Séance du
vendredi 24 janvier 2014 à
15h
1re
législature -
1re
année -
4e
session -
20e
séance
M 2021-A et objet(s) lié(s)
Débat
Le président. Nous passons au rapport de commission sur la proposition de motion 2021 et la pétition 1791. La rapporteure Mme Salima Moyard est remplacée par M. Roger Deneys, à qui je cède la parole.
M. Roger Deneys (S), rapporteur ad interim. Merci, Monsieur le président. Je dirai juste quelques mots. Cette motion a été votée amendée en commission de l'énergie à la quasi-unanimité de tous les groupes, avec deux abstentions. Quant à la pétition, il a été convenu à l'unanimité de la commission de la renvoyer au Conseil d'Etat. En fait, il s'agit de renforcer notamment le dispositif de veille pour éviter que nos amis français - qui, ma foi, sont des fois très friands de nucléaire - ne développent des sites d'entreposage ou d'autres réalisations à proximité de Genève sans même en avertir le canton, nous consulter ou - par souci de bon voisinage - mettre sur la table dans les relations transfrontalières les projets qu'ils souhaitent développer à proximité de Genève. La commission de l'énergie était unanime pour dire qu'il fallait en tout cas renforcer la veille pour qu'on soit avertis en temps et en heure si des projets devaient se développer à proximité de Genève et pour qu'on puisse faire valoir nos arguments, c'est-à-dire faire en sorte qu'ils se réalisent ailleurs ou simplement qu'ils se réalisent dans des conditions qui garantissent la sécurité des Genevoises et des Genevois. C'était vraiment la préoccupation de la commission de l'énergie, à savoir de garantir la sécurité des Genevoises et des Genevois en matière de risque nucléaire. Je tiens encore à ajouter que deux demandes d'audition, notamment du préfet de l'Ain, ont été adressées via les services de l'administration. En une année, nous n'avons pas obtenu de réponse. C'est dire à quel point nous sommes maintenus dans l'ignorance, ce qui contraste aussi fortement avec ce qui se passe à Bâle, où le dispositif de veille en matière de projets nucléaires français est bien plus élaboré. Nous vous invitons donc à soutenir cette motion telle qu'amendée et renvoyer la pétition au Conseil d'Etat.
M. François Baertschi (MCG). Je vous remercie, Monsieur Deneys, car vous venez de me donner raison. Le Grand Genève, ça ne marche pas. La preuve par l'atome. La preuve par le danger nucléaire que nous n'arrivons pas à gérer. Nous devons aller quémander auprès d'un sous-préfet pour avoir quelques explications sur cette question. Je vous remercie beaucoup, Monsieur Deneys, merci !
Une voix. Bravo, François !
M. Eric Leyvraz (UDC). En ce qui concerne le préfet de l'Ain, Monsieur Deneys, peut-être n'est-il lui-même pas au courant, puisque tout vient de Paris. Voilà qui démontre bien que si la France voisine avait un peu plus de pouvoir, on s'arrangerait beaucoup mieux avec elle. Malheureusement, quand les sujets sont importants... S'il s'agit d'une troupe de théâtre qu'on doit échanger entre la France et la Suisse, il n'y a aucun problème, mais quand il s'agit de l'hôpital qui se trouve à 10 kilomètres de notre hôpital cantonal ou quand il s'agit du nucléaire, ça remonte malheureusement jusqu'à Paris, et cette pauvre France voisine n'a plus grand-chose à dire. C'est bien dommage.
M. Pierre Vanek (EAG). Deux mots pour dire que le Grand Genève fonctionne tellement bien que Genève a joué un rôle déterminant dans la fermeture du surgénérateur de Creys-Malville, à 70 kilomètres dans cette direction-là... (Exclamations. Commentaires.) Non, ce n'est pas vous que je mets en cause, je mets en cause l'industrie nucléaire française à travers une collaboration des mouvements antinucléaires suisses et français - genevois et français ! - et toute une série de manifestations organisées à l'époque par l'association ContrAtom, qui se sont tenues à la frontière. Nous, manifestants antinucléaires des deux côtés de la frontière, nous sommes précisément rencontrés du côté d'Annemasse, sur l'autoroute Blanche, pour se friter un tant soit peu - disons de manière non violente - avec les CRS. En effet, les habitants de cette région ont réussi, avec la pleine collaboration des autorités genevoises, à imposer au pouvoir central français la fermeture de ce qui était réellement une menace. Non pas une menace pour les résidents du canton, non pas une menace pour les résidents de ce côté-ci ou de l'autre côté de la frontière, mais une menace qui mettait en cause les vies et l'existence des uns et des autres des deux côtés de la frontière. Et je vous remercie, Monsieur Baertschi, d'avoir amené le débat précisément sur cette question, parce que s'il y a un thème sur lequel il est évident qu'il faut une action transfrontalière démocratique, populaire et citoyenne, c'est bien celui-là !
Maintenant, j'aimerais encore dire une évidence: si le fait qu'on n'ait pas réussi à rencontrer un sous-préfet démontre que le Grand Genève - ou disons l'action transfrontalière - ne fonctionne pas, on devrait dire aussi que la Suisse ne fonctionne pas. La Suisse ne fonctionne pas ! Parce que dans l'autre direction, à 120 kilomètres d'ici, il y a encore une centrale nucléaire, une chaudière à plutonium crapoteuse qui est celle de Mühleberg. Quels que soient les discours qu'on tient et les décisions qu'on prend, cette centrale continue de fonctionner. Au regard de la constitution genevoise, nous devons aussi nous y opposer, et nous y opposer de manière active, comme l'a fait la Ville de Genève en soutenant les opposants qui se sont battus pour la fermeture de cette centrale. L'affaire n'est de loin pas réglée ! Nous avons eu un petit échange, à l'occasion du budget, où je réclamais avec un peu de véhémence peut-être - je m'assagirai avec l'âge - une action plus déterminée du canton en matière d'opposition au nucléaire, évidemment des deux côtés de la frontière, mais du nôtre aussi ! Nous aurons l'occasion d'y revenir et de rouvrir aussi un débat plus fondamental sur la politique de l'énergie à l'occasion du débat autour de la conception générale de l'énergie qui, comme chacun le sait, doit être renouvelée une fois par législature. Quoi qu'il en soit, concernant l'objet qui nous est soumis ici, notre soutien plein et entier est évidemment acquis.
Mme Lisa Mazzone (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, mon préopinant m'a ôté les mots de la bouche. Effectivement, la nécessité de la collaboration transfrontalière est évidente dans le cas de la question du nucléaire puisque, jusqu'à preuve du contraire, le nuage radioactif ne s'arrêtera jamais à la frontière. Dans ce cadre-là, il est donc évident qu'il s'agit aujourd'hui pour nous d'intensifier la collaboration transfrontalière et de faire valoir beaucoup plus fortement notre engagement antinucléaire, afin de protéger les habitants de notre région tout comme ceux du canton de Genève. Je vous remercie.
M. Renaud Gautier (PLR). Monsieur le président, au sujet des centrales - je cite - «crapoteuses»... Monsieur Vanek, promettez-nous de ne pas changer, ce ne sera pas drôle si vous changez. (L'orateur s'exprime très fort en articulant chaque syllabe.) Promettez-nous de ne pas changer, Monsieur Vanek ! Vous nous menaciez tout à l'heure de changer, ce serait dommage ! Je voulais dire ici que les propos tout à fait raisonnables de Roger Deneys - comme quoi la radioactivité peut avoir des effets positifs ! (Rires.) - posent une question somme toute intéressante. En règle générale, lorsque l'on parle du Grand Genève, on parle de la nécessité qu'a Genève de s'agrandir ou d'agrandir son territoire. Dans le cas d'espèce, la question qui est posée est inverse. C'est Genève qui, d'une certaine manière, attend une participation ou des informations d'une qualité un peu supérieure au silence assourdissant du gouvernement français. Je trouve qu'indépendamment des choix antinucléaires parfaitement justifiés de ce parlement et de notre constitution, ce dossier est exemplatif d'un problème inverse de celui que nous débattons ad nauseam dans ce parlement. Pour une fois, c'est Genève qui est demandeur par rapport à la France. Je tenais ici à souligner la nécessité que notre parlement prenne son bâton de pèlerin ainsi que quelques sonotones à distribuer auprès des autorités locales françaises, de sorte que des réponses soient effectivement amenées aux questions justifiées que se posent les Genevois.
M. Roger Deneys (S). J'aimerais tout d'abord dire à mon collègue Eric Leyvraz que si le préfet de l'Ain n'est pas au courant, il faut le débrancher ! C'est la seule solution que je vois. En réalité, un préfet est un représentant de l'Etat central français. Il ne s'agit pas d'un élu régional mais bien d'un représentant du pouvoir parisien. Dans ce sens-là - soit-il nucléaire ! - il devrait justement être au courant. On peut difficilement prétendre qu'un préfet n'a pas les moyens d'informer le canton limitrophe de Genève.
Concernant cette motion, je rappelle maintenant que la source de l'inquiétude était en fait la création d'un centre d'entreposage de déchets radioactifs au Bugey, dont le Conseil d'Etat n'avait même pas connaissance ! En fait, c'est bien la question posée qui a révélé le fait que les Français n'avaient même pas averti Genève et que, contrairement à ce qui se passe à Bâle, il n'y a pas, au niveau de l'administration genevoise, une centralisation de l'information pour savoir ce qui se passe en matière de nucléaire à proximité de Genève. Dans les invites de cette motion, je rappelle juste celles-ci: outre un système de veille cantonale pour être plus attentifs notamment si on doit s'opposer à certaines propositions des Français en matière de nucléaire à proximité, il s'agit de «fournir régulièrement au Grand Conseil et à la population genevoise toutes les informations pertinentes eu égard au respect de cette disposition constitutionnelle» - de l'ancienne constitution, donc - de même que d'«indiquer au Grand Conseil la nature et l'avancement actuel des actions juridiques entreprises par le Conseil d'Etat contre le centre d'entreposage de déchets radioactifs du Bugey» et enfin de «fournir au Grand Conseil un rapport détaillé sur l'avancement actuel du démantèlement en cours de la centrale de Creys-Malville et sur les risques spécifiques auxquels nos concitoyens sont exposés». Je vous rappelle que c'est quand même important d'informer pour éviter tous les fantasmes. C'est vrai que le fait de ne pas savoir suscite parfois des craintes, fondées ou infondées. Mais on a besoin d'être tenus informés régulièrement au sein de ce Grand Conseil. La population a le droit de savoir ce qui se passe à 70 kilomètres d'ici avec le démantèlement d'une centrale nucléaire extrêmement dangereuse comme Creys-Malville. Je rappelle qu'à Fukushima, le rayon de radioactivité autour des centrales dépasse celui de 70 kilomètres qu'on évoque ici. On est donc directement concernés. Ce serait une erreur de penser qu'on est en sécurité parce qu'on a un petit drapeau suisse entre les mains.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je m'exprimerai brièvement pour vous dire que cette motion est la bienvenue. Le Conseil d'Etat est tout à fait disposé à vous répondre quant à cette demande d'informations légitime. Je peux déjà vous dire que plusieurs actions ont été entreprises dans le sens de cette motion. Tout d'abord, nous entretenons des contacts réguliers avec les représentants des cantons au sein de la commission franco-suisse de sureté nucléaire et de radioprotection, notamment via M. André Herrmann. Nous avons entrepris des démarches en vue de mettre en place une notification directe au canton de Genève en cas d'accident à la centrale du Bugey pouvant avoir des conséquences radiologiques. Enfin, nous avons également entrepris des démarches pour avoir un siège d'observateur auprès de la commission locale d'information du Bugey.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce qui est déjà entrepris en l'état. Il y a certainement d'autres choses qui peuvent être faites. Sur le principe que vous évoquez, nous entrons volontiers en matière. Par contre, concernant l'idée qu'il faut nommer une personne pivot, je ne suis pas de ceux qui croient que la nomination d'un fonctionnaire supplémentaire amène immédiatement un gain en termes de prestations publiques supplémentaires. Par conséquent, je prends acte de votre demande de fond. La manière dont l'Etat entend répondre à cette demande sera transversale. En effet, l'énergie est dans mon département. L'essentiel du débat que vous évoquez concerne la sécurité et la protection de la population, qui dépendent du département de la sécurité. Quant à l'environnement, il se trouve dans le département de M. Barthassat. C'est donc un ensemble de coordinations que nous devons mener au sein de l'Etat pour être efficaces et remplir notre rôle constitutionnel, que nous avons à coeur de remplir. Merci donc de nous renvoyer cette motion. Nous y répondrons volontiers.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons tout d'abord voter la motion.
Mise aux voix, la motion 2021 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 75 oui et 3 abstentions.
Le président. Nous allons maintenant nous prononcer sur les conclusions de la commission concernant la pétition, soit le renvoi au Conseil d'Etat.
Mises aux voix, les conclusions de la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève (renvoi de la pétition 1791 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 69 oui et 4 abstentions.