Ecusson de la République et du canton de Genève


REPUBLIQUE
ET CANTON
DE GENEVE

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11. Le traité de Turin - 1754


Le traité de Turin. Un vrai puzzle - 3 juin 1754

Dessin de Pierre Reymond
© P. Reymond et Archives d'Etat de Genève


TRAITÉ DE TURIN

Les différends qui subsistent depuis longtems entre la Savoye et Geneve ayant donné lieu à diverses puissances amies, et particulierement aux loüables cantons de Zurich et de Berne, de marquer un desir sincere de les voir terminer par un arrangement propre à étoufer en même tems tout germe de difficultés pour l’avenir, et Sa Majesté ayant bien voulu condecendre à ces vûës et consentir qu’on en vint, à ces fins, à des conferences sur le plan qui avoit été proposé de la part desdits loüables cantons, les commissaires soussignés, deûment autorisés de part et d’autre, en vertu des pleins pouvoirs qu’ils se sont respectivement communiqués et qui seront inserés ci-après, ont conclu et arreté les articles suivans.

Article I
Pour faire cesser toutes les difficultés qui naissent de la situation et de la nature des terres et fiefs possedés par la Seigneurie de Geneve dans les balliages de Ternier et Galliard, il sera procedé, tant par voïe de partage que d’echange, à la limitation des territoires dont il s’agit, de la maniere et aux conditions ci-après.

II
La banlieue de Geneve du coté de Galliard, deja limitée par le ruisseau de la Seime dès son embouchure dans l’Arve jusques au pont de Chesne, continuera le long de ce même ruisseau, en le remontant dès ledit pont de Chesne jusques au pont Bochet, d’où la limitation prendra ensuite par le chemin tendant à Miolans et, de là, au lac, à forme du plan topographique et du verbal signés à double, faisant partie du present traité.

III
Les villages de Gy et de Sionnet, avec les territoires figurés sur le meme plan et plus particulierement designés par le verbal relatif à icelui, seront unis et incorporés au mandement de Jussy.

IV
Du coté de Ternier, Sa Majesté cede à la ville et Republique de Geneve le terrain qui lui apartient à la rive gauche de la riviere d’Arve, de la maniere tracée par le plan susdit, qui laisse, du côté de Savoye, toutes les maisons de Carouge, par une ligne tirée dez le bord de ladite riviere jusques au chemin qui conduit de là au Crest des Morts, lequel chemin servira ensuite de limite, et, de là, serà tirée une ligne droite jusques au Rhosne, entre la Batie et St George, comme serà plus particulierement expliqué dans ledit verbal.

V
La Republique retiendra encore les villages de Cartigny, La Petite Grave, Epeisse et Passery, avec leurs territoires, dès le grand chemin tendant de Geneve à Chancy, jusques au Rhosne, à forme du plan et verbal auxquels on se raporte.

VI
Dans les lieux et territores ce-devant exprimés, Sa Majesté, pour elle et ses successeurs quelconques, cede à perpetuité à la Republique de Geneve tous droits de souveraineté et autres qui peuvent lui apartenir, sans exception ni reserve.

VII
Reciproquement, ladite Republique cede à Sa Majesté et à ses successeurs tous les droits qui peuvent lui apartenir, sans exception et à quel titre que ce soit, hors des limites et territoires susdits, tant dans lesdits balliages que dans le duché de Savoye, sous la reserve toutesfois de Chancy et Avully, et du mandement de Jussi, duquel sera encore demembré, en faveur de Sa Majesté, le territoire des Etoles et Grange Veigy, jusques au nant de Tuernant, qui fera desormais le confin dudit mandement du coté de Chablaix, et sera procedé à la limitation de ces territoires reservés par les commissaires respectifs, qui seront chargés de l’execution de celle dont on est convenu par ce traité.

VIII
Dans les cessions portées par l’article precedent, sont compris tous les droits dont ladite ville et Republique jouït, à quel titre que ce puisse être, hors des territoires, qu’elle aquiert ou conserve par ce traité, et, entre autres, ceux de jurisdiction, fiefs, dimes et autres revenus quelconques, sous les reserves portées par le verbal susdit et sans prejudice de la validité des actes passés par ladite Republique au sujet des terres et droits par elle cedés, et des jugemens rendus en contradictoire et passés en force de jugé.

IX
Tous les chemins, sentiers, ruisseaux ou ponts, qui par le present reglement pourroient être regardés comme limitrophes, seront de l’entiere souveraineté de Sa Majesté.

X
Le Roy fera remettre à la Republique, lors de l’echange des ratifications du present traité, un acte, en bonne forme, portant cession des droits de fiefs, dimes et autres revenus que l’ordre des Saint-Maurice-et-Lazare, soit la commanderie de St Jean, possede dans Geneve et son territoire, de la maniere qui sera plus particulierment expliquée par ledit acte.

XI
Tous les titres, terriers et documens concernant les choses respectivement cedées seront remis de bonne foi le plutôt que faire se pourrà de même que ceux qui peuvent interesser les sujets du Roy.

XII
Les habitants des lieux reciproquement cedés pourront, pendant le terme de vingt-cinq ans, continuer, comme par le passé, le libre exercice de leur religion et en faire les fonctions dans les églises ou temples voisins, et celui de Bossey sera conservé, avec ses dependances, pendant le même terme, pour la commodité et l’usage de ceux qui professent la religion protestante sous Salevoz.
Ces mêmes habitans auront, pendant ce terme, la liberté de se retirer, sans obstacle ni païment de finance, avec leurs effets et le prix de leurs biens, s’ils ont occasion d’en faire la vente, à defaut de quoi il leur sera loisible, après ledit terme, de les conserver en les faisant cultiver par des personnes de la religion permise dans l’Etat où ils seront situés.

XIII
Pour donner à la Republique des preuves de la même bienveillance qu’elle a eprouvé des royaux predecesseurs de Sa Majesté, le Roy consent que ceux qui sont ou seront citoïens ou bourgeois de Geneve ne puissent, non plus que leurs serviteurs ou domestiques, être inquietés pour cause de religion, pendant qu’ils sejoureneront dans leurs maisons et biens situés en Savoye, à la charge toutesfois de ne dogmatiser et de n’y faire leur habitation principale.

XIV
Par une suite de ces favorables dispositions pour les citoïens et bourgeois susdits, Sa Majesté veut bien encore qu’ils demeurent, comme par le passé, exempts de toutes tailles, contributions, levées de grains, impots, rations, decimes et de toutes autres charges, tant ordinaires qu’extraordinaires, pour les biens apellés de l’ancien denombrement de même que pour ceux qui leur apartiennent actuellement dans tous les lieux que Geneve cede par ce traité ou qui sont de la mouvance des fiefs de Jussy, Peney, St Victor et Chapitre, de tous lesquels biens sera dressé un cadastre particulier, après la verification qui en sera faite, de la maniere expliquée par le verbal joint au present.

XV
Il y aura liberté reciproque de commerce et, à l’égard du sel necessaire pour le mandement de Jussy et les villages qui apartiendront à Geneve du côté de Ternier, on pourra le transmarcher, comme par le passé, sur le territoire de Sa Majesté, sans y commettre abus ; il sera de même loisible aux finances et gabelles de Sa Majesté de faire passer ou entreposer leurs sels dans la ville de Geneve et son territoire, sans païement d’aucun droit.

XVI
Sa Majesté accorde en outre, tant pour les officiers de Geneve que pour la translation des prisonniers, passage par le chemin tendant de pont Bochet à celui de Choulex et, de là, à Jussy.

XVII
Au moien des arrangemens portés par ce traité et par le verbal qui en fait partie, toutes autres pretentions, de quelle nature qu’elles puissent être, demeurent sans autres eteintes et aneanties de part et d’autre, à perpetuité.

XVIII
Les presents articles de même que le contenu audit verbal seront ratifiés par le Roy et la Republique de Geneve, et l’echange des ratifications se fera en cette ville dans le terme de quinze jours ou plutôt si faire se peut.

Fait et arreté, en vertu des pleins pouvoirs susdits, entre nous, Jean-Joseph Foncet, baron de Montailleur, seigneur de La Tour, conseiller d’Etat, au nom de Sadite Majesté, et nous, Pierre Mussard, sindic et conseiller d’Etat de ladite Republique, et au nom d’icelle, et, en foi de ce, avons signé et fait aposer le cachet de nos armes, à Turin, le troisieme du mois de juin mil sept cent cinquante quatre.
Foncet de Montailleur
Mussard

AEG, P.H. 4802/3

Original: H 34 cm x L 23 cm, cahier de 8 feuillets cousus de ruban bleu, signatures et sceaux des deux signataires, cire rouge, plaqués; le sceau du roi de Sardaigne est tombé en miettes. AEG, P.H. 4802/3
 

En 1754, le traité de Turin met fin à des siècles de contestations entre Genève et ses voisins au sujet de leurs droits de juridiction respectifs. Genève cède à la Savoie Carouge, Veyrier, Bossey, Landecy, Onex, Lancy, Avusy, Villette et Presinge, en échange de quoi elle reçoit, en pleine souveraineté, Cartigny, La Petite Grave, Epeisses, Grange-Canal, Vandoeuvres, La Belotte et Gy. En ce qui concerne la religion, le traité accorde aux habitants ayant changé de souveraineté le libre exercice de leur foi pour une durée de vingt-cinq ans. Passé ce délai, ils pourront conserver leurs terres, mais devront les faire cultiver par des personnes de la religion admise dans l’Etat où elles se trouvent.

Les comtes puis les ducs de Savoie ont toujours revendiqué des droits sur les terres de Saint-Victor et Chapitre, mais jusque-là, la question n’a jamais été réglée de manière définitive: en 1570, un traité entre Genève et la Savoie octroie au duc la souveraineté et juridiction de Saint-Victor et Chapitre, de la même manière que les Bernois en ont joui avant lui et, en 1603, le traité de Saint-Julien stipule que les choses resteront dans l’état où elles étaient au début de la guerre, en 1589, sans rien innover. Le statut particulier des terres de Saint-Victor et Chapitre, notamment l’enchevêtrement des droits de juridiction dont elles font l’objet, crée de nombreux conflits entre Genève et la Savoie.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Genevois se plaignent en de nombreuses occasions d’infractions de juridiction et de levées de contributions diverses dans lesdites terres. Au XVIIIe siècle, la religion donne lieu à de nouveaux conflits. En effet, en 1736, puis à nouveau en 1752, les autorités savoyardes ordonnent l’expulsion des étrangers protestants établis dans les terres de Saint-Victor et Chapitre.

Parallèlement, le duc de Savoie cherche à établir les frontières de ses terres avec celles de ses voisins. A cette fin, il ordonne, en 1718, le recensement général des «personnes, biens, fruits et bestiaux» dans les Etats de Savoie et, en 1730, le relevé des bailliages de Ternier et de Gaillard. Les autorités genevoises se penchent également sur la question. En 1734, elles rédigent un mémoire sur les différends entre les officiers du duc de Savoie et ceux de Genève suscités par le territoire, la juridiction et la religion, et les moyens d’y remédier, proposant deux plans. L’un prévoit la cession, en faveur de Genève, des bailliages de Ternier et Gaillard, dans lesquels sont enclavées les terres de Saint-Victor et Chapitre, ainsi que quelques villages de la souveraineté de Genève. L’autre propose l’abandon d’une partie des bailliages seulement, sans cession de grandes paroisses, mais seulement de quelques hameaux. La voie aux négociations est ouverte.

Elles débutent en 1739, avant d’être interrompues par l’occupation de la Savoie dans la guerre de succession d’Autriche (1740-1748). Elles reprennent ensuite, pour aboutir, le 3 juin 1754, au traité de Turin.

En vertu de l'article 11, des centaines de volumes relatifs aux terres de Saint-Victor et Chapitre furent remis au roi de Sardaigne. A cette occasion, on dressa un inventaire des titres cédés, dont plus de six cents ont disparu, probablement à l’époque de la Révolution.

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