République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 13141-A
Rapport de la commission des visiteurs officiels chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat sur la planification pénitentiaire (LPPén) (F 1 52)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XI des 23 et 24 mars 2023.
Rapport de majorité de M. Antoine Barde (PLR)
Rapport de première minorité de Mme Léna Strasser (S)
Rapport de deuxième minorité de Mme Katia Leonelli (Ve)

Premier débat

Le président. Notre prochaine urgence est le PL 13141-A, classé en catégorie II, quarante minutes. (Protestations. Commentaires.) Je vous rappelle que si vous voulez que cela aille plus vite, il vous suffit de prendre très brièvement la parole et tout ira bien ! (Protestations. Commentaires.) Je passe la parole au rapporteur de majorité, M. Antoine Barde.

M. Antoine Barde (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission des visiteurs a étudié le projet de loi 13141 durant neuf séances et a procédé à six auditions. Je tiens à remercier ici le département, en particulier M. Grosdemange, secrétaire général adjoint du DSPS, et Mme Krausz, directrice générale ad interim de l'office cantonal de la détention, d'avoir accompagné nos travaux et répondu aux nombreuses questions soulevées par les commissaires, ainsi que M. Jean-Luc Constant, secrétaire scientifique de la commission des visiteurs officiels. Je remercie également mes collègues pour la bonne tenue des débats, dans une ambiance très partisane.

Dans le contexte que vit actuellement Genève dans sa gestion pénitentiaire - la surpopulation à Champ-Dollon a atteint en 2014, vous vous en souviendrez, chers collègues, un taux d'occupation de 233% des 398 places, et, aujourd'hui, le taux d'occupation est de 133% -, le Conseil d'Etat est venu nous présenter en 2018 un projet de loi, le PL 12303 ouvrant un crédit de 258,5 millions de francs pour une nouvelle infrastructure, les Dardelles. Malheureusement, ce projet de loi a été refusé à une courte majorité en 2020. En juin 2022, le Conseil d'Etat dépose un nouveau projet de loi proposant non pas directement un crédit d'étude ou d'investissement pour de nouvelles infrastructures, mais une planification pénitentiaire prenant en compte plusieurs dimensions.

Parmi les cinq axes de ce projet, certains touchent les infrastructures, d'autres les concepts de la réinsertion et des peines alternatives. Bien qu'il ne s'agisse pas uniquement d'infrastructures, cet aspect prend une part importante. En effet, les problèmes rencontrés pendant la canicule, par exemple, démontrent que les infrastructures - même si la minorité les considère, dans certains cas, comme étant récentes - sont vétustes et inadaptées; je relèverai ce point essentiellement sous l'angle énergétique.

Ce projet de planification pénitentiaire permettra de faire en sorte qu'un plan directeur des infrastructures pénitentiaires voie le jour, mais surtout, que le parlement puisse être associé à chaque étape de sa mise en oeuvre, à travers des projets de lois spécifiques. A ce titre, la commission des visiteurs marque sa volonté d'être associée à la commission des travaux, qui sera vraisemblablement amenée à traiter les futurs crédits d'études et d'investissements.

Cette planification est réaliste et équilibrée. Elle prend en compte les spécificités des différents régimes de détention et répond aux attentes exprimées par la commission des visiteurs officiels dans ses rapports annuels - pour n'en citer qu'une, la proposition d'un établissement spécifique pour la détention des femmes.

Les auditions effectuées en commission ont permis de renforcer la position de la majorité. Seule l'une des entités auditionnées a rejeté purement et simplement ce projet de loi: la Ligue suisse des droits de l'Homme milite clairement contre les lieux de détention. Selon celle-ci, il faudrait fermer Champ-Dollon. Avec quelles solutions alternatives ? Aucune !

La majorité entend prendre ses responsabilités vis-à-vis non seulement des personnes détenues, mais également du personnel qui travaille dans des conditions difficiles et dangereuses. Elle veut également garantir aux victimes et à la population qu'à Genève, nous nous donnons les moyens de protéger notre population.

Il est plus qu'urgent d'affronter le problème de la détention, sans mélanger les sujets. Il convient ici, non pas de demander à la justice de ne pas effectuer son travail, mais bien de mettre en oeuvre les jugements rendus et d'appliquer les peines prononcées. C'est le rôle de l'exécutif d'y répondre, c'est notre rôle de lui donner les moyens d'y parvenir.

Mesdames et Messieurs les députés, la majorité vous demande d'accepter ce projet de loi tel que sorti de commission et de refuser tous les amendements de la minorité. Je vous remercie.

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de première minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, pour la minorité de la commission, il est clair que le statu quo n'est pas envisageable, mais les rénovations ou reconstructions ne doivent pas se faire à n'importe quelles conditions. La planification pénitentiaire mérite d'être adaptée aux besoins s'agissant de la dignité humaine, de la désistance, de la réinsertion, et cela doit se faire en prenant en compte l'ensemble des acteurs sur le territoire suisse, en s'inspirant de modèles ayant fait leurs preuves ailleurs et en pensant l'ensemble des lieux de détention comme des espaces spécifiques et à taille humaine. Nous estimons qu'un effort doit être fait pour éviter la surpopulation carcérale à l'entrée, via des peines alternatives et, si besoin, comme durant la période covid, des mises en attente d'incarcération en fonction des délits.

Au cours des auditions, nous avons pu constater le problème de l'incarcération de personnes n'ayant rien à faire en prison, des personnes qui sont notamment en prison pour des jours-amendes, qui ont simplement reçu des amendes TPG... (Commentaires.) ...des personnes en prison pour des délits comme la mendicité. Nous avons donc un engorgement des lieux de détention avec des personnes qui relèvent uniquement de la précarité sociale et non de délits pénaux. Nous avons également un problème à la sortie, cela a été dit. Genève est un des cantons qui comptent le moins de bracelets électroniques et où les travaux d'intérêt général sont quasiment inexistants. (Commentaires.)

Nous regrettons le peu de portage politique de M. Poggia s'agissant de ce projet: il est venu une fois en commission, puis il a plus ou moins disparu, laissant libre cours à son administration pour demander simplement davantage de places, davantage de lieux de détention, sans regard politique sur la qualité et sur ces réflexions que nous devons mener comme députés pour une politique publique qui est trop souvent reléguée à l'obscurité, au tabou: celle de la détention.

Si l'objectif est de renforcer les peines sous une forme alternative, il est aussi évidemment d'éviter d'incarcérer à tour de bras, car cela coûte cher et, on le sait, cela brise des vies. Nous nous posons des questions sur ces 336 places de détention supplémentaires. Sont-elles vraiment nécessaires à Genève ? Faut-il cinquante places de plus pour la détention des femmes ? Faut-il vingt places de plus de détention administrative, alors que la criminalité féminine, aux dires des experts et expertes, ne semble pas être spécifiquement en hausse et que la construction d'un nombre important de cellules dites «night stop» dédiées à la détention courte avant renvoi a déjà été votée par notre parlement ? Le nombre de places de détention devrait donc, selon nous, baisser.

Rénover, reconstruire, adapter la prise en charge et faire bouger les lignes sur le type de lieu, la formation et la réinsertion professionnelle en prison, nous disons toujours oui. Construire plus de places, c'est toujours non. Les experts nous rappellent aussi que la criminalité est en baisse: il n'est pas adéquat aujourd'hui d'augmenter encore la capacité de détention. Cette question de la taille des infrastructures sera, nous le pensons, au coeur de nos débats. Nous avons déposé une série d'amendements afin de simplement rénover. Rendre le bâtiment de Champ-Dollon adéquat, oui, on sait qu'il est en état de décrépitude, mais faire un Dardelles en petit, toujours aussi opaque, c'est non.

On sait que M. Poggia n'a pas encore avalé le refus des Dardelles, il est revenu à de multiples reprises dessus... (Commentaires.) ...d'une manière particulièrement amère, et nous regrettons la pression mise: «C'est ce projet-là, sinon rien; c'est ce projet-là, sinon Champ-Dollon tombera en ruine !» Nous pensons que oui, il faut rénover, mais pas comme cela, pas à cette taille-là et pas au détriment d'une réflexion politique de fond sur le rôle de la détention, de la réinsertion, qui manque dans ce projet de loi. Nous vous invitons à soutenir tous les amendements de l'Alternative et de la minorité. Merci de votre attention. (Applaudissements.)

Mme Katia Leonelli (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, la situation carcérale genevoise est extrêmement critique, en particulier à Champ-Dollon, cela n'est un secret pour personne. Les détenus y subissent toutes et tous sans exception une double peine: celle qu'un juge a prononcée et celle que l'Etat leur impose, violant leur dignité humaine. Les raisons de cette situation sont multiples: la vétusté des bâtiments, la surpopulation chronique, un enfermement en cellule de 23 heures sur 24, la mixité des régimes de détention, le manque de prise en charge socioéducative, l'absence de lutte contre les discriminations, etc., etc.

Ces éléments combinés ont un effet négatif avéré sur la santé mentale et physique des détenus ainsi que sur le taux de récidive et leur réinsertion à la sortie de prison. Le Conseil d'Etat nous assure que toutes ces problématiques seront prises en considération dans le cadre du nouveau complexe carcéral. Mais pourquoi attendre ? Le département pourrait se donner la tâche aujourd'hui de faire des propositions concrètes pour augmenter les offres de formation, améliorer la prise en charge et lutter contre les discriminations. Il est difficile de croire des promesses d'objectifs pour demain qui pourraient, avec un peu de bonne volonté, être atteints dès à présent. Pour ce qui est de la surpopulation, une solution très simple existe également, mais j'y reviendrai plus tard.

En 2008, les autorités genevoises promettaient une solution miracle à la surpopulation carcérale en augmentant le nombre de places via l'inauguration de La Brenaz. Sept ans plus tard, les promesses des autorités n'étant toujours pas tenues, il a fallu y ajouter cent places. Aujourd'hui, ce bâtiment - pourtant récent - ne permet toujours pas d'accueillir toutes les personnes exécutant une peine, dont une grande partie se retrouve à Champ-Dollon. Bref, ce n'est jamais assez.

Vous l'aurez peut-être compris, construire des prisons ne permet pas de les vider. C'est mathématique. Il y a de fortes chances pour que, une fois qu'on sera arrivé au bout de ce projet - c'est-à-dire dans quinze ans - et que le supracomplexe pénitentiaire aura vu le jour, il faille à nouveau faire face à une surpopulation carcérale, pour la simple et bonne raison que le problème de la surpopulation n'est pas lié à la place disponible, mais à la politique carcérale qu'on applique.

Dans ce contexte, la justice a bien sûr son rôle à jouer, mais les autorités d'exécution disposent d'une large marge de manoeuvre dans la mesure où ce sont elles qui ont la compétence de repérer les cas pour lesquels un bracelet électronique ou des travaux d'intérêt général (TIG) seraient possibles et suffisants en lieu et place d'une peine privative de liberté. (Brouhaha.) Monsieur le président, est-ce que vous pourriez dire aux députés de faire un peu de silence ?

Le président. Laissez parler la rapporteure de minorité, s'il vous plaît, sinon nous n'allons pas finir à l'heure ! Vous pouvez poursuivre, Madame la rapporteure.

Mme Katia Leonelli. Le Conseil d'Etat nous fait part aujourd'hui d'un projet pilote quant aux TIG, mais avant de proposer un projet de planification pénitentiaire dédoublant le site carcéral cantonal et avant même de proposer un projet des Dardelles de plusieurs centaines de millions de francs, l'Etat aurait déjà dû avoir tout essayé. Il est honteux de prévoir des places supplémentaires alors que les pistes de peines alternatives n'ont pas encore été toutes explorées et mises en oeuvre. D'autres pistes sont également possibles, comme la pratique plus systématique de la libération conditionnelle ou encore les pratiques mises en oeuvre durant la crise sanitaire, qui se sont avérées tout à fait sûres pour la population genevoise.

En résumé, de manière tout à fait pragmatique, il convient de renoncer à incarcérer toute personne ne représentant aucune dangerosité. Mesdames et Messieurs, on ne se mettra certainement jamais d'accord sur une quelconque forme d'abolition des prisons. (Brouhaha.) On pourrait cependant trouver un terrain d'entente sur le fait de ne pas engorger les établissements qui existent déjà avec des personnes qui ne sont pas des menaces sécuritaires pour nos collectivités. La prison - telle qu'on la conçoit aujourd'hui - ne peut servir à enfermer des personnes... (Remarque.) ...qui n'ont commis aucun autre délit que celui d'être précaire. (Commentaires.) Chers collègues de droite, incarcérer ce type d'individus coûte financièrement et socialement beaucoup plus cher à nos collectivités que ce qu'une peine alternative permettrait d'atteindre. En tant que société, nous avons tout à gagner à ne pas les incarcérer.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

Mme Katia Leonelli. Ce qui me mène à mon dernier argument, qui est celui du vrai prix des prisons. En tant que société, en tant que contribuables, en tant qu'Etat et en tant que législateur, il faut comprendre que démolir un bâtiment qui a moins de cinquante ans est un véritable échec d'un point de vue économique et écologique. L'état actuel de Champ-Dollon est aussi le résultat d'un vaste mensonge à la population genevoise durant les cinquante dernières années: celui du prix que nous coûte un système punitif dépassé et inefficace. Si le bâtiment de Champ-Dollon n'a pas été suffisamment bien entretenu, c'est que les budgets de fonctionnement ont été sous-estimés pendant cinquante ans. Peut-être que si l'on comprenait le vrai prix d'une prison, on serait moins ambitieux sur le dimensionnement de la prochaine. Je reviendrai sur la taille des infrastructures lorsque les amendements vous seront présentés.

Oui, la situation actuelle est insupportable, indigne et elle doit changer, mais de manière intelligente et dans le but de servir la population genevoise. La seconde minorité rejoint les constats énoncés par le Conseil d'Etat, mais ne peut s'aligner sur les solutions, pour des raisons idéologiques, morales et pragmatiques. La politique actuelle de primauté de la détention n'est de toute évidence pas efficiente et le Conseil d'Etat, en l'absence d'une réflexion de fond, nous propose de démultiplier une mauvaise idée. (Commentaires.) Avec une planification pénitentiaire pareille, le canton de Genève va droit dans le mur. Nous voulons une politique carcérale au service du vivre-ensemble, efficace et respectueuse des droits fondamentaux. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. (Commentaires.) Mesdames et Messieurs, il est 23h; j'interromps le débat, que nous reprendrons demain. (Exclamations. Commentaires.)

Fin du débat: Séance du vendredi 24 mars 2023 à 15h