République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7579
14. Projet de loi du Conseil d'Etat instituant des mesures temporaires destinées à favoriser l'accession à la propriété du logement et la relance de l'économie dans le secteur immobilier. ( )PL7579

LE GRAND CONSEIL,

vu les articles 33, 35, 84 à 86 de la loi sur les droits d'enregistrement, du 9 octobre 1969;

vu les articles 30a et suivants de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité, du 25 juin 1982,

Décrète ce qui suit:

Article 1

La loi vise à encourager l'accession à la propriété du logement sis dans le canton de Genève et la relance de l'économie dans le secteur immobilier en favorisant la vente:

a)  de logements neufs ou en cours de construction;

b)  de logements déjà construits, mais qui n'ont jamais trouvé d'acquéreur ni été loués à la date visée à l'article 9 de la présente loi;

c)  de logements acquis par les vendeurs en compensation d'une créance hypothécaire et qui n'ont pas été mis en location;

d)  de logements vendus, conformément à l'article 39 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation, du 25 janvier 1996.

Art. 2

1 Est une acquisition au sens de la présente loi l'acte juridique opérant le transfert à titre onéreux d'un logement en propriété individuelle, copropriété ou propriété en main commune.

2 Sont notamment exclus du champ d'application de la présente loi les actes relevant du droit successoral et le transfert de participations à une personne morale.

Art. 3

1 Les actes d'acquisition d'un logement, au sens de la présente loi, sont exonérés des droits d'enregistrement et des émoluments du registre foncier, à concurrence des premiers 400 000 F du prix.

2 Les actes comportant constitution ou augmentation de gages immobiliers destinés au financement de l'acquisition d'un logement sont exonérés des droits d'enregistrement, des centimes additionnels et des émoluments du registre foncier, à concurrence d'un montant représentant 80% de la valeur du logement et 400 000 F au maximum.

Art. 4

Le paiement de l'impôt résultant du versement anticipé de fonds de la prévoyance professionnelle, en vue de l'acquisition d'un logement, est réparti en quatre annuités, à parts égales et sans intérêt, la première échéant 12 mois après la date d'acquisition du logement.

Art. 5

Peuvent bénéficier des dispositions de la présente loi les personnes physiques achetant le logement pour l'occuper elles-mêmes et y constituer leur domicile principal.

Art. 6

Les logements acquis au bénéfice des dispositions de la présente loi doivent être affectés exclusivement à l'habitation et comprennent les locaux de dépôt et de service usuels en nombre et en dimension.

Art. 7

1 En cas de revente du logement dans un délai de 5 ans à compter de l'inscription au registre foncier, les impôts exonérés sont exigibles sans intérêts rétroactifs dans les 2 ans suivant la revente.

2 En cas de fausse déclaration ou de violation de l'obligation d'occuper soi-même le logement acquis au bénéfice des dispositions de la présente loi, les émoluments et les impôts exonérés sont exigibles avec intérêts rétroactifs dans un délai de 5 ans, à compter de l'inscription au registre foncier de l'acquisition et ce sans préjudice d'autres sanctions civiles et pénales.

Art. 8

1 L'assujettissement aux dispositions de la présente loi fait l'objet d'une mention inscrite au feuillet du registre foncier de l'immeuble concerné.

2 Le registre foncier communique à l'administration fiscale cantonale les opérations assujetties à l'article 7 de la présente loi.

3 Il appartient à l'acquéreur de démontrer à l'administration fiscale cantonale et au registre foncier que les conditions d'assujettissement de l'acquisition immobilière à la présente loi sont remplies.

Art. 9

1 Lors de son entrée en vigueur, les effets de la présente loi rétroagissent à la date du dépôt du projet au Grand Conseil.

2 Lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, les droits d'enregistrement et émoluments du registre foncier versés à partir de la date définie à l'alinéa précédent sont remboursés sans intérêt si les conditions d'exonération sont remplies.

Art. 10

1 Les exonérations fiscales prévues à l'article 3 de la présente loi peuvent être obtenues jusqu'au 30 décembre 1997, la date d'immatriculation de l'acte au registre foncier faisant foi.

2 Le Conseil d'Etat peut proroger une fois la période d'obtention des exonérations d'un an au plus.

Art. 11

La présente loi entre en vigueur le

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le présent projet de loi vise à instituer des mesures temporaires destinées à favoriser l'accession à la propriété du logement et la relance de l'économie dans le secteur immobilier.

I. Observation de portée générale

Depuis la fin de l'année 1989, le marché immobilier a subi une importante récession entraînant une diminution drastique de la construction en même temps qu'un accroissement important du stock d'immeubles invendus ou repris par les créanciers hypothécaires pour cause d'insolvabilité des propriétaires.

Parmi ces immeubles, bon nombre de logements, accessibles à des prix intéressants, attendent encore preneur.

Certes, il n'entre pas dans le rôle de l'Etat de se substituer aux promoteurs, constructeurs et établissements financiers dans la prise en charge des pertes enregistrées pour des opérations foncières conçues et exécutées dans un contexte spéculatif à l'époque. En revanche, il est de son devoir de prendre des mesures contribuant à favoriser le marché aux conditions financières plus avantageuses prévalant aujourd'hui dans un cadre où la spéculation a pratiquement disparu. L'Etat doit également encourager, par des mesures appropriées, la réalisation de logements en propriété, répondant aux besoins reconnus de la population, conformément à l'article 10A de la Constitution de la République et canton de Genève, entré en vigueur le 7 mars 1992.

A Genève, la proportion des propriétaires par rapport aux locataires reste particulièrement faible, soit de l'ordre de 14% de l'ensemble. Elle se situe très en dessous de la moyenne suisse.

Les circonstances dues à une détente du marché immobilier sont aujourd'hui favorables pour viser un meilleur équilibre entre propriétaires et locataires, la proportion de propriétaires devant s'accroiître progressivement jusqu'à 20%.

L'acquisition du logement en propriété, si elle peut avoir lieu à des conditions financières proches de celles de la location, ce qui est le cas aujourd'hui, a pour effet notamment de stabiliser une population active dans le canton et de responsabiliser la personne par rapport à son logement. Cela est largement bénéfique pour les intéressés eux-mêmes, pour l'Etat qui conserve de bons contribuables et pour l'économie du canton en général qui bénéficie d'une main-d'oeuvre stable et de consommateurs réguliers.

L'Etat n'est de loin pas le seul agent à même de relancer l'économie immobilière. Les professionnels du secteur et les établissements financiers détiennent également une partie des clés d'un problème dont la résolution est également fortement tributaire d'influences extérieures à notre canton et à notre pays. Il n'en reste pas moins qu'il est indispensable que l'Etat consente l'effort nécessaire dans les limites de sa capacité financière.

Ce projet de loi n'apporte pas une solution globale et définitive au problème; les dispositions proposées sont destinées à apporter le «coup de pouce» déterminant les personnes à se lancer dans un tel investissement, qui craignent de risquer leur capital et une part de leur revenu à l'heure où le marché de l'emploi se caractérise par une grande incertitude.

L'objectif majeur de ce projet est de contribuer à élargir le cercle des propriétaires de leur logement à une tranche de la population précédemment privée de cette possibilité par le niveau excessif des prix et à relancer l'économie immobilière en rendant plus attractif ce type d'investissement à long terme.

II. Portée économique et financière

Le but visé par ce projet de loi est de contribuer à préparer une relance du secteur de la construction par l'absorption d'une part importante des objets invendus restant sur le marché et en conséquence par la stimulation des mécanismes multiplicateurs qu'une nouvelle dynamique du marché ne manquera pas d'engendrer.

A fin juin 1996, l'office cantonal de statistiques recensait 277 logements à vendre, dont 188 appartements et 89 villas.

Ces chiffres sont en constante évolution et ne prennent pas systématiquement en compte les biens qui seront offerts à la vente à l'issue de procédures de poursuites en cours ni ceux actuellement détenus par des établissements de crédit qui pourraient souhaiter vendre ces biens. La masse d'objets disponibles est donc présente, permettant d'atteindre les objectifs de la loi.

Faire usage d'exonération fiscale pour stimuler un marché a en apparence pour effet de diminuer des recettes que l'on pourrait juger indispensables dans la situation actuelle des finances de l'Etat.

En effet, si l'on se fonde sur les 277 logements cités plus haut, en admettant arbitrairement pour chacun un prix unitaire moyen de 500 000 F, et pour autant que ces objets soient tous vendus, le manque à gagner en droits d'enregistrement et d'émoluments administratifs serait de l'ordre de 7 200 000 F.

Ce montant représente des liquidités nouvelles aptes à être réinvesties, que ce soit dans la construction ou dans d'autres secteurs de l'économie. Le produit de la fiscalité applicable à ce chiffre d'affaires est difficile à déterminer; il devrait se situer dans la proportion d'une à deux fois ce que représente le manque de recettes des droits d'enregistrement.

III. Commentaire article par article

Article 1 - Champ d'application objectif

Il s'agit d'encourage d'actuels locataires, potentiels propriétaires, à acquérir un logement dans le canton de Genève en allégeant pour eux les conditions fiscales d'une telle opération.

Les objets visés sont des logements neufs ou récents ou encore des habitations initialement destinées à la vente et qui sont restées vides faute d'acquéreur, mais qui sont à nouveau libres ou en train d'être libérées du fait des difficultés financières qu'ont connues certains propriétaires contraints de vendre leur logement au créancier gagiste.

Sont également inclus dans le champ d'application de la loi les biens qui satisfont aux exigences de l'article 39 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation, du 25 janvier 1996, en particulier dans l'hypothèse d'une vente d'un logement au locataire en place.

Article 2 - Champ d'application relatif à la nature de rapports juridiques envisagés

Le présent projet de loi n'est pas destiné à facilier le règlement de questions patrimoniales au sein de la famille. Il ne doit pas favoriser non plus l'émergence à nouveau de sociétés anonymes immobilières en propriété par étages ou non, dont le législateur a encouragé la liquidation par des mesures fiscales. Pour ce qui est de la société coopérative, une exonération des droits d'enregistrement est sans intérêt à la fois parce que le transfert des parts n'y est pas assujetti et parce que cette forme de société ne débouche usuellement pas sur des constructions juridiques comparables à la société anonyme d'actionnaires-locataires en propriété par étages.

L'acquéreur d'un immeuble bénéficiant des dispositions du présent projet de loi doit apparaître nommément comme propriétaire au registre foncier et avoir un régime de propriété individuelle, de copropriété ordinaire ou par étages ou, enfin, de propriété en main commune.

Article 3 -L'exonération et son mécanisme

Les droits d'enregistrement, comme l'impôt sur le bénéfice immobilier, au-delà des recettes qu'ils procurent, constituent indéniablement un levier important pour l'Etat en matière de politique économique dans le secteur foncier.

Contrairement à l'impôt sur le bénéfice immobilier qui affecte le vendeur, les droits d'enregistrement sont payés par l'acheteur et viennent en déduction du capital dont il dispose au titre de fonds propres à investir.

Composant la plus importante part de ce qu'il est convenu d'appeler «les frais d'acquisition», cet impôt est susceptible d'influencer la décision d'achat du fait de son impact sur le coût d'exploitation de l'immeuble. En effet, ce qui n'est pas investi en fonds propres devant être emprunté, la charge d'intérêts s'accroît d'autant.

Dans la majorité des cas et surtout pour l'acquéreur disposant d'un capital peu important, les droit fiscaux affectant les emprunts chargent une deuxième fois l'opération, réduisant plus fortement encore des fonds propres souvent limités.

Neutres en période de haute conjoncture, force est de constater que ces obligations fiscales ont un effet aggravant en régime de déflation.

La situation actuelle des finances de l'Etat pourrait fournir des arguments à ceux qui estimeront qu'il n'est pas temps de consentir des sacrifices fiscaux au bénéfice d'une population privilégiée.

En limitant le montant exonéré de la transaction à 400 000 F, le Conseil d'Etat limite à la fois l'importance du manque à percevoir en matière de droits d'enregistrement, lesquels ne seront d'ailleurs de toute manière pas perçus tant que les logements resteront sans acquéreur, et favorise des transactions à des prix abordables.

En effet, moins l'objet est coûteux, plus la part d'exonération est importante.

On pourrait imaginer que les vendeurs soient tentés d'augmenter leurs prix pour s'approprier le montant non prélevé par l'administration fiscale. La concurrence est aujourd'hui telle entre vendeurs qu'il n'y a pas lieu de craindre un tel procédé.

Pour ce qui concerne l'exonération des droits d'enregistrement sur les emprunts, actuellement particulièrement onéreux dans notre canton, elle est définie de manière à préserver l'application d'un principe fondamental pour la réussite à terme d'une acquisition foncière, à savoir l'exigence de fonds propres à hauteur des 20% du prix de l'objet.

Article 4 - Fonds de prévoyance

Certains salariés bénéficient certes d'un bon revenu, mais souvent, comme c'est en particulier le cas des personnes âgées de 30 à 40 ans, ils n'ont pas pu accumuler des fonds propres suffisants.

Le recours aux fonds de prévoyance professionnelle peut permettre de compléter efficacement les fonds propres manquants. C'est cette réflexion qui avait incité le Conseil fédéral à édicter l'ordonnance sur l'encouragement à la propriété du logement au moyen de la prévoyance professionnelle (OEPL) du 3 octobre 1994.

Le versement anticipé d'une part des fonds accumulés au titre de la prévoyance professionnelle détermine l'assujettissement à l'impôt. Cette imposition a également un effet pénalisant au moment de l'achat, même si elle est restituée ultérieurement et sans intérêt en cas de remboursement du versement anticipé.

Une exonération pour ces cas particuliers d'utilisation de fonds de prévoyance provoquerait une inégalité de traitement par rapport au bénéficiaire de la prévoyance qui attendrait d'avoir atteint la retraite pour bénéficer de sa rente, éventuellement du capital et aurait à payer l'impôt normalement dû.

La solution proposée dans le projet de loi consiste à maintenir l'obligation de contribution fiscale en allégeant la charge à court terme par un échelonnement du paiement sur 4 ans sans intérêt.

Article 5 - Champ d'application relatif aux personnes

Comme cela a été indiqué plus haut, aucune condition n'est imposée à l'acquéreur pour être mis au bénéfice des disposition de la loi, qui porterait sur son appartenance sociale ou sa situation financière.

Cependant, plus l'objet acquis est modeste, plus la part du prix faisant l'objet d'une exonération est importante.

Il s'agit également de veiller à ce que l'achat porte sur le logement que l'acquéreur occupera lui-même devenant ainsi ou restant contribuable dans le canton.

Article 6 - Conditions relatives au logement

Seuls les logements et leurs dépendances sont exonérés des droits d'enregistrement, alors que les locaux commerciaux restent assujettis à ces impôts.

Article 7 - Mesures en cas de non-respect de la loi

Cette disposition traite de la sanction des obligations mises à charge de l'acheteur d'un logement bénéficiant des exonérations et allégements fiscaux prévus dans le projet de loi.

S'agissant de la revente du logement à court terme, laquelle peut être due aux circonstances de la vie auxquelles le propriétaire est soumis, l'Etat récupérerait l'impôt exonéré, mais sans intérêt.

En revanche, s'agissant d'un acquéreur mis au bénéfice des exonérations et allégements fiscaux sur la base d'une fausse déclaration, soit qu'il est déjà propriétaire d'un autre logement, soit qu'il n'occupe pas celui qu'il a acquis au bénéfice de ces allégements fiscaux, il y a lieu de sanctionner le fait par l'exigence du paiement de l'impôt exonéré assorti d'un intérêt et ce sans préjudice d'autres sanctions civiles et pénales.

Article 8 -Mention au registre foncier

La mention au registre foncier est destinée à rappeler les obligations mises à charge de l'acquéreur et à permettre à l'autorité de veiller à leur observation (alinéa 1).

A l'alinéa 3, la preuve que doit amener l'acquéreur peut constituer soit en un titre, soit en une déclaration.

Articles 9 et 10 - Rétroactivité de la loi

Les mesures d'exonération sont envisagées dans un premier temps pour une durée échéant à la fin de l'année, ce qui permettra d'en évaluer les effets et l'opportunité d'une prorogation éventuelle.

La loi elle-même, en revanche, doit rester en vigueur pour la durée au moins de l'assujettissement des acquéreurs aux obligations qu'elle met à leur charge.

La présentation de ce projet de loi au Grand Conseil ne pourra pas avoir lieu de manière confidentielle. Une fois connu du public, il suscitera un effet de retardement pour les affaires immobilières proches de la conclusion, lequel irait à l'encontre du but recherché. Le principe de rétroactivité introduit à l'article 9 permet de surmonter cet obstacle.

En effet, les contribuables procédant à une acquisition après la date prévue à l'article 9, mais avant l'entrée en vigueur de la loi, pourront obtenir le remboursement des droits et émoluments éventuellement déjà perçus.

Le Conseil d'Etat aura à sa charge de prendre les dispositions nécessaires pour cette période transitoire. Ensuite, et en temps utile, il se déterminera sur l'opportunité d'une prorogation des régimes d'exemption pour un an au plus.

Ce projet est novateur à plus d'un titre; ses effets sont limités dans le temps; il doit contribuer à la préparation d'un terrain le plus favorable possible, à une reprise d'activité qui devrait se manifester. Allié à une offre de logements de qualité, à des prix compétitifs et à des instruments financiers adéquats, il aidera des habitants de ce canton à réaliser enfin un rêve jusqu'ici inaccessible.

Telles sont, Mesdames et Messieurs les députés, les motifs pour lesquels le Conseil d'Etat vous recommande d'adopter ce projet de loi.

Préconsultation

La présidente. La lecture de la lettre de l'Asloca et de celle du Rassemblement pour une politique sociale du logement a été demandée. Je prie Mme la secrétaire de bien vouloir procéder à cette lecture.

Annexe C 559

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Annexe C 565

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M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Je ne pensais pas intervenir au début de ce débat tant les choses sont connues des uns et des autres. Mais j'ai la faiblesse, après avoir entendu la lecture de la lettre du Rassemblement, de prendre la parole pour dire une évidence : par leurs déclarations, le Rassemblement et l'Asloca confirment qu'ils ne sont pas un groupement de défense des locataires mais une force politique en marche vers une perspective bien établie. Je me réjouis de relire cette lettre.

C'est un véritable scandale qu'un responsable de la protection des locataires tienne des propos qui ne correspondent pas du tout à la réalité sociale. Oser parler de chômeurs recherchant désespérément un logement ! Je demande au Rassemblement pour une politique sociale du logement de contacter mon bureau demain pour me dire quels sont ceux qui n'en ont pas trouvé !

Ce n'est pas la première fois que nous nous retrouvons dans une telle situation dans ce parlement, mais lancer des slogans ou traiter des dossiers de façon rigoureuse sont deux choses différentes. Ayons un contact ! Vous ne m'avez pas contacté depuis longtemps, car vous préférez écrire des lettres de ce type. Mais vous n'avez jamais rien revendiqué ni dit qui prouve que nos structures sociales en matière de logement ne fonctionnent pas.

Mesdames et Messieurs les députés qui ne partagez pas l'avis du Rassemblement et des partis politiques de l'opposition, grâce à une politique sociale qui coûte 100 millions par année comment pouvez-vous entendre des messages aussi orientés avec sérénité ! (Brouhaha.) Genève est le canton qui fait le plus d'efforts dans le domaine social du logement. Cela gêne bien entendu une opposition qui voit son fonds de commerce fondre comme neige au soleil et préfère les locataires aux propriétaires.

Relisez la constitution que vous violez purement et simplement ! Il est prévu de défendre les locataires et la propriété à la suite d'un amendement proposé par le parti radical. Ces évidences méritaient d'être relevées au moment où nous nous engageons dans un débat marqué du sceau de votre inquiétude face à certaines échéances.

M. Bernard Clerc (AdG), conseiller d'Etat. Je m'aperçois que le conseiller d'Etat responsable du dépôt de ce projet de loi semble s'énerver quelque peu.

Vous prétendez, Monsieur Haegi, que nous sommes favorables aux seuls locataires, mais je vais vous répondre exactement le contraire : en ce qui me concerne, je suis favorable à l'accès à la propriété pour tous les habitants de ce canton, mais cela implique nécessairement que la propriété, aujourd'hui entre les mains d'une minorité, soit redistribuée. (Des députés entonnent l'Internationale.) Nous n'en sommes évidemment pas là.

Reste à savoir si ce projet de loi est celui du Conseil d'Etat ou de la Chambre genevoise immobilière. (Brouhaha.) Il s'agit bel et bien d'un cadeau fiscal supplémentaire après celui relatif au gain immobilier qui supprime l'imposition après vingt-cinq ans de possession. Vous avez vous-même évalué la perte fiscale à 7 millions, et cela au moment où les comptes 1996 accusent des baisses de rentrées fiscales et une aggravation du déficit.

Après le projet de loi visant à favoriser l'accession à la propriété par le biais d'aides remboursables et de cautionnements, voici les exonérations fiscales. Nous nous posons évidemment un certain nombre de questions : quelles sont les personnes pouvant investir 400 000 F ou davantage dans un logement ? Ont-elles vraiment besoin de l'aide de l'Etat ? Cette limite que vous fixez n'implique absolument pas qu'une personne acquérant un logement ou une villa d'une valeur supérieure ne puisse pas bénéficier de cette aide.

Les établissements bancaires ayant prêté de manière inconsidérée ont effectivement besoin de liquider leurs contentieux. Nous assistons, en fait, à une intervention de l'Etat pour les soutenir dans cette procédure.

J'aimerais établir un parallèle entre ce cadeau fiscal, que vous vous apprêtez à faire aux propriétaires ou futurs propriétaires, la diminution de 3 millions du budget 1997 de l'aide au logement et le projet de loi visant à diminuer les salaires relatifs aux emplois temporaires qui sera bientôt soumis au Grand Conseil.

J'aimerais relever également la contradiction du discours que nous entendons souvent dans ce parlement : il faut attribuer l'aide de l'Etat à ceux qui en ont véritablement besoin. Pensez-vous sérieusement que les personnes capables d'investir 400 000 F ou plus dans un bien immobilier en aient besoin ?

Avec les organisations de locataires, l'Alliance de gauche s'opposera résolument à la mise en oeuvre de ce projet.

M. David Hiler (Ve). Notre groupe a beaucoup de raisons de refuser ce projet. D'une part, avec la diminution des ressources, il tombe mal - M. Vodoz le relevait lui-même. D'autre part, si nous avons toujours souhaité des mesures favorisant l'accès à la propriété nous avons voulu qu'elles soient remboursables, compte tenu de l'appartenance sociale des candidats. Enfin, il ne s'agit pas d'un véritable projet d'aide à l'accession à la propriété mais d'un soutien des prix de l'immobilier dans des opérations de liquidation, et il ne s'agit que de cela.

En anglais, ce qui vous est présenté par M. Haegi s'appelle un «bull» et n'a absolument rien à voir avec une telle aide. Si on prenait cette somme pour aider véritablement des petits propriétaires, on pourrait faire énormément. Mais ce que vous nous présentez, Monsieur Haegi, c'est un «mensonge». C'est le pire que l'on puisse faire : vous desservez la cause de la propriété. Monsieur, un conseiller d'Etat écoute ce qu'on lui dit, garde une certaine dignité et ne se comporte pas comme le tout-venant !

Il est scandaleux de présenter un projet dont l'objectif final est contraire à l'intérêt général. Plus vous soutenez les prix de l'immobilier plus vous rendez la vie des gens difficile. Au moment où une pression s'exerce sur les salaires, la moindre des choses serait d'abaisser les prix sur le marché immobilier. Ils ont été très élevés et le sont toujours. Vous ne devez certainement pas chercher à les maintenir, Monsieur Haegi.

On essaie donc de nous faire avaler une aide au «business» comme une aide à la propriété. C'est la raison pour laquelle nous refuserons même le renvoi en commission. Pour le reste, nous nous associons aux autres organisations du Rassemblement pour le référendum qui sera lancé si vous ne retrouvez pas la raison.

M. Laurent Moutinot (S). D'habitude, je ne pense pas être en mesure de convaincre les partis de l'Entente sur le sujet du logement. Mais, ce soir, je pense pouvoir le faire, exceptionnellement.

Je commence par le parti libéral. Interrogé par la «Tribune de Genève», M. Vodoz déclarait : «J'ai eu de la peine à voir passer ce projet, c'est une question de priorité.» Quel bel euphémisme ! J'imagine qu'au parti libéral certains ne soutiendront pas ce projet.

Je ne pense pas avoir non plus beaucoup de peine à convaincre le parti démocrate-chrétien, membre du Rassemblement pour une politique sociale du logement, et dont un certain nombre de magistrats, dans le passé et dans le présent, se sont retrouvés du côté des locataires.

Quant au parti radical, il est beaucoup trop avisé pour ne pas comprendre que ce projet... (Brouhaha.) ...n'est pas très habile.

Après le bonus-loyer, Monsieur Haegi, vous nous faites maintenant le bonus à la propriété. Votre prestation a été hallucinante; on ne peut pas continuer à traiter un tel sujet sur ce ton.

Comme le dit M. Vodoz, il y a une question de priorité. S'agit-il de restreindre aujourd'hui les ressources de l'Etat en faveur des nantis pour liquider une bulle spéculative immobilière ? La réponse est évidemment négative.

Vous parlez d'amender ce projet. On peut transiger sur beaucoup de choses, Monsieur Haegi, mais pas sur les principes. Là, il y a atteinte aux principes. Il ne saurait être question de transactions, de négociations, d'améliorations. De plus, sur le plan purement pratique, votre projet de loi ne fixe ni limite de fortune et de revenus ni aucun garde-fou. Il est en contradiction flagrante avec la diminution du budget des allocations logement. De même, vous n'avez pas fait grand-chose pour construire trois mille HBM.

Ce projet doit retourner à l'expéditeur. Vous avez fait votre publicité électorale. Maintenant, retirez ce projet !

M. René Koechlin (L). A l'évidence, il y a deux lectures du même projet de loi.

Une voix. Il y a la bonne et la mauvaise !

M. René Koechlin. Il n'y a pas une bonne et une mauvaise lecture, Madame, mais deux lectures différentes ! Un même texte peut susciter des réactions diamétralement opposées, simplement en fonction de la manière dont on le lit et des termes que l'on veut bien retenir.

En fait, je crois tout de même que ce projet vise des objectifs un peu plus positifs et constructifs que ceux que vous lui prêtez.

Il vise d'abord à encourager l'acquisition de «son» logement, j'y reviendrai. Il contribue ensuite à la relance du secteur de la construction. Ce projet s'inscrit dans la suite logique de l'Ordonnance fédérale du 3 octobre 1994 sur l'encouragement à la propriété de son logement par le recours à la prévoyance professionnelle de chacun.

Pour l'heure, l'ayant droit qui fait appel à sa caisse de retraite pour financer les fonds propres de son logement se voit grever de l'impôt qui réduit d'autant lesdits fonds propres. Ce qui, à l'évidence, va à fin contraire du but poursuivi. Ne serait-ce que pour ce motif, ce projet de loi est le bienvenu. En échelonnant le payement de l'impôt, il ne le supprime pas. Dès lors qu'il facilite à un plus grand nombre de personnes - notamment à la classe moyenne que vous prétendez défendre, Mesdames et Messieurs les députés... (Le député est interrompu.) J'essaie de «ratisser» un peu plus large que vous, Monsieur Grobet ! (Rires.)

Dès lors qu'il encourage cette classe à accéder à la propriété de son logement, ce projet peut, par la même occasion, relancer le secteur du bâtiment qui - faut-il le rappeler - est en pleine crise. Mais cela ne vous concerne absolument pas, Monsieur Grobet ! Vous touchez votre pension d'ancien conseiller d'Etat, et toutes ces questions vous laissent indifférent. (Brouhaha.)

La présidente. J'aimerais que l'on reste dans le sujet, Messieurs les députés !

M. René Koechlin. Ce projet contribue à relancer le secteur du bâtiment parce qu'il soutient la demande et encourage les constructeurs et tous les facteurs de l'offre non seulement à mettre sur pied des opérations mais à les mener à terme. Ce qui n'est pas une simple affaire aujourd'hui.

Il faut à tout prix stimuler la demande si l'on veut revigorer l'offre, pourvoyeuse de travail et d'emplois. Dans ce sens, ce projet de loi constitue une mesure concrète. Quant aux objections formulées tant par l'Asloca que par le Rassemblement, je considère que certaines, non dénuées d'intérêt, peuvent être retenues si on les dépouille de leur caractère émotif, pour ne pas dire passionnel. On pourrait ainsi corriger ce projet de loi en lui apportant quelques amendements. Pour notre part, nous l'examinerons avec beaucoup d'intérêt en commission.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Dans tous les pays d'Europe, le taux de propriétaires est incomparable à celui de la Suisse et de Genève en particulier où nous arrivons à peine à 14%. Il n'est pas nécessaire d'avoir fait de hautes études économiques pour comprendre que l'accession à la propriété est indiscutablement un facteur de relance.

Je dis très calmement que je ne trouve pas normal de faire preuve d'autant d'obstination, sans rien proposer de concret, et de se contenter d'évoquer des coopératives qui n'ont pas fait grand-chose de pratique. En prenant certaines mesures - qui ne consistent pas à faire des cadeaux - nous pouvons cesser simplement de ponctionner des taxes particulièrement malvenues, soit environ 20 000 F pour une dépense de 400 000 F. Cela ne signifie pas qu'on les ait en poche, puisque 20% de fonds propres suffisent.

Au moment où une famille rassemble environ 80 000 F pour accéder à un logement, l'Etat lui demande une vingtaine de milliers de francs. C'est un mauvais calcul économique. Contrairement à ce raisonnement purement comptable qui consiste à envisager la perte, le raisonnement économique consiste à mesurer les effets d'une telle démarche. L'Europe n'est pas faite que de pays socialistes ou libéraux, et les pays à gouvernement socialiste sont aussi nombreux que les autres. Dans ces pays-là, on ne tiendrait jamais les discours sur l'accession à la propriété que l'on entend à Genève. Ce discours est - j'en suis désolé - ringard et dépassé... Faites un petit calcul sur les conséquences d'un engagement dans ce sens !

Malgré les remarques que vous pouvez formuler, je n'ai jamais imaginé que le but de ce projet était de soutenir la vente de logements trop chers, mal construits ou mal situés. Si vous jugez que tel est l'objectif de ce texte, il faut le modifier. Dans sa lettre, le Rassemblement déclare ne pas être opposé à la propriété, mais jamais il n'a fait quelque chose en sa faveur. N'est-ce pas l'occasion d'apporter une contribution concrète pour montrer ce que vous entendez faire ? Ne peut-on imaginer, dans cette petite République, devenir propriétaire que si l'on est particulièrement riche ? Comment oser dire qu'en ayant 80 000 F de fonds propres, réunis dans un cadre familial, on est «riche» !

Pendant plusieurs décennies - et sans vous en offusquer - vous avez aidé des gens dont les revenus familiaux étaient à six chiffres. Des familles avec un revenu de 150 000 F bénéficiaient de logements HCM ou HLM. Lorsque j'ai proposé de revoir le barème, c'est dans vos milieux et au Rassemblement... (Brouhaha.) ...qu'il y a eu opposition, car vous entendiez continuer d'offrir cette contribution à la classe moyenne habituée à l'aide de l'Etat. Je peux vous montrer les procès-verbaux !

On ne saurait simplifier les choses en déclarant que nous voulons aider des gens qui ne l'auraient pas été jusqu'à présent. Curieusement, on est trop riche lorsque l'on fait un effort pour devenir propriétaire d'un logement. Par contre, si l'on vit sur un pied plus élevé et que l'on fait d'autres dépenses en n'apportant aucune contribution à la vie économique du canton, cela n'a pas d'importance ! Pendant des décennies, vous avez accepté d'aider des gens qui pouvaient être propriétaires de maisons situées dans d'autres cantons ou d'autres pays, tout en diminuant la charge hypothécaire de leur endettement. De plus, grâce à ce calcul, ils se retrouvaient dans la catégorie des bénéficiaires de logements HLM et HBM.

Etait-ce une démarche très sociale ? Des erreurs fondamentales ont été commises qui ne sont pas le fait d'un seul groupe. On se rend compte aujourd'hui du laxisme qui régnait. Mais ne dites pas qu'une famille réunissant 80 000 F grâce, notamment, à la contribution de plusieurs membres est devenue riche ! Il s'agit d'un choix familial donnant la priorité à une qualité de vie et ayant un impact économique dans le canton.

Monsieur Hiler, vous pensez avoir fait un bon mot en refusant d'aller en commission, mais ce n'est pas votre caractère; vous vous êtes éloigné de votre discours habituel ! Je m'attends plutôt à ce qu'en commission vous disiez le plus grand mal de ce projet sur les points à corriger. Proposez vos modifications ! Vous voulez que l'on fixe un plafond de 90 000 ou 95 000 F par pièce pour arriver à un montant maximum. Toutes ces propositions ne touchent pas des gens aisés auxquels on ferait des cadeaux. Il s'agit de renoncer à prélever une taxe excessive. Accéder à la propriété est aussi un acte social, mais il faut bien entendu moduler l'intervention de l'Etat. (Applaudissements.)

Ce projet est renvoyé à la commission du logement.