L'histoire de la Course de l'Escalade s'inscrit dans le cadre d'une double révolution: celle du sport pédestre populaire tout d'abord, engagée au début des années 1970; et celle aussi, plus transgressive, liée à la résurgence progressive d'une forme de carnaval au cœur de cette Genève protestante où ce type de célébration était formellement interdit depuis la Réforme.
Quelle relation peut bien exister entre la Course de l'Escalade et la commémoration de l'événement historique qui lui donne son nom? Très tôt, la victoire «militaire» de l'Escalade se double de célébrations profanes qui se sont enracinées dans les mentalités, en dépit des interdictions et des remontrances des pasteurs. Dans un Etat où toute fête religieuse est alors bannie depuis un demi-siècle, la commémoration de l'Escalade s'impose très vite et réintroduit la fête à Genève.
Progressivement, deux tendances de célébration vont s'opposer nettement jusqu'à représenter un véritable enjeu social. Il y a d'une part ceux qui veulent faire de l'Escalade une véritable fête patriotique: commémorative, digne et grave (avec culte, cortège et banquets); et d'autre part ceux qui entendent célébrer l'Escalade dans la liesse et d'une manière proche du carnaval ou du charivari.
En 1898, un groupe de citoyens fonde l'«Association patriotique genevoise pour la rénovation de l'Escalade», qui deviendra en 1928 la Compagnie 1602. Ces associations vont se donner pour tâche de «maintenir à la commémoration de l'Escalade le caractère de dignité patriotique qui lui sied et de stimuler le zèle de tous ceux qui veulent conserver les nobles traditions du passé.»
En 1960, une ordonnance du Conseil d'Etat n'autorisant les déguisements sur la voie publique lors des festivités (celles de l'Escalade en particulier) qu'aux seuls enfants de moins de 15 ans est promulguée en raison d'«atteintes à la solennité de la cérémonie de 1602». L'interdiction est reconduite en 1978, quelques jours seulement avant la première Course de l'Escalade…
En 1978, le nombre de coureurs déguisés est encore quasi inexistant à la Course de l'Escalade. Si les organisateurs de la course cherchent à lier leur événement à celui de la commémoration historique, c'est surtout dans l'espoir de donner une visibilité accrue à une manifestation jeune et méconnue. Après coup cependant, quelques témoignages sont venus contredire cette vision des choses. Comme celui de Jean-Louis Bottani, président du Comité d'organisation, qui dans le Nouveau Quotidien du 2 décembre 1994, déclarait: «Lorsque nous avons imaginé ce rendez-vous, il y a dix-sept ans, c'était d'abord pour faire un clin d'œil à Calvin. Nous voulions créer une autre fête, une sorte de contrepoids à la rigueur historique de la commémoration de l'Escalade.»
La tradition du déguisement ne s'est imposée que très progressivement lors de la Course de l'Escalade. Ce n'est qu'en 1985 que ce déguisement a été «reconnu», avant d'être institutionnalisé en 1991 par la création de l'épreuve de la Marmite. On peut raisonnablement penser que la Course de l'Escalade fut, et d'une certaine manière reste, un moyen de contourner l'interdit officiel de 1960 renouvelé en 1978. Car l'épreuve genevoise prolonge de manière inattendue et originale le long conflit ayant opposé depuis le XVIIe siècle les défenseurs de la commémoration solennelle et ceux de la fête humoristique.
En 1978, l'invention de la Course de l'Escalade avait été ressentie par la Compagnie 1602 comme une tentative de remise en question des valeurs traditionnelles. Finalement, c'est la population genevoise elle-même qui petit à petit réintroduira la mascarade spontanée de l'Escalade par l'intermédiaire du sport et de la course à pied.
1. Affiche de la 7e Course de l'Escalade (G. Ducimetière - 1984: la Course de l'Escalade et la célébration des événements historiques de 1602: accords et désaccords…
2. Lithographie d'Exem réalisée à l'occasion des 11e, 12e et 13e éditions de la Course (1988-1990): La Course de l'Escalade, une manière sympathique de bousculer les traditions.[Non reproduit]
3. Prix-souvenir de la 6e Course de l'Escalade (1983). [Non reproduit]
4. Prix-souvenir de la 19e Course de l'Escalade (1996). [Non reproduit]
5. Jour d'Escalade (photographies d'Eddy Mottaz). [Non reproduit]