République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1012-A
14. a) Rapport de la commission de la santé chargée d'étudier la pétition concernant l'hôpital cantonal. ( -)P1012
Rapport de Mme Barbara Polla (L), commission de la santé
M 949
b) Proposition de motion de Mmes et MM. Barbara Polla, Liliane Johner, Janine Hagmann, Claude Howald, Micheline Spoerri, Liliane Maury Pasquier, Danielle Oppliger, Jean-Philippe de Tolédo, Pierre Froidevaux, Gilles Godinat, Henri Gougler, Dominique Hausser, Andreas Saurer et Philippe Schaller sur les erreurs médicales. ( )M949

Rapport de Mme Micheline Spoerri (L), commission de la santé

La commission de la santé s'est réunie le 10 juin et les 2 et 30 septembre 1994 pour examiner la pétition 1012.

PÉTITION

concernant l'hôpital cantonal

Je m'appelle Marianne Lecoultre, j'ai 48 ans et je travaille à temps complet. J'élève seule mes trois enfants âgés respectivement de 16, 13 et 12 ans. Ayant été personnellement victime d'une grave erreur de diagnostic des analystes du service de pathologie de l'hôpital cantonal de Genève, je souhaite attirer votre attention sur les graves conséquences qui peuvent résulter pour l'ensemble de la population genevoise du mauvais fonctionnement d'un tel service.

Des examens médicaux effectués en septembre 1992 ont révélé que j'avais une tumeur ovarienne. J'ai donc subi très rapidement après cette découverte une opération ablative. Les biopsies et autres analyses des tissus prélevés auxquelles le service de pathologie de l'hôpital cantonal a ensuite procédé ont amené à la conclusion qu'il s'agissait d'un goitre ovarien malin et que mon cas devait être considéré comme un carcinome thyroïdien. La glande thyroïdienne étant donc touchée, j'ai été soumise à un bilan thyroïdien, puis j'ai été informée que je devais subir l'ablation totale de la thyroïde. Dans un cas de cancer, l'opération est une question de survie. J'ai par conséquent accepté l'opération.

Sans parler des désagréments purement physiques causés par cette opération qui nécessite un véritable égorgement, je suis maintenant condamnée à vie à suivre un traitement médicamenteux pour compenser l'absence de thyroïde. En outre, j'ai vécu pendant un an dans l'angoisse quotidienne de me croire cancéreuse et de risquer une récidive. Jusqu'à ce que je finisse pas apprendre, récemment, que j'avais en fait été victime d'un diagnostic erroné et que je n'avais pas de cancer. L'opération d'ablation de la thyroïde, et ainsi toutes ses désagréables conséquences, avait donc été inutile...

Dans mes recherches pour comprendre ce qui m'était arrivé, il m'est apparu qu'au moment où les analyses avaient été faites, plus personne ne dirigeait vraiment le service de pathologie, après que le département de la prévoyance sociale et de la santé publique eut pris des mesures administratives à l'encontre du chef de service, le Dr Vassilakos. Le fonctionnement normal du service n'était alors plus assuré, mettant ainsi en danger la qualité des diagnostics, comme l'atteste mon cas.

Il semble que je ne sois malheureusement pas la seule victime d'une telle erreur de diagnostic. Et quand bien même je serais la seule, il m'apparaît intolérable que la santé des citoyens soit ainsi mise en danger par des mesures purement administratives.

Je prie par conséquent le Grand Conseil d'examiner avec attention le fonctionnement du département de la prévoyance sociale et de la santé publique, ainsi que celui de l'hôpital cantonal, afin que de semblables risques ne soient plus créés au détriment des citoyens.

N. B.: 1 signature

Mme Mme M. Lecoultre

53, rue des Lattes

1217 Meyrin

1. Historique

a) Concernant Mme Lecoultre:

Mme Marianne Lecoultre, âgée de 49 ans, a subi en automne 1992 une opération ablative pour une tumeur ovarienne. Les analyses médicales subséquentes ont mené à la conclusion qu'il s'agissait d'un cancer d'origine thyroïdienne et Mme Lecoultre se soumet dès lors à une ablation totale de la thyroïde. Il apparaîtra par la suite que Mme Lecoultre a été victime d'une erreur diagnostique dont elle n'a, de plus, pas été informée dans les meilleurs délais. Tant l'erreur diagnostique que le manque d'information adéquate paraissent avoir été en rapport avec des problèmes d'organisation au sein du département de pathologie.

b) Concernant la division de pathologie gynéco-obstétricale

Avant 1991, le centre de cytologie et de dépistage du cancer, l'école suisse de cytologie et le registre genevois des tumeurs étaient directement rattachés au DPSSP (actuellement DASS). En 1991, le centre de cytologie et de dépistage du cancer et l'école suisse de cytologie ont été rattachés au département de pathologie, dont le centre est devenu une division. Le directeur du centre, le Dr Pierre Vassilakos, a alors été nommé médecin adjoint au département de pathologie.

La responsabilité de la division de pathologie gynéco-obstétricale semblait incomber de facto au Dr Vassilakos, mais sans que cette responsabilité n'ait été clairement précisée ni son cahier des charges détaillé. Cette situation équivoque s'est vue compliquée d'une part par le fait que la direction du département de pathologie a fait l'objet ces dernières années de plusieurs intérims, et d'autre part par le fait que le Dr Vassilakos a fait l'objet d'accusations quant à sa gestion, accusations qui ont mené à un procès. A la fin de ce dernier, il a été conclu que les accusations étaient sans fondement.

La direction du département de pathologie est aujourd'hui encore intérimaire.

2. Auditions

La commission a tout d'abord auditionné Mme Lecoultre. Mme Lecoultre a exposé ses problèmes avec une dignité qui a soulevé l'admiration de la commission. Elle n'a soumis à la commission aucune revendication personnelle mais a exposé son souci que la prise en charge de tous les patients ne soit pas mise en cause par des problèmes d'ordre administratif internes à l'Hôpital cantonal.

Les Drs Beeguer et Voegeli ont ensuite exposé à la commission un certain nombre de questions concernant l'organisation de la pathologie en rapport avec la façon dont se sont déroulés les événements concernant Mme Lecoultre.

Ces questions, résumées ci-dessous, sont au nombre de six:

1. Une ou des études concernant les avantages et les inconvénients du rattachement du centre de cytologie et de dépistage du cancer au département de pathologie ont-elles été effectuées, et si oui, quels en ont été les résultats?

2. La capacité du département de pathologie d'absorber le centre de cytologie et de dépistage du cancer a-t-elle été vérifiée, ceci en tenant compte des difficultés internes du susdit département?

3. Quelles sont les mesures qui ont été prises pour lever l'ambiguïté concernant la responsabilité du centre de cytologie et de dépistage du cancer et pour assurer le meilleur contrôle de qualité possible?

4. Comment expliquer les accusations dont a fait l'objet le Dr Vassilakos, et quelles en sont les personnes responsables?

5. Comment expliquer que la direction du DASS se soit exprimée dans les médias à ce sujet avant chose jugée?

6. Qu'est-ce qui a motivé le fait que Mme Lecoultre n'ait pas été informée dans les meilleurs délais dès que le corps médical s'est rendu compte de l'erreur dont elle avait fait l'objet?

3. Discussions de la commission

La commission retient dans son ensemble que si l'erreur médicale en tant que telle ne peut être toujours évitée, par contre l'information concernant une telle erreur doit pouvoir se faire très rapidement. Plusieurs commissaires insistent sur la responsabilité des médecins concernés à transmettre à leurs patients une telle information dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions. Tout problème administratif qui pourrait rendre une telle information difficile devrait immédiatement trouver une solution.

Il semble par ailleurs à l'ensemble de la commission que les problèmes administratifs auxquels se trouve confronté le département de pathologie débordent le cadre du travail de la commission et du contexte de la pétition 1012. En particulier, la commission estime qu'il n'est pas de son ressort de revenir sur les rapports entre le Dr Vassilakos, l'HCUG et le DASS (questions 4 et 5 ci-dessus) puisqu'un jugement a été prononcé. Elle estime également qu'il n'est pas de son ressort de pratiquer ni de mettre en route une enquête sur la situation actuelle du département de pathologie.

La commission de la santé propose dès lors, à l'unanimité des membres présents,

- d'une part, le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, à titre de renseignement,

- et, d'autre part, une motion adressée au Conseil d'Etat.

Débat

Mme Micheline Spoerri (L), rapporteuse ad interim. Je souhaite simplement souligner à quel point la commission de la santé, à l'unanimité, a été sensible aux déclarations et à la dignité de Mme Lecoultre. Elle vous engage à adopter la proposition de motion figurant dans le rapport.

P 1012-A

Mises aux voix, les conclusions de la commission de la santé (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.

M 949

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

MOTION

sur les erreurs médicales

LE GRAND CONSEIL,

considérant:

- que les erreurs médicales peuvent être favorisées lorsque les responsabilités médicales ne sont pas clairement définies;

- qu'il est impératif que les patients soient adéquatement informés de toute erreur médicale dont ils auraient été victimes,

invite le Conseil d'Etat

1) à ce que le Grand Conseil soit informé sur la situation actuelle de l'organigramme des responsabilités du secteur clinique du département de pathologie et en particulier en ce qui concerne la cytologie;

2) à ce que les responsabilités hiérarchiques dans ce secteur clinique du département de pathologie, et en particulier en ce qui concerne la cytologie, soient clairement explicitées; et

3) à ce qu'il soit mis en oeuvre toute mesure adéquate permettant de s'assurer que tout médecin concerné informe ses patients d'éventuelles erreurs médicales dont ces derniers auraient été victimes, ceci dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions.