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2. Pourquoi des «pouvoirs partagés»?

Depuis le XIIe siècle, les principales institutions d’Eglise dans le bassin genevois, soit le prieuré Saint-Victor et le chapitre de la cathédrale Saint-Pierre, possèdent des terres et des droits de juridiction sur un certain nombre de villages aux alentours de Genève, dans le Faucigny, dans le Genevois jusqu’à Clermont en Albanais, dans le Pays de Gex et dans le pays de Vaud jusqu’à Aubonne.

Mais dès l’époque où l’on peut les saisir par les documents, ces droits de juridiction que possède l’Eglise sont partagés avec d’autres puissances. Car si par exemple le prieur de Saint-Victor peut condamner des délinquants sur sa terre à la mort ou à la mutilation, en revanche il ne peut pas exécuter ou faire exécuter la sentence par ses officiers, car en droit canonique «l’Eglise a horreur du sang». Le condamné est donc remis au comte de Genève, avoué du prieuré de Saint-Victor, qui se charge d’exécuter la sentence.

Ainsi, peu à peu, le comte de Genève, puis son héritier, après l’extinction de la famille à la fin du XIVe siècle, le duc de Savoie, et épisodiquement les Bernois, puis à nouveau le duc de Savoie, grignotent des droits de juridiction appartenant à l’Eglise.

On pourrait penser qu’à la Réforme, avec la sécularisation de fait des terres de Saint-Victor et du Chapitre, ce partage des juridictions a été modifié. Mais c’est là raisonner dans des termes inconnus du Moyen Age et de l’Ancien Régime. Malgré les faits de guerre, la révolution politique et religieuse à Genève, les terres de Saint-Victor et du Chapitre n’ont fait que changer de propriétaires, mais les usages anciens en matière de justice sont restés en vigueur.

D’où les conflits: en 1536, un nouveau traité de combourgeoisie et une sorte de mode de vivre ont été scellés entre Genève et Berne, aux termes desquels les Genevois conservent la prééminence sur leur ville, ainsi que sur les trois anciens mandements épiscopaux de Peney, Jussy et Thiez. Ils ont en revanche dû renoncer à un mandement de Gaillard, constitué autour de Chêne et de Thônex, qui reliait la ville au mandement de Jussy, et perdront bientôt le mandement de Thiez, sur lequel le roi de France a mis la main.

Toutefois, encerclant Genève de toutes parts, avec les bailliages de Gex, de Ternier et Gaillard, et de Thonon ou du Chablais, les Bernois s’efforcent, par diverses manœuvres ou empiètements des baillis, de mettre la main sur les terres de Saint-Victor et du Chapitre.

Pour tenter de résoudre le problème, les Genevois envoient à Berne en mars 1539 trois magistrats pour négocier. Il en sortira, plusieurs mois plus tard, un projet de traité attribuant aux Bernois «la haute souveraineté» sur les terres de Saint-Victor et du Chapitre. C’est la première fois qu’une telle expression est employée. Quant aux Genevois, ils ne détiennent que les droits utiles et la basse justice. Ils refusent donc de sceller le traité. Il s’ensuivra un long conflit qui ne sera arbitré qu’avec beaucoup de peine par quatre magistrats bâlois.
 

Du Départ de Bâle au Traité de Turin 

Les Bâlois ont déjà reconnu le caractère épineux, pour ne pas dire insoluble, du problème, qu’ils qualifiaient de «labyrinthe». En effet, les terres convoitées sont constituées d’une poussière de hameaux, de villages, de parcelles, voire de familles, sur lesquels s’exercent des droits différenciés. Le statut des hommes de Saint-Victor n’est pas le même que celui des hommes du Chapitre, puisque seuls ces derniers sont expressément astreints au devoir d’homme – même si par la suite, les deux seigneuries seront confondues dans une même appellation.

Les Bâlois proposent donc de simplifier les choses en donnant à Genève la haute souveraineté sur les terres de Saint-Victor et du Chapitre, moyennant une indemnité pécuniaire à Berne. Peut-être les arbitres bâlois ont-ils pris conscience du fait que la faiblesse de Genève et l’exiguïté de son territoire sont un facteur de fragilité pour l’ensemble de la Confédération. Mais les Bernois refusent d’entrer en matière sur cette proposition.

Les arbitres proposent alors que les terres de Saint-Victor soient attribuées en toute souveraineté à l’une des deux Républiques et les villages du Chapitre à l’autre. Dans tous les cas, Genève garderait les droits du Chapitre dans la ville, moyennant une indemnité convenable aux Bernois. Mais cet arrangement ne convient à aucune des deux parties.

Il faudra donc s’attaquer à une analyse des droits respectifs des parties, soit de la nature de la haute souveraineté et de ce qui lui est attaché, ainsi que du contenu des droits utiles. Les procès-verbaux des discussions et les projets successifs d’accords, avec les remarques des uns et des autres sur ces projets, constituent la trame d’un véritable marchandage; marchandage fort révélateur, au demeurant, des mentalités et de la perception du pouvoir par les parties.

Finalement, le Départ de Bâle, compromis historique, sera adopté au début de 1544. Il devait être invoqué durant des siècles, d’abord dans le «Mode de vivre» de 1570, signé entre Genève et le duc de Savoie, qui proroge le régime établi en 1544, puis par le traité de Saint-Julien de 1603, et lors de diverses autres négociations, jusqu’à ce que les traités de Paris en 1749 et de Turin en 1754 mettent un terme à ces relations transfrontalières vraiment trop compliquées.

C’est ainsi qu’au travers de ces documents de la pratique juridique, dans une situation perpétuellement conflictuelle et donc révélatrice, on peut observer le fonctionnement de ces sociétés du Moyen Age et de l’Ancien Régime dans ces villages de la campagne genevoise qui ont été si peu étudiés.

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