Séance du vendredi 2 février 2024 à 16h
3e législature - 1re année - 8e session - 55e séance

R 1001-A
Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier la proposition de résolution de Thierry Cerutti, Daniel Sormanni, Ana Roch, Florian Gander, Francisco Valentin, Françoise Sapin pour une solidarité gouvernementale envers la population (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 2 et 3 mars 2023.
Rapport de majorité de M. Sylvain Thévoz (S)
Rapport de première minorité de M. Thierry Cerutti (MCG)
Rapport de deuxième minorité de M. Christo Ivanov (UDC)

Débat

La présidente. Nous continuons nos travaux avec la R 1001-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à M. Sylvain Thévoz.

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de résolution demande «de réduire les taxes étatiques sur les carburants, à l'exclusion des coûts d'approvisionnement, de distribution et de fret les grevant». La commission fiscale a procédé à une seule audition: celle du premier signataire; elle a décidé de refuser cette résolution, considérant que le sujet avait déjà été traité à Berne. En effet, un objet qui demandait de réduire de moitié les taxes sur ces carburants avait été déposé et massivement rejeté par le Conseil des Etats.

Lorsqu'on a interrogé le premier signataire sur le coût qu'une telle mesure occasionnerait, il n'a pas été possible d'avoir des réponses, mais en consultant les débats fédéraux, on apprend que ce serait un coût extrêmement élevé. Comme cet impôt sert principalement aux routes (il s'agit d'une taxe sur le carburant pour aménager les éléments routiers), sa suppression impliquerait simplement d'utiliser d'autres fonds. L'impact voulu par les signataires n'est pas atteint. Pour toutes ces raisons, la majorité a choisi de refuser ce texte et nous vous invitons, conséquemment, à refuser cette résolution.

M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, rappelez-vous 2023: on vivait une énorme crise énergétique, des difficultés importantes d'approvisionnement, les prix de l'essence ont flambé - ce n'est pas faute d'en parler - et les gens se ruinaient pour faire le plein de leur véhicule. L'idée était de se dire que la Confédération, au même titre que nos voisins français, pouvait, dans un effort collectif, diminuer ces fameuses taxes perçues sur le carburant; s'il est vrai que cette taxe est censée alimenter la construction, les frais et les réparations de notre réseau routier, ce n'est pas le cas forcément tout le temps, puisque cet argent est aussi dévolu à d'autres actions.

L'idée était de se dire que si on peut être solidaire avec l'Ukraine - on a parlé tout à l'heure de la guerre -, si on peut être solidaire avec le monde entier, on peut l'être aussi avec les nôtres. Soyons solidaires avec notre population qui saigne, qui souffre, qui a mal à son porte-monnaie, qui a mal à son pouvoir d'achat. L'idée était de tendre la main à notre population qui voit son budget fondre comme neige au soleil. Voilà la direction dans laquelle va cette résolution: il s'agit d'inviter le Conseil fédéral, ou du moins les Chambres fédérales, à reconsidérer cette fameuse taxe sur les carburants.

Je vous rappelle aussi, et c'est assez surprenant, qu'on paie la TVA sur cet impôt sur les carburants ou cette taxe - je vais me faire reprendre par Yvan Zweifel qui va me dire que ce n'est pas un impôt mais une taxe et vice-versa. On paie doublement un impôt, car on paie un impôt sur ce qui est déjà un impôt ! Pour ma part, je trouve ça assez choquant; si vous, ça ne vous choque pas, moi oui !

Je pense à nos entreprises et je rappelle qu'on est en train de faire une pléthore de projets de lois visant à diminuer leurs impôts pour les favoriser, les aider, les amener à investir et à procéder à des engagements. La question va aussi de ce côté-là; elle ne touche pas seulement les entreprises mais Monsieur et Madame Tout-le-Monde aussi. Je vous invite donc à soutenir cette résolution. Faisons en sorte que Berne arrête de dilapider notre argent dans de faux combats et de faux projets. Qu'on pense une fois, et pas pour la dernière fois, à notre population qui souffre aujourd'hui et qui a mal à son porte-monnaie. Merci, Madame la présidente.

M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le groupe MCG a déposé il y a environ une année cette résolution qui va dans le bon sens: on a vu le coût hallucinant de l'essence en Suisse. A la suite d'une flambée des prix et de tout ce qui s'est passé dans ce contexte, notre groupe à Berne est intervenu dès l'an dernier avec un certain nombre de textes aux Chambres fédérales - j'ai les numéros, vous transmettrez, le cas échéant, Madame la présidente: la motion Wobmann, la motion Salzmann, la motion Giezendanner, la motion Imark et la motion Chiesa au Conseil des Etats. L'UDC a mené un combat à Berne pour faire baisser ces taxes qui sont un véritable problème.

Actuellement, nous avons le prix de l'essence quasiment le plus haut en Europe. Vous pouvez aller faire votre plein en France, ça vous coûtera vraisemblablement entre 25 et 30 centimes de moins par litre, ce qui est purement et simplement anormal, tout ça parce que la Confédération prend plus de 80% de taxes sur chaque litre d'essence. Comme l'a dit mon préopinant Thierry Cerutti, il faut y ajouter la TVA; cela veut donc dire qu'on paie en réalité deux fois les impôts là-dessus.

L'Italie avait baissé de 30 centimes par litre le prix à la pompe, et la France avait réduit la charge fiscale sur l'essence. Actuellement en France, de grands distributeurs, comme Leclerc, fixent des prix beaucoup plus bas pour que les gens aient un peu plus de pouvoir d'achat. Ils font un effort dans ce sens. Chez nous, rien du tout ! Tous les textes déposés par l'UDC à Berne ont été largement rejetés. Pour toutes ces raisons, la minorité de la commission fiscale vous demande de bien vouloir accepter cette résolution. Je vous remercie.

M. Yvan Zweifel (PLR). Vous l'aurez compris, le but de cette résolution est d'améliorer le pouvoir d'achat de la population, du moins d'une partie de celle-ci, en réduisant les taxes étatiques sur le carburant, c'est-à-dire en baissant le prix de l'essence. Ce prix a trois composantes, on l'a dit: les coûts d'approvisionnement sur le marché, les coûts de distribution et les fameuses taxes étatiques et de droit public. M. Cerutti sera peut-être étonné, mais je suis d'accord avec lui: il y a quelque chose d'incongru à prélever la TVA sur le total du prix du carburant, taxes comprises, alors que par définition celles-ci ne sont pas une valeur ajoutée. La TVA étant une taxe sur la valeur ajoutée, elle devrait s'appliquer sur les deux premières composantes, mais pas sur la troisième. Rassurez-vous, Monsieur Cerutti, sur ce point je suis d'accord avec vous.

Je suis assez d'accord, c'est peut-être plus étonnant, avec le rapporteur de majorité, même si, il faut le dire, il n'y aura pas forcément une perte de recettes fiscales: si vous baissez les taxes, vous baissez le prix de l'essence. Cela pourrait inciter des gens qui n'allaient pas forcément prendre de l'essence ou qui en prenaient moins à en prendre plus. S'ils en prennent plus, ce que vous avez perdu sur le taux, vous le gagnez sur le volume. Comme M. Thévoz, je ne suis pas capable de calculer le coût; je ne voudrais donc être ni arrogant ni méprisant envers ce qu'il a pu dire précédemment.

Mesdames et Messieurs, si on peut être d'accord avec le but et la proposition qui est faite, parce que le fond est louable, il faut dire ce qui est, et le chef du groupe de l'UDC le dit souvent et bien mieux que je ne saurais jamais le dire: une résolution à l'Assemblée fédérale, tout le monde ici en connaît le sort. En l'occurrence, c'est très clair, on n'a même pas besoin de deviner quel sort pourrait lui faire l'Assemblée fédérale: elle s'est déjà prononcée sur ce sujet le 13 juin 2022, suite à une motion de l'ex, non, de l'actuel président de l'UDC nationale. Il avait déposé une motion le 18 mars 2022 demandant précisément à diminuer les taxes sur le carburant. Celle-ci a été refusée par l'Assemblée fédérale le 13 juin 2022. On n'a donc même pas besoin de se poser la question suivante: est-ce que, par hypothèse, l'Assemblée fédérale donnera suite, une fois exceptionnellement, à une résolution de Genève ? Non, parce qu'elle s'est déjà prononcée dessus.

Donc je le répète, si le but est louable, la question a déjà été abordée, traitée, et a déjà été refusée. C'est exactement ce qui se passera avec cette résolution si on l'accepte. Je vais vous étonner, mais pour une fois, sans faire preuve ni d'arrogance ni de mépris, je suis d'accord avec M. Thévoz et, avec lui, vous invite à refuser cette résolution. (Rires. Applaudissements.)

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs... (Brouhaha. L'orateur marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) ...les députés... (L'orateur rit.) Je fais ma maîtresse d'école ! (Rire. Commentaires.)

La présidente. Vous pouvez le dire au masculin ! (Rires.)

M. Pierre Eckert. Je peux ! Absolument ! (L'orateur rit.) Que demande cette résolution ? Elle demande que l'on réduise les taxes étatiques sur les carburants. Mais pendant combien de temps ? Voilà le gros défaut dans cette histoire. A ma connaissance, ce texte a été déposé dans le cadre de la crise ukrainienne et, selon ce que je sais (je ne suis pas un spécialiste d'achat de carburant), les prix sont très largement redescendus depuis. Il n'y a donc finalement plus tellement de raisons d'intervenir.

On peut mentionner, et M. Yvan Zweifel l'a fait, la question de la TVA sur la taxe. Cela peut évidemment poser un problème philosophique que je peux comprendre. Je crois qu'on en a discuté à propos d'une autre résolution à la commission fiscale et qu'on était arrivé à la conclusion que le législateur fédéral avait voulu cet état de fait; ça ne s'applique pas seulement à la taxe sur les carburants mais également aux taxes sur les alcools. Demandez-vous pourquoi, quand vous achetez votre abricotine ou votre whisky hors d'âge, vous devez payer à la fois la taxe sur l'alcool et la TVA dessus. C'est une question qu'on peut se poser de façon générale.

Il est également écrit dans le rapport qu'en envoyant cette résolution à Berne, on arriverait comme la grêle après les vendanges. En tant que météorologue, j'aime bien qu'on formule le fait de cette façon-là: c'est de manière particulièrement inappropriée que nous nous présenterions à Berne. Comme on l'a déjà souligné, le sujet a été traité largement à Berne et refusé.

En plus de ça, ce texte conduirait à des pertes fiscales difficiles à évaluer pour la Confédération. Celle-ci a un certain nombre de tâches qui ne sont pas moins importantes que celles conduites par le canton de Genève; elle a donc aussi besoin de ces taxes.

Le dernier point que je mentionne en tant que Vert, c'est que diminuer le prix du carburant n'est pas forcément un but en soi: comme on l'a déjà dit, on peut ainsi encourager les gens à rouler, à brûler du carburant. Or, aller dans cette direction-là n'est pas du tout dans l'intention des Verts. Je pense en outre que le prix du carburant est suffisamment bas: il arrive à peine à couvrir le coût de construction des routes et de leur entretien, il ne couvre absolument pas les externalités négatives, notamment en matière de santé, que la pollution engendre. De ce point de vue là, je vous encourage à rejeter cette résolution. Je vous remercie, Madame la présidente.

La présidente. Merci. Il n'y a plus de demande de parole, je vais donc donner la parole aux rapporteurs, en commençant par celui de la seconde minorité, M. Ivanov.

M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette résolution contient une invite qui demande «de réduire les taxes étatiques sur les carburants, à l'exclusion des coûts d'approvisionnement, de distribution et de fret les grevant»: ça va dans le bon sens. Tout le monde aujourd'hui fait campagne sur le pouvoir d'achat, et on voit ceux qui sont les plus pragmatiques: c'est évidemment la nouvelle force ! Pour toutes ces raisons, je vous demande d'accepter ce texte. Merci. (Brouhaha.)

La présidente. Je vous remercie. Je prie la salle de continuer à rester silencieuse et donne la parole au rapporteur de première minorité, M. Cerutti.

M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de première minorité. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, autre temps, autre époque, mais qu'est-ce que vous êtes défaitistes ! Je ne pensais pas - vous transmettrez à mon charmant collègue Yvan Zweifel, Madame la présidente - que vous étiez aussi faibles et que vous lâcheriez aussi facilement. Ce n'est pas parce qu'à Berne, ils ont traité le sujet en 2022 qu'on ne devrait pas revenir en 2024. Il y a un nouveau parlement, une nouvelle force politique, de nouveaux parlementaires, il existe peut-être un moyen de convaincre ces parlementaires de changer la donne, de changer leur fusil d'épaule. Je vous rappelle qu'ils ont aussi des familles à nourrir, qu'ils ont aussi des entreprises, qu'ils ont aussi besoin de rentrées financières pour pouvoir payer des frais scolaires pour leurs enfants, payer des hobbys, etc. Tout le monde a besoin d'argent aujourd'hui, et tout le monde souffre de la pénurie que nous vivons actuellement.

Monsieur Zweifel et vous, le groupe PLR, purée, mais allez-y ! Sortez un peu les mains des poches et allons-y ! Soyons forts, soyons des guerriers ! Montrez-nous ce que vous avez... je ne vais pas dire dans le pantalon, parce que c'est péjoratif. Montrez-nous que vous en avez envie ! (Exclamations.)

Je suis choqué d'entendre que, parce que Berne a traité ce dossier en 2022 et l'a refusé, on devrait abandonner et passer notre chemin. Non ! Au contraire ! Allons-y, fonçons, montrons qu'à Genève, on n'est pas d'accord. Je rappelle qu'on est le canton où on paie le plus d'impôts, les loyers les plus chers, le plus d'assurances, le plus de ceci, le plus de cela.

Quand on peut crier: «Stop ! On en a marre de payer, parce que notre population souffre ! Notre population en a marre ! Elle est étouffée par ces charges, ces impôts», vous venez nous dire, autant la gauche que la droite d'ailleurs: «Non, on ne va pas y aller: Berne a déjà voté. Comme dirait un chef de groupe UDC, de toute façon, Berne s'en tape le coquillard de nos textes.» Non ! Je pense que, si l'outil de la résolution existe, il faut l'utiliser, et on explique à Berne que Genève, c'est Genève, qu'on a le Servette FC, qu'on a le Genève-Servette Hockey Club, et qu'on est les Genevois, avec notre grande bouche, notre population internationale ! Enfin, bref ! Je pense qu'on vaut mieux que ça et qu'on devrait, unis, se battre pour demander que la population genevoise puisse respirer un peu plus que ce qui est le cas aujourd'hui.

Donc oui, Mesdames et Messieurs, soutenez cette résolution ! Si finalement on en vient à dire qu'elle ne sert à rien, je vous invite, Messieurs du PLR, Messieurs les Verts et tous celles et ceux qui ont dit qu'une résolution adressée à l'Assemblée fédérale ne sert à rien, à supprimer ce mode de communication du Grand Conseil; on n'a plus besoin de faire de résolutions, parce que, comme vous le dites, ça ne sert à rien ! Si vous êtes aussi défaitistes que ça, je suis triste pour vous, Mesdames et Messieurs ! Pour nous, la vie est belle et on est là pour se battre en faveur de la population genevoise. (Exclamations.) Soutenez cette résolution et affrontons Berne !

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. La diatribe de mon préopinant, M. Cerutti, est un bon argument pour refuser d'envoyer cette résolution à Berne. Imaginez: M. Cerutti entre dans la salle d'une commission parlementaire et tient le discours qu'il vient de tenir ! Alors là, vraiment, c'en est fini de l'autorité, de la crédibilité de Genève, si du moins elle en a encore après quelques affaires récentes... (Exclamations. Commentaires.) ...qui l'ont écornée ! Je ne vais pas prendre la défense de M. Zweifel, même si, entre lui et moi, il y a le début d'une histoire... (Rires.) ...une ouverture après bientôt un an de cette nouvelle législature, un quelque chose, un dégel. Mais quand même ! M. Cerutti s'en est pris à M. Zweifel en lui demandant - citation - «ce qu'il a dans le froc». Dès qu'on parle bagnole, les garçons descendent d'un niveau et on voit le niveau du débat. M. Cerutti est un homme, et fier, mais on ne se situe pas à ce niveau-là de débat: il n'y a pas à montrer que Genève a quelque chose dans le pantalon et que Berne est vilain.

La résolution est un peu vilaine: elle décrit l'immobilisme gouvernemental au niveau fédéral et la Confédération qui remplit ses caisses de taxes et de surtaxes pendant que la population doit se serrer la ceinture. Le mépris avec lequel on traite la Confédération n'est pas très digne de l'UDC qui nous tient toujours des discours sur l'identité, ni du MCG. Cette résolution a peut-être un mérite: on découvre un MCG qui fait l'éloge du gouvernement français ! On a enfin la reconnaissance de l'amour que porte le MCG à la France quand elle arrive à baisser l'impôt sur les carburants. (Rires. Commentaires.)

Il faut évidemment refuser cet objet et renoncer à envoyer M. Cerutti à Berne, car ce serait une catastrophe ! (Rires.) Merci beaucoup.

La présidente. Je vous remercie. (Remarque.) Je ne donne pas la parole aux minorités après la majorité.

Une voix. Il m'a mis en cause ! (Exclamations. Vives protestations. Rires.)

La présidente. Mesdames et Messieurs, nous allons procéder au vote sur la résolution.

Mise aux voix, la proposition de résolution 1001 est rejetée par 69 non contre 23 oui et 1 abstention (vote nominal).

Vote nominal