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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/1077/2012

DCSO/230/2012 du 14.06.2012 ( PLAINT ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : Ajournement de faillite. Réquisition de poursuite. Commandement de payer.
Normes : LP.56; LP.67; LP.69; LP.192; CO.725a
Résumé : L'ajournement de faillite a pour effet de suspendre les poursuites avant la notification du commandement de payer. Durant la suspension, le dépôt de réquisitions de poursuite est possible, mais leur traitement est reporté à l'échéance de l'ajournement.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1077/2012-CS DCSO/230/12

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 14 JUIN 2012

 

Plainte 17 LP (A/1077/2012-CS) formée en date du 10 avril 2012 par Mme J______, élisant domicile en l'étude de Me Vincent SOLARI, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 14 juin 2012 à :

- Madame J______
c/o Me Vincent SOLARI, avocat
Rue de Hesse 8-10
Case postale 5715
1211 Genève 11

- V______ SA
c/o Me Sébastien BETTSCHART, avocat
Rue Michel-Roset 1
1201 Genève

- Office des poursuites.

 


EN FAIT

A. a. Par jugement du 20 septembre 2011 (JTPI/xx/2011), le Tribunal de première instance a ajourné la faillite de V______ SA jusqu'au 20 décembre 2011, délai prolongé une première fois jusqu'au 20 février 2012 (jugement JTPI/xx/2012 du 4 janvier 2012) puis, une seconde fois, jusqu'au 30 avril 2012 (jugement JTPI/xx/2012 du 27 février 2012).

Entre autres mesures, le Tribunal a suspendu les poursuites actuelles et futures contre V______ SA pour les créances antérieures au 18 août 2011, date du dépôt de l'avis de surendettement et de la demande d'ajournement de la faillite.

b. Le 14 décembre 2011, Mme J______ a déposé auprès de l'Office des poursuites (ci-après: l'Office) une réquisition de poursuite à l'encontre de V______ SA pour un montant de 18'450 fr. 95 avec intérêts à 5% l'an dès le 19 septembre 2011 et la cause suivante: "Contrat de travail (solde de salaire, de vacances et heures supplémentaires)".

Le commandement de payer, poursuite n° 11 xxxx03 E, a été notifié à V______ SA le 14 février 2012 et n'a pas été frappé d'opposition.

c. Le 8 mars 2012, Mme J______ a requis la continuation de la poursuite n° 11 xxxx03 E.

Suite à cette réquisition, l'Office a établi une commination de faillite, qui a été notifiée à V______ SA le 22 mars 2012.

B. a. Par décision du 28 mars 2012, reçue par le conseil de Mme J______ le 30 mars 2012, l'Office a considéré la poursuite n° 11 xxxx03 E comme nulle et de nul effet (ch. 1 du dispositif), a annulé la notification du commandement de payer intervenue le 14 février 2012 (ch. 2), a rejeté la réquisition de continuer la poursuite déposée le 8 mars 2012 (ch. 3), et a annulé la notification de la commination de faillite intervenue le 22 mars 2012 (ch. 4).

A l'appui de sa décision, l'Office a retenu que la somme réclamée par Mme J______ portait sur le salaire, les vacances et les heures supplémentaires relatifs aux mois de mai et juin 2011. Ces créances, nées antérieurement au 18 août 2011, tombaient ainsi sous le coup de la suspension des poursuites ordonnées par le Tribunal de première instance dans le cadre de son jugement d'ajournement de faillite.

b. Par courrier du 28 mars 2012, le conseil de Mme J______ a invité l'Office à reconsidérer sa décision en ce sens que seule la commination de faillite était annulée et non la poursuite en tant que telle. L'Office était en outre prié de rembourser les frais relatifs à la réquisition de continuer la poursuite et à la commination de faillite, voire, en cas de maintien de sa décision, ceux relatifs au commandement de payer. Enfin, le conseil de Mme J______ sollicitait copie des jugements d'ajournement de faillite et de prolongation dudit ajournement.

c. Par courrier du 5 avril 2012, l'Office a informé le conseil de Mme J______ qu'il maintenait sa décision. Il lui précisait en outre que les frais relatifs au commandement de payer et à la commination de faillite seraient remboursés. Il lui transmettait enfin copie des dispositifs des jugements rendus par le Tribunal de première instance les 20 septembre 2011 et 27 février 2012.

C. a. Par acte déposé le 10 avril 2012, Mme J______ a porté plainte devant la Chambre de céans contre la décision de l'Office du
28 mars 2012.

Elle conclut à l'annulation de ladite décision, "sauf en ce qui concerne l'annulation de la commination de faillite intervenue le 22 mars 2012", et à ce que l'Office soit invité à continuer la poursuite n° 11 xxxx03 E par voie de saisie.

A l'appui de ses conclusions, citant notamment un arrêt du Tribunal fédéral paru aux ATF 104 III 20, Mme J______ expose que la suspension des poursuites comme conséquence d'un ajournement de la faillite selon l'art. 725a CO n'empêche pas l'introduction de nouvelles poursuites en cours d'ajournement, pourvu qu'aucune suite ne leur soit donnée tant que la faillite est ajournée. Elle ajoute que l'art. 297 al. 2 ch. 1 LP – qui prévoit que les créances devant être colloquées en 1ère classe selon l'art. 219 al. 4 LP peuvent être poursuivies par voie de saisie même pendant la durée du sursis concordataire – s'applique par analogie en cas d'ajournement de faillite selon l'art. 725a CO. En l'occurrence, la créance en poursuite concerne le solde de salaire, vacances et heures supplémentaires pour les mois de mai et juin 2011. Il s'agit donc d'une créance privilégiée au sens de l'art. 219 al. 4 let. a LP née moins de six mois avant le jugement prononçant l'ajournement de la faillite. Partant, la poursuite ne serait pas sujette à suspension, mais devrait se continuer par voie de saisie par application analogique de l'art. 297 al. 2 ch. 1 LP.

b. Dans son rapport du 18 mai 2012, l'Office conclut au rejet de la plainte.

V______ SA en a fait de même dans ses déterminations du 18 mai 2012.

 

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures non attaquables par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP).

Il est constant qu'une décision constatant la nullité d'une poursuite est une mesure sujette à plainte que la plaignante, créancière, a qualité pour attaquer par cette voie.

1.2 La plainte contre une mesure de l'Office doit être déposée dans les dix jours suivant celui où le plaignant a eu connaissance de la décision attaquée (art. 17 al. 2 LP).

En l'espèce, la décision litigieuse a été reçue par le conseil de la plaignante le 30 mars 2012. Formée le 10 avril 2012, la plainte l'a été en temps utile. Respectant pour le surplus les exigences de forme prescrites par la loi (art. 9 al. 1 LaLP), la présente plainte est recevable.

2. 2.1 L'art. 725a al. 1 CO, applicable à la société anonyme, permet au juge qui reçoit l'avis obligatoire de l'art. 725 al. 2 CO en cas de surendettement d'ajourner la faillite, à la requête du conseil d'administration ou d'un créancier, si l'assainissement de la société paraît possible. L'ajournement de la faillite au sens de l'art. 725a CO, auquel renvoie l'art. 192 LP, a pour but de permettre la continuation de l'activité de la société. A la différence des cas d'ajournement prévus par le droit des poursuites (art. 173 et 173a LP), il ne s'agit pas d'une mesure relevant de l'exécution forcée, mais d'un simple moratoire (Böckli, Schweizer Aktienrecht, 4ème éd., n. 844 ss, p. 1893 s.; Hardmeier, Zürcher Kommentar, n. 1315 ad art. 725a CO), dont la finalité est de redresser la société en évitant toute procédure d'exécution forcée, y compris concordataire (Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, n. 15 ad art. 192 LP).

Si l'ajournement est accordé, il a pour effet de suspendre les poursuites (ATF 120 II 425 consid. 2b; Chaudet, Ajournement de la faillite de la société anonyme, Bâle/Genève/Munich 2001, p. 238 s.). L'ajournement de faillite a ainsi pour conséquence de paralyser les poursuites en recouvrement de créances qui lui sont antérieures (Chaudet, op. cit., p. 244).

Dans une décision du 28 août 2003 (DCSO/350/2003), l'ancienne Commission de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, appliquant par analogie la jurisprudence relative aux effets d'un acte de poursuite notifié pendant les féries (art. 56 LP; ATF 121 III 284, JdT 1998 II 127), a jugé que la notification d'un commandement de payer intervenue pendant une suspension de poursuites ordonnée dans le cadre d'un ajournement de faillite était valable, mais ne produisait ses effets qu'à l'expiration de ladite suspension. La suspension des poursuites actuelles et futures ordonnée par le juge dans le cadre d'un ajournement de faillite au sens de l'art. 725a al. 1 CO relevait en effet de la protection de la débitrice seule et n'entrait pas en conflit avec la protection d'intérêts publics qui imposeraient la nullité de l'acte de poursuite exécuté pendant la suspension. Il convenait ainsi de reporter les effets de l'acte de poursuite exécuté pendant la période prohibée, plutôt que de constater sa nullité ou de l'annuler. La Commission a dès lors annulé la décision de l'Office litigieuse en tant qu'elle prononçait l'annulation de la notification du commandement de payer et le rejet de la réquisition de poursuite.

L'ancienne Autorité de surveillance des Offices des poursuites et des faillites avait jugé dans le même sens dans deux décisions des 11 et 18 janvier 1995 (DAS/16/1995 et DAS/46/1995). Retenant que le but essentiel de l'ajournement de faillite était de ne pas permettre que l'ouverture de la faillite soit prononcée, elle avait retenu, en conformité avec la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 104 III 20 consid. 1), que l'effet visé pouvait être obtenu s'il y avait interdiction non pas de nouvelles poursuites, mais seulement de la continuation des poursuites introduites au-delà du stade du commandement de payer.

Dans un arrêt du 18 juillet 2000, le Tribunal fédéral des assurances a toutefois considéré qu'en cas d'ajournement de faillite, il ne pouvait pas même être donné suite à une réquisition de poursuite (arrêt H 301/99, consid. 5 cité et approuvé par Peter/Peyrot, L'ajournement de la faillite (article 725a CO) dans la jurisprudence des tribunaux genevois, in SJ 2006 II 43 ss, p. 70 et par Peter, in CR-CO II, n. 56 ad art. 725a CO).

2.2 Il y a lieu de constater que la jurisprudence rendue en 2003 par l'ancienne Commission de surveillance des Offices des poursuites et des faillites n'est pas conforme à l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances précité et ne saurait en conséquence être suivie.

Comme le relève Chaudet (op. cit., p. 251), les délais engendrés par la notification d'un commandement de payer – notamment celui d'opposition – commandent de faire primer l'intérêt de la société débitrice et, partant, de suspendre les poursuites avant ladite notification. En revanche, il convient d'admettre sans restriction durant la période de suspension le dépôt de réquisitions de poursuite, lesquelles seront toutefois traitées par l'Office à l'échéance de la suspension (cf. Chaudet, op. cit., p. 252; Peter/Peyrot, op. cit., loc. cit.; Peter, op. cit., loc. cit.).

Il suit de là que c'est à bon droit que l'Office a décidé d'annuler la notification du commandement de payer, de rejeter la réquisition de continuer la poursuite, et d'annuler la notification de la commination de faillite. Il n'aurait en revanche pas dû déclarer la poursuite nulle et de nul effet, dès lors que la plaignante était en droit de requérir une poursuite pendant la période de suspension, sa réquisition ne devant toutefois être traitée qu'à l'expiration de l'ajournement de faillite.

Contrairement à ce que soutient la plaignante, il convient d'admettre que cette interdiction de donner suite à la réquisition de poursuite tant que la faillite est ajournée s'applique quelle que soit la créance fondant la poursuite considérée. L'on ne saurait dès lors appliquer par analogie l'art. 297 al. 2 ch. 1 LP et continuer par voie de saisie, pendant la période de suspension, une poursuite relative à une créance privilégiée de 1ère classe au sens de l'art. 219 al. 4 LP. Retenir le contraire irait en effet à l'encontre du but de la suspension des poursuites, qui est d'assurer l'égalité de traitement entre les créanciers et de préserver l'actif social (Peter/Peyrot, op. cit., p. 69; Peter, op. cit., n. 53 ad art. 725a CO; cf. ég. Chaudet, op. cit., p. 260).

2.3 En définitive, la plainte doit être partiellement admise et le chiffre 1 du dispositif de la décision entreprise annulé. L'Office sera en outre invité à donner suite à la réquisition de poursuite à l'expiration de l'ajournement de faillite.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucun dépens dans cette procédure (62 al. 2 OELP). Conformément à ces dispositions, la présente décision est rendue sans frais ni dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 10 avril 2012 par Mme J______ contre la décision de l'Office des poursuites rendue le 28 mars 2012 dans le cadre de la poursuite n° 11 xxxx03 E.

Au fond :

L'admet partiellement.

Annule le chiffre 1 du dispositif de la décision entreprise.

La confirme pour le surplus.

Invite l'Office à donner suite à la réquisition de poursuite déposée le 14 décembre 2011 par Mme J____ à l'expiration de l'ajournement de faillite de V______ SA.

Siégeant :

Monsieur Grégory BOVEY, président; Monsieur Antoine HAMDAN et Monsieur Mathieu HOWALD, juges assesseurs; Madame Paulette DORMAN, greffière.

 

Le président :

Grégory BOVEY

 

La greffière :

Paulette DORMAN

 


 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.