons étendre la portée de cette motion à toutes les adjudications réalisées dans le cadre de l'Etat. En conséquence, nous vous avons proposé une nouvelle invite qui sera jointe à celle précédemment liée uniquement au CEVA.

L'exemple du suivi et des contrôles quant à la sous-enchère salariale liée au CEVA fait émerger quelque chose d'important, c'est-à-dire que quand il y a une concertation et un travail tripartite entre l'Etat, les employeurs et les syndicats, les choses peuvent avancer en matière de contrôle et de suivi des chantiers. Il faut donc que cette alliance et ce travail tripartite - voire quadripartite, mais en tout cas tripartite - puissent être réalisés. Mais pour cela, il est nécessaire, en premier lieu, de reconnaître un droit aux syndicats. Le tout premier droit des syndicats, c'est d'avoir accès au lieu de travail. Dans le cadre du CEVA, cela a été possible. Par contre, dans d'autres lieux, cela reste toujours très compliqué. Le Conseil d'Etat a annoncé mardi son intention d'intensifier la lutte contre la sous-enchère salariale en obligeant les entreprises qui reçoivent des mandats de l'Etat à annoncer leurs sous-traitants sous risque de devoir arrêter le mandat en cas de non-respect de cette convention. C'est très bien. Mais les efforts doivent continuer avec l'engagement de contrôleurs dans tous les domaines d'adjudications de l'Etat et l'introduction systématique de la responsabilité solidaire.

Comme il a déjà été relevé précédemment, le Conseil de surveillance du marché de l'emploi a pris position hier sur un certain nombre de modifications qui devaient être apportées au suivi de l'économie en ce qui concerne la sous-enchère salariale dans notre canton, que ce soit par rapport aux conventions collectives de travail, au contrôle ou aux sanctions, qui devraient aller, au niveau de la loi, jusqu'à la suspension de travaux pour une entreprise donnée qui ne respecterait pas les règles fixées au départ dans les conventions. L'Etat doit absolument prendre au sérieux son rôle de garant des revenus conventionnés dans les branches qui bénéficient des conventions collectives, non seulement dans les mandats qui concernent l'Etat mais aussi dans l'économie en général. Il se doit d'être également garant de revenus minimaux dans les secteurs non conventionnés. A Genève, nous visons en priorité des secteurs où tout le monde sait qu'il y a de la sous-enchère salariale, soit l'hôtellerie, le nettoyage et les travaux au sens large du terme. Mesdames et Messieurs les députés, en continuité avec ce qui vient d'être voté - c'est-à-dire la résolution 755 - nous vous prions donc d'accepter cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat pour un état des lieux de ce qui existe, de ce qui a été préconisé ces jours, mais aussi des vues futures pour contenir cette sous-enchère salariale. Cela permettra à Genève de continuer d'être exemplaire non seulement quant à l'accueil des personnes dans la libre circulation, mais également quant aux conditions de cet accueil en termes de travail de ces personnes et, par ce biais également, des résidents genevois. (Quelques applaudissements.)

M. Thomas Bläsi (UDC). Chers collègues, je vais intervenir très brièvement sur cette motion. Mais j'aimerais quand même faire un commentaire, car je suis assez surpris de votre proposition et surtout de votre argumentaire. Nous allons soutenir cette motion. Pourquoi allons-nous la soutenir ? Parce qu'elle va exactement dans le sens que nous avons défendu le 9 février dernier. Je vais vous expliquer pourquoi. A l'heure actuelle, l'attribution des marchés publics, pour tout marché public supérieur à 200 000 F, se fait selon les règles en vigueur à Bruxelles. Le choix de l'entreprise et le prix sont un facteur... (Remarque.)

Une voix. Laisse-le parler !

M. Thomas Bläsi. L'attribution des marchés publics se fait selon les lois de Bruxelles. (Commentaires.) Elle se fait de cette manière-là, et elle est effectivement responsable de ce qu'a dénoncé notre initiative du 9 février, à savoir la sous-enchère salariale. N'étant pas pour cette sous-enchère, nous soutiendrons votre motion. Mais nous nous demandons si vous n'allez pas exactement à l'inverse des arguments que vous avez défendus. Merci beaucoup.

M. Serge Hiltpold (PLR). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, depuis le 21 mai 2013 - date de dépôt de cette motion - un assez grand chemin a été parcouru que je vous propose de vous résumer rapidement à travers les invites. S'agissant de la première invite, le contrôle est effectué avec la présentation des attestations multipacks. C'est déjà en fonction, c'est déjà en vigueur. Pour les deuxième et troisième invites, deux inspecteurs supplémentaires ont été ajoutés dans la cellule CATTC et un suivi des partenaires sociaux a été effectué. Il y a donc effectivement deux contrôleurs de plus. Ça, c'est déjà en route, ça fonctionne. Concernant la quatrième invite sur la responsabilité solidaire, elle est en vigueur depuis juillet 2013, et le règlement d'application sur les marchés publics vient d'être renforcé depuis mercredi, comme le mentionnait le communiqué que nous avons reçu du Conseil d'Etat. Ce nouveau règlement comporte l'obligation d'annoncer tous les sous-traitants de façon à permettre le contrôle du versement des salaires et des prestations sociales sur le lieu du chantier jusqu'au dernier maillon de la chaîne. C'est donc déjà en vigueur depuis cette semaine avec le règlement. Enfin, s'agissant de la cinquième invite, le règlement d'application est également en cours pour déterminer l'utilisation du fonds social financé par l'Etat de Genève. Historiquement, ce fonds social avait été refusé par les CFF dans les débats, mais il est déjà en vigueur. Toutes ces mesures sont donc en oeuvre. Je vous propose de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, qui vous fera les réponses que je vous ai citées.

M. Bernhard Riedweg (UDC). L'impact de cette motion est limité en ce qui concerne notre canton, car si l'on considère le coût total de cet ouvrage estimé à 1 850 000 000 F, la part de Genève n'est que de 37%. Afin de parer au risque de sous-enchère salariale et de non-paiement des assurances sociales, notre canton pourrait s'inspirer de ce que font les plâtriers-peintres dans le cadre de l'obtention de mandats publics. Avant de débuter les travaux, ces entreprises versent une caution sur un compte bancaire ou obtiennent de la part des banques qui leur octroient des limites de crédit des cautions solidaires, qui permettent de payer d'éventuelles amendes en cas d'infractions de toutes sortes. Aucune entreprise ni aucun sous-traitant ne devrait échapper à cette contrainte financière, ce qui devrait satisfaire les syndicats qui dénoncent sans discontinuer les entreprises marginales acceptant la pression sur les prix. Depuis quelque temps, ces questions de sous-enchère salariale ont été traitées à plusieurs reprises au sein de la commission de l'économie, et M. le conseiller d'Etat Pierre Maudet disait dans «Le Matin Dimanche», pas plus tard que le 15 décembre dernier, qu'il traquerait le dumping salarial et le punirait enfin. Faisons-lui confiance ! L'UDC va soutenir cette motion. Merci, Monsieur le président.

M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, selon les considérants de cette motion, les outils de suivi des conditions de travail sur les chantiers du CEVA sont insuffisants voire déficients, et cela fait souvent l'actualité de nos journaux. Vous conviendrez que les lois ne sont pas respectées - du moins pas complètement - sur les chantiers du CEVA comme sur d'autres chantiers. Pour les Verts, le respect des lois encadrant le travail importe, et s'il y a des situations de sous-enchère salariale, elles doivent être immédiatement dénoncées et ceux qui les pratiquent punis selon la loi. Maintenant, nous entendons le député PLR qui nous dit que beaucoup de réponses ont déjà été apportées aux différentes invites de cette motion socialiste. Nous ferons évidemment comme le PLR et d'autres groupes, à savoir que nous allons renvoyer cette motion au Conseil d'Etat. Cette motion a été notablement améliorée par l'amendement déposé par Mme Lydia Schneider Hausser, que nous allons également voter pour compléter cette motion. Grâce à cette invite, cette motion qui était spécifiquement liée au CEVA adresse maintenant le problème un peu plus largement. Comme vous le savez - c'est souvent dans l'actualité - la surveillance du marché du travail est insuffisante à Genève. C'est aussi pour cette raison que les Verts avaient soutenu ici l'initiative syndicale 151, qui demandait des moyens de surveillance plus importants que les deux inspecteurs mentionnés par M. Hiltpold tout à l'heure, lesquels avaient été obtenus par la commission de l'économie à la suite d'une autre motion. Cela étant dit, les Verts soutiennent le renvoi de cette motion - amendée, bien sûr - au Conseil d'Etat.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Par rapport à cette motion, j'aimerais tout d'abord indiquer - ou plutôt rappeler - à l'un de mes préopinants UDC que lors des déclarations faites au lendemain de la votation du 9 février, M. Blocher... (Commentaires.) ...a prétendu que compte tenu du résultat... (Remarque.)

Le président. S'il vous plaît, Madame !

M. Jean-Marc Guinchard. ...les mesures d'accompagnement n'étaient plus nécessaires, ce que nous contestons bien entendu. En effet, il n'a pas été rare que des cas de sous-enchère salariale soient relevés et dénoncés, notamment par les partenaires sociaux de la construction dans des chantiers menés par l'Etat et sous-traités à certaines entreprises non contrôlées. A l'heure actuelle, sur la base des déclarations faites par le Conseil d'Etat mardi, sur la base également de la prise de position du Conseil de surveillance du marché de l'emploi - qui est bien l'organe tripartite responsable de ces situations sur le territoire du canton - nous sommes rassurés par les décisions prises et nous faisons confiance au Conseil d'Etat. Nous vous recommandons ainsi de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Eric Stauffer (MCG). Ça fait mal ! Ça fait mal que des entreprises françaises remportent les AIMP et que vous constatiez aujourd'hui que ces mêmes entreprises françaises font du dumping salarial et sous-paient leurs ouvriers et employés. Ça fait mal, Mesdames et Messieurs les députés ! Eh oui, vivent les accords bilatéraux ! Vive l'Europe ! Nous avons des entreprises genevoises qui se soumettent aux AIMP. Mais elles ne sont plus concurrentielles. C'est donc l'entreprise Vinci de Paris qui a remporté le chantier des HUG avec 40% du maître d'oeuvre. Evidemment, ils ont une petite succursale ici avec deux employés, et ils fournissent tous les certificats de l'OCIRT selon lesquels ils sont en règle avec les cotisations sociales.

Le président. Adressez-vous au président, Monsieur le député.

M. Eric Stauffer. Vous transmettrez, Monsieur le président. Ensuite, c'est la filiale française qui vient et engage du personnel au noir. Ils vont chercher des Polonais, ne les déclarent pas, les sous-paient ! Vive l'Europe ! C'est ce que vous prônez à longueur d'année ! Je me souviens que M. Barrillier, à l'époque où il était président de la fédération des entrepreneurs - ou des bétonneurs, je ne me souviens plus - était venu hurler dans cet hémicycle: «Les entreprises genevoises ont été écartées du chantier du CEVA !» Eh oui, c'est encore une entreprise française qui a ramassé le tout. Après, ils sont allés négocier des petits contrats de sous-traitance. Nous sommes devenus les larbins de l'Europe ! Nous, on s'y refuse ! Nous, on est suisses et fiers de l'être ! On a toujours eu un savoir-faire. On doit continuer à être les leaders en Europe. Notre niveau de vie est supérieur à celui de l'Europe. Pourquoi, croyez-vous ? Parce qu'on était tous des manches ? Non ! C'est parce qu'on était performants, qu'on avait des entreprises performantes. On était enviés des autres pays. Aujourd'hui, l'Europe s'évertue à détruire la Suisse ! Alors oui, nous allons soutenir la motion pour renforcer les mesures. Mais, Mesdames et Messieurs, ouvrez les yeux ! Arrêtez d'être naïfs ! Nous ne sommes pas équipés ou de taille à lutter contre les grands consortiums de France ! (Remarque.) Ah, vous le saviez ? Mais il faut le dire, il faut le dire publiquement ! C'est là que se situe le problème. Arrêtez d'être naïfs, Mesdames et Messieurs. Restons maîtres de notre destin ! Le MCG n'a jamais dit qu'il ne fallait pas de main-d'oeuvre étrangère. Mais on veut savoir combien d'employés sont engagés et pour combien de temps. C'est ça, rester maître de son destin. La souveraineté de la Suisse ! Et si l'Europe n'est pas contente, qu'elle implose ! Elle renaîtra alors sur le modèle suisse, ce sera une Europe confédérale ! Alors, le MCG dira: «Oui !» Mais l'Europe de Strasbourg ou de Bruxelles, qui en veut ? Et si les ministres européens en avaient le courage, ils proposeraient aujourd'hui des votations populaires pour savoir qui veut encore de l'Europe: il n'y aurait plus personne. Ça, vous le savez. Mais vous êtes tellement pris dans vos lobbys...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Eric Stauffer. ...que vous ne voyez plus la réalité des choses. Le MCG continuera à veiller pour la protection des résidents genevois, envers et contre tout.

Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Baertschi, vous n'avez plus de temps de parole, je suis désolé. La parole est à Mme la députée Marion Sobanek.

Mme Marion Sobanek (S), députée suppléante. Monsieur le président, vous transmettrez à M. Stauffer qu'avec la haine de l'étranger primaire, on gagne malheureusement toujours... (Exclamations. Protestations.) ...des élections ! (Huées. Le président agite la cloche.)

Le président. Madame la députée !

Mme Marion Sobanek. Je trouve que... (Exclamations. Vifs commentaires.)

Le président. Madame la députée, adressez-vous au président, s'il vous plaît.

Mme Marion Sobanek. Je me suis adressée au président !

Le président. Alors regardez-moi, ça ira mieux.

Mme Marion Sobanek. Merci beaucoup. J'aimerais dire que la gauche avait soutenu la libre circulation uniquement avec des mesures d'accompagnement. C'est assez logique. Il n'y a pas de libre circulation sans mesures de contrôle. Nous avons voté ces mesures de contrôle dans le cadre de l'initiative 151 qui est actuellement - je le rappelle - bloquée par certains partis de la droite.

Le président. Il vous faut conclure.

Mme Marion Sobanek. Mon Dieu ! J'ai été interrompue. Je m'excuse, mais ce comportement est inacceptable. Comment voulez-vous prendre la parole ?

Le président. Il vous faut conclure, s'il vous plaît.

Mme Marion Sobanek. Je vais conclure. Il faudrait justement penser aux petites entreprises et, pour cette raison, soutenir cette motion et la renvoyer au Conseil d'Etat. Enfin, si des personnes ont des choses à dire ici, au lieu de gueuler et d'interrompre les autres, qu'elles se montrent un tout petit peu polies, ça irait beaucoup mieux. Merci beaucoup.

Le président. Voilà, c'est terminé, merci. J'aimerais que les vindictes entre bancs cessent, parce que ce n'est pas très agréable. La parole est à M. Bertrand Buchs.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Il y a quand même une certaine hypocrisie dans le débat. Il y a une certaine hypocrisie, parce que quand on lit la presse, quand on lit les déclarations de M. Christoph Blocher, il est clair que les mesures d'accompagnement, c'est terminé. C'est terminé ! On retourne au travail au noir, on retourne au statut de saisonnier, on réexploite les travailleurs ! C'est ça que veut M. Christoph Blocher ! (Exclamations. Brouhaha.) Alors ne venez pas nous dire que vous êtes pour les mesures d'accompagnement, ce n'est pas vrai ! (Commentaires. Le président agite la cloche.)

Le président. Merci, Monsieur le président... (Rires.) ...le député, pardon ! Ça met un peu d'ambiance ! Nous sommes saisis d'un amendement du parti socialiste, qui demande à ajouter une invite, dont voici la teneur: «A réviser les lois et les règlements sur les marchés publics afin d'assurer que la sous-enchère salariale ne soit pas pratiquée sur les chantiers et dans les travaux adjugés par l'Etat.» Je vous soumets cet amendement.

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 88 oui contre 1 non et 1 abstention.

Mise aux voix, la motion 2146 ainsi amendée est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 81 oui et 3 abstentions.

Motion 2146