Séance du mardi 10 décembre 2013 à 17h
1re législature - 1re année - 2e session - 10e séance

Discours du président du Grand Conseil

Le président. Monsieur le président du Conseil d'Etat,

Madame et Messieurs les conseillers d'Etat,

Monsieur le procureur général,

Monsieur le directeur général par intérim de l'office des Nations Unies à Genève,

Mesdames et Messieurs les directeurs et secrétaires généraux des organisations internationales,

Excellences,

Mesdames et Messieurs les membres des Conseils d'Etat des cantons de Fribourg, de Vaud et du Valais,

Messieurs les représentants des autorités de la France voisine,

Mesdames et Messieurs les députés genevois aux Chambres fédérales,

Madame et Monsieur les juges fédéraux,

Mesdames et Messieurs les membres du bureau du Grand Conseil,

Mesdames et Messieurs les présidents de juridiction,

Mesdames et Messieurs les consuls généraux,

Mesdames et Messieurs les députés,

Madame la chancelière d'Etat,

Madame le sautier,

Madame la maire de la Ville de Genève,

Madame et Messieurs les anciens magistrats,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires,

Madame et Messieurs les magistrats de la Cour des comptes,

Mesdames et Messieurs les anciens présidents du Grand Conseil,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités communales,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités militaires, universitaires et ecclésiastiques,

Mesdames et Messieurs,

En préambule, je voudrais remercier les magistrats sortants, Mmes Isabel Rochat et Michèle Künzler ainsi que MM. Charles Beer, David Hiler et Pierre François Unger, pour leur engagement, leur dévouement sans relâche en faveur du bien public.

Depuis 1827, cet édifice entend les serments des conseillers et conseillères d'Etat. Bien que notre nouvelle constitution ne désigne plus ce lieu historique pour cette cérémonie, il est apparu important à notre Conseil de privilégier la continuité de cette tradition. Nous remercions l'Eglise protestante, le conseil de paroisse de Saint-Pierre Fusterie et la Fondation des Clefs de Saint-Pierre pour leur collaboration à cet événement de notre vie civique.

Cette cérémonie, placée sous le thème de l'ouverture, sera agrémentée par des prestations musicales d'horizons divers. Notre gratitude va au groupe de chanteuses cubaines Orisha Oko, à Madame Lingling Yu, virtuose de luth chinois, et au groupe sénégalais de Sankoum Cissokho, joueurs de Kora. Ces artistes sont honorés de jouer pour nous ce soir, et veulent marquer, par leur présence, leur gratitude à Genève, qui les a accueillis.

Bien entendu, nous ne saurions oublier M. François Delor, qui embellit fidèlement la cérémonie des harmonies des grandes orgues de la cathédrale.

En ce jour, j'aimerais vous adresser un message d'espoir.

Genève a toujours su s'ouvrir aux idées novatrices, marcher avec son temps, regarder autour d'elle et être actrice de son destin. Son histoire et son héritage sont marqués par de nombreuses luttes, tant politiques pour acquérir son indépendance, que religieuses quant à l'expression de la foi chrétienne. Ainsi nous a été légué un précieux climat de liberté et de responsabilités.

Genève est un carrefour de cultures, autant par les migrations que par la présence des représentations diplomatiques et des organisations internationales. Etre ville de paix est sa vocation universelle, et cela s'impose comme une évidence. Elle abrite les organisations qui oeuvrent en matière de formation et d'éducation, de commerce, d'environnement et de développement durable, de maintien de la paix et de la sécurité, de météorologie, de propriété intellectuelle, de santé, de télécommunication et de travail.

Elle est le berceau des droits humains, abritant en son sein le Haut Commissariat sis à la Maison de la Paix, plateforme importante des efforts des Nations Unies à travers le monde. Le siège européen de l'ONU ne se situe-t-il pas à l'avenue de la Paix ? Comment ne pas y voir un symbole parlant ?

Notre canton profite depuis de nombreuses générations de sa situation, de son expérience, de son intérêt pour l'environnement politico-économique de notre planète, permettant le partage, la régulation, l'interpellation, la dénonciation, le témoignage, sans oublier naturellement ses bons offices pour être au service des nations et des peuples. Une illustration en est l'oeuvre d'Henri Dunant, premier récipiendaire du prix Nobel de la paix en 1901 pour le fondement de l'action humanitaire du CICR, dont l'acte initial fut signé le 22 août 1864 dans la salle de l'Alabama, au sein même de notre Hôtel de Ville, au coeur du pouvoir politique. Cet autre symbole ne trompe pas !

Depuis peu, notre ville s'enorgueillit d'un nouveau pôle de neuroscience: le projet piloté par l'EPFL du «Human Brain Project», partenariat européen et mondial entre universités, hôpitaux et instituts, avec l'appui de nombreuses entreprises internationales. Il pousse aussi à la collaboration entre cantons. Ce projet de «la métropole lémanique» permettra de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau.

La région «franco-genevoise» est également la vitrine des prouesses du CERN, à cheval sur la frontière. La découverte du boson de Higgs et l'attribution du prix Nobel de physique à ses chercheurs nous honorent. Cet événement contribue à la compréhension des actions des particules les plus élémentaires, et ouvre des horizons à la connaissance de l'univers. Par ces deux pôles de recherche au coeur des sciences, voici que la Genève, même microscopique, renforce son rayonnement dans le monde.

J'ose cependant croire que l'on peut, sans arrogance, prétendre rester, pour celles et ceux qui y vivent, une petite cité à visage humain, ce que Genève a toujours été: un lieu de rassemblement, une patrie de femmes et d'hommes libres, un berceau du savoir, du savoir-faire et du savoir-être.

En ce jour, je garde donc espoir.

Je garde espoir car la nouvelle constitution, acceptée par une majorité modérée de votants, est entrée en vigueur le 1er juin dernier. Elle s'est nourrie des forces de notre passé et mise désormais sur nos capacités à envisager notre avenir. Acceptée par certains ou rejetée par d'autres, elle est malgré tout devenue le ciment qui lie les citoyens et citoyennes de notre république. Elle nous rappelle, dans ses cinq préambules, que le peuple de Genève est reconnaissant de son héritage, convaincu des possibilités inventives et créatives de ses membres, résolu à renouveler son contrat social, attaché à son ouverture au monde et déterminé à renforcer la république par les richesses humaines conjuguées de ses majorités et de ses minorités.

Selon l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 : «toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.»

En six mois, Genève aura renouvelé ses trois pouvoirs : le premier, le législatif, le second, l'exécutif, et le troisième, le judiciaire. Aujourd'hui, les regards se tournent vers nous, ici rassemblés en séance extraordinaire. Notre république, dotée d'un nouveau parlement, a élu un nouveau Conseil d'Etat. Il va prêter serment dans quelques instants. Le troisième pouvoir suivra, au printemps prochain, avec l'élection de ses membres suite à un vote populaire.

Pourtant, la légitimité de notre présence ici n'est pas sans soulever des questions. Que penser des seuls quarante et quelques pourcents de votants qui s'acquittent de leurs droits et devoirs civiques ? A contrario, que dire des soixante autres pourcents, non votants ? Boudent-t-ils nos institutions ou sont-ils trop satisfaits ? Serait-ce dire que, depuis largement plus d'une décennie, Genève a mal à ses responsables politiques ?

Ce repli, ce désintérêt, ne tiennent-ils pas en partie à nos individualismes, à nos égoïsmes collectifs et personnels, à nos modes de vies ? Le désintérêt du bien commun existe. Il est le reflet d'une époque ambiguë, d'une période où parfois les communautés s'ignorent alors même qu'elles se sentent bien ici, s'excluant de la construction nécessaire, voire inéluctable, d'une région dont nous avons tous besoin, croyant que désigner des boucs émissaires sans rien proposer est suffisant à résoudre les questions.

Pourtant, j'ose croire !

Fidèle malgré tout à nos traditions, aux principes fondamentaux de notre nouvelle constitution, le rassemblement de ce jour, tout comme les délibérations en leur temps, ont à forger les liens de notre vie citoyenne et renforcer notre respect des institutions. Cette vie commune nous pousse immanquablement à nous accepter les uns et les autres et à trouver, ensemble, les moyens de bâtir le Grand Genève, la métropole lémanique ouverte sur l'Europe et plus largement sur le monde. Sans quoi nous nous appauvrirons tout aussi immanquablement.

Alors en ce jour, je garde espoir.

La cathédrale Saint-Pierre est un lieu de culte. Elle est aussi un lieu laïc de rassemblement, proche du parlement. Elle s'est prêtée aux discours et aux échanges du Conseil Général et aux grandes heures de notre vie politique. Comme pour les anciennes prestations de serment du Conseil d'Etat, elle contribue aujourd'hui à nous faire vivre un moment d'exception.

Au coeur du pays genevois, la cathédrale trône sur ses hauteurs, accessible aux regards d'où que vous veniez. Elle est le visage de notre ville-canton ou de notre canton-ville, un lieu de convergence, le reflet d'une contrée ouverte au monde et aux préoccupations des temps actuels. Mais bien entendu aussi aux préoccupations des temps futurs, car nos modes de vie nous poussent toujours plus vers des enjeux colossaux en matière d'équilibres sociaux, de gestion environnementale, de défis économiques mondialisés. L'avenir des générations futures en dépend, et nous avons donc une responsabilité à l'égard de l'héritage que nous leur laissons.

Mesdames et Messieurs,

aujourd'hui, j'ose espérer !

J'ose espérer qu'après la déstabilisation vécue par nos institutions fragilisées dans leur fonctionnement, la compréhension des rôles et des fonctions des deux premiers pouvoirs, nous pourrons donner, redonner, une image respectable et respectée par nos actes et engagements. Nous avons à apporter notre sagesse; nous avons à donner et redonner la confiance nécessaire au développement du bien commun de notre république et de notre région franco-valdo-genevoise.

Pour ce faire, il est nécessaire, indispensable, que l'union des forces, nouvelles et anciennes, la convergence des idées, la compréhension et le respect des objectifs communément établis prédominent.

En ce jour de prestation de serment et d'engagement du Conseil d'Etat pour la législature, il nous revient implicitement, à vous et moi, Mesdames et Messieurs les députés, et vous, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, de sceller à nouveau un pacte républicain entre le législatif et l'exécutif pour défendre et renforcer l'Etat de droit et le service au public, en assurant notre «contrat social» et le respect des droits fondamentaux de notre constitution. C'est là que réside la force d'un Etat égal pour toutes et tous, chargé de redistribuer justement ses biens matériels et immatériels, de s'ouvrir aux autres.

Pour ce faire, nul doute que le nouvel engagement du Conseil d'Etat - que nous allons découvrir - fera état des enjeux de notre canton et de la définition des repères nécessaires à guider l'action publique pour les cinq années à venir. La redéfinition de l'organisation de l'Etat, les nouveaux paradigmes définis par la constitution, les nouvelles répartitions des forces législatives et exécutives et le cadre fixé par le Grand Conseil devront inspirer vos élans de créativité, en matière notamment d'aménagement du territoire, de mobilité, de logement, d'énergie, de sécurité et d'emploi, thèmes principaux de préoccupation des citoyennes et citoyens de notre canton.

Aujourd'hui, marqué par l'image de Nelson Mandela, personnalité d'exception, homme de paix qui a lutté contre la haine et pour l'unité, je veux être positif et ne peux terminer ce message qu'en restant, tout comme lui l'a été, optimiste. C'est pourquoi je me permets de transformer le «je» en un «nous» et d'affirmer, pour nos deux premiers pouvoirs: osons croire, osons espérer, restons confiants, mais aussi soyons lucides et construisons l'avenir. Et pourquoi pas: osons être utopistes.

Que vivent Genève et la Suisse, pour toutes et tous. (Applaudissements.)

(Mme Lingling Yu, luthiste d'origine chinoise, interprète Clair de lune et Rivière au printemps.)