Séance du jeudi 3 décembre 2015 à 17h
1re législature - 2e année - 11e session - 68e séance

M 2285
Proposition de motion de MM. Florian Gander, Christian Flury, Pascal Spuhler, Jean Sanchez : Des silhouettes pour la vie
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 17, 18, 24 septembre et 2 octobre 2015.

Débat

Le président. Je passe la parole à M. Florian Gander.

M. Florian Gander (MCG). Merci, Monsieur le président. Cette motion n'est pas inutile, contrairement à ce que mes préopinants ont dit. En effet, Genève détient le malheureux record du nombre de décès sur la route. Principalement, ce sont les deux-roues qui sont concernés. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Pas seulement les deux-roues motorisés, pour mes collègues Verts, mais les deux-roues en général ! On va parler tout à l'heure de la mobilité, Genève est un canton extrêmement «accidentogène» et, malheureusement, ce sont les deux-roues qui en font souvent tristement les frais. Beaucoup de décès, un accident tous les deux ou trois jours, et, malheureusement, on voit régulièrement sur le bord de nos routes gerbes et bouquets de fleurs déposés par les familles qui ont perdu un être cher.

Aujourd'hui, avec cette motion, j'aimerais vous proposer ce qui se fait dans d'autres cantons et dans l'Hexagone, juste à côté de chez nous, avec l'installation de silhouettes, mais pas des silhouettes noires avec une croix blanche: je voudrais proposer des silhouettes pour la vie ! (Brouhaha.)

Le président. Mesdames et Messieurs, un petit peu de silence, s'il vous plaît !

M. Florian Gander. Pour la simple et bonne raison que ces silhouettes attirent l'attention des conducteurs de voiture principalement et rappellent peut-être - en tout cas, je l'espère - les dangers qu'il y a à circuler à Genève ! On sait que c'est le chaos pour rouler à Genève, mais peut-être faut-il prêter un peu plus d'attention aux autres, et j'espère qu'au moins une de ces silhouettes pourrait être acceptée et sauver une vie, ne serait-ce qu'une vie. Ce serait une victoire !

Maintenant, j'aimerais aussi ajouter qu'installer ces silhouettes, ce n'est pas simplement poser des silhouettes au bord de la route. Il faut les accompagner - les accompagner d'une campagne de sensibilisation à l'égard de tous les conducteurs, principalement les automobilistes qui, dans les journées de bouchon et d'énervement, ne font parfois pas assez attention, jouent malheureusement avec leurs «iPhone» ou autres téléphones portables et finissent par heurter un deux-roues.

J'aimerais que cette motion soit renvoyée directement au Conseil d'Etat et je souhaite que vous la souteniez avec l'importance qu'elle mérite.

M. Charles Selleger (PLR), député suppléant. Comme vous le savez tous dans cet hémicycle, le PLR est un parti préoccupé par la sécurité en général et la sécurité routière en particulier, bien entendu. Moi-même étant utilisateur d'un deux-roues motorisé, je suis particulièrement sensible également à toute mesure sécuritaire qui pourrait être prise, que ce soit pour les deux-roues motorisés ou les deux-roues non motorisés.

Toutefois, parmi les mesures qu'il conviendrait de prendre, il faut prendre celles dont l'efficacité a été démontrée. Or, ce n'est pas le cas pour ces silhouettes noires. De plus, ces silhouettes noires ont un aspect sinistre, tout le monde en conviendra. Je vous invite à regarder sur internet: vous tapez «silhouettes noires» dans un moteur de recherche et vous verrez que ces sinistres panneaux ne sont pas des plus élégants.

Moi, je propose que nous n'entrions pas en matière sur cette motion et que nous ne la renvoyions ni dans une commission ni au Conseil d'Etat.

M. Romain de Sainte Marie (S). Le sujet soulevé ici par le groupe MCG est pertinent. Il est pertinent, oui, puisqu'il répond en effet à l'insécurité et aux dangers de la route. Il ne faut pas l'oublier, on parle de sécurité routière et la sécurité routière implique aussi la sécurité de la mobilité douce, à savoir celle des cyclistes et des piétons. A Genève, les piétons sont encore grandement victimes d'accidents dus à des accidents motorisés. J'en profite également pour rappeler qu'aujourd'hui l'un des meilleurs moyens pour lutter contre les accidents de la route, c'est d'avoir une limitation de vitesse adéquate. En ce sens, on peut regretter aujourd'hui le lancement par certaines personnalités de l'UDC de cette initiative fédérale pour relever de 120 à 140km/h la limite de vitesse maximale sur les autoroutes ! Là, on a l'exemple-type de l'irresponsabilité en matière de sécurité routière !

Il en va de même pour les limitations de vitesse en ville, dans l'hypercentre et dans la périphérie, dans toutes les zones avec des aménagements où voitures, cyclistes et piétons cohabitent quotidiennement. Je terminerai en disant que, pour ces types de zones où l'on rencontre malheureusement un grand nombre d'accidents, il est certain que la meilleure solution reste la piétonisation et l'utilisation des transports publics qui est quand même la meilleure garantie en matière de sécurité pour ces différents usagers que sont - je le répète à chaque fois car il faut le dire - les piétons, cyclistes, conducteurs de scooters ou de motos et automobilistes.

Par conséquent, le parti socialiste est intéressé par cette proposition et vous propose de renvoyer cet objet à la commission des transports pour étudier l'éventuelle utilisation de ces silhouettes noires et comment on pourrait sensibiliser par ce moyen-là ces divers publics à la sécurité routière.

Nous vous invitons donc à voter le renvoi de cette motion à la commission des transports.

Mme Sarah Klopmann (Ve). Nous comprenons et partageons cette volonté de faire de la prévention routière et de protéger les personnes qui circulent avec des deux-roues. Néanmoins, la mesure proposée nous paraît totalement inadéquate. Je lis dans l'exposé des motifs que la pose de ces ombres permettrait d'attirer l'attention des automobilistes. Il me semble que c'est justement la chose à éviter: détourner l'attention des automobilistes sur autre chose que sur les personnes qui sont sur la chaussée. En plus, on sèmerait la confusion dans l'esprit des gens entre les silhouettes qui bougent et qu'il ne faut pas «shooter» et les silhouettes qui ne sont finalement que des panneaux de bois posés en bordure de routes et qui, elles, ne bougeront jamais.

Evidemment, nous sommes d'accord de discuter des mesures à prendre pour la prévention. Permettre une bonne circulation des cyclistes serait déjà la principale mesure pour éviter que ces mêmes cyclistes aient des accidents.

Nous sommes donc d'accord de renvoyer cette motion à la commission des transports pour étudier les mesures à prendre, mais pas celle-là. Nous ne souhaitons pas renvoyer directement cette motion au Conseil d'Etat, car cette mesure nous semble une très mauvaise idée in fine même si elle vient d'une bonne intention.

M. Rémy Pagani (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, on a un petit problème avec ces panneaux. D'ailleurs, celles et ceux qui traversent de temps en temps la France, notamment entre Dijon et le centre de la France ont eu l'occasion de voir ces panneaux noirs, ces profils noirs - avec des bouquets de fleurs à leur pied, bien souvent. Cela correspondait à l'emplacement d'un accident réel grave ou mortel survenu là. Il y avait même plusieurs profils au même endroit pour rendre les automobilistes attentifs, dans le cadre de la campagne menée en France. Parce que des mesures coercitives ont aussi été prises comme le permis à points et les radars, cela a permis à la France de diminuer le nombre de morts par année de 10 000 à 5 000. En Suisse, les mêmes mesures ont été prises, notamment en ce qui concerne les radars. Je vous rappelle que les radars sur l'autoroute Genève-Lausanne contraignent certains à ne pas faire du 200 ou du 250 km/h le dimanche matin, sous peine de voir leur permis sauter. Ces mesures coercitives ont eu de l'effet puisqu'on est passé de 1 000 à 500 morts par an en Suisse. Vous me direz que c'est encore trop ! Toujours est-il qu'on a réduit de manière draconienne le nombre des accidents. Dans le cadre des études faites suite à ces mesures prises en France, il a été constaté que ces profils au bord de la route - tout en stigmatisant ou en commémorant, je ne sais pas comment exprimer autrement cette manière de faire - ne servaient strictement à rien par rapport aux jeunes qui perdaient la vie sur ces voies express.

Donc, notre groupe soutiendra bien évidemment le renvoi en commission, parce qu'il est nécessaire de se faire apporter ces études et de convaincre les bancs d'en face que cette mesure est inappropriée et qu'elle est encore moins appropriée pour des artères communales ou pour des artères cantonales. D'autres mesures, plus appropriées, ont montré leur efficacité, cela a d'ailleurs été exprimé, et je ne veux pas revenir sur les considérations des uns et des autres à ce sujet, mais il s'agit de mesures beaucoup plus draconiennes et qui visent non seulement à éviter des morts et des accidents graves mais aussi les frais induits pour nos collectivités en ce qui concerne les assurances-maladie.

Je vous remercie de votre patience, Monsieur le président. Pour une fois, je suis assez court !

M. Stéphane Florey (UDC). En Suisse, nous avons le BPA - le Bureau de prévention des accidents - qui fait déjà ce travail avec de nombreuses campagnes qu'on peut voir à longueur d'année le long de nos routes. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Il y a la campagne «Slow Down», il y a les campagnes à chaque rentrée scolaire qui demandent aux usagers d'être particulièrement attentifs à l'approche des écoles, et on voit que ce sont des campagnes qui fonctionnent, malgré tout; ce sont des campagnes qui sont reconnues. En cela, le BPA fait très bien son travail.

Alors, pourquoi vouloir absolument en rajouter ? Pourquoi vouloir déléguer ce genre de campagnes préventives au Conseil d'Etat ? Ce sont des campagnes qui, malheureusement, coûtent cher, et en avons-nous vraiment les moyens ?

En cela, le groupe UDC refusera cette motion. Peut-être, cette motion aurait-elle été plus adaptée pour les skieurs, puisqu'il faut quand même relever qu'en Suisse nous avons 60 000 accidents de ski. Plutôt que de distraire les automobilistes avec des silhouettes noires, il vaudrait peut-être mieux installer celles-ci au bord des pistes de ski pour rappeler à nos skieurs que le ski est aussi dangereux. Je vous recommande donc de rejeter cette motion et de ne pas la renvoyer en commission.

Mme Béatrice Hirsch (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion part d'une bonne intention: la prévention routière, c'est effectivement extrêmement important. Comme l'a dit M. Gander, la vie n'a pas de prix et chaque chose qui peut être faite pour en préserver ne serait-ce qu'une doit être entreprise. Malheureusement, le moyen proposé n'est pas le bon, ça a déjà été relevé. Il faut vraiment imaginer que, comme l'a dit Mme Klopmann, tout ce qui attire le regard - et ces silhouettes attirent le regard - détourne l'attention de l'automobiliste. M. Gander parlait justement du risque de téléphoner en conduisant ou de toute autre activité qui puisse détourner l'attention de la route. Donc, cette mesure n'est clairement pas la bonne. Beaucoup de choses sont entreprises en termes de prévention routière...

Je m'interroge sur cette proposition venant d'un parti qui dit lutter contre à peu près toutes les sanctions visant les chauffards sur la route, alors qu'une partie de la prévention routière passe aussi par des sanctions lorsque le code de la route n'est pas respecté, que ce soit par les automobilistes ou les conducteurs de deux-roues, qu'ils soient motorisés ou non motorisés.

Le parti démocrate-chrétien refusera l'entrée en matière sur cette motion, son renvoi en commission ainsi que son renvoi au Conseil d'Etat.

M. Florian Gander (MCG). J'ai entendu plein de choses ce soir; certaines m'ont fait presque rire, venant des bancs d'en face. C'est vrai qu'à Genève on roule dans des tunnels et on ne prête pas attention à ce qu'il y a autour de nous ! Non, les automobilistes ont tous un permis de conduire et ils regardent ce qui se passe autour d'eux ! Quant à l'excuse de distraire le conducteur, dans ce cas, tout distrait le conducteur ! Le TCS distrait le conducteur avec ses campagnes de prévention, le BPA fait de même avec les siennes. Pour la répression, le programme Via sicura s'en charge ! Nous, notre travail cantonal, c'est de faire de la prévention ! Et ce texte n'a aucune autre prétention que de faire de la prévention.

On parle des silhouettes et on a parlé de coûts: j'ai presque éclaté de rire ! Ce sont des morceaux de carton qui ne doivent pas obligatoirement être noirs. J'ai fait le lien avec les silhouettes noires, parce que tout le monde les connaît ! Maintenant, partout en Suisse, on voit des silhouettes d'enfants en carton, à l'entrée des écoles, avec des panneaux demandant de faire attention, parce qu'il y a des enfants. Des panneaux de prévention incitent à s'arrêter en arrivant vers une école. Tous ces panneaux attirent l'attention et sauvent certainement des vies ! Alors, ne venez pas me dire qu'il ne faut pas mettre de silhouettes sur un lieu «accidentogène» où il y a eu plusieurs morts. Même un mort, c'est un mort de trop ! Si on arrive à sauver une vie avec un seul de ces panneaux, qu'on le peigne en vert fluo, en jaune fluo ou en bleu, je m'en fiche ! Le principal n'est pas la couleur du panneau, c'est l'effet qu'il aura sur la personne qui va le regarder en se disant: là, je devrais peut-être lever le pied.

Chers collègues, je suis pour le renvoi à la commission des transports; il y a de toute façon de quoi travailler et c'est un sujet important. Les vies n'ont pas de prix !

M. Michel Amaudruz (UDC). Monsieur le président, il faudrait peut-être tout d'abord s'assurer que ces silhouettes noires soient bien conformes à l'ordonnance sur la signalisation routière. Indépendamment de cette considération, moi, ce que je redoute surtout, c'est que ces silhouettes noires ne soient pas ressenties comme l'annonce de l'arrivée de Daesh en Suisse !

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le député Bernhard Riedweg pour cinquante secondes.

M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le président, cela sera largement suffisant. Si on installait des silhouettes en carton au bord des routes de notre canton, celles-ci seraient à leur tour en mesure d'être renversées ou même vandalisées avec le temps. Le Bureau de prévention des accidents doute de l'efficacité de ces silhouettes qui ne font pas partie de ses solutions de prévention. De même, le Touring club suisse privilégie les campagnes d'information et les cours de sensibilisation, le risque étant de ne faire attention qu'aux endroits où sont disposées les silhouettes. L'Union démocratique du centre refusera cette motion.

M. Philippe Morel (HP). Je suis moi-même motard et je constate régulièrement que l'inattention de certains conducteurs met nos vies en danger. Vous savez qu'il y a quelques années, une précaution avait été prise, dans le sens que les motards devaient avoir leurs phares allumés la journée et la nuit. Cela a diminué un peu le risque des accidents. Malheureusement, cette tendance s'est inversée depuis.

Pourquoi s'y intéresser à Genève ? Pour une raison très simple, c'est parce que Genève détient un triste record en Suisse ! C'est l'endroit où il y a le plus d'accidents de deux-roues - par jour et par semaine. Je vous donne les chiffres: il y a un accident par jour impliquant un deux-roues à Genève et il y a deux blessés graves suite à un accident impliquant un deux-roues par semaine. C'est un triste record: cela fait un total annuel de 319 blessés graves à Genève, pour 240 à Zurich et 151 à Lausanne. Nous avons donc un problème spécifique dans notre ville, et je pense que si cette motion faisait l'objet d'une étude à la commission des transports, cela serait utile. Ça pourrait certainement sauver des vies et mettre en évidence à Genève la différence qui existe dans le nombre d'accidents entre notre ville et le reste de la Suisse !

M. Florian Gander (MCG). Je voulais juste répondre à un de mes préopinants de l'UDC qui posait la question de la législation existante par rapport à ce type de panneaux. S'il avait consulté l'exposé des motifs jusqu'au bout, il y aurait lu que l'article 5 de la LCR peut servir de base légale pour autoriser la mise en place de ces signes de prévention routière. Il n'y a donc aucune contre-indication pour déposer de tels panneaux au bord des routes, sinon personne ne le ferait - ni le BPA, ni le TCS !

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole à M. le conseiller d'Etat Luc Barthassat.

M. Luc Barthassat, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, brièvement et à titre personnel, cette motion est une bonne idée. Une bonne idée en raison d'un simple constat: ce genre de silhouettes attire l'attention des automobilistes voire des motards, quoi qu'on en dise... J'en suis un, moi aussi. Pour avoir roulé sur certaines routes françaises, j'avoue qu'en voir une ou deux de temps en temps fait un petit peu froid dans le dos et rappelle à plus de prudence.

Le DETA va mettre sur pied une campagne liée au respect et au savoir-vivre ensemble, non seulement sur la route, pour les automobilistes, les motos mais aussi pour la mobilité douce. Donc, je pense que c'est une bonne idée de renvoyer cette motion à la commission des transports pour qu'on y étudie les moyens de l'appliquer, soit dans le cadre de cette campagne à venir soit d'une autre manière.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vais donc vous faire voter sur le renvoi de cette motion à la commission des transports.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2285 à la commission des transports est adopté par 47 oui contre 36 non et 2 abstentions.