Biens communaux et grands domaines
Parmi les transformations qui ont durablement modifié la campagne genevoise, deux mouvements importants ont eu lieu pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. D'un côté des biens communaux tendent à disparaître, de l'autre de grandes propriétés se créent.
Les biens communaux
Les biens communaux sont des terres qui appartiennent à la paroisse soit à la communauté des habitants. Généralement de faible rendement - il s'agit surtout de friches, teppes et broussailles - ces parcelles fournissent du bois de construction et de chauffage, qui est une denrée très précieuse sous l'Ancien Régime, et permettent aux plus démunis de faire paître quelques têtes de bétail (les chèvres, vaches, mais aussi les porcs mangeurs de glands). Ces biens sont parfois amodiés (soit loués) à des particuliers, par exemple à Jussy.
Pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, avant même la Révolution française, les biens communaux subissent des aliénations et des modifications. Dans certaines communes, comme à Russin où ils correspondent à une superficie étonnamment importante, ce ne sont pas moins de 27 hectares qui sont partagés entre les communiers (propriétaires présents sur la commune), autour des années 1784-1788. A Jussy, en 1795 - soit sous l'impulsion révolutionnaire - une partie des biens communaux est vendue, malgré la réticence des communiers, pour qui il s'agit d'une vraie «deterioration de leurs communaux» si utiles à tous, vu la taille du cheptel et le manque de prés.
1. Sur ce plan cadastral de Russin de 1783, la division des biens communaux apparaît très clairement une grande partie du lieu dit «Es Isles de Bois» a été morcelée en fines parcelles individuelles et mise en culture de chanvre. La taille des parcelles dépend des droits du communier, mais aussi peut-être de la qualité de la terre (cadastre Mayer, soit Cadastre B 74, planche 24)
Les grands domaines
C'est aussi à cette époque que les familles patriciennes constituent ce que l'on considère encore comme les grands domaines genevois. Par l'achat de parcelles agricoles et viticoles, par l'achat et parfois la destruction de bâtiments ruraux existants, les familles Pictet, de Saussure, de La Rive, Lombard et van Berchem créent de grandes propriétés, n'hésitant pas à s'étendre sur la Côte vaudoise, le Pays de Gex (Jura) et la Savoie (Salève).
Cet engouement des familles aisées pour la terre a de nombreuses motivations. Le placement financier et l'obtention de stabilité, de notabilité et parfois même d'un titre, bien sûr; mais aussi la satisfaction de la rentabilité des terres - surtout avec la vigne. Sans oublier le plaisir du citadin à posséder une propriété de villégiature, «une acquisition de fantaisie», dira Jacques Vernet. Ce sont donc à la fois des exploitations agricoles et des campagnes de détente et de loisir, comme en témoignent la «possibilité» faite au propriétaire «de cueillir des fleurs» et le désir de «garnir les allées de bordures» qui figurent dans certains contrats de métayers.
M. Zumkeller a en plus remarqué que les grands domaines genevois servaient souvent de patrimoine pour les femmes de la famille, qui jouaient un rôle important dans leur gestion; tandis que les hommes héritaient de l'entreprise paternelle, souvent bancaire. Selon lui, c'est même là l'une des raisons de la pérennité de ces propriétés.
2. Plan cadastral de Chêne-Bougeries, 1788. Propriété de Nicolas de Saussure à Conches. La propriété compte plusieurs parcelles de franc alleu (soit libres de droits), une autre fait partie du fief de l'Evêché. Noter aussi la carpière. En 1795, cette propriété est aux mains d'Horace-Bénedict de Saussure (photographie du cadastre Mayer, soit Cadastre B 85, planche 25)