Séance du vendredi 13 novembre 2015 à 15h
1re législature - 2e année - 10e session - 65e séance

P 1941-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition : Non à l'interdiction d'Uber à Genève !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 12 et 13 novembre 2015.
Rapport de Mme Magali Orsini (EAG)

Débat

Le président. Intéressons-nous à présent à la P 1941-A. La parole va à Mme la députée Sarah Klopmann.

Mme Sarah Klopmann (Ve). Merci, Monsieur le président. En préambule et avec tout le respect que je dois à Mme Orsini, permettez-moi de vous faire part de mon mécontentement quant à son rapport, qui ne rend absolument pas compte de mes propos ni n'explique pourquoi j'étais la seule commissaire à solliciter le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat; ce n'est pas parce que la rapporteuse n'est pas d'accord avec ce que j'ai dit en commission qu'elle peut se permettre de ne pas le mentionner dans le rapport ! Cela m'a un peu déçue de sa part. (Huées.)

Sur le fond, maintenant: Uber est une entreprise qui met une application à disposition des chauffeurs et paie ensuite un prorata assez important de leurs courses - courses qu'ils peuvent justement réaliser grâce à cette application. Dans le canton de Genève, les chauffeurs en question sont tous des professionnels agréés qui paient des impôts et des taxes en tant qu'indépendants. Le vrai problème, avec Uber, c'est que l'entreprise qui met l'application à disposition et gère le système ne paie pas d'impôts à Genève. Voilà le vrai problème, et il est clair que ce n'est pas normal et qu'il faut le régler. Mais ce problème-là est entre Uber et l'Etat de Genève, pas entre Uber et Taxiphone, comme cette société essaie de nous le faire croire. Taxiphone est une entreprise privée à but largement lucratif, qui demande tout simplement que la loi continue à lui octroyer le monopole. Mais pourquoi une loi accorderait-elle un monopole à une entreprise privée dont l'unique but est de faire du profit ? Un monopole est possible, oui, quand il s'agit d'une entreprise de service public tenue en mains publiques, mais pas pour que certains patrons puissent être les seuls à offrir un service.

Chez Taxiphone, ils nous disent être victimes de concurrence déloyale; non, ils ne sont pas victimes de concurrence déloyale, ils doivent juste - enfin ! - se frotter à la concurrence. Alors qu'ils offrent un mauvais service, ils considèrent que c'est déloyal que d'autres entreprises arrivent sur le marché et proposent un meilleur service. Ce n'est pas déloyal, ils n'ont qu'à proposer un meilleur service ! Nous avons tous ici des anecdotes et témoignages à raconter concernant des chauffeurs de Taxiphone n'ayant pas reçu correctement leurs clients: le taxi que j'attends depuis trois ans à Onex, celui qui n'est jamais venu chercher ma grand-tante, le chauffeur qui me drague et veut monter chez moi alors que je prends précisément le taxi pour ne pas me faire enquiquiner dans la rue la nuit... Excusez-moi, mais ce n'est pas normal !

Ensuite, Taxiphone nous dit que si son service est mauvais, ce n'est pas sa faute mais parce que la loi... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Je vais attendre le silence ! (Un instant s'écoule.) ...ne lui impose pas de rendre un bon service. Et là, je ne fais pas d'ironie: le président nous a très clairement dit en commission qu'on reprochait souvent à ses chauffeurs de ne pas accepter les cartes de crédit mais que, la loi ne l'imposant pas, ils ne le faisaient pas ! Eh bien soit, ne le faites pas, mais alors ne parlez pas de concurrence déloyale s'agissant d'un service que d'autres proposent et que vous décidez sciemment de ne pas offrir !

Comme je l'ai dit avant, les chauffeurs d'Uber sont tous des professionnels agréés, ce que Taxiphone ne veut pas reconnaître. Ils jouent d'ailleurs là-dessus, pour justifier ce prétendu principe de concurrence déloyale, en nous expliquant que les chauffeurs d'Uber ne sont pas des professionnels, qu'ils ne paient pas de taxes et que c'est donc différent. C'est faux ! Et quand on leur demande d'où ils tiennent ces informations, ils nous répondent texto qu'avec leur regard de professionnels, ils perçoivent que les chauffeurs d'Uber n'en sont pas ! Ce n'est plus de la mauvaise foi, c'est carrément de la malhonnêteté !

Si les Verts reconnaissent qu'il y a un gros problème avec le fait qu'Uber ne paie pas d'impôts à Genève et qu'il faut le régler, ils souhaitent tout de même que cette pétition soit renvoyée au Conseil d'Etat afin que la loi ne permette plus de justifier des monopoles pour des entreprises privées. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Merci ! Nous nous réjouissons que ce point soit réglé avec la loi sur les taxis.

Une voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Madame la députée... (Commentaires. Un instant s'écoule.)

Une voix. Chut !

Le président. Nous avons tout notre temps puisque nous avons pris de l'avance. (Un instant s'écoule. Le silence se rétablit.) Voilà ! Je passe la parole à Mme la députée Salima Moyard.

Mme Salima Moyard (S). Merci, Monsieur le président. Je n'aurai certainement pas l'énergie de ma préopinante mais j'aimerais tout de même vous dire que le groupe socialiste a lui aussi été assez étonné à la lecture de ce rapport. Si nous n'avons pas d'avis à émettre quant à la qualité du rapport de Mme Orsini, nous avons en revanche davantage de doutes sur les modalités de travail de la commission des pétitions, laquelle a décidé d'une seule audition, celle de Taxiphone, sans entendre le département ni les pétitionnaires... Ah si, les pétitionnaires ont été auditionnés rapidement ! Cela dit, j'ai pris connaissance du rapport après avoir lu la pétition et je n'ai pratiquement rien appris de nouveau car tout est dans le texte de la pétition. Voilà qui est donc un peu étonnant.

L'autre chose un peu surprenante, mais ce n'est pas la faute de ce parlement, concerne la fonction même de la pétition: on peut se demander s'il n'y a pas une certaine perversion de cet outil - pour ma part en tout cas, et je suis sûre que mon groupe me suivra, j'ai été assez étonnée sur ce point. En effet, une pétition est une demande émanant d'un citoyen ou d'un ensemble de citoyens sur une problématique, c'est un droit; dans le cas présent, on a affaire à un moyen de démocratie directe utilisé par des mandataires professionnels, à savoir une étude d'avocats, celle qui défend Uber. Honnêtement, je trouve ça quelque peu singulier.

Sur le fond, cette pétition a été extrêmement peu étudiée, aucun travail en profondeur n'a été réalisé sur un sujet pourtant bien plus compliqué que ce qu'a dépeint ma collègue Klopmann certes avec verve et passion mais de façon à ne montrer qu'une seule partie de la réalité. Comme vous le savez certainement, puisque nous en avons passablement parlé lors de la rentrée politique en septembre, la commission des transports travaille sur le dossier des taxis dans une perspective nettement plus générale en examinant rien moins que quatre projets de lois déposés par M. Maudet au nom du Conseil d'Etat et trois autres objets parlementaires, dont une motion du groupe socialiste.

Dans le but de compléter le travail effectivement incomplet de la commission des pétitions, nous pourrions soutenir un renvoi de ce texte à la commission des transports, de sorte que celle-ci ait en sa possession l'ensemble des objets parlementaires sur cette question... (Remarque.) Sinon, nous ne nous opposerons pas au dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Il n'est pas question de faire ici le débat pour ou contre Uber, pour ou contre Taxiphone - ou alors il va falloir prendre du temps, et beaucoup de temps, parce que la problématique est autrement plus compliquée qu'elle n'a été décrite jusqu'ici. Je vous remercie.

M. Bernhard Riedweg (UDC). Le milieu des taxis genevois redoute la concurrence du nouvel opérateur privé arrivé sur le marché du transport professionnel de personnes qu'est Uber et l'attaque sous l'angle de la concurrence déloyale. Ce nouvel acteur, qui est complémentaire aux services de transport de personnes, est compétitif en matière de prix - ils sont en moyenne 30% inférieurs à ceux du marché - et concurrentiel en matière de qualité, ce dont se réjouissent les consommateurs. La clientèle reconnaît l'utilité et la performance du service proposé par la société Uber, qui s'est néanmoins vu interdire l'accès au marché par une décision du service du commerce, ce qui va à l'encontre du principe de liberté économique garanti par l'article 35 de la constitution genevoise de même que par la loi fédérale sur le marché intérieur. Avec son modèle économique, la société Uber met évidemment en danger le monopole des taxis genevois, lequel est exercé au détriment de sa clientèle. Uber se définit d'ailleurs comme une entreprise offrant une solution technologique et non pas comme une société de taxis.

Le monde des taxis genevois a besoin d'être secoué, d'autant plus que la jeune clientèle, qui représente quand même le futur, est très attirée par les applications utilisables sur les smartphones. D'autres sociétés similaires comme Karhoo, Lyft, Gett ou Hailo vont investir le marché suisse, il est donc temps de tenir compte de ces nouveaux acteurs dans la loi. Même le TCS a soutenu la société locale Tooxme - celle-ci a cependant suspendu son offre après deux ans d'activité. A Zurich, l'autre canton dans lequel Uber offre des prestations, tout se déroule pour l'instant sans accrocs. Je vous signale enfin que la commission des transports s'est vu confier récemment l'étude des nouvelles lois sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeurs. La réglementation se met toujours en place dans les moments de crise: l'Etat réagit en retard, mais au moins il réagit. Il reste à espérer que ces lois seront votées par notre parlement avant l'apparition sur le marché des véhicules sans conducteur ! L'Union démocratique du centre vous recommande le dépôt de cette pétition. Merci, Monsieur le président.

M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe PDC va demander le renvoi de cette pétition à la commission des transports afin qu'elle vienne compléter l'ensemble de textes sur les taxis sur lesquels le travail est en cours. Il est faux de dire que le Conseil d'Etat n'a pas réagi car la nouvelle loi sur les taxis qui nous est proposée intègre le concept d'Uber. Puisqu'on en discute en ce moment même à la commission des transports, je préconise de lui renvoyer cet objet. Je vous remercie.

M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, renvoyer cette pétition à la commission des transports serait une erreur. Vous mélangez deux débats, Mesdames et Messieurs: celui sur les taxis, qui concerne évidemment aussi Uber puisqu'il s'agit d'un service annexe de transport de personnes, et celui sur cette pétition, dont je vais vous rappeler les invites car d'aucuns ont visiblement oublié de les lire. Première invite: «révoque[r] l'interdiction faite à Uber Switzerland GmbH, respectivement Uber International Holding B.V., d'exercer son activité de transport professionnel de personnes sur le canton de Genève» - on parle bien d'une interdiction prononcée par l'Etat. Seconde invite: «annule[r] l'amende de 35 000 F infligée à Uber Switzerland GmbH». Cette pétition vise tout bonnement à prendre la défense d'une société privée qui se trouve en conflit avec l'Etat. C'est donc ça que vous voudriez intégrer au grand débat sur les taxis ? Non, Mesdames et Messieurs, ce serait une grave erreur de s'immiscer dans une affaire d'ordre privé qui oppose une entreprise à l'Etat.

Bien sûr, la compagnie Uber doit être et sera auditionnée à la commission des transports dans le cadre de l'étude de la loi sur les taxis, dont nous avons déjà commencé les travaux, car il nous faut entendre tous les acteurs intervenant dans le milieu du transport privé - taxis, chauffeurs de limousine, etc. Mais ne confondez pas ce débat-là avec cet objet parlementaire ci - puisqu'il faut bien l'appeler comme ça - qui consiste en un texte signé par deux représentants d'Uber et M. Maitre, avocat de la société en question: ça reviendrait à impliquer par trop cette entreprise dans le cadre de nos travaux parlementaires et du traitement de la loi sur les taxis. Ne faites pas l'erreur de mélanger les deux choses et déposez cette pétition sur le bureau du Grand Conseil ! Nous en avons pris connaissance, nous avons mené nos travaux - contrairement à ce que vous dites, Madame Moyard - et nous estimons que lorsqu'un litige oppose l'Etat à une entité quelle qu'elle soit, il vaut mieux que le parlement ne s'en mêle pas durant la procédure. Je vous remercie, Monsieur le président.

Une voix. Bravo !

M. Jean Romain (PLR). Deux choses sur la forme: le travail a été fait en bonne et due forme, justement, puisque nous avons entendu les deux parties, lesquelles se sont exprimées librement en commission, et qu'il n'y a eu aucune autre demande d'audition par la suite. En parlant de rapport, on se demande pourquoi les Verts n'ont pas déposé de rapport de minorité ! Il est vrai qu'ils n'en ont plus parlé.

Revenons simplement à ce que demande cette pétition, dont je vous relis la première invite: «révoque[r] l'interdiction faite à Uber [...] d'exercer son activité [...]». Nous, parlement, devrions ainsi révoquer une décision judiciaire ou juridique ?! C'est bien ça que l'on nous demande ! Eh bien je ne crois pas que ce soit le rôle de notre parlement ou de notre commission d'invalider une interdiction prononcée par une autre instance, par un autre pouvoir. On nous demande ensuite d'annuler l'amende de 35 000 F infligée à Uber; mais il ne relève pas non plus de notre compétence de contester ce genre d'amende ! Nous avons reçu les personnes et entendu un certain nombre de leurs revendications; or, au même moment, il y avait dans le pipeline le projet de loi de M. Maudet, qui inclut d'ailleurs Uber - parce que nous sommes pour une saine concurrence - et qui est précisément de nature à régler ces problèmes, ce que l'une et l'autre parties ont pratiquement accepté. Mais nous ne pouvons pas donner suite à une pétition dont le but est de revenir sur des décisions qui ne relèvent pas du pouvoir législatif, Monsieur le président !

Mme Salika Wenger (EAG). Chers collègues, j'ai l'impression qu'on se trompe de débat. Il s'agit ici d'un profond changement sociétal, pas seulement du problème des taxis. Il se trouve que les taxis sont particulièrement maltraités et que c'est par eux qu'ont commencé toutes les personnes qui soutiennent l'«ubérisation» de notre société. Je me réjouis de voir la tête des futurs avocats Uber, des dentistes Uber, des cuisiniers Uber, des fonctionnaires Uber...! A ce moment-là, vous viendrez me dire à quel point il est parfait... (Commentaires. Le président agite la cloche.) ...de travailler pour des clous... (Le président agite la cloche.) ...sans couverture sociale, vous viendrez m'expliquer aussi que c'est parfaitement légitime et qu'on fait jouer la concurrence. Ne faites pas et ne laissez pas faire aux taxis ce que vous n'aimeriez pas qu'Uber vous fasse ! (Quelques applaudissements.)

Une voix. Salika, tu as raison ! (Commentaires. Un instant s'écoule.)

Le président. Monsieur Maitre, très brièvement ?

M. Vincent Maitre (PDC). Merci, Monsieur le président. Je voulais simplement vous dire, chers collègues, que pour des raisons évidentes que vous connaissez tous ici, je ne participerai pas au vote ni au débat. Cela étant, je tiens à préciser...

Le président. C'est tout, merci.

M. Vincent Maitre. ...que je suis l'avocat non pas de la société Uber...

Le président. Merci, Monsieur Maitre.

M. Vincent Maitre. ...mais seulement des chauffeurs.

Le président. Madame Orsini, vous avez la parole.

Mme Magali Orsini (EAG), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Pour ma part, j'ai été ahurie d'entendre la défense d'Uber telle qu'elle a été prêchée par une représentante des Verts alors qu'il s'agit d'une multinationale sans foi ni loi, qui se vante de ne pas être une société de taxis mais simplement de mettre à disposition des chauffeurs un logiciel sans avoir de comptes à rendre à ce sujet. L'entreprise Uber est en procès avec les chauffeurs de taxi californiens qui sont à la source même de sa création !

Je rappelle que l'une des raisons pour lesquelles nous sommes convenus du dépôt de ce texte sur le bureau du Grand Conseil était le fait qu'une loi sur les taxis était en préparation, était sous toit et englobait cette problématique. Comme il a été dit, ce n'est absolument pas le rôle d'une commission de remettre en cause des amendes administratives et des jugements infligés à une société par ailleurs - et encore, on ne peut même pas parler de société puisqu'il n'existe pas de société genevoise Uber.

Ceci mis à part, j'ai été plus ahurie encore d'écouter la critique du travail de notre commission par Mme Moyard; je n'ai pas souvenir que quiconque soit allé examiner sa façon de travailler au sein des commissions dont elle est membre ! Aussi, je propose que le parti socialiste l'envoie dans toutes les commissions, de sorte qu'on soit assuré que notre travail sera correctement supervisé et agréé à l'avenir. Le groupe Ensemble à Gauche maintient sa décision de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame le rapporteur. Mesdames et Messieurs, vous allez à présent voter sur les conclusions de la commission, c'est-à-dire le dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1941 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 46 oui contre 23 non et 6 abstentions.