Depuis la fin du Moyen Age en pays de droit romain, lors d’accident, de suicide, d’homicide, de rixe, d’emprisonnement, de viol, de grossesse illégitime, d’exposition d’enfant et d’infanticide, l’expert examine et met en indices judiciaires le corps suspect, le blessé ou le cadavre. Il devient l’allié assermenté du juge. De 1670 à 1731, 104 textes de lois définissent le contentieux et le protocole d’intervention médico-judiciaire des matrones, chirurgiens, médecins. Six fois sur dix, la jurisprudence médico-légale concerne la femme incriminée (grossesse, accouchement secret, infanticide, abandon d’enfant).
A Genève, l’instruction criminelle est fortement médico-légalisée. Si les experts œuvrent dès le XVIe siècle, leur importance quantitative et qualitative se multiplie par cinq au XVIIIe siècle. Neuf fois sur dix, le chirurgien constate les plaies visibles, alors que le médecin diagnostique les traumatismes internes ou les signes de l’empoisonnement. Lors d’un viol, l’expert contribue à son aggravation pénale s’il diagnostique l’infection de l’agresseur. Il atténue l’incrimination en séparant le «viol consommé» de l’attentat à la pudeur. Liée à la procédure inquisitoire, l’expertise médico-légale traduit en normes juridiques la douleur physique et la souffrance morale nées d’une agression, d’un empoisonnement, d’un viol. L’intention criminelle s’impute à la nature morbide, grave ou légère des lésions physiques.
Expertise médico-légale du chirurgien Etienne Meschinet
Sur la scène de la noyade (382 cas connus au XVIIIe siècle), l’expert diagnostique sur le cadavre du submergé les symptômes de la suffocation aquatique (hémorragies, mains en crochets, ventre gonflé, écume nasale et buccale, etc.). De cette manière, le juge peut savoir si le noyé est tombé vivant ou mort dans l’eau afin d’ouvrir une information pour suicide, accident ou crime.
AEG, P.C. 1re série 12166 («noyade»), 1771, folio 2
Epreuve typographique comme expertise typographico-légale
Pour retrouver la presse qui a imprimé un libelle illicite, l’auditeur enquête dans les ateliers de la cité. Entre perquisitions et confiscations, il fait procéder au tirage d’épreuves typographiques afin d’identifier la casse utilisée pour imprimer le livre interdit et d’en imputer la responsabilité à l’imprimeur suspect.
AEG, P.C. 1re série 11955 («libelle»), 1769, folios 9 et 17
Plan des lieux du crime, suite à des «coups de fusil et de couteau sur un jardinier»
L’arpentage des lieux du crime permet de les visualiser et de reconstituer les circonstances matérielles, voire la séquence temporelle du drame. Naturalisme, géométrie et objectivité optique: la topographie judiciaire renforce la certitude et l’intime conviction de l’auditeur qui enquête sur la scène de l’assassinat.
, AEG, P.C. 1re série 13141, 1778, folio 43
Dessin en perspective illustrant le «chemin de la balle» mortelle et plan des lieux du drame
Sur les lieux du crime, du suicide et de l’accident, l’auditeur en reconstitue parfois le mode opératoire avec la topographie judiciaire. L’homicide par imprudence ressort ici du trajet balistique d’un coup de feu accidentel qui provoque l’hémorragie de la victime tuée dans les latrines.
AEG, P.C. 1re série 13971 («homicide par imprudence»), 1782, folio 23
Joost DAMHOUDER, Praxis rerum criminalium, Anvers, 1601, la visite du mort
Depuis le XVIe siècle, au cœur de l’investigation judiciaire, la «levée de corps» (crime, suicide et accident) permet à l’expert assermenté (chirurgien, médecin) d’établir selon l’état du cadavre les circonstances médico-légales du cas sur lequel le juge enquête.
Bibliothèque du Département d’histoire générale de l’Université de Genève, BFLB 26699, planche LXXV, «De inspectione occisi»