Séance du
vendredi 24 janvier 2014 à
15h
1re
législature -
1re
année -
4e
session -
20e
séance
PL 11318-A
Premier débat
Le président. Nous attaquons la séance des extraits et passons au PL 11318-A. Madame la rapporteure Béatrice Hirsch, vous avez la parole.
Mme Béatrice Hirsch (PDC), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. J'aimerais juste amener une petite correction, car il y a une erreur qui s'est glissée dans mon rapport, à la page 2. Le vote que j'ai indiqué est en fait le vote d'un amendement. En réalité, l'article 90 avait été adopté à l'unanimité et non pas avec deux voix contre, comme je l'ai mentionné. C'était juste pour clarifier. Merci beaucoup, Monsieur le président.
M. Jean Romain (PLR). Chers collègues, je suis assez consterné quand je vois l'unanimité autour de ce projet de loi. Ainsi, je vais commencer par vous lire quelques lignes du «Dom Juan» de Molière. (Exclamations. Protestations.) Je constate que vous êtes intéressés et, d'après votre réaction, je sens qu'il y a des gens de culture dans cette enceinte ! Ce n'est pas pour me déplaire, vous l'imaginez bien. Je vais juste vous lire un extrait de l'acte III, scène 2, à savoir la rencontre de Dom Juan avec un pauvre qui crève de faim et lui fait l'aumône. Dans le code de bonne conduite des nobles de cette époque, il est nécessaire - on se doit ! - de faire l'aumône à un pauvre. C'est le code de bonne conduite. Il n'y a pas d'AVS, il n'y a pas de rentes autres que celle-là. Je vous lis donc quelques lignes. (Un instant s'écoule. Brouhaha.)
Une voix. Allez, Jean !
M. Jean Romain. Oui, j'attends simplement qu'il y ait un peu de silence. Ça y est:
«DOM JUAN.- Quelle est ton occupation parmi ces arbres ?
LE PAUVRE.- De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose.
DOM JUAN.- Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise ?
LE PAUVRE.- Hélas, Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.
DOM JUAN.- Tu te moques; un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d'être bien dans ses affaires.
LE PAUVRE.- Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à mettre sous les dents.
DOM JUAN.- Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins; ah, ah, je m'en vais te donner un louis d'or tout à l'heure, pourvu que tu veuilles jurer - ce qui veut dire blasphémer.
LE PAUVRE.- Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?
DOM JUAN.- Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un louis d'or ou non, en voici un que je te donne si tu jures; tiens, il faut jurer.
LE PAUVRE.- Monsieur.
SGANARELLE.- Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal.
DOM JUAN.- Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc.
LE PAUVRE.- Non Monsieur, j'aime mieux mourir de faim.»
«J'aime mieux mourir de faim», chers collègues ! Avec «Dom Juan», nous sommes au XVIIe siècle, et une loi punit les blasphémateurs. Tenez-vous bien: on fend la lèvre de celui qui blasphème, puis on la lui perce. Et on peut le punir de prison s'il persiste car, comme vous le savez tous, «perseverare diabolicum» !
Ce projet de loi... (Brouhaha. Commentaires.) ...si le groupe d'extrême gauche veut bien se taire un peu... (Exclamations. Commentaires.)
Le président. Poursuivez, Monsieur le député.
M. Jean Romain. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi soulève le problème du respect lors de nos débats dans cette enceinte. Personne n'est opposé - je le suppose - à ce que le respect des uns implique le respect des autres et que les choses se passent sereinement. On ouvre les fenêtres, on essuie le sol à la suite d'un verre d'eau, tout rentre assez vite dans l'ordre le plus souvent. Mais faut-il pour autant légiférer ? Faut-il que la loi s'empare de quelques cas que nous déplorons ?
Un vide juridique ? Horreur ! Vite une loi, car dans ce vide incompréhensiblement tolérant pourraient s'engouffrer tous ceux qui franchissent les limites. Mais nous avons un président ! Il est là-haut, chers collègues, il veille et nous guette depuis son perchoir, le sourcil levé, l'oeil sourcilleux. Nous avons un Bureau du Grand Conseil, les cautèles sont là pour éviter les débordements. On peut déposer plainte chacun son tour, comme d'aucuns l'ont fait, mais ce projet de loi, chers collègues - et je terminerai par là - est exactement ce qu'il ne faut pas faire. La seule limite est le respect de l'ordre républicain et le respect d'autrui. Nul besoin de loi pour marquer ce périmètre. La réelle menace ? La réelle menace pour notre parlement ne vient pas de quelques marques intempestives d'irrespect, mais de ce genre de lois qui constituerait l'exacte conséquence de ce à quoi aboutirait justement l'irrespect. Je vous invite donc à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. (Applaudissements. Exclamations.)
M. Pascal Spuhler (MCG). Difficile, après un tel passage de M. Jean Romain, de prendre la parole. Mais il l'a effectivement dit et très bien dit: je pense que les initiateurs de ce projet de loi sont un peu - je dirais, Monsieur le président, et vous m'en excuserez d'avance - cul pincé ou grenouille de bénitier, puisqu'ils veulent contrôler tous nos propos, tous nos débordements éventuels par un règlement, par une loi. Evidemment, je trouve cela un peu fort de café et pense qu'il ne faut pas voter ce projet de loi. Mesdames et Messieurs, il s'agit simplement de votre responsabilité personnelle. Si vous voulez tenir des propos osés dans cette enceinte, vous vous ferez punir par le président qui vous infligera un blâme ou vous demandera de vous taire. Mais mettre cela dans une loi ! S'il s'agit de contrôler tous nos propos, nous ne dirons plus rien. Je vous remercie, Monsieur le président. (Quelques applaudissements.)
M. Bernhard Riedweg (UDC). Je serai moins lyrique que M. le député Jean Romain. Ce projet nous concerne tous, Mesdames et Messieurs les députés. En acceptant ce projet de loi, le Grand Conseil démontre sa détermination à lutter efficacement contre les dérapages de langage sexistes, racistes et religieux entre autres, qui sont considérés comme intolérables en plénière comme en commission. Il faut faire une distinction claire entre les propos qui sont acceptables et ceux qui sont inacceptables, inadéquats, dégradants et méprisants des personnes. Il n'est pas inutile de rappeler que nos interventions doivent avant tout être courtoises et polies. Merci, Monsieur le président.
Mme Frédérique Perler (Ve). Après le lyrisme de M. le député Jean Romain, j'ai envie de lui poser la question suivante: mais où était-il lors desdits débordements ? Ces débordements ont eu lieu, pour la plupart, lors de la dernière législature. Effectivement, Monsieur le président, nous regrettons d'être contraints de devoir légiférer sur pareille question. C'est vraiment navrant. On aurait aimé ne pas avoir à le faire. Mais ces mêmes débordements et dérapages étant ce qu'ils sont ou ce qu'ils ont été, nous en avons conclu, pour la majorité des signataires de ce projet de loi, qu'il y avait besoin d'un certain nombre de cautèles - dont celle-ci - dans la loi, afin que les règles de bienséance soient respectées dans cette enceinte. Je vous remercie.
M. Cyril Mizrahi (S). Chers collègues, pour une fois - et ce n'est pas la seule, en fait - je suis assez d'accord avec ce que vient de dire M. Riedweg. Il l'a d'ailleurs si bien dit que je vais résumer mon propos. A qui viendrait aujourd'hui l'idée d'invoquer la liberté d'expression pour prétendre que la norme pénale antiraciste n'est plus d'actualité, chers collègues ? On nous accuse de vouloir légiférer de trop. Mais de quoi s'agit-il en fait ? Il s'agit d'ajouter trois lignes dans la LRGC - la loi portant règlement du Grand Conseil - à l'article 90, lettre c, pour permettre au président de rappeler à l'ordre un député qui emploierait une expression méprisante ou outrageante ou toute insulte, notamment d'ordre raciste, sexiste ou liée à l'identité de genre, l'orientation sexuelle, la religion, l'origine ou la situation de handicap. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la liberté d'expression, c'est également respecter la dignité de chaque membre de ce parlement et des électeurs et électrices qui nous suivent, non plus sur Léman Bleu il est vrai, mais à tout le moins sur Internet. Je vous remercie.
Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, je dois dire que je m'amuse beaucoup. Il semble que ce soit devenu une habitude que de se flageller. Chaque député se lève en parlant des autres députés comme si tous étaient mal élevés sauf celui qui parle. Là, j'ai déjà un petit doute. Je suis toujours un peu étonnée par ce goût de la flagellation. Mais ce soir, je suis très intéressée par l'article 90, lettre c parce que, contrairement à ce que vient de dire M. Mizrahi, il ne s'agit pas seulement d'y introduire trois lignes. Parmi les éléments considérés comme outrageants ou insultants, on retrouve ceux d'ordre raciste. Bon, il y a des lois là contre. Contre les expressions sexistes ou liées à l'identité de genre, l'orientation sexuelle et la religion aussi. Or par la petite porte, on est en train de nous introduire le blasphème ! Mais que vous le vouliez ou non, nous sommes une république, et une république laïque dans laquelle il est permis de dire ce que l'on veut sur toutes les religions ! Si l'on introduisait ceci, ce serait très, très grave. Cela reviendrait à dire que nous sommes en train de mettre en péril des valeurs républicaines qui - me semble-t-il - sont précieuses pour les uns et les autres. S'il est un objet que je ne voterai pas ce soir parce qu'il est dangereux, c'est bien ce projet de loi. Par ailleurs, les notions de valeur et de méprisant, outrageant, etc., c'est toujours un peu flou. Je me repose toujours la question. Qui décide ? Où est le curseur et qui en décide ? Qui se prend pour Dieu ici, dans cette assemblée, pour dire ce qui est bien et ce qui ne l'est pas, ce que nous pouvons dire et ce que nous ne pouvons pas ? Le président est un de nos pairs. Et entre nous, que pouvons-nous ? Je trouve extrêmement dangereux de commencer et recommencer à perpète cette espèce de mécanique qui est de s'autoflageller, de se punir les uns les autres en imaginant que nous infligeons une punition que nous ne méritons pas. Je crois de fait qu'ici, il n'y a que de braves gens qui travaillent pour le bien public. Peu importe que nous soyons d'accord ou pas les uns avec les autres. Il n'existe pas un texte ou une obligation au monde qui m'empêchera de traiter un crétin de crétin !
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Mme Salika Wenger. Et on a des noms !
M. Bertrand Buchs (PDC). Je ne vais pas m'exprimer sur le fond, parce que je n'étais pas dans la commission qui a discuté de ce texte. Mais j'aimerais quand même rappeler à nos chers collègues ici présents le résultat des votes à la fin de cette séance de commission. Ce qui peut nous amener à nous poser la question de l'utilité d'une commission qui se réunit. A quoi sert une commission qui discute d'un texte pour finir avec 14 voix pour et une abstention MCG ? Ensemble à Gauche a voté pour, les quatre voix du PLR ont voté pour, tout le monde a voté pour. Et soudain, tout le monde n'est plus d'accord. A quoi ça sert ? (Commentaires.) On a parlé hier des séances du Grand Conseil. A quoi servent les commissions ? A rien !
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Spuhler, vous êtes déjà intervenu. Nous sommes en séance des extraits. Chaque groupe n'a la parole qu'une seule fois. Je soumets maintenant à l'assemblée l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11318 est rejeté en premier débat par 38 non contre 37 oui et 1 abstention.