Ecusson de la République et du canton de Genève


REPUBLIQUE
ET CANTON
DE GENEVE

Changer la couleur des liens Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer la page
ge.ch
 
Ge.ch > Archives

Archives

2. Le Moyen Age

Troinex et la Grande Peste

En 1343, le prieur de Saint-Victor Humbert de Pelly (prieur de 1338 à 1382) entreprit une vigoureuse campagne de désendettement du prieuré. La première chose à faire était de s'assurer que tous les dépendants du couvent payaient bien tout ce qu'ils lui devaient. On chargea donc un notaire rattaché à la cour de l'official, Ripherius de Quinssier, d'aller enquêter dans les villages, et de faire reconnaître à chacun des hommes du prieuré quel était son statut personnel, quels étaient les biens-fonds qu'il tenait du prieuré, et quelles redevances ou rentes étaient dues au prieuré pour ces biens-fonds. Toutes ces «reconnaissances féodales» sont contenues dans un grand registre sur papier, dûment authentifié par le notaire, et conservé aujourd'hui aux Archives de l'Etat.

Le recueil ainsi établi, la «grosse» des reconnaissances de 1343, fournit une information précieuse, mais probablement incomplète sur l'état de la population et du terroir dans les villages de Saint-Victor. Il y manque en particulier un volet important: la description de la «réserve seigneuriale», c'est-à-dire de tous les bâtiments et biens-fonds qui dépendaient directement du prieuré, tels la maison-forte, la grange, le moulin et le four banals, et toutes les terres, vignes et prairies exploitées par le faire-valoir direct. Mais pour la vie des paysans, on possède peu de sources aussi riches. De plus, la grosse de 1343 est antérieure de cinq ans à la Grande Peste, la première et la plus sévère épidémie de peste qu'ait connue l'Occident. On peut donc, dans ce cas, en comparant le recueil de 1343 avec celui de 1388, avoir une idée des effets de la Grande Peste sur la démographie et sur la répartition de la propriété.

A Troinex comme ailleurs, la Grande Peste apparaît comme une catastrophe démographique et économique sans précédent. En effet, en 1343, le notaire a enregistré les reconnaissances de cinquante-cinq hommes et de quatre femmes, soit 59 chefs de familles possédant chacun et chacune au moins une maison et des terres dépendant du prieuré Saint-Victor. En outre, deux communautés d’habitants sont organisées, l’une à Troinex, l’autre à Mugnay, un hameau d’une douzaine de maisons aujourd’hui disparu.

En 1388, lorsque le notaire Ansermetus de Veyrier vient lever les reconnaissances à Troinex, il n’y a plus que quinze chefs de familles. Les communautés ne sont pas mentionnées: la catastrophe démographique a désorganisé le village. Les terres disponibles sont soit retombées en friche, soit redistribuées. La plupart des hommes de Troinex déclarent alors non seulement le fief taillable qu'ils ont hérité de leur père, mais encore un ou deux autres fiefs taillables qui leur ont été remis par le prieur Humbert de Pellier, sans doute à la suite du décès sans héritiers directs des précédents tenanciers. Ces deux ou trois fiefs et la taille qui est due pour eux sont distincts à l'intérieur de la même reconnaissance. Apparemment, malgré la diminution catastrophique du nombre des hommes pouvant cultiver ses tenures, le prieuré ne veut renoncer à aucun de ses revenus.

Mais il faut remarquer aussi que les tailles «à miséricorde», même si elles portent toujours ce qualificatif, qui n’étaient pas encore fixées en 1343, sont désormais limitées par écrit: deux fois par an, soit entre 4 et 10 sols à la Saint-Michel (29 septembre) et généralement un peu moins à carême-prenant. Pour ceux qui tiennent trois fiefs taillables, cette taille triple, ajoutée aux autres redevances et aux dîmes, constitue certainement une très lourde charge.

Les corvées, elles aussi, sont liées non aux personnes, mais aux fiefs. Pour chacun d'eux, les taillables – d'ailleurs également les cinq hommes-liges et censits dont les reconnaissances figurent dans ce recueil – doivent trois types de prestations sur la réserve seigneuriale: ils doivent venir trois fois par an avec leurs animaux pour labourer, au printemps, en été et en automne, transporter la vendange du seigneur et participer aux foins sur les prés de ce dernier. Si un homme-lige détient trois fiefs, le nombre de journées de travail qu'il doit fournir au prieuré est donc triple, alors même qu'il a beaucoup plus de terres à cultiver. Pratiquement toutefois, la dépopulation due à la Grande Peste a dû faire perdre au seigneur beaucoup de journées de corvées, car on observe au siècle suivant que plus d'une parcelle de la réserve seigneuriale est abergée à des particuliers pour qu'elle soit mieux mise en valeur.
 

Le Laboureur (Hans Holbein le Jeune)
1. Le Laboureur, gravure extraite de la « Danse macabre » d'Hans Holbein le Jeune, c. 1540

2. Reconnaissance de Perronodus Chievra, taillable, dont la tenure sera reprise après la Grande Peste par Jean Testa (Titres et droits Ea 1, folio 112 r°) [non reproduit]

3. Sans doute une des meilleures représentations des bocages que l'on trouvait dans la campagne genevoise figure dans ce «Portrais de Cilligniez et Crans», XVIe siècle (PE 2) [non reproduit]

4. Reconnaissance de Jean Testa, fils de feu Martin Testa, qui reconnaît la tenure de sa famille et celle qu'il a reprise de feu Perret Chievra avec les tailles et les corvées qui leur sont liées (Titres et droits Ea 2, folios 95 v°-96 r°) [non reproduit]

haut de page