Séance du jeudi 26 juin 2003 à 17h
55e législature - 2e année - 10e session - 56e séance

PL 8987
Projet de loi de Mme et MM. Marie-Françoise De Tassigny, Guy Mettan, Patrick Schmied modifiant la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (L 1 30) (Construction de crèches en zone de verdure et de délassement)

Préconsultation

Le président. Je prie les conseillers d'Etat d'écouter les orateurs ou de bien vouloir se retirer. Tout à l'heure, c'était à ma droite, maintenant c'est à ma gauche... (Protestations.)L'on entendait à un moment davantage la voix de M. Cramer que celle de M.  Moutinot ! La parole est à Mme de Tassigny.

Mme Marie-Françoise De Tassigny (R). Ce projet de loi a pour unique objectif d'offrir aux structures de la petite enfance la possibilité d'être reconnues comme étant d'intérêt public. Face au développement très conséquent des structures d'accueil de la petite enfance, chaque commune doit maintenant déployer des trésors d'ingéniosité pour trouver des espaces susceptibles d'accueillir des crèches - qu'il s'agisse d'espaces locatifs ou d'espaces situés dans des parcs ou autres. Comme nous avons de surcroît la chance d'avoir accepté la loi cantonale, nous savons que le développement des structures d'accueil de la petite enfance va se poursuivre.

La modification ici proposée est donc la suivante: nous demandons que les crèches soient considérées comme étant d'intérêt public de manière à faciliter les démarches d'installation des crèches pour toutes les communes qui le souhaitent.

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Ce projet de loi ne nous semble malheureusement pas du tout être une bonne idée. Si les crèches constituent certes une priorité, les zones de verdure en constituent également une. Nous ne voulons en aucun cas les opposer ni sacrifier l'une à l'autre, et ce d'autant plus que les zones de verdure sont essentielles au bon développement des jeunes enfants et de chaque personne de par la qualité de vie qu'elles procurent. Il faut par conséquent tout mettre en oeuvre pour les conserver, et en aucun cas en diminuer l'emprise au sol. Ceci prévaut pour toute la population, et pas uniquement pour les jeunes enfants. La proposition faite dans ce projet de loi va donc à l'encontre du but poursuivi. De plus, elle ouvre la porte à d'autres dérogations: dans le fond, pourquoi ne pas étendre cette possibilité aux écoles enfantines, aux écoles primaires et aux EMS ? Cette proposition n'est donc pas anodine, car elle risque de nous entraîner dans une spirale. Si les communes sont réellement convaincues de la priorité des crèches, elles doivent trouver des emplacements hors dérogation ou hors exception, dans un cadre tout à fait légal. C'est pourquoi nous nous opposerons à ce projet de loi.

M. Alain Etienne (S). Le parti socialiste se préoccupe depuis de nombreuses années du manque de places d'accueil en crèches, et il agit grandement, notamment en Ville de Genève et dans d'autres communes, pour y remédier. Cependant, nous pensons que ce projet de loi n'est pas bien utile. Les crèches sont de toute évidence reconnues d'intérêt public, et la loi actuelle permet déjà au département d'accorder des dérogations pour construire de tels équipements en zones de verdure. Dès lors, je comprends mal votre proposition.

Il faut par ailleurs souligner que les zones de verdure sont d'une grande importance pour nos concitoyens et nos concitoyennes. Elles constituent, dans les villes, des lieux de délassement pour celles et ceux qui n'ont pas la possibilité de vivre à la campagne ou dans un quartier de villas. Ces zones de verdure sont donc bien évidemment convoitées et il s'agit de terrains facilement identifiables. Il est alors facile de venir grignoter ces lieux. La ville a besoin de respirer; elle a besoin de ces espaces libres. Les zones de verdure ne sont déjà pas nombreuses, et le conseiller d'Etat Laurent Moutinot a su mettre en oeuvre une politique exemplaire en la matière.

Mais peut-être ce projet de loi cherche-t-il à régler un cas précis ? Il aurait été bon de le mentionner dans l'exposé des motifs. Cependant, ce n'est à mon sens pas rendre service à la cause que vous défendez que de venir ainsi modifier la LaLAT. Le combat est politique: il manque des places d'accueil. C'est une réalité. Quels sont les moyens que nous nous donnons pour répondre à ce besoin ?

Les communes et l'Etat doivent évidemment mener des politiques d'acquisitions foncières afin de mettre à disposition des lieux d'accueil pour les enfants en bas âge. Ce n'est pas en proposant des baisses d'impôts ici ou là ou en combattant l'augmentation du centime additionnel, par exemple comme à Carouge, que des locaux pourront être trouvés.

Nous restons donc plutôt réservés en ce qui concerne cette proposition. Nous verrons ce que nous pourrons faire de ce projet de loi en commission.

M. Rémy Pagani (AdG). Voilà une proposition qui justifie notre initiative pour préserver les zones de verdure. Je n'ai pas besoin de vous rappeler les nombreux combats que la population a menés pour préserver les zones de verdure en Ville de Genève. L'un des plus importants combats aura été celui de Vermont, qui aura fait l'objet de deux votations populaires. Comme l'a souligné M. Etienne, la population genevoise a besoin de ces zones de verdure pour se délasser. Il n'est que voir, par ces jours de canicule, combien de personnes utilisent ces parcs ! Il n'est que se promener dans ces espaces ! Je sais bien que certains d'entre vous ne fréquentent guère ces parcs, car ils s'adonnent à d'autres loisirs. Toujours est-il que la population genevoise a besoin de ces zones de verdure. Elle a montré par de nombreuses votations que proposer d'y installer des crèches ou des écoles était une fausse solution. Pensons par exemple à l'issue de la récente votation concernant le terrain de M. Arditi, à Champel. Je n'ai pas besoin de vous rappeler l'échec qu'a connu ce projet.

La vraie solution, Madame de Tassigny, réside dans l'imposition d'installations d'utilité publique, notamment des écoles et des crèches, dans chaque projet immobilier. J'ai toutefois quelque peu l'impression que les promoteurs se soucient peu de cette question. C'est à cette seule condition que doivent être autorisés des nouveaux projets: tout projet devrait prendre en considération les besoins sociaux de la population, et non pas simplement créer des bureaux et des logements - ce qui rapporte bien évidemment beaucoup d'argent et n'engage guère les promoteurs de ces opérations à prendre en charge l'ensemble de leurs responsabilités. A mon sens, le promoteur d'une opération immobilière doit également s'assurer que son projet comprenne des arcades, des logements de qualité, des écoles en suffisance ainsi que des crèches.

Nous estimons que la solution proposée par ce projet de loi est inadéquate. C'est pourquoi nous nous y opposerons, y compris par un référendum s'il le faut, tout comme nous nous sommes opposés ces dernières années aux projets menaçant les zones de verdure qui sont essentielles à la population genevoise.

M. Patrick Schmied (PDC). Ce débat est symptomatique et typique de la manière dont la politique fonctionne dans ce canton: chaque fois qu'il en a l'occasion, chacun se répand pour se lamenter sur le manque de places pour la petite enfance. Or, au moment où une solution simple et immédiatement réalisable se présente, on la critique ! Mais il ne s'agit pas de choisir entre l'une ou l'autre solution, entre une petite chose par ici ou une grande chose par là car, même en mettant bout à bout toutes vos idées et toutes nos idées, cela ne suffira pas à couvrir la moitié des besoins en matière de places pour la petite enfance ! Il est donc essentiel de réussir, pour une fois, à réfléchir en parallèle et à prendre des mesures en même temps.

Nous soutenons évidemment le renvoi en commission, et nous sommes extrêmement déçus de constater que la défense dogmatique des espaces verts passe, sur les bancs d'en face, devant les besoins des enfants. (Applaudissements.)

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Je suis tout à fait navré, mais je vais décevoir M. le député Schmied, car les zones de verdure ne sont pas destinées qu'aux enfants. Elles sont destinées à l'ensemble de la population, et il n'est pas question qu'elles soient plus particulièrement attribuées à une tranche d'âge ou à un besoin spécifique. Les crèches constituent certes un besoin extrêmement important et sérieux. Mais vous savez que l'on doit faire face à exactement les mêmes besoins en matière d'EMS ou de logements étudiants. Si vous répondez à ces besoins en décidant de créer de nouvelles infrastructures dans des zones de verdure «à titre exceptionnel et en cas de réelle nécessité», il n'y aura plus de parc à Genève, chose qui est rigoureusement impossible ! On ne prend, à mon sens, pas le problème par le bon bout.

En outre, les zones de verdure obéissent à une accessibilité au public qui n'est pas compatible avec l'exploitation d'une crèche, car il est impossible de laisser des enfants se promener n'importe où et n'importe comment. Je pense que ce projet de loi apporte malheureusement une mauvaise réponse au problème du manque de places d'accueil. S'il faut aujourd'hui installer une crèche en un emplacement situé dans un parc, il convient de lancer une procédure de déclassement et de déterminer si une telle installation se justifie ou non. Il existe des zones à bâtir dans lesquelles on peut construire des crèches, et c'est dans ces zones qu'elles doivent être. Mais, de grâce, n'utilisez pas la zone de verdure avec les meilleures intentions du monde pour arriver, en définitive, à la disparition de toutes les zones de verdure ! (Applaudissements.)

Ce projet est renvoyé à la commission d'aménagement du canton.