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Décisions | Chambre de surveillance

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C/27737/2015

DAS/139/2020 du 01.09.2020 sur DJP/140/2020 ( AJP ) , REJETE

Normes : LDIP.86; LDIP.88; LDIP.89
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/27737/2015 DAS/139/2020

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 1er SEPTEMBRE 2020

 

Appel (C/27737/2015) formé le 11 mai 2020 par Monsieur A______, domicilié ______, Portugal, comparant par Me Frédéric PITTELOUP, avocat, place de la Gare 2, case postale 380, 1951 Sion, en l'Etude duquel il élit domicile.

* * * * *

Arrêt communiqué par plis recommandés du greffier
du 14 septembre 2020 à :

- Monsieur A______
c/o Me Frédéric PITTELOUP, avocat
Place de la Gare 2, case postale 380, 1951 Sion.

- Monsieur B______
c/o Me Christian GIROD, avocat
Rue des Alpes 15 bis, case postale 2088, 1211 Genève 1.

- Monsieur C______
- Madame D______
c/o Me Jean-Marie FAIVRE, avocat
Rue de la Rôtisserie 2, case postale 3809, 1211 Genève 3.

- Maître E______
______, ______.

- JUSTICE DE PAIX.

 


EN FAIT

A. a. F______, né le ______ 1958 à G______ en France, de nationalité française, est décédé le ______ 2015 à H______ en Allemagne.

Il n'a laissé ni épouse, ni enfant.

b. B______ et C______ainsi que D______, née ______ [nom de jeune fille], sont les frères et soeur du défunt.

c. De son vivant, feu F______ avait fait valoir une créance en partage dans le cadre de la succession de feue sa mère, en contestant le testament de cette dernière. Cette procédure est actuellement pendante devant le Tribunal de première instance de Genève (ci-après : le Tribunal).

d. Par testament olographe du 7 janvier 2010, le défunta révoqué toutes ses dispositions testamentaires antérieures, réduit la part de ses héritiers légaux et institué A______ comme unique héritier.

e. Au jour de son décès, feu F______ était déclaré domicilié à I______, en Valais.

f. Par décision du 31 mai 2016, devenue définitive à ce jour, le Juge de la commune de I______ s'est déclaré incompétent ratione loci pour connaître de la succession du défunt, considérant que le domicile de ce dernier enregistré en Valais n'était en réalité pas établi.

g. Les autorités allemandes ont également décliné leur compétence ratione loci par décisions définitives des 14 décembre 2017 et 6 juin 2018, au motif qu'il n'avait pas été démontré que feu F______avait sa résidence habituelle en Allemagne.

h. Il est admis par les parties que feu F______ vivait selon un mode de vie nomade. Les éléments suivants le concernant ressortent par ailleurs de la procédure :

- Feu F______ a résidé de 1962 à 1997 à Genève, avant de s'installer à J______ dans le canton de Vaud (écritures de D______ et C______ du 20 mai 2019, all. 88; courrier intimé B______ du 24 janvier 2020, annexe 3, ch. 14a).

- De fait, il n'a jamais eu d'emploi fixe, vivant grâce aux moyens mis à sa disposition par son père puis, à la mort de ce dernier, provenant de son héritage (chargé intimés du 20 décembre 2016, pièce 9, ch. 4 à 7).

- Le 18 décembre 1998, le Tribunal tutélaire de Genève (désormais le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant) a prononcé la mise sous conseil légal combiné du défunt, en raison du fait qu'il souffrait d'un trouble schizotypique, représentant le stade mineur de la schizophrénie, et qu'une mesure de protection s'avérait nécessaire pour sauvegarder ses intérêts financiers (chargé intimés du 20 décembre 2016, pièce 9, ch. 4 à 7).

- Par jugement du 26 février 2004, le Tribunal d'instance de K______ (France) a prononcé la mise sous curatelle d'Etat renforcée de feu F______, domicilié au lieu-dit de L______ à M______, en France. Le Tribunal tutélaire de Genève a dès lors ordonné la levée de la mesure prononcée le 18 décembre 1998 du fait que feu F______ résidait désormais en France et que des mesures y étaient prises à son encontre (chargé intimés du 20 décembre 2016, pièces 10 et 11).

- Le défunt a fait immatriculer en France un véhicule de marque N______ en 2001, celui-ci étant toujours immatriculé en France en février 2015. Un courrier d'assurance datant de février 2015 lui a toutefois été adressé en Suisse, soit à une case postale située à O______ (chargé appelant du 10 février 2020, pièce 8).

- Le 27 septembre 2004, feu F______ a fait l'acquisition d'un bien immobilier sis sur la commune du P______, en Q______ [département], France (chargé appelant du 18 mars 2019, pièce 34).

- Fin 2009, la commune du P______ a confirmé avoir été reconnue en état de catastrophe naturelle lors de la sécheresse de l'été 2003 et a attesté que la maison de feu F______ était vidée de son mobilier et inhabitable en l'état (courrier intimé B______ du 24 janvier 2020, annexe 1).

- Du 15 août 2009 au 15 octobre 2010, le défunt a été locataire d'un studio meublé appartenant à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de R______, dans la commune de S______ (France) (chargé appelant du 10 février 2020, pièce 1).

- Par jugement du 21 octobre 2010, le Juge des tutelles de T______ (France) a prononcé la levée de la curatelle instaurée en faveur de feu F______, demeurant au P______ (chargé intimés du 20 décembre 2016, pièce 13).

- Selon les dires de ses frères et soeur, feu F______ se serait fait héberger en 2011 par une amie de A______ à U______ (Belgique). Il aurait quitté ce pays en 2013 pour revenir quelque temps en Suisse, où il aurait été hospitalisé à V______ (Vaud).

- Entre le mois de juillet 2013 et août 2014, le défunt a effectué régulièrement des retraits en espèces auprès de la banque W______ de X______ (Vaud), V______ (Vaud) et Y______ (Vaud) et a procédé à plusieurs versements en espèces auprès de la succursale de O______ (Valais). A compter d'octobre 2014, les opérations bancaires ont été principalement effectuées depuis l'Allemagne (chargé appelant du 10 février 2020, pièce 3).

- Il a été temporairement hébergé par un dénommé Z______ à I______ [VS] en 2014 (chargé intimés du 20 décembre 2016, pièce 3).

- Il serait ensuite parti en Allemagne où il est décédé en novembre 2015 (écritures de D______ et C______ du 20 mai 2019, all. 93).

i. Le 20 décembre 2016,B______, d'une part, et C______ ainsi que D______, d'autre part, ont déposé séparément une action en annulation des dernières dispositions testamentaires prises par le défunt (cf. let. A.d. ci-dessus) par-devant le Tribunal de première instance de Genève (C/1______/2016 et C/2______/2016).

Par jugements séparés du 19 novembre 2019, le Tribunal s'est déclaré compétent à raison du lieu en application de l'art. 88 LDIP. Il a notamment retenu que le de cujus avait un mode de vie nomade, qu'il n'était jamais resté durablement dans aucun lieu et n'avait pas fixé le centre de ses intérêts à un endroit donné. Il ne possédait ainsi aucun domicile au sens de la LDIP, ni de résidence habituelle en Suisse ou à l'étranger. En l'absence de domicile ou de résidence habituelle sur leur territoire au moment du décès, les autorités étrangères n'étaient pas compétentes, respectivement ne pouvaient pas prendre des mesures susceptibles d'être reconnues en Suisse. Les autorités suisses étaient en conséquence compétentes pour assurer la dévolution de la succession en raison de la présence de biens en Suisse et à défaut de compétence d'un autre Etat.

Ces décisions ont fait l'objet d'appels, actuellement pendants devant la Chambre civile de la Cour de justice.

B. a. En parallèle à cette procédure, B______ a, par requête du 14 décembre 2018, requis l'administration d'office de la succession de feu son frère par-devant la Justice de paix de Genève.

Il a exposé que le défunt disposait de biens à Genève, en particulier sous la forme d'un appartement, d'actions de la société AA______ SA, dont le siège social se situe à O______ (Valais), pour une valeur de 1'260'000 fr., ainsi que d'une part de liquidation dans la succession de sa mère, ouverte à Genève, canton dans lequel se trouvent, pour l'essentiel, les actifs de celle-ci.

b. D______ et C______ ont appuyé la requête de leur frère par écriture du 5 février 2019.

c. Dans ses déterminations du 18 mars 2019, A______ s'est opposé à cette requête, concluant à son irrecevabilité, subsidiairement à son rejet.

Il a exposé que le défunt était de nationalité française et disposait d'un bien immobilier dans ce pays, à savoir une ferme et des terrains sur la commune du P______ en Q______, acquis en 2004. En outre, la dernière décision tutélaire concernant le défunt avait été rendue en 2010 par les autorités françaises. Les autorités françaises disposaient donc d'une compétence générale, à l'exclusion de toute compétence de la Suisse.

d. Les parties ont ensuite procédé à un second échange d'écritures.

e. Par décision DJP/310/2019 du 17 juin 2019, la Justice de paix a admis la compétence des autorités suisses pour connaître de la succession de feu F______, s'est déclarée compétente pour prononcer les mesures conservatoires en faveur de la succession, a déclaré le droit suisse applicable en tant qu'il porte sur les mesures conservatoires en faveur de la succession, ordonné l'administration d'office de celle-ci et nommé Me E______ aux fonctions d'administrateur d'office.

f. Saisie d'un appel, la Cour de justice a, par arrêt du 2 décembre 2019, annulé la décision précitée pour vice de forme en raison d'une violation du droit d'être entendu commise au détriment de A______ et a renvoyé la cause à la Justice de paix pour nouvelle décision.

g. Les parties ont procédé à un nouvel échange d'écritures.

Dans ses déterminations du 10 février 2020, A______ a allégué que le défunt était domicilié au P______ en France ou à tout le moins y avait son lieu de résidence habituelle, ce qui fondait la compétence des autorités françaises.

h. Par décision du 29 avril 2020, qui fait objet du présent appel, la Justice de paix s'est à nouveau déclarée compétente pour prononcer les mesures conservatoires en faveur de la succession de feu F______, ordonné l'administration d'office de ladite succession et nommé Me E______ aux fonctions d'administrateur d'office.

En substance, la Justice de paix a retenu que des biens successoraux se situaient à Genève et que les autorités étrangères n'étaient pas compétentes pour en connaître, respectivement pas en mesure de rendre des décisions susceptibles d'être reconnues à Genève. La Justice de paix était par conséquent compétente pour assurer la dévolution successorale des biens sis en Suisse, conformément à l'art. 88 al. 1 LDIP. Comme les droits des héritiers étaient contestés, il se justifiait d'administrer la succession d'office.

C. a. Par acte expédié le 11 mai 2020 au greffe de la Cour de justice, A______ interjette appel contre la décision rendue le 29 avril 2020 par la Justice de paix, dont il sollicite l'annulation.

Il conclut à ce que la requête formée le 14 décembre 2018 tendant à l'administration d'office soit déclarée irrecevable, faute de compétence des autorités suisses, et à ce que la mesure d'administration d'office instaurée par la décision entreprise soit en conséquence annulée. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à l'autorité inférieure pour nouvelle décision.

D'une part, il conteste la présence d'actifs successoraux sur sol genevois. D'autre part, il soutient que le de cujus avait sa résidence habituelle en France au moment de son décès. Les autorités françaises seraient dès lors compétentes sur la base de l'art. 4 du Règlement européen No 650/2012 du 4 juillet 2012 adopté en matière de succession, lequel prévoit un for au lieu de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès, ce qui exclurait par voie de conséquence la compétence subsidiaire des autorités suisses.

Il produit un chargé de pièces comprenant pour l'essentiel des documents qui figurent déjà au dossier de première instance (pièces 4 à 9), ainsi qu'un tirage de photos concernant des véhicules ayant appartenu, selon lui, au défunt (pièce 10).

b. B______ conclut au rejet de l'appel, avec suite de frais et dépens.

c. C______ et D______ concluent également au rejet de l'appel sous suite de frais, requérant à titre préalable l'apport des procédures opposant les parties au fond dans les causes C/1______/2016 et C/2______/2016.

d. Me E______ s'en est rapporté à justice, produisant trois pièces figurant déjà au dossier.

e. Par courrier du greffe de la Cour du 18 juin 2020, les parties ont été avisées de ce que la cause était mise en délibération.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions du juge de paix, qui relèvent de la juridiction gracieuse, sont susceptibles d'un appel dans le délai de dix jours (art. 314 al. 1 CPC) à la Chambre civile de la Cour de justice (art. 120 al. 2 LOJ) si, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse est égale ou supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

Les décisions relatives à l'administration d'office de la succession sont des "mesures provisionnelles" selon l'art. 98 LTF. Il en va de même lorsqu'elles se rapportent à la compétence internationale pour ordonner une telle mesure (arrêt du Tribunal fédéral 5A_797/2017 du 22 mars 2018 consid. 2.1 et les références citées). Dans un souci de cohérence, elles seront qualifiées de la même manière au stade cantonal de la procédure.

Dites décisions sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 5A_797/2017 du 22 mars 2018 consid. 1; 5A_725/2010 du 12 mai 2011 consid. 1.2).

1.2 En l'espèce, compte tenu de la valeur litigieuse de la succession de feu F______, dont il n'est pas contesté qu'elle porte sur plusieurs millions de francs, la voie de l'appel est ouverte.

Interjeté en temps utile et selon la forme prescrite (art. 311 al. 1 CPC), par un héritier institué du défunt, l'appel est recevable.

1.3 La présente cause relevant de la juridiction gracieuse, la procédure sommaire est applicable (art. 248 let. e CPC). La cognition du juge, qui revoit la cause en fait et en droit (art. 310 CPC), est ainsi limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit (Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., 2010, n. 1072 et 1554 et ss, p. 198 et 282).

Le juge établit les faits d'office (maxime inquisitoire; art. 255 let. b CPC). Les moyens de preuve sont limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (Hohl, op. cit., n. 1556, p. 283).

1.4 Les parties ont produit des pièces en appel.

1.4.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte au stade de l'appel que s'ils sont produits sans retard (let. a) et qu'ils ne pouvaient l'être devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).

L'admissibilité de moyens de preuve qui existaient avant la fin des débats principaux de première instance est ainsi largement limitée en appel, dès lors qu'ils sont irrecevables lorsqu'en faisant preuve de la diligence requise, ils auraient déjà pu être produits dans la procédure de première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; 143 III 42 consi. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1006/2017 du 5 février 2018 consid. 3.3).

1.4.2 En l'espèce, à l'exception de la pièce 10 de l'appelant, les pièces produites devant la Cour ont déjà été versées au dossier devant le Juge de paix. Elles ne sont donc pas nouvelles et peuvent être prises en considération. Concernant la pièce 10 précitée, elle comporte des photos qui se rapportent à des faits antérieurs à la mise en délibération de la cause par la Justice de paix, sans que l'appelant n'explique avoir été empêché de les produire devant le premier juge. Ladite pièce devra donc être déclarée irrecevable. Elle n'est, au demeurant, pas déterminante pour l'issue du litige.

2. Les intimés C______ et D______ requièrent préalablement l'apport des procédures au fond C/1______/2016 et C/2______/2016 relatives aux actions en annulation des dispositions testamentaires du de cujus.

2.1 Conformément à l'art. 316 al. 3 CPC, l'instance d'appel peut librement décider d'administrer des preuves.

Cette disposition ne confère toutefois pas à l'appelant un droit à la réouverture de la procédure probatoire et à l'administration de preuves. L'autorité d'appel peut notamment refuser une mesure probatoire en procédant à une appréciation anticipée des preuves (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1 et 4.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_86/2016 du 5 septembre 2016 consid. 3.1). L'autorité jouit d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 142 III 413 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_37/2017 du 10 juillet 2017 consid. 3.1.2).

2.2 En l'espèce, les parties ont spontanément transmis à la Justice de paix certaines de leurs écritures et bordereaux de pièces en lien avec les procédures au fond, ainsi que les décisions rendues dans ce cadre par le Tribunal le 19 novembre 2019. Le dossier contient ainsi suffisamment d'éléments pour statuer sur la présente cause. Par ailleurs, les intimés n'exposent pas quels faits l'apport des procédures dans leur entier permettrait d'étayer. La Cour s'estime suffisamment renseignée, étant ici rappelé que son pouvoir d'examen est limité à la vraisemblance des faits vu la nature sommaire de la procédure.

La cause étant ainsi en état d'être jugée, il ne sera pas donné suite aux conclusions préalables des intimés.

3. L'appelant conteste la compétence ratione loci de la Justice de paix pour prononcer l'administration d'office dans le cadre de la succession litigieuse.

3.1 La présente cause présente des liens d'extranéité au vu du lieu du décès du de cujus et de sa nationalité étrangère. Partant, la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP- RS 291) s'applique, sous réserve des traités internationaux (art. 1 LDIP).

La compétence des autorités suisses en matière de succession ayant un caractère international est régie par les art. 86 ss LDIP.

3.2 Les mesures conservatoires de l'art. 89 LDIP tendent à la sauvegarde des valeurs patrimoniales et non à assurer la dévolution de la succession (arrêt du Tribunal fédéral 5C_171/2001 du 19 mars 2002 consid. 3.b).

Savoir si les mesures conservatoires de l'art. 89 LDIP comprennent l'administration d'office de la succession est controversé en doctrine, le Tribunal fédéral n'ayant quant à lui pas tranché la question (arrêt du Tribunal fédéral 5C_171/2001 précité, ibidem; SJ 2002 I 366, p. 368). Le prononcé de l'administration d'office peut néanmoins relever de l'autorité compétente pour connaître de la dévolution de l'hérédité, soit l'autorité compétente pour l'ouverture de la succession (arrêts du Tribunal fédéral 5A_754/2009 du 28 juin 2010 consid. 5.2; 5C_251/2002 du 28 mars 2003 consid. 2).

La question - controversée - de savoir si l'administration d'office de la succession peut constituer une mesure conservatoire au sens de l'art. 89 LDIP peut en l'occurrence demeurer indécise, dans la mesure où la Justice de paix n'a pas fondé sa compétence sur cette disposition, mais sur l'art. 88 LDIP.

3.3 L'art. 88 LDIP prévoit une compétence subsidiaire au lieu de situation de biens en Suisse, lorsque les autorités étrangères ne s'en occupent pas.

En vertu de cette disposition, si un étranger, domicilié à l'étranger à son décès, laisse des biens en Suisse, les autorités judiciaires ou administratives suisses du lieu de situation sont compétentes pour régler la part de succession sise en Suisse, dans la mesure où les autorités étrangères ne s'en occupent pas (art. 88 al. 1 LDIP).

3.3.1 L'art. 88 LDIP est également applicable lorsque le de cujus n'a ni domicile ni résidence habituelle à l'étranger ou si le domicile respectivement la résidence habituelle ne peut pas (plus) être établi (Rainer Künzle, in Zurcher Kommentar zum IPRG, 3ème éd. 2018, n. 3 ad art. 88 LDIP; Dutoit, Droit international privé suisse, Commentaire de la LDIP, 5ème éd., 2016, n. 1 ad art. 88 LDIP; Schnyder/Liatowitsch, in Basler Kommentar IPRG, 3ème éd., 2013, n. 6 ad art. 88 LDIP.

Le domicile est déterminé selon les critères de l'art. 20 al. 1 let. a LDIP. Une personne physique a ainsi son domicile au lieu ou dans l'Etat dans lequel elle réside avec l'intention de s'y établir, ce qui suppose qu'elle fasse du lieu en question le centre de ses intérêts personnels, sociaux et professionnels (ATF
136 II 405 consid. 4.3; 127 V 237 consid. 1). Cette définition du domicile comporte deux éléments: l'un objectif, la présence physique en un lieu donné; l'autre subjectif, l'intention d'y demeurer durablement (ATF 137 II 122 consid. 3.6; 137 III 593 consid. 3.5; 136 II 405 consid. 4.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_812/2015 du 6 septembre 2016 consid. 5.1.2). Pour déterminer le domicile d'une personne, il faut tenir compte de l'ensemble de ses conditions de vie (arrêt du Tribunal fédéral 4A_588/2017 du 6 avril 2018 consid. 3.2.1).

Lorsqu'une personne n'a nulle part de domicile, la résidence habituelle est déterminante (art. 20 al. 2 LDIP). La notion de résidence habituelle d'une personne physique, telle que définie à l'art. 20 al. 1 let. b LDIP, est le lieu dans lequel cette personne vit pendant une certaine durée, même si cette durée est de prime abord limitée. L'accent est ainsi mis sur la présence de la personne physique au lieu ou dans le pays de séjour (arrêt du Tribunal fédéral 5A_812/2015 du 6 septembre 2016 consid. 5.1.2 et les références citées).

Les dispositions du code civil suisse relatives au domicile et à la résidence ne sont pas applicables (art. 20 al. 2 in fine LDIP).

3.3.1.2 L'application de l'art. 88 LDIP présuppose aussi que l'autorité étrangère compétente, laquelle doit être déterminée selon le droit suisse (SJ 1994 512 consid. 6a; Schnyder/Liatowitsch, op.cit., n. 3 ad art. 88 LDIP), ne s'occupe pas de la part successorale sise en Suisse.

Les motifs d'inaction peuvent être de nature juridique, tels que l'absence de compétence des autorités étrangères d'après leur droit - par exemple lorsqu'elles ne sont compétentes que pour les biens situés sur leur propre territoire -, ou purement factuelle lorsque les autorités étrangères seraient certes compétentes, mais en fait restent inactives alors que les parties ont entrepris les démarches nécessaires, le cas échéant conformément au droit applicable dans cet État (arrêts du Tribunal fédéral 5A_612/2016 du 1er mars 2017 consid. 3.3; 5A_255/2011 du 13 septembre 2011 consid. 4.1 et les références citées).

Il doit être retenu que l'Etat étranger ne s'occupe pas suffisamment de la succession si les décisions prises ou les mesures ordonnées ne sont pas reconnues à l'étranger (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_62264/2013 du 28 novembre 2013 consid. 3.3.1 et 3.3.3; SJ 1994 512 consid. 6a; Rainer Künzle, op. cit, n. 8 ad art. 88 LDIP; Schnyder/Liatowitsch, op.cit., n. 3 ad art. 88 LDIP; Bucher, Commentaire romand LDIP, 2011, n. 1 ad art. 88 et n. 9 ad art. 87 LDIP).

Il s'ensuit que la compétence subsidiaire de l'art. 88 LDIP trouve application lorsque les autorités étrangères ne s'occupent pas de la part de la succession sise en Suisse, faute notamment de compétence ou de décisions susceptibles d'être reconnues en Suisse.

3.3.1.3 La compétence en matière de successions au sein de l'Union européenne, et donc en France, est régie exhaustivement par le Règlement européen No 650/2012 du 4 juillet 2012 (ci-après: le règlement européen; Bonomi, Le Règlement européen sur les successions et son impact pour la Suisse, in Journée de droit successoral 2015, p. 71 ss. N 22).

Selon l'art. 4 de ce Règlement, sont compétentes pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

La notion de résidence habituelle au sens du Règlement européen est explicitée aux considérants 23 et 24. Ainsi, afin de déterminer la résidence habituelle, l'autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années ayant précédé son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l'Etat concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l'Etat concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement (consid. 23).

Dans certains cas, il peut s'avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt. Un tel cas peut se présenter, en particulier, lorsque le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs Etats ou voyageait d'un Etat à un autre sans s'être installé de façon permanente dans un Etat. Si le défunt était ressortissant de l'un de ces Etats ou y avait l'ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l'appréciation globale de toutes les circonstances de fait (consid. 24).

Selon la doctrine, la résidence habituelle au sens du Règlement européen est située là où la personne a fixé le centre permanent de ses intérêts (son « centre de vie »). Elle se distingue d'une simple présence temporaire ou occasionnelle et doit en principe présenter une durée traduisant une stabilité suffisante, aucune durée minimale n'étant toutefois prescrite ; les liens personnels et familiaux revêtent une importance particulière et devraient normalement l'emporter sur les intérêts professionnels. Un poids important doit également être accordé à la volonté de l'intéressé de fixer de manière stable, dans un Etat, le centre permanent de ses intérêts. Ce n'est pas tant la volonté intime de l'intéressé qui compte que les témoignages objectifs qu'il a donnés d'elle dans ses relations avec les tiers (Bonomi, op. cit., N 47-54, et les références citées).

En vertu de l'art. 10 du Règlement européen, lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés les biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès (let. a).

Selon certains auteurs, les décisions prises par les autorités de l'Etat membre dont la compétence serait fondée sur l'art. 10 al. 1 du Règlement européen ne sont en principe pas reconnues en Suisse (Chappuis/Perrin, Le Règlement (UE) No 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, in Not@lex2014, p. 30). Le rapport explicatif de janvier 2018 de la Confédération relatif à l'avant-projet de modification du chapitre six de la LDIP concernant les successions aboutit à la même conclusion (page 7 dudit rapport).

3.3.1.4 Celui qui invoque l'existence d'un domicile déterminé ou d'une résidence habituelle doit le prouver (art. 8 CC). Lorsque se pose la question de la compétence du juge, celui-ci doit en principe établir les faits d'office (Staehelin, Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, art. 1-456 ZGB, n. 28 ad art. 23 CC).

3.3.2 En l'espèce, l'appelant conteste l'application de l'art. 88 LDIP retenue par le premier juge pour justifier la compétence des autorités suisses.

3.3.2.1 Dans un premier grief, l'appelant conteste la présence d'actifs successoraux sur sol genevois. Il reconnaît toutefois que la succession litigieuse comprend les prétentions du de cujus dans le cadre de la succession de feue sa mère, ouverte à Genève et dont il n'est pas contesté que les biens y relatifs, notamment un immeuble, se situent essentiellement sur sol genevois. Il convient ainsi d'admettre que la créance en partage du de cujus, qui constitue un actif successoral d'importance, se situe à Genève. Le défunt disposait également d'actions de la société AA______ SA, qui détient plusieurs bien immobiliers en Suisse, dont à Genève. Les allégués de l'appelant à cet égard selon lesquels le de cujus lui aurait revendu la totalité de ses actions sont en l'état contestés et pas suffisamment rendus vraisemblables pour exclure à ce stade tous droits du de cujus dans cette société.

Infondé, ce grief sera rejeté.

3.3.2.2 Dans un second grief, l'appelant soutient que les autorités françaises seraient compétentes du fait que le de cujus aurait eu son domicile ou à tout le moins sa résidence habituelle en France au moment de son décès, se référant à l'art. 4 du Règlement européen.

Que ce soit sous l'angle de la LDIP ou du droit européen, comme allégué par l'appelant, les critères de rattachement applicables pour déterminer le domicile, respectivement la résidence habituelle d'une personne sont similaires dès lors qu'ils se réfèrent, dans un cas comme dans l'autre, à la volonté, au centre d'intérêts, ainsi qu'à la présence physique de l'intéressé, étant précisé qu'il doit être tenu compte de l'ensemble des circonstances de vie de ce dernier.

En l'occurrence, le défunt, né en France, était de nationalité française. Il a cependant passé la première partie de sa vie essentiellement en Suisse, où semble encore vivre la majeure partie de sa famille, à tout le moins ses frères et soeur. Par la suite, il a vécu selon un mode de vie nomade, se déplaçant dans plusieurs pays (Suisse, France, Belgique, Allemagne) sans jamais s'installer durablement à un endroit donné. Il était célibataire sans enfant et n'a jamais exercé d'emploi fixe. Il ressort ainsi de la procédure que le de cujus n'a vraisemblablement jamais fixé le centre de ses intérêts à un endroit précis.

S'il dispose certes d'un bien immobilier sur la commune du P______ en France, il est établi que celui-ci est vide de tout mobilier et inhabitable depuis un mouvement de terrain causé par une forte sécheresse en été 2003. Il n'est du reste pas allégué que le de cujus aurait réaménagé les lieux ou entrepris des travaux pour réhabiliter ce logement, ce qui tend à démontrer l'absence de volonté de s'y établir de manière stable. Contrairement à l'avis de l'appelant, le fait que les autorités tutélaires françaises se soient prononcées en dernier lieu sur les mesures de protection concernant le de cujus n'est pas un critère déterminant, dans la mesure où la décision rendue dans ce cadre date de 2010, soit cinq ans avant son décès, et qu'il a ensuite encore séjourné entre la Belgique, la Suisse et l'Allemagne. L'intervention d'office des autorités françaises en 2010 n'est dès lors pas propre à établir son dernier lieu de résidence ou un attachement particulier avec ce pays. Quant au véhicule de marque N______ détenu en France par le défunt, il ne permet pas non plus d'établir un rattachement particulier avec ce pays au moment de son décès. Bien que ledit véhicule soit immatriculé en France, les documents administratifs y relatifs, en particulier le contrat d'assurance, étaient envoyés à l'attention du de cujus à une adresse en Suisse. Enfin, les relevés bancaires du défunt démontrent que durant les trois années ayant précédé son décès, il alimentait son compte bancaire et retirait des avoirs depuis la Suisse ou l'Allemagne, mais jamais depuis la France.

Au vu de ces éléments, il n'est pas rendu vraisemblable que le de cujus ait eu sa dernière résidence habituelle en France.

L'appelant invoque également l'art. 24 al. 1 du Code civil suisse, selon lequel toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu'elle ne s'en est pas créé un nouveau, et prétend que le de cujus aurait ainsi conservé son domicile sis au P______ (France). Son grief tombe à faux, dès lors que cette disposition ne trouve pas application en matière internationale (art. 20 al. 2 in fine LDIP).

Par conséquent, l'appelant ne peut être suivi lorsqu'il prétend que les autorités françaises se déclareraient compétentes en raison du lieu de la dernière résidence habituelle du défunt située en France.

3.3.3 Pour le surplus, il n'est pas contesté qu'une éventuelle décision des autorités françaises fondée sur l'art. 10 du Règlement européen en raison de la nationalité du de cujus cumulée à la présence de biens successoraux en France, soit la propriété sise dans la commune du P______, ne pourrait être reconnue en Suisse, comme l'a retenu le premier juge. L'appelant n'ayant élevé aucun grief à cet égard, il n'y a pas lieu de revenir sur ce point.

3.3.4 En conséquence, il apparaît vraisemblable que les autorités françaises ne sont pas susceptibles de se charger de la succession du de cujus, au sens de l'art. 88 al. 1 LDIP, faute de compétence, respectivement de décisions susceptibles d'être reconnues en Suisse.

3.3.5 En définitive, les conditions de l'art. 88 al. 1 LDIP s'avèrent réunies, étant rappelé que cette disposition s'applique non seulement lorsque le domicile du défunt, ou à défaut sa résidence habituelle, se situe à l'étranger, mais également lorsque ni l'un ni l'autre ne peut être établi (cf. consid. 3.3.1 ci-dessus), ce qui est le cas en l'occurrence.

En effet, comme vu précédemment, le défunt a vécu en Suisse, en France, en Belgique et en Allemagne, sans toutefois s'y installer de manière stable ou durable. Il n'avait ni conjoint, ni enfant, ni activité professionnelle à un endroit donné. Le juge de la Commune de I______ [VS] a décliné sa compétence, faute de domicile en Suisse. Les autorités allemandes ont également nié leur compétence au motif que le de cujus n'avait pas de résidence habituelle en Allemagne. Ainsi que cela ressort du considérant 3.3.2.2 ci-dessus, les éléments du dossier ne permettent pas non plus de retenir une résidence habituelle en France au moment du décès. Force est ainsi d'admettre que le domicile, respectivement la résidence habituelle du de cujus, ne peuvent être déterminés. Compte tenu de ce fait, de la présence de biens successoraux en Suisse et de l'inaction juridique des autorités françaises, c'est à bon droit que le premier juge a appliqué l'art. 88 LDIP pour fonder sa compétence.

La décision entreprise sera dès lors confirmée.

4. La procédure d'appel n'est pas gratuite (art. 19 et 22 a contrario LaCC). Les frais seront arrêtés à 2'000 fr. (art. 26 et 37 RTFMC) et mis à la charge de l'appelant, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront partiellement compensés avec l'avance de 500 fr. versée par ce dernier (art. 111 al. 1 CPC). L'appelant sera en conséquence condamné à verser le solde en 1'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

L'appelant sera en outre condamné à verser 2'500 fr. à B______ et un montant identique à C______ et D______, pris conjointement et solidairement, à titre de dépens d'appel (art. 85, 88, 90 RTFMC et 23 al. 1 LaCC). Il ne sera en revanche pas alloué de dépens à l'intimé E______, dès lors qu'il comparaît en personne et n'en sollicite pas.

 

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 11 mai 2020 par A______ à l'encontre de la décision rendue le 29 avril 2020 par la Justice de paix dans la cause C/27737/2015.

Au fond :

Confirme cette décision.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance fournie.

Condamne en conséquence A______ à verser 1'500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire à titre de solde de frais.

Condamne A______ à verser 2'500 fr. à B______, ainsi que 2'500 fr. à C______ et D______, pris conjointement et solidairement, à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Paola CAMPOMAGNANI et Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, juges; Madame Carmen FRAGA, greffière.

 

 

Voie de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, les moyens étant limités en application de l'art. 98 LTF.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.