Séance du vendredi 17 avril 2015 à 20h30
1re législature - 2e année - 4e session - 27e séance

M 2256
Proposition de motion de Mmes et MM. Lydia Schneider Hausser, Roger Deneys, Christian Frey, Thomas Wenger, Jean-Charles Rielle, Cyril Mizrahi, Isabelle Brunier, Salima Moyard : Franc fort, crise économique : pour le maintien de l'emploi grâce à une aide ciblée aux entreprises touchées
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 19 et 20 février 2015.

Débat

Le président. Nous passons à la proposition de motion 2256, et je donne la parole à Mme Lydia Schneider Hausser.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Merci, Monsieur le président. Je n'ai pas besoin de rappeler l'épisode du franc fort en janvier: cette mesure prise au niveau national a des implications cantonales en matière d'économie. C'est vrai que toute l'économie n'est pas touchée d'emblée, malgré le fait que - on s'en rend compte dans les journaux et dans la pratique - de très nombreux secteurs prétextent ce franc fort pour faire pression, soit sur le personnel, soit sur les salaires. C'est là que le problème se pose par rapport à Genève: que se passe-t-il quand un épisode de cette ampleur arrive alors qu'il est relativement inattendu ? Quels sont les impacts sur le marché économique ? Comment le politique réagit-il, et en particulier le Conseil d'Etat ? Quelles sont les mesures à prendre ?

Cette motion demande que, lors d'un événement extraordinaire comme cette décision de la Banque nationale sur le franc fort, le Conseil d'Etat réalise une étude sur l'implication dudit événement dans l'économie. Par rapport au franc fort, la proposition de cette motion, c'est de créer un fonds qui soit rattaché d'une manière ou d'une autre au fonds d'aide aux entreprises, car on ne va pas réinventer la roue: ce fonds existe, on peut le diversifier et, en cas d'événement exceptionnel, en proposer une partie pour des entreprises véritablement touchées dans leur carnet de commandes, le temps d'adapter l'exploitation. C'est vrai que dans un premier temps, en janvier-février, tout de suite après l'événement, on se disait que les entreprises travaillant dans le secteur secondaire seraient les plus touchées, or il peut y en avoir d'autres. Dans ce cas de figure, une aide pour un temps limité - à voir quels critères seront définis - permettrait peut-être de passer ce cap et d'adapter les commandes et les marges possibles dans l'entreprise.

Mesdames et Messieurs, cette motion a pour objectif de pouvoir préserver des entreprises qui traversent un moment difficile, mais aussi les emplois, la qualité des emplois, les salaires, voire les employés, parce qu'un événement exceptionnel ne doit pas servir de raison pour renvoyer des employés, si cet événement ne touche pas l'entreprise. Il est important que le politique et en particulier le Conseil d'Etat ne se contentent pas de dire: «bon, voilà ce qui va se passer dans l'économie», mais puissent faire des suggestions, aider en cas de besoin, et dénoncer quand des choses inacceptables se passent.

Mme Magali Orsini (EAG). Le parti socialiste se lance avec cette motion dans une tirade de défense de certaines entreprises et «plus particulièrement des PME exportatrices» qui laisse un peu pantois les membres d'Ensemble à Gauche. Autant le dire tout de suite, nous n'avons pas vocation à nous joindre à un plaidoyer qui, sous couvert de se préoccuper d'emplois, pourrait être en vérité celui de la FER, d'economiesuisse ou de tout autre syndicat patronal.

Que les décisions de la BNS aient un impact sur le fonctionnement de l'économie libérale, nous n'en disconvenons pas. Nous dirions même que c'est justement son intention. Mais est-ce bien le rôle d'un parti qui se réclame de la gauche de joindre ses larmes à celles des sociétés exportatrices, par définition les plus puissantes et les mieux armées de notre pays: industrie pharmaceutique, horlogerie, luxe, secteurs bancaire et financier ? On n'a pas entendu beaucoup de gémissements quand cette même BNS décidait de bloquer les taux en septembre 2011, permettant aux mêmes entreprises d'augmenter leurs juteux profits. L'initiative était hasardeuse, et on savait qu'elle ne pourrait durer éternellement. Les entreprises bénéficiaires ont eu tout le loisir de constituer des réserves ad hoc pour les temps de vaches moins grasses. N'oublions pas non plus la baisse du prix de leurs achats de matières premières dans la zone euro. De plus, les coûts de production ont baissé de 1,5% dans l'industrie suisse.

On est libéral ou on ne l'est pas. La seule justification du profit capitaliste dans la théorie libérale, c'est le risque de l'entrepreneur. On ne peut être l'éternel gagnant d'un système où l'Etat n'interviendrait que dans le cas où certains entrepreneurs seraient pour une fois désavantagés par le système de libre concurrence, qu'ils défendent par ailleurs avec acharnement. D'ailleurs, selon BAK Basel, cité par «Le Temps» du 15 avril: «L'effet de change, à travers les gains de pouvoir d'achat, devrait être positif pour la consommation privée, malgré les achats des Suisses au-delà des frontières.» Entre le bien-être des consommateurs et celui des actionnaires, Ensemble à Gauche se permettra de choisir le premier.

De toute façon, que les initiants de cette motion se rassurent: à défaut de la création du fonds qu'ils imaginent, le Conseil d'Etat est en train de proposer à l'intention de ces mêmes sociétés une baisse de l'impôt cantonal sur le bénéfice de l'ordre de 50% ! Nous rappelons que ce ne sont pas...

Le président. Il vous reste trente secondes.

Mme Magali Orsini. ...les petites PME locales, très souvent en raison individuelle, qui profiteraient de ce cadeau, puisqu'il est réservé aux personnes morales, c'est-à-dire aux sociétés de capitaux. Pour cette raison évidente, Ensemble à Gauche n'entrera pas en matière sur cette motion.

M. Bernhard Riedweg (UDC). En 2008...

Le président. Pas de manifestation à la tribune, s'il vous plaît ! Merci.

M. Bernhard Riedweg. En 2008, le cours du franc suisse était de 1,64 F pour 1 euro. Depuis 2008, ce cours n'a pas cessé de baisser jusqu'en 2011, année au cours de laquelle la BNS a décidé de soutenir le franc suisse à 1,20 F pour 1 euro. Jusqu'au 15 janvier 2015, l'euro a donc perdu 26,8% par rapport à son cours de 2008. Soutenir le cours de 1,20 F pour 1 euro n'était pas possible à long terme pour la BNS, qui a vu son bilan gonfler sous l'effet des mesures qu'allait prendre la Banque centrale européenne pour relancer l'économie. Le risque de spéculation accrue sur le franc suisse n'a pas facilité la tâche de la Banque nationale. Certaines entreprises ont tiré les conséquences du taux de change flottant entre l'euro et le franc suisse en se restructurant pour améliorer leur compétitivité. Les cours de change suivent la loi de l'offre et de la demande, et reflètent l'évolution des marchés des pays avec lesquels la Suisse fait du commerce.

Le premier client de la Suisse est la zone euro, mais le second est constitué de tous les pays d'Amérique, d'Asie et du Moyen-Orient qui paient en dollars. Concernant le dollar, l'évolution du cours par rapport au franc suisse est plutôt rassurante: le billet vert a regagné 17% face au franc suisse depuis le 15 janvier 2015, ce qui soulage les exportateurs. Certaines entreprises exportatrices prennent des mesures en demandant à leurs collaborateurs d'augmenter les heures hebdomadaires de travail de 40 à 42 heures, voire 45 heures, en vue de ne pas devoir licencier suite à la levée du taux plancher. Cette mesure est acceptée par les membres du personnel de ces entreprises, qui comprennent les problèmes auxquels leurs employeurs doivent faire face. Les employés préfèrent ainsi assurer leur poste de travail au lieu de risquer d'être licenciés. Ces entreprises misent aussi sur le renforcement de l'innovation et la recherche de la productivité. L'Etat soutient et protège déjà les PME et PMI du canton de Genève à travers la Fondation d'aide aux entreprises, qui accorde des cautionnements solidaires et des prises de participation, et assure l'accompagnement et l'audit. La Fondetec, fondation soutenue par la Ville de Genève, propose également des soutiens financiers aux entreprises domiciliées sur son territoire.

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Bernhard Riedweg. Il n'est donc nullement besoin de créer un nouvel organisme se substituant aux deux fondations susmentionnées. Economiquement parlant, l'Etat ne doit pas changer la loi du marché, les entreprises les plus faibles devant céder le pas, comme l'ont fait les 1330 sociétés qui ont fait faillite dans le canton en 2013.

Le président. Il vous faut conclure.

M. Bernhard Riedweg. Je conclus. Nous vous demandons de ne pas entrer en matière sur cette motion. Merci, Monsieur le président.

M. Edouard Cuendet (PLR). Aujourd'hui est un grand jour: je suis d'accord avec l'introduction et la conclusion de Mme Orsini - si vous pouvez lui transmettre, Monsieur le président, c'est historique ! Cela étant, entre les deux, il y a quelques divergences. Je suis toujours frappé par l'énergie que le parti socialiste déploie pour nous faire croire qu'il s'intéresse au sort des entreprises et qu'il veut les protéger. Le nouveau coup d'éclat, c'est cette motion qui nous est soumise pour la création d'un fonds de soutien. Evidemment, on peut se réjouir du fait que le parti socialiste se préoccupe du sort des entreprises face à la force du franc ! C'est louable, et c'est tout à son honneur. En revanche, on peut se montrer plus sceptique sur le remède proposé: le parti socialiste - mais au fond il plonge là dans ses racines économiques - propose une politique industrielle, une politique structurelle, à travers la création d'un fonds dont l'argent devrait venir en premier lieu des bénéfices redistribués par la BNS, c'est-à-dire à peu près 38 millions pour 2015. C'est déjà absurde parce que de toute évidence, ce versement ponctuel doit nous servir à redresser nos finances cantonales et à rembourser la dette.

Mais ce qui est plus intéressant dans la solution proposée par le PS, c'est la vision d'avenir - parce que le PS se projette dans le futur, toujours ! C'est un parti de l'avenir ! Eh bien pour l'avenir, que nous propose-t-il ? D'alimenter ce fonds par une augmentation de l'imposition des personnes morales ! Eh oui: un centime additionnel sur les bénéfices des personnes morales. C'est simplement surréaliste ! C'est surréaliste, et cela montre que c'est une hypocrisie totale de la part de ce parti qui ne fait rien pour aider les entreprises. Il les aiderait bien plus en soutenant le projet de réforme de l'imposition des personnes morales, mené tambour battant par le Conseil d'Etat, qui vise à fixer à 13% un taux d'imposition unique pour les personnes morales. Ce taux à 13% constituerait un bol d'air bienvenu pour les PME locales, contrairement à ce fonds qui ne servirait à rien !

D'autre part, le PS serait aussi bien inspiré de ne pas soutenir l'impôt sur les successions, qui vise à ponctionner à hauteur de 20% les patrimoines à partir de 2 millions: la plupart des PME entrent dans ce créneau...

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Edouard Cuendet. ...donc le PS veut aider les PME tout en ponctionnant 20% de la substance à travers un impôt sur les successions. Tout cela est grotesque ! Il est absolument inconcevable de créer un nouveau machin - ce fonds que nous propose le PS.

Le président. Il vous faut conclure.

M. Edouard Cuendet. Pour ces raisons, comme Ensemble à Gauche et avec Mme Orsini, je propose de ne pas entrer en matière sur cette motion.

M. Boris Calame (Ve). Monsieur le président, chers collègues - une fois, hein ! (Rires.) Cette motion n'est peut-être pas parfaite, mais elle nous semble tout de même intéressante: elle nous permettra de nous interroger davantage sur les conditions existantes ou à créer afin d'assurer un soutien spécifique aux entreprises dans des situations économiques particulières. La création d'un fonds est peut-être une solution. Le cas échéant, son financement devrait être précisé. Les travaux de commission permettront de faire un travail plus détaillé sur cette façon d'envisager la protection et le maintien de notre tissu économique en cas de crise. Les Verts soutiendront donc le renvoi de cette motion en commission. Je vous remercie.

Une voix. Yes ! (Rires.)

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, les conséquences du franc fort ne doivent pas être sous-estimées, et en cela, la présente motion provoque un débat qui est certainement salutaire, même s'il est peut-être un peu tardif et, en tout cas, peu efficace quant au résultat attendu.

Attardons-nous un peu sur les invites: on propose une étude détaillée de l'impact de l'évolution des taux de change. Cela représente une étude de plus et quelques mois supplémentaires, pour arriver à des conclusions qui sont certainement déjà connues ! On propose aussi la création d'une commission ad hoc tripartite. J'aimerais rappeler qu'une commission permanente tripartite - le Conseil de surveillance du marché de l'emploi - se réunit régulièrement avec l'Etat et les partenaires sociaux, et travaille sur ce genre de problèmes. Pourquoi ne pas faire confiance à cette commission et à vos délégués qui siègent au sein de ce conseil ? On propose enfin un fonds d'aide alimenté par les excédents de bénéfices de la BNS. Cela ne constitue pas une bonne solution, M. le député Cuendet l'a rappelé tout à l'heure. Comme lui, je m'insurgerais que l'on profite de cette motion pour imposer un nouveau centime additionnel aux mêmes entreprises que l'on veut aider ! De fait, je vois mal comment articuler les conclusions de cette motion.

Nos entreprises n'ont pas attendu cette motion pour réagir: les plus touchées d'entre elles ont eu recours au chômage partiel. Ce dernier a fortement augmenté en Suisse en mars par rapport au mois de février: 540 personnes de plus - cela démontre bien que l'employeur préfère avoir recours à cette forme de chômage pour maintenir des places et éviter des licenciements.

Mesdames et Messieurs, et en particulier la gauche de ce parlement, nos entreprises ont besoin de conditions-cadres suffisamment souples, elles ont besoin de moins d'administration tatillonne, elles ont besoin de moins de ces contraintes que certains d'entre vous tentent de leur imposer, session après session. Le groupe démocrate-chrétien vous invite donc à refuser cette motion.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, la proposition du parti socialiste peut paraître bonne, mais c'est en fait une fausse bonne idée. D'abord, je ne vois pas comment nous pourrions dégager des moyens pour créer un fonds afin d'aider les entreprises qui en auraient besoin: vu les comptes de l'Etat, cela paraît difficile ! Et surtout, la problématique est tout autre: avez-vous constaté à Genève, parmi celles qui pleurent, des entreprises qui sont véritablement en difficulté ? De fait, elles ont pleuré, c'était l'ambiance générale, mais aujourd'hui, au moment de l'annonce par la Banque nationale de la fin du taux plancher, le change est à 1,03 F environ, et on voit que pour la plus grande partie, les entreprises s'en sont sorties, peut-être parce qu'elles avaient fait des réserves pendant la période durant laquelle la Banque nationale avait soutenu le franc.

De plus, ce n'est pas par une aide directe que nous allons aider les entreprises. Pas du tout ! D'ailleurs - et je rejoins en cela mon préopinant du parti libéral - il va bientôt y avoir pour les entreprises locales une baisse d'impôt de plus de 10%. C'est presque 50% de réduction. Voilà qui va leur donner un bol d'air, pas la peine d'en rajouter !

Enfin, une anecdote comique: la première entreprise genevoise à se plaindre de problèmes liés au franc fort - et à vouloir payer les salaires en euros - a été une société importatrice de poulets depuis la France ! Elle n'était donc pas perdante, mais gagnante ! (Vifs commentaires.) Voilà qui est suspect: on ne va pas subventionner les poulets qui viennent de France, quand même ! Cette société y gagnait avec la baisse de l'euro, et c'était la première à crier et à vouloir payer les employés en euros !

En conclusion, Mesdames et Messieurs, c'est une mauvaise idée. Non seulement nous n'avons pas les fonds, mais en plus, une aide directe aux entreprises, c'est inapproprié ! Ce n'est pas de cette manière qu'il faut agir. Je vous invite à rejeter cette proposition de motion. (Exclamations.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Romain de Sainte Marie, à qui il reste deux minutes trente.

M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, depuis le vote du 9 février sur l'initiative «Contre l'immigration de masse» et particulièrement en ce moment, les entreprises suisses et genevoises souffrent du franc fort. Pour répondre à M. Cuendet - vous transmettrez - oui, le parti socialiste, depuis fort longtemps, se préoccupe de l'économie du canton et de la santé des entreprises ! Et contrairement aux propos de M. le vice-président... J'ai un blanc... (Des députés soufflent à l'orateur le nom du vice-président.) Guinchard ! Pardon !

Le président. Jean-Marc !

M. Romain de Sainte Marie. Je m'excuse, Monsieur Guinchard, cher collègue, pour cet oubli. Contrairement à ce qu'il a dit, les solutions ne consistent pas à prendre des mesures sur le dos des salariés par des diminutions de salaires ou des augmentations du temps de travail. Non ! Bien au contraire: elles résident dans l'aide aux entreprises, aide qui passe par un soutien de l'Etat, et des solutions existent - elles sont d'ailleurs mentionnées dans les invites de cette motion - elles viendront notamment de la fiscalité et, pourquoi pas, d'un rehaussement du centime additionnel sur les personnes morales.

On a évoqué aussi la réforme de l'imposition des entreprises. A ce propos, faisons attention: une baisse d'impôt est en effet prévue pour les PME locales, qui ferait descendre le taux unique de 24% à on ne sait combien - 13% serait beaucoup trop bas - mais encore faut-il que ces entreprises soient bénéficiaires pour que cette baisse d'impôt représente réellement une plus-value. Or beaucoup ne le sont pas ! Ne dégageant pas de bénéfices, environ 30% des entreprises genevoises ne paient pas d'impôt et ne connaîtraient aucune différence suite à cette réforme de l'imposition des entreprises. D'autant que nous parlons ici d'exportation, mais si nous diminuons trop le taux unique d'imposition, par exemple à 13%, alors une grande partie des Genevois ne pourront simplement plus faire fonctionner l'économie locale par la consommation. La croissance du canton en prendrait un coup, puisque beaucoup de Genevois...

Le président. Il vous reste vingt-cinq secondes.

M. Romain de Sainte Marie. ...vivent dans la pauvreté et ont besoin d'aides de l'Etat. On sait que 40% des Genevois ne paient pas d'impôt. C'est malheureux de voir un état social aussi catastrophique à Genève ! C'est malheureux de voir qu'autant de personnes n'arrivent pas à vivre dignement et ne peuvent pas payer d'impôt...

Le président. Il vous faut conclure.

M. Romain de Sainte Marie. ...parce qu'elles ne travaillent pas ou ne gagnent pas suffisamment d'argent ! Je vous remercie.

M. Boris Calame (Ve). Monsieur le président, j'aimerais juste annoncer que nous demandons le renvoi de cette motion à la commission de l'économie.

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. D'abord, je voudrais vous dire que le Conseil d'Etat est évidemment très attentif à l'évolution de la situation économique, et contrairement à ce qu'on a pu entendre tout à l'heure, un certain nombre d'entreprises souffrent, certaines branches en particulier: je veux mentionner l'industrie, essentiellement tournée vers l'exportation. Je veux mentionner, dans une moindre mesure, l'hôtellerie et le tourisme, même si c'est davantage l'hôtellerie et le tourisme saisonniers dans d'autres cantons tel le Valais qui sont touchés. C'est aussi le commerce, en particulier le commerce de détail: notre canton partageant plus de 100 kilomètres de frontière avec la France voisine - on le disait tout à l'heure à l'occasion d'un autre débat, au cours duquel nous parlions d'ailleurs du tourisme d'achat - le réflexe est tentant pour un certain nombre de Genevoises et de Genevois d'aller s'approvisionner au-delà des frontières.

Ces trois domaines souffrent particulièrement. C'est une réalité, et je remercie les motionnaires de mettre cette réalité sur la table, parce qu'elle pose question: l'écosystème économique genevois peut connaître des à-coups, mais c'est l'ensemble du dispositif qui est déséquilibré si certaines de nos branches souffrent, en particulier l'industrie et aussi - non que je veuille la citer spécifiquement, mais tout de même - la banque, qui est aussi une forme d'industrie d'exportation, ou en tout cas de service d'exportation. Tous ces domaines se tiennent dans notre système et donc cela pose un problème aujourd'hui.

Le PS nous propose des solutions. Sans caricaturer, le gouvernement ne peut s'empêcher un petit sourire en coin en prenant connaissance de la motion ! Solution n° 1: faire une étude. Solution n° 2: créer une commission. Solution n° 3: instituer un fonds, dont l'alimentation viendrait essentiellement d'une augmentation de la ponction fiscale. Moralité: premièrement, on se lance dans l'étude des chiffres. Franchement, c'est un peu tôt: il faut avoir un peu de recul pour que cela ait du sens, mais admettons. Deuxièmement, on crée une commission. M. Guinchard l'a dit: la commission existe déjà, et elle travaille ! Et, vous devez le savoir, les syndicats en sont parties prenantes: c'est le Conseil de surveillance du marché de l'emploi. Et troisièmement, on peut discuter sur l'idée d'un fonds, mais la solution proposée pour l'alimenter, Mesdames et Messieurs, c'est lancer une bouée et lester de plomb par la même occasion ceux que l'on veut sauver ! Voilà ce que fait le mécanisme proposé !

Le gouvernement tient à vous dire qu'il n'a pas attendu cette motion, même si je ne conteste pas la pertinence de ses postulats de base. Il a tablé en priorité sur le partenariat social. De quoi s'agit-il dans ce domaine ? Le partenariat social, M. Riedweg l'a dit tout à l'heure, ce n'est pas nécessairement aller demander à Berne l'autorisation de faire du chômage partiel: contrairement à ce que disait M. Guinchard, les entreprises n'ont pas été si nombreuses à demander cette solution. A Genève, nos industries et nos entreprises ont des carnets de commandes pleins. Elles doivent gagner en productivité et en compétitivité ! Grâce à ce partenariat social, on a eu la chance de voir des entreprises proposer à leurs employés d'augmenter leur temps de travail et passer de 40 à 42,5 ou 43 heures de travail par semaine, dans le cadre des conventions collectives de travail et pour une durée limitée, en maintenant le même salaire. Nous avons en outre accompagné le mouvement pour que ces augmentations de temps de travail soient compensées l'année prochaine en cas de retour de meilleures affaires, et cela fonctionne ! Le partenariat social, ce sont les discussions que nous menons en ce moment, avec en toile de fond l'initiative 155, pour assouplir les conditions-cadres dans le domaine du commerce - je veux parler des heures d'ouverture des magasins - pour tenter de régater avec des solutions plus souples par rapport à la capacité élargie que la loi Macron offre aux commerçants français d'ouvrir davantage.

En résumé, il faut d'abord jouer la carte du partenariat social, et ensuite, je vous rejoins en cela, aider ponctuellement certaines entreprises - qui ont une capacité de résistance, mais à long terme - à la faveur d'un fonds afin qu'elles puissent tenir durant cette période particulièrement difficile à cause des taux de change. Mais un tel fonds existe déjà: c'est la Fondation d'aide aux entreprises, dont nous pourrons, au besoin, assouplir les critères.

Mesdames et Messieurs, le gouvernement vous laisse juges du sort qu'il faut réserver à cette motion. Faut-il la rapporter à certaines entreprises ? On a parlé tout à l'heure d'une certaine société importatrice de poulets. Nous vous confirmons ici que nous tenons mordicus à la préférence nationale en la matière... (Exclamations. Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

M. Pierre Maudet. ...même si c'est de nature réglementaire. Mais pour nous, ce qui est important, c'est de laisser d'abord les partenaires sociaux agir avec pragmatisme et ensuite, subsidiairement, l'Etat peut accompagner ce mouvement. De cette manière, démonstration sera faite que notre économie est extraordinairement résiliente, car elle saura se relever de cet épisode difficile. Merci de votre attention.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Je vais vous faire voter d'abord sur le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'économie.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2256 à la commission de l'économie est rejeté par 58 non contre 25 oui.

Mise aux voix, la proposition de motion 2256 est rejetée par 50 non contre 14 oui et 5 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Le président. Si vous n'avez rien entendu, ce n'est vraiment pas de ma faute !