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15. Condamnation de l'"Emile" et du "Contrat social" (1761-1762)

Installé dès 1756 à l’Ermitage de Montmorency au nord de Paris, chez Madame d’Epinay, Rousseau se brouille finalement avec cette dernière et avec les encyclopédistes Diderot et Grimm.

Il accepte l’année suivante l’hospitalité bienveillante du maréchal de Luxembourg, également à Montmorency, où il développe une intense activité d’écriture et assoit sa position de philosophe. En quelques années, en sus de sa correspondance abondante, il poursuit la rédaction de la Lettre à d’Alembert et de Julie ou la Nouvelle Héloïse, commencés lors de son séjour à l’Ermitage.

En 1761, lors de la parution de La Nouvelle Héloïse, Rousseau rencontre un énorme succès avec cette oeuvre qui révolutionne l’écriture romanesque, se basant sur une intrigue simple et un petit nombre de personnages, et où les rives du lac Léman inspirent à l’auteur des pages inoubliables.

Mais ce sont deux autres textes majeurs qui vont bouleverser le destin de l’écrivain et philosophe: malgré de fréquents problèmes de santé, Rousseau achève encore en 1761 Emile ou de l’éducation et Du contrat social.

Ces deux ouvrages, parus en 1762, marquent une rupture dans sa vie en suscitant une polémique encore bien plus grave que celles des deux Discours ou de la Lettre à d’Alembert, et font de lui dorénavant et jusqu’à la fin de ses jours un paria pour les gouvernements français et genevois.
 

AEG, P.C. 11009
Arrêt de la Cour du Parlement de Paris condamnant les ouvrages de Rousseau. 9 juin 1762
(AEG, P.C. 11009)

Dans l’Emile, Rousseau, en rupture complète avec les principes éducatifs de son temps, préconise une éducation «négative», qui consiste non pas à enseigner mais à susciter le désir d’apprendre, et grâce à laquelle l’individu s’épanouit selon sa nature, à l’écart des contraintes sociales, en toute liberté. Pour Rousseau, l’enfant a droit de cité en tant que tel et non comme un adulte en réduction, opinion révolutionnaire pour l’époque.

Mais c’est le livre IV, intitulé Profession de foi du vicaire savoyard, qui va créer la controverse, en raison des idées que Rousseau avance sur la religion. Il y expose ses propres convictions, sa croyance en la liberté et en l’immortalité de l’âme, sa foi en une religion naturelle et son rejet des miracles. Il fait siens également les arguments des philosophes des Lumières contre les religions révélées et leurs paradoxes, leurs préjugés, voire leurs absurdités.

Pour Rousseau, l’essentiel de la religion, au-delà des clivages confessionnels, doit venir du cœur et être fondé sur la morale, s’attacher plus à l’esprit de l’Evangile qu’aux dogmes des Eglises.

Cette forme de déisme fera assimiler par ses adversaires politiques les convictions religieuses de Rousseau à de l’athéisme.

Les autorités religieuses, aussi bien catholiques que réformées, à Paris et à Genève, condamnent le texte, malgré la croyance en Dieu dont Rousseau témoigne dans cette Profession de foi du vicaire savoyard, qu’au demeurant Voltaire saluera, contrairement au reste de l’Emile qu’il qualifie de «fatras d’une sotte nourrice en 4 tomes»!
 

AEG, P.C. 11009
Exemplaire non relié de l’Emile faisant partie de la procédure instruite contre Rousseau. Passage du Vicaire savoyard (AEG, P.C. 11009)

Le Parlement de Paris condamne le 9 juin 1762 l’Emile à être lacéré et brûlé. Le gouvernement genevois fera de même, incluant dans sa condamnation Du contrat social.

Cet essai, paru en même temps que l’Emile, déclenche immédiatement un scandale, aussi bien à Paris qu’à Genève, en partie, comme l’Emile, à cause des pages sur la religion.

En effet, même si «une religion est toujours nécessaire à la bonne constitution d’un Etat», Rousseau revient sur la notion de «religion civile», fondée sur quatre dogmes: l’existence de Dieu, la survie de l’âme, le bonheur des justes et le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et la condamnation de l’intolérance. Le citoyen qui ne se conforme pas à ces dogmes sera exclu de l’Etat. La religion trouve ici sa justification dans son efficacité politique, sa capacité à faire de bons citoyens.

Mais ce sont bien sûr les idées politiques que Rousseau expose dans cette oeuvre qui amèneront les autorités genevoises à condamner le Contrat social. Il y décrit un Etat utopique, voire même «une cité introuvable» largement inspirée de Genève, dont il donne une vision idéale pour mieux la critiquer en sous-main et justifier les révoltes qui l’ont secouée tout au long de cette première moitié du XVIIIe siècle.
 

AEG, P.H. 4861
Conclusions du procureur général Jean-Robert Tronchin, suite à la demande d’examen des ouvrages de Rousseau par le Petit Conseil. 19 juin 1762 (AEG, P.H. 4861)

La philosophie politique de Rousseau est imprégnée des œuvres de l’école du droit naturel, qui articule les liens entre la raison et l’instinct social, illustrée par Grotius, Pufendorf, Hobbes et le Genevois Jean-Jacques Burlamaqui. Elle présente une pensée originale et novatrice fondée sur quelques concepts clés, tels que l’état de nature ou la volonté générale.

Plutôt qu’un système monarchique limité ou un despotisme éclairé, Rousseau fonde la souveraineté politique sur la nation et, dès lors, propose un vrai système démocratique. Cette philosophie politique sera à la base d’une nouvelle approche de la nature du pouvoir et des systèmes de gouvernement, et influencera les révolutions américaine et française.
 

AEG, R.C. 262
Condamnation de l’Emile et du Contrat social par les autorités genevoises, suite aux conclusions du procureur général Jean-Robert Tronchin et au rapport des « scholarques » lors de la séance du Conseil du 19 juin 1762. Dans la marge de droite, on trouve la réhabilitation de Rousseau par le Conseil des Deux Cents, après l’arrêt du 2 mars 1791, motivée par le fait que l’écrivain n’avait pas été entendu personnellement en 1762 (AEG, R.C. 262, p. 239-240)

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