James Pradier se propose de créer à titre gracieux un monument à la gloire de l’écrivain. Finalement, une souscription est organisée et la statue inaugurée le 24 février 1835 après plus de dix ans de polémiques sur l’île aux Barques, rebaptisée Ile Rousseau.
Lithographie de Kellner représentant le monument de Rousseau par James Pradier, érigé le 24 février 1835 sur l’Ile aux Barques. Le lieu est rebaptisée dès lors Ile Rousseau (CIG, Gir 435/07)
Les autorités aristocratiques se sont elles-mêmes «tiré une balle dans le pied» (F. Jacob) en érigeant le monument en pleine période de la «Régénération», où les tensions sont vives entre les libéraux-radicaux et les conservateurs.
L’œuvre est en effet vivement critiquée. La posture néo-classique de sénateur, manquant de surcroît de réalisme, est bien éloignée des valeurs prônées par le philosophe. Mais toutes les précautions sont prises pour maîtriser la situation le jour de l’inauguration et la population applaudit lors du dévoilement solennel de la statue.
D’un point de vue symbolique, l’érection de ce monument dans une île évoque deux lieux emblématiques de la saga rousseauiste: l’île Saint-Pierre sur le lac de Bienne, où Rousseau avait trouvé pendant quelque temps un havre de paix, et l’île des Peupliers à Ermenonville, où se trouve son tombeau.
Charles Jean Richard, portrait de Jean-Jacques Rousseau. Médaille d’argent. 1878 (CIG, 0573)
La grande manifestation suivante en l’honneur de Rousseau a lieu en 1878, année du premier centenaire de sa mort.
A Genève, la conjoncture politique est difficile. On est en pleine crise politico-religieuse du Kulturkampf, le régime du radical Antoine Carteret a mis en place des lois anticléricales et tâche de contrôler l’Eglise catholique. Le conflit s’achèvera au début du XXe siècle par la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
En 1878, l’opposition au régime radical accuse Carteret et son gouvernement de récupérer à leur profit la commémoration de la mort de Rousseau. Mais la fête programmée sur trois jours, du 30 juin au 2 juillet, est malgré les dissensions politiques un immense succès populaire.
Elle consacre la réintégration de Rousseau dans le patrimoine genevois, au-delà des controverses religieuses ou politiques.
Louis Dumur, Centenaire de Jean-Jacques. Roman humoristique paru en 1910, illustrant le caractère houleux des manifestations de 1878, avec la division en deux clans des collégiens: d’un côté les partisans de Rousseau, déterminés à participer aux cérémonies et de l’autre les adversaires de l’écrivain refusant d’y prendre part (Collection privée)
Ticket d'entrée au Banquet national de 1878
Sélection d’imprimés parus à l’occasion du centenaire de la mort de Rousseau en 1878
(AEG, Bibliothèque, 3301/13, 3301/18, 3301/14)