Séance du jeudi 9 mai 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 6e session - 17e séance

M 1047
6. Proposition de motion de M. Chaïm Nissim : Effet de serre et circulation en ville. ( )M1047

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que les études de la calotte glaciaire ont montré que les taux de CO2 dans l'atmosphère ont varié par cycles entre 200 et 280 ppm dans les 150 000 dernières années (200 ppm dans les périodes de glaciation, 280 dans les périodes de réchauffement);

- que depuis quelques années nous dépassons les 350 ppm, ce qui ne s'était jamais produit dans l'histoire de la Terre;

- que les gouvernements ont essayé de prendre des bonnes résolutions à Rio et ailleurs, mais que les effets tardent à se manifester;

- que la circulation automobile est responsable d'une partie non négligeable des émissions de gaz à effet de serre,

invite le Conseil d'Etat

- à étudier la création, aux arrêts de bus des communes périphériques, de bandes d'arrêt pour auto-stoppeurs;

- à étudier des mesures pour l'encouragement de l'auto-stop pour les déplacements quotidiens (files rapides pour les véhicules pleins);

- à encourager fiscalement les véhicules les moins polluants (scooters, etc.);

- à doubler (au moins) l'impôt auto, non pour financer la traversée de la rade, mais pour encourager les transports publics.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Des études scientifiques le montrent et le remontrent année après année: dans la calotte glaciaire du pôle Sud, chaque année les glaces durcissent et s'épaississent en hiver, emprisonnant quelques bulles d'air. En analysant ces bulles, et notamment leur contenu en CO2, les scientifiques ont pu montrer de façon convaincante que les taux de CO2 ont varié entre 200 et 280 ppm dans les 150 000 dernières années. Dans les périodes où le taux de CO2 dissous dans l'air est faible (proche de 200 ppm) on a des glaciations, et les générations d'hommes émigrent vers le sud. Dans les périodes de réchauffement au contraire (proches de 280 ppm), on plante de la vigne jusqu'en Angleterre, comme cela s'est produit par exemple au XIVe siècle. (C'est à cette époque aussi que le Groenland prit son nom de terre verte !) La première équipe à avoir mis en évidence ce phénomène de cyclicité du CO2 dans l'air fut celle du professeur Claude Lorius et ses collègues du laboratoire de géochimie isotopique de Saclay. En fait, ils ont montré qu'il existe une forte corrélation entre l'épaisseur de la couche de glace qui se forme chaque hiver et le taux de CO2 dans les bulles d'air. Depuis, les mêmes essais ont été repris par d'autres équipes, et elles aboutissent à des confirmations. Ce qui ne signifie pas évidemment que le cycle du carbone soit le seul responsable des variations climatiques dans l'histoire. D'autres facteurs interviennent, comme par exemple le paramètre d'obliquité (entre l'axe des pôles et le plan de rotation de la terre) qui oscille avec une période de 40 000 ans, l'activité solaire, etc. Le présent exposé des motifs n'a pas pour objectif de vous faire un cours condensé de climatologie. Simplement de vous faire réaliser qu'au-delà des ces évolutions naturelles du taux de CO2 dans l'atmosphère, il y a depuis un siècle aussi des évolutions artificielles dues au fait que nous brûlons en quelques années des combustibles fossiles que la nature a mis des millions d'années à créer. Ce qui fait qu'en 1990 nous avons dépassé les 350 ppm de CO2 dans l'air, nous lançant ainsi dans l'inconnu, un tel phénomène ne s'étant jamais produit depuis 150 000 ans.

Face à cette situation d'urgence, les opinions publiques sont mal préparées, les politiciens encore moins, eux qui sont habitués à ne voir que le court terme. Seuls les écologistes sont assez fous, assez visionnaires, pour proposer des mesures immédiates dans une telle situation. Ces mesures pourraient être les suivantes:

1. Encouragement de l'auto-stop: Je fais souvent du stop, pour descendre depuis Versoix en ville et je constate toujours que la plupart des gens sont seuls dans leur voiture, agglutinés dans un bouchon tous les matins et tous les soirs, mais qu'ils ne savent pas s'organiser pour partager leur voiture avec d'autres qui, comme eux, descendent en ville tous les jours pour leur travail. En Israël, il existe des places pour auto-stoppeurs à chaque carrefour, qui servent aussi aux bus pour s'arrêter. Les soldats voyagent beaucoup en stop, les gens les prennent volontiers. Pourquoi ne pas encourager cette idée qui, au surplus, aurait l'avantage de permettre aux gens de se rencontrer? (Il m'arrive en effet de faire du stop même lorsqu'il y a un train, juste pour causer un moment avec quelqu'un !)

2. Aux USA, les voies rapides des bus sont parfois autorisées aussi pour les voitures qui transportent plus de trois passagers. Ne pourrions-nous pas nous inspirer de cette idée?

3. Sans parler de la politique nécessaire d'encouragement des transports publics. En effet, chacun sait aujourd'hui qu'un bus pollue quatre fois moins par kilomètre-passager qu'une voiture, il faut donc encourager l'utilisation de celui-là et décourager l'utilisation de celle-ci. La loi actuelle limite à 30 millions de francs par an les investissements dans le secteur des transports publics. Mais en doublant l'impôt auto, on pourrait doubler cette somme, ce qui nous permettrait de construire la ligne Meyrin-Cornavin en métro léger en même temps que celle d'Annemasse-Eaux-Vives. Il suffit de le vouloir ! (Bien sûr, du coup il ne resterait plus d'argent pour la traversée de la rade, ce qui serait faire d'une pierre deux coups).

Pour toutes ces raisons nous vous prions d'accepter cette motion, et de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.

Débat

M. Chaïm Nissim (Ve). En écrivant cette motion, j'ai visé deux objectifs. D'une part, celui de vous faire plaisir en vous faisant rire grâce à quelques blagues - sur les auto-stoppeuses notamment, et la plupart d'entre vous y ont été sensibles; il y a même eu des articles dans les journaux - et, d'autre part, je voulais vous permettre de réfléchir sur un sujet grave.

Vous avez peut-être lu, dans cette motion, que, en cent cinquante ans, nous avons dépensé un capital acccumulé pendant un million d'années; je veux parler du capital de produits pétroliers. La concentration de CO2 dans l'atmosphère a atteint un record jamais égalé durant les cent cinquante mille dernières années. Les prélèvements faits dans la calotte glacière attestent mes dires.

Ce sujet est extrêmement inquiétant pour le climat de notre planète, d'autant plus qu'il s'agit d'un cercle vicieux. Normalement - cela a été le cas pendant les cent cinquante mille dernières années - il fait plus chaud lorsque le taux de CO2 augmente dans l'atmosphère. Par conséquent, les plantes grandissent plus vite. Elles absorbent le CO2, et il se fait une sorte d'autorégulation. Tous les dix mille ans, le taux redescend et puis remonte.

Malheureusement, les exemples qui viennent illustrer ce phénomène ne manquent pas : celui du Sahara, qui s'agrandit de 20 km par an, ou celui de l'Amazonie, où l'on coupe trop de bois. Comme de moins en moins de plantes absorbent le CO2 sur cette terre, il y a de moins en moins d'oxygène. Ainsi, l'effet de serre augmente encore plus.

Je désire vous faire part de deux autres phénomènes extrêmement inquiétants. Vous n'êtes pas sans savoir que nos pétroliers, en raison de notre consommation effrénée de produits dérivés du pétrole, font le tour de l'Afrique pour aller chercher du pétrole dans le Golfe Persique et reviennent ensuite à Amsterdam, en Europe. Ils vidangent leurs réservoirs au large des côtes de l'Afrique, provoquant ainsi des problèmes d'évaporation en raison de la fine couche de pétrole qui se dépose sur l'océan. Le plancton, qui ne respire plus autant, ne crée pas assez d'oxygène et favorise l'effet de serre. Il est urgent de combattre cet effet pour faire redescendre le taux de CO2 dans l'atmosphère, même si cela doit prendre quelques dizaines d'années ou même plusieurs siècles.

Il existe de grandes incertitudes à ce sujet, et je ne prétends pas savoir tout ce que les scientifiques du monde entier cherchent à comprendre depuis dix ans. Mais je peux vous dire qu'il est urgent d'augmenter l'impôt-auto, voire de le doubler et d'investir tout cet argent dans le développement durable, dans les transports publics, et non pas dans la traversée de la rade.

M. Daniel Ducommun (R). Le groupe radical ne soutiendra pas cette motion et ne votera pas son entrée en matière, car nous ne voulons pas alourdir inutilement le travail des parlementaires en commission.

En ce qui nous concerne, nous aimons beaucoup M. Chaïm Nissim. Il nous apporte ce dérèglement intellectuel et utopique dont nous avons de plus en plus besoin. Néanmoins, la relation entre la calotte glacière, le CO2 et les auto-stoppeurs est, dans ce contexte, un bon exemple de rêverie !

M. Jean-François Courvoisier (S). La voiture, il n'y a pas si longtemps encore, était réservée à quelques privilégiés. Aujourd'hui, elle semble être un élément de liberté accessible à tous. Il est heureux que pratiquement tout un chacun puisse en disposer pour se rendre dans des endroits non desservis à l'heure de ses loisirs.

Mais ce progrès qui nous paraît évident provoque de graves dangers que nous n'avons pas prévus - ou pas voulu prévoir. Heureusement, les écologistes sont parmi nous pour nous rappeler la gravité de ces dangers, dont le plus important est l'augmentation de CO2 dans l'atmosphère qui menace l'équilibre de notre planète.

Dans toutes les grandes villes, la santé des habitants est menacée par le bruit et la pollution de l'air dont nous ne mesurons pas encore tous les effets. A Athènes, par exemple, le taux de pollution atteint parfois une telle ampleur que seules les ambulances et les voitures de pompiers sont autorisées à circuler.

Heureusement, ce n'est pas encore le cas à Genève. L'introduction des catalyseurs a un tant soit peu diminué les dangers de pollution, mais sans les supprimer. Pour cette raison, il est impératif de tout mettre en oeuvre pour diminuer la circulation des véhicules à moteur dans les grandes villes.

Si l'idée de créer des places pour auto-stoppeurs paraît farfelue aux yeux de certains, elle me semble, au contraire, pleine de bon sens. Je prends souvent des auto-stoppeurs dans mon véhicule. Je n'y renonce parfois qu'aux heures de grande circulation, lorsque je crains qu'un arrêt brusque ne mette en danger les autres usagers de la route. En effet, les auto-stoppeurs - qui souvent ne savent pas conduire - ignorent le danger d'arrêter une voiture n'importe où aux heures de pointe; il est également périlleux de reprendre sa place dans le trafic.

Ce concept des auto-stoppeurs aurait trois avantages : il ne coûte rien à la collectivité, il diminue le trafic et il améliore la sécurité des auto-stoppeurs et de ceux qui les prennent en charge.

En revanche, la deuxième invite ne me paraît pas réalisable. Nos routes, déjà très étroites, rendent difficile le respect des voies réservées aux bus et aux taxis. Alors, comment en créer des supplémentaires réservées aux voitures pleines ? Tout en autorisant les voitures avec plus de trois passagers à utiliser les voies réservées aux bus, nous voudrions éviter de ralentir la circulation des bus en encombrant leurs voies, et en les rendant ainsi encore moins compétitifs par rapport aux transports privés. En plus, il faudrait exercer un contrôle pour s'assurer que les voitures utilisant les voies rapides soient remplies de passagers.

C'est pourquoi je vous recommande de soutenir la motion 1047, mais en supprimant la deuxième invite. Je demande à mon collègue, Chaïm Nissim, de bien vouloir y renoncer.

M. Gilles Godinat (AdG). Nous retenons cette idée intéressante de M. Nissim. Dans ce canton, en particulier, on fait un très mauvais usage du véhicule automobile privé. Une meilleure gestion de ce dernier permettrait de réduire la circulation en ville. Pour ce faire, nous défendons l'optique de complémentarité.

Nous proposons de renvoyer cette motion en commission où nous l'étudierons.

M. Chaïm Nissim (Ve). Pour répondre à mon excellent collègue, M. Courvoisier, j'accepte bien volontiers de supprimer cette deuxième invite. Malheureusement, je crois qu'une telle motion n'aura pas l'heur de plaire à nos voisins de l'Entente, qui ne veulent pas entendre parler de problème planétaire. Je suis conscient du fait que vous préférez discuter entre vous de vos petites affaires. Je le comprends, mais je le déplore !

Le président. Nous votons sur la proposition d'amendement de M. Courvoisier, consistant à supprimer la deuxième invite de la proposition de motion.

La proposition d'amendement est mise aux voix.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est rejeté par 33 non contre 29 oui.

Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée.