Séance du
jeudi 23 janvier 2014 à
17h
1re
législature -
1re
année -
4e
session -
18e
séance
PL 11174-A
Premier débat
Le président. Nous passons au point 30 de notre ordre du jour, le PL 11174-A. Nous sommes toujours en catégorie II, quarante minutes. La rapporteure de majorité Mme Christiane Favre est remplacée par M. Renaud Gautier. Je lui passe la parole.
M. Renaud Gautier (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, ce rapport est d'une telle qualité... (Rires.) ...et en mémoire d'une députée qui a quand même profondément marqué ce parlement, je ne saurais y ajouter quoi que ce soit. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Bernhard Riedweg, rapporteur de minorité.
M. Bernhard Riedweg (UDC), rapporteur de minorité. Au premier abord, Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est assez banal. En fait, il a été initié suite à l'intrusion d'une personne non identifiée dans la salle du Grand Conseil le 25 avril 2013. Un ou des députés ont pris des photos de cet incident, qui se sont très rapidement retrouvées sur les réseaux sociaux. L'auteur de ce projet de loi insiste sur le fait que dans la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, aucun article n'interdit formellement au public d'accéder à la salle du Grand Conseil ni de prendre des photographies de quelque endroit que ce soit. Afin d'éviter les abus, il convient de combler un vide juridique en instaurant des sanctions. L'article 62B du projet de loi renvoie à l'article 32B de la LRGC, qui traite des sanctions disciplinaires. Les contrevenants à l'interdiction de faire des prises de vue pourront faire l'objet de sanctions. Tant que la salle du Grand Conseil n'est pas sécurisée - je n'ai pas dit rénovée ! - le danger d'intrusion du public dans la salle du Grand Conseil ou dans la tribune du public et de la presse subsiste. Les gendarmes en faction tant dans la salle des Pas-Perdus que dans la tribune du public ne peuvent systématiquement empêcher une ou des personnes mal intentionnées d'accéder à la salle du Grand Conseil dans son ensemble. Remémorons-nous la date du 27 septembre 2001, lorsqu'un forcené lourdement armé a fait irruption dans la salle du parlement du canton de Zoug. Il a eu le temps de tirer 90 coups de feu durant deux minutes trente, tuant 11 députés et 3 conseillers d'Etat, et faisant 15 blessés plus ou moins graves. Je rappelle qu'au parlement de Zoug, il y a 80 députés. Nous sommes 100. Si on regarde la proportion, il y aurait 14 tués parmi nous. Les gendarmes présents au moment de ce massacre n'ont tiré aucun coup de feu. Cet événement qui pourrait arriver en ces lieux donne une tout autre appréciation du projet de loi qui nous est soumis, car le système de contrôle est tout de même précaire. Nous pourrions prendre exemple sur le contrôle des entrées mis en place dans les aéroports, où toutes les personnes et leurs affaires personnelles passent par un système de sécurité efficace et sophistiqué avant l'embarquement. La minorité vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, d'entrer en matière sur ce projet de loi et vous en remercie.
M. François Lefort (Ve). Voilà donc un projet de loi de circonstance. Une citoyenne se précipite dans l'enceinte du Grand Conseil à la pause - remarquez qu'elle a été suffisamment polie pour attendre la pause. Un député de certains bancs prend une photo, qui se retrouve cinq minutes après sur le site internet d'un journal gratuit. Voilà. Il faudrait maintenant en faire un projet de loi. L'auteur de ce projet de loi l'a d'ailleurs proposé au Bureau, qui a évidemment considéré inutile de poursuivre ce genre de projets de lois assez banals, comme l'a remarqué le rapporteur de minorité. L'auteur le présente donc au sein de son groupe, l'UDC. Son projet de loi vise à formaliser dans la loi portant règlement du Grand Conseil des usages qui relèvent, pour les députés uniquement, du savoir-vivre et des coutumes, ou des deux. Et en général - vous l'avez remarqué - personne ne se précipite dans l'enceinte du Grand Conseil, à part les collaborateurs du Grand Conseil, les députés et les conseillers d'Etat, et personne ne prend de photos à tout bout de champ dans l'enceinte du Grand Conseil sans autorisation du président, sauf certains malotrus. Ce projet de loi est donc tout à fait inutile, et les Verts n'entreront bien sûr pas en matière. L'observance des règles usuelles de savoir-vivre nous semble largement suffisante. Les règles de ce savoir-vivre entre députés devraient suffire à nous éviter d'alourdir la LRGC avec ces deux articles qui ne sont pas innocents, puisqu'ils appellent de toute façon à appliquer des sanctions. Ensuite, il faudra encore discuter des sanctions, car celles qui existent actuellement dans la LRGC ne sont peut-être pas suffisantes ! Il faudra peut-être en inventer de nouvelles qui s'appliqueront aux ruptures des règles que seraient une présence incongrue dans l'enceinte du Grand Conseil ou la prise de photos. Bien sûr, nous ne serons jamais d'accord. On va donc arrêter les frais de ces débats. Maintenant, il est urgent d'attendre réellement et rationnellement les travaux de réorganisation de la sécurité du Grand Conseil, qui sont prévus avec les travaux de réfection de cette salle, pour envisager un concept de sécurité. Ce n'est pas ce genre de projets de lois qui fera avancer les choses. Nous vous proposons donc de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Merci.
M. Stéphane Florey (UDC). Charité bien ordonnée commence par soi-même. C'était en fait le but de ce projet de loi, par rapport à ce que la LRGC préconise pour la tribune. Un individu qui vient à la tribune doit s'asseoir, ne peut pas faire de photos et a l'interdiction d'applaudir. Bref, il regarde et se tait, point à la ligne. Alors pourquoi un député pourrait-il... Par exemple, si je vous filme avec mon téléphone, Monsieur le président - souriez, vous êtes filmé ! - qu'est-ce qui vous autorise à me dire que je n'en ai pas le droit ? Rien du tout. Voilà déjà un premier point. Mais qu'est-ce qui autorise un député à se croire au-dessus de tous, des personnes de la tribune, de ceux qui nous ont élus ? Rien du tout. C'est complètement illogique ! C'est se croire mieux que tout le monde et se placer au-dessus des lois. Non, la logique voudrait qu'on applique déjà un minimum nous-mêmes les règles, avant de les imposer aux personnes qui nous ont élus. C'est uniquement ce que voulait le projet de loi.
Il faut quand même remettre un peu le contexte en place s'agissant de l'événement cité par M. Lefort. Ce n'est pas véritablement pendant la pause, mais juste au moment où le président a prononcé les mots «Je lève la séance» que cette personne s'est infiltrée dans la salle, fort heureusement sans aucune conséquence. Mais là encore, on ne peut rien faire. Alors bien sûr, Monsieur le président, vous pourrez toujours dire: «Vous n'avez pas le droit d'entrer.» Mais qu'est-ce qui l'interdit formellement ? Rien du tout. Si une personne de ma connaissance venait maintenant à pénétrer dans cette salle pour m'amener un document ou me déposer un message, qu'est-ce qui vous interdirait formellement de dire qu'elle n'en a pas le droit ? Rien du tout ! C'est bien là qu'est tout le problème. D'où l'idée de ce projet de loi, qui préconise quand même un minimum, à savoir que personne n'est au-dessus des lois et que la salle du Grand Conseil est réservée aux personnes citées à l'article 62A. Et s'il y a des petits malins - parce qu'on le voit à longueur de sessions et que l'exemple cité de nouveau par M. Lefort n'est non seulement pas le premier, mais ne sera malheureusement pas le dernier... Continuellement, il y a des petits malins qui prendront des photos. Tout ce que j'espère, concernant la photo qui a atterri dans le «20 minutes», c'est que ce n'était pas dans le but malheureux de recevoir les fameux 50 F promis par le journal. Vous le savez tous, quand vous envoyez une photo au «20 minutes» et que vous êtes publié, vous touchez 50 F ! J'espère que l'indélicat qui a fait ça ne l'a en tout cas pas fait dans ce but, ce que je trouverais d'autant plus regrettable...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Stéphane Florey. ...C'est pour cela que je vous invite malgré tout - même s'il y a très peu d'espoir - à accepter ce projet de loi qui ne représente pas grand-chose. Il s'agit juste de dire que tout le monde est sur un pied d'égalité. Je vous remercie.
M. Patrick Saudan (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, doit-on légiférer sur tout ? Tout à l'heure, ma collègue Mme Salika Wenger se plaignait de l'embouteillage de notre ordre du jour. Ma foi, ce projet de loi est passablement illustratif d'une des causes de cet embouteillage, à savoir que nous autres députés avons le droit de déposer des projets de lois, et on en fait parfois sur tout et n'importe quoi. D'abord, j'aimerais quand même saluer l'honnêteté intellectuelle du rapporteur de minorité M. Riedweg qui reconnaît, dans son rapport, que la commission a eu raison de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi, vu sa banalité. C'est vrai que si chaque fois qu'un incident survient dans cette salle, nous devons répondre par un projet de loi, je peux vous assurer que la commission des droits politiques va finir par siéger plus longtemps que la commission des finances. (Exclamations.)
Une voix. Ah non !
Une autre voix. Ce n'est pas vrai !
M. Patrick Saudan. Ça va être le résultat. Deuxièmement, il y a quand même une confusion. Lors de son audition, le premier signataire de ce projet de loi nous a dit que ce n'était pas tant la photo qui était importante au final, mais plutôt les commentaires assez désobligeants sur les réseaux sociaux. Alors, qu'est-ce qu'on veut ? Est-ce qu'on veut que le Bureau du Grand Conseil se transforme en police des moeurs, en arbitre de l'élégance et de la distinction des propos tenus sur les réseaux sociaux ? Ensuite, il y a également eu cet amalgame avec la tuerie de Zoug. Vous transmettrez ceci au rapporteur de minorité, Monsieur le président: c'est un amalgame un peu gros que d'imaginer que ce projet de loi puisse nous servir de gilet pare-balles ou empêcher quelqu'un d'entrer dans cette salle pour nous assassiner. Vous comprendrez bien que le PLR ne peut pas entrer en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
Une voix. Bravo !
M. Jean-Luc Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le groupe PDC, comme la plupart des intervenants ce soir, considère que ce projet de loi modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève est basé sur un fait divers aussi banal qu'anodin et rare. Ainsi que l'a relevé la majorité des commissaires en commission - selon le procès-verbal qui nous a été remis - je pense que le Grand Conseil a d'autres priorités en matière de sécurité que de s'occuper de la sécurisation de sa salle. Cela serait particulièrement mal vu par la population. Je constate aussi que la densité policière aux abords de cette salle est souvent plus importante que celle présente le soir dans certains quartiers de Genève. La rénovation de la salle du Grand Conseil, si elle a lieu un jour, devrait permettre de régler ce problème, et je crois qu'il est urgent d'attendre. On a fait un amalgame - mon collègue Patrick Saudan en a parlé tout à l'heure - avec le drame zougois. Il est clair qu'il s'agit d'un événement tragique mais - encore une fois - rare. Cela montre que le risque zéro n'existe pas, quelle que soit la sécurisation des salles, puisque trois agents étaient présents mais n'ont pas pu intervenir. Fort de ces arguments, le groupe PDC n'entrera donc pas en matière sur ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est effectivement un peu superflu. Suite à un petit événement bénin qui s'est produit dans cette salle, on veut interdire aux députés d'utiliser de temps en temps leur appareil téléphonique pour faire une petite photo souvenir ou autres. J'aurais d'ailleurs peut-être pu ajouter ceci, puisqu'on a beaucoup fait la comparaison avec Zoug: instaurer un détecteur de métaux, la fouille au corps du public qui va à la tribune - ça, c'est normal - et des journalistes par la même occasion, le passage de nos mallettes ou sacs respectifs aux rayons X, des fois qu'on amènerait une bombe dans cette salle. C'est vrai qu'il faut avoir une certaine prudence - on a des gendarmes qui sont là pour assurer notre sécurité - mais je vous en prie, un peu de calme ! Il s'agit d'une malencontreuse photo d'un petit événement qui s'est effectivement déroulé à l'heure de la pause, mais cette dame n'était pas méchante du tout, elle appelait juste au secours. Non, nous ne suivrons évidemment pas ce projet de loi et vous invitons à le refuser. Merci.
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Concernant la photo, je regrette qu'elle ait été prise de dos et non pas de face, ce qui aurait été plus joli. Mis à part ça, je vais revenir sur le projet de loi. En lisant correctement l'article 62A, on relève que seuls sont autorisés à pénétrer dans la salle du Grand Conseil les députés, les conseillers d'Etat, les collaborateurs, les huissiers et les représentants des forces de l'ordre. Il aurait peut-être fallu préciser: lors des séances. Parce que je vois mal les nettoyeurs ou les laveurs de vitres ne pas pouvoir entrer dans cette salle. C'est aussi pour ça que le MCG n'entrera pas en matière sur ce projet de loi.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Monsieur Voumard, si vous aviez dans l'idée de faire un gag, il était déplacé. Je trouve vraiment difficile ce que je viens d'entendre, d'autant que tout ce projet de loi est basé sur le fait que nous avons assisté à un épisode lié à une personne visiblement en souffrance. Or l'événement a été bien géré par le Bureau, les huissiers et les personnes présentes. Le parti socialiste en restera là et votera non à ce projet de loi. Merci.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le rapporteur de minorité Bernhard Riedweg, à qui il reste une minute et demie.
M. Bernhard Riedweg (UDC), rapporteur de minorité. Si un massacre devait avoir lieu dans ce parlement lors des prochaines séances plénières, je souhaiterais, Monsieur le président, que vous preniez note que l'audience a été avertie. Merci, Monsieur le président.
M. Renaud Gautier (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, puisque c'est le début de l'année, permettez que je tente un exercice un peu compliqué, à savoir celui d'élever légèrement le débat. Indépendamment ou autour de ce fait parfaitement inintéressant et mineur se pose quand même la question - du moins je me pose moi-même la question - de savoir d'où vient ce besoin quasi obsessionnel de toujours tout vouloir réguler. Si la règle, d'une manière générale, qu'elle soit loi ou autre, permettait de régler l'ensemble des problèmes de ce monde... (Une sonnerie de téléphone retentit.) Il y a un téléphone qui sonne, je ne sais pas où. Téléphone ! C'est par là. C'est le tien ? Mais jette-le ! (Exclamations. Brouhaha.) Plus loin !
Le président. C'est déjà la troisième fois, ce soir. Ça devient un peu désagréable. (Brouhaha.) Allez-y, Monsieur le rapporteur.
M. Renaud Gautier. Si, donc, le règlement ou la loi permettait de résoudre tous les problèmes, comme par exemple celui des téléphones dans la salle - mais je me fais fort d'imaginer que d'ici le prochain dépôt de loi, une loi apparaîtra sur la suppression des téléphones portables dans cette salle... A mon sens, si cela était utile à quelque chose, ça se saurait. Néanmoins, on remarque ici comme ailleurs - tout comme lors des votations - cette espèce d'absolu besoin de s'abriter derrière une règle en imaginant que celle-ci va résoudre le problème. Le malheureux incident auquel nous avons assisté - ou du moins ceux qui étaient dans la salle - il y a de cela un certain temps démontre, comme l'a dit une préopinante tout à l'heure, tout au plus le désespoir ou la désespérance dans lesquels se trouvait une personne confrontée à un problème. Imaginons-nous un seul instant que ce projet de loi va résoudre ces questions ? La réponse est non.
Enfin, je remarque qu'il a été fait plusieurs fois référence au problème des photos que prenaient les députés. Je vous rassure, Monsieur l'auteur du projet de loi, ça fait une dizaine d'années que ça dure. Peut-être faudrait-il que le Bureau se penche sur la notion de gain accessoire que les députés pourraient obtenir en publiant des photos dans un journal de qualité comme l'est le «20 minutes», puisqu'on peut apparemment gagner 50 F ! De même, ceux qui tout à l'heure proposaient les fouilles au corps devraient probablement aussi tomber sur la notion de gain accessoire - en tout cas pour les éléments mâles de cette salle - s'ils étaient amenés à devoir effectuer de tels actes. Mesdames et Messieurs, si ce parlement entend perdre du temps sur des projets qui ne résoudront strictement rien et en tout cas pas celui de la sécurité, c'est effectivement son droit le plus absolu. Mais que ce parlement n'oublie pas de se poser la question du sens de ce besoin - que nous avons tous et tout le temps - de davantage de règles, au prétexte que celles-ci rendront notre monde plus agréable. Mesdames et Messieurs, la rapportrice de majorité - femme de qualité s'il en est - vous l'a dit: renvoyez ce projet-là d'où il n'aurait jamais dû sortir.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous passons à la procédure de vote. Je mets aux voix l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11174 est rejeté en premier débat par 81 non contre 6 oui et 2 abstentions.