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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1435/2019

ACST/38/2019 du 21.11.2019 ( ABST ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1435/2019-ABST ACST/38/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 21 novembre 2019

 

dans la cause

A______

et

Madame B______

et

Madame C______

et

Madame D______

et

Madame E______

et

Madame F______

et

Madame G______

et

Madame H______

et

Madame I______
représentées par Me Laïla Batou, avocate

 

contre

GRAND CONSEIL



EN FAIT

1) L'A______ (ci-après : l'association), constituée sous forme d'association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) avec siège à Genève (art. 1 des statuts), a pour but statutaire de promouvoir et défendre les intérêts des musulmans à Genève auprès des autorités ainsi que, notamment, de favoriser, coordonner et développer les activités des organisations membres (art. 2 des statuts), soit toute association ou fondation active au sein de la communauté musulmane (art. 3 des statuts).

Mesdames B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______ et I______ sont domiciliées à Genève. De confession musulmane, elles portent le voile islamique. Par ailleurs, Mme F______ est en poste à l'Université de Genève (ci-après : l'université).

2) Le 4 novembre 2015, le Conseil d'État a déposé auprès du Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 11764 sur la laïcité de l'État, dont les art. 3, 7 et 8 avaient la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 Le canton de Genève et les communes observent une neutralité religieuse.

2 Ils veillent à exclure toute discrimination fondée sur les convictions religieuses.

3 Les collaborateurs visés par l'article 1 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux, du 4 décembre 1997, les collaborateurs des communes, ainsi que les collaborateurs des établissements publics ou privés exécutant des tâches déléguées par l'État, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions. Lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

Art. 7

Manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle

1 Par manifestation religieuse cultuelle, on entend l'expression, par une ou plusieurs personnes, de croyances ou de convictions directement liées à celles-ci, par le biais de moyens visuels ou sonores, ou par l'accomplissement d'actes ou de rites, sur le domaine privé ou public.

2 Par manifestation religieuse non cultuelle, on entend toute activité ayant pour objectif d'informer le public sur des croyances ou des pratiques religieuses ou spirituelles, par des moyens visuels, imprimés ou non, ou sonores, sur le domaine privé ou public.

3 Les manifestations religieuses cultuelles se déroulent en principe sur le domaine privé et dans un lieu fermé.

4 Les manifestations religieuses cultuelles ou non cultuelles sur le domaine public peuvent être autorisées selon les dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008.

 

 

 

5 L'autorité compétente tient compte des risques que la manifestation peut faire courir à l'ordre public.

Art. 8

Restrictions relatives aux signes extérieurs

Afin de prévenir des troubles graves sur le domaine public, dans les établissements publics ou subventionnés, ainsi que dans les établissements scolaires publics, le Conseil d'État peut restreindre ou interdire, pour une période limitée, le port de signes extérieurs manifestant une appartenance religieuse.

Selon l'exposé des motifs y relatif, le projet s'inscrivait dans le cadre de la mise en oeuvre de l'art. 3 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), qui posait le principe de la laïcité de l'État, un instrument au service de la liberté de conscience et de croyance, de la diversité et de la paix religieuse ainsi que de la cohésion sociale (pp. 9 et 12). L'art. 3 al. 3 du PL visait à assurer la neutralité religieuse par les collaborateurs de l'État au sens large. Cette neutralité devait se vivre au quotidien, dans toutes leurs relations avec le public. À ce devoir de neutralité générale s'ajoutait celui de s'abstenir de signaler leur appartenance religieuse (p. 14).

L'art. 7 visait à remplacer l'ancienne loi sur le culte extérieur du 28 août 1875 (aLCExt - C 4 10), qui interdisait toute manifestation religieuse dans l'espace public. Un régime d'autorisation, à l'instar des dispositions relatives aux manifestations sur le domaine public, devait toutefois subsister, en tenant compte des risques effectifs que les manifestations religieuses pouvaient faire courir à l'ordre public. En principe, les manifestations religieuses cultuelles se déroulaient sur le domaine privé et dans un lieu fermé. Lors de l'organisation d'une manifestation, une autorisation devait être déposée. L'autorité saisie d'une telle demande, en plus d'examiner les conditions figurant dans la loi sur les manifestations sur le domaine public du 26 juin 2008 (LMDPu - F 3 10), devait déterminer si la manifestation envisagée pouvait conduire à des réactions d'hostilité ou les favoriser entre les fidèles de différentes religions (pp. 19 s.).

L'art. 8 permettait au Conseil d'État, en cas de situation extrême et après un examen scrupuleux des faits et des risques, d'adopter des restrictions ou des interdictions quant au port de signes extérieurs manifestant une appartenance religieuse, comme des vêtements, des coiffures ou des accessoires. Une telle mesure devait toutefois respecter le principe de proportionnalité, être limitée dans le temps et restreinte aux établissements ou lieux publics effectivement concernés (p. 20).

3) Lors de la séance plénière du 3 décembre 2015, le PL 11764 a été renvoyé sans débat à la commission des Droits de l'Homme du Grand Conseil (ci-après : la commission).

4) a. Le 6 mars 2018, la commission a rendu son rapport sur le PL 11764, qui comportait un rapport de majorité et deux rapports de minorité, ainsi que sur trois autres projets.

b. Selon le rapport de majorité, l'art. 3 Cst-GE n'imposait l'adoption d'aucune loi, de sorte que le choix de légiférer ou non était politique (p. 221).

La neutralité religieuse imposée aux membres de la fonction publique dans le cadre de leur activité, et non pas en tout temps (pp. 269 s. et 473), concernait les signes extérieurs, notion plus large que les signes ostentatoires, et laissait une marge d'appréciation étendue à l'autorité (pp. 222, 227 et 275). Étaient concernés, outre les agents du canton et des communes, également ceux des personnes morales de droit public, telles que les Hôpitaux universitaires de Genève, l'Aéroport international de Genève ou les Services industriels de Genève (p. 263). Les mêmes exigences de neutralité devaient s'appliquer aux membres des pouvoirs exécutifs et aux magistrats, dans la mesure où il s'agissait d'agents de l'État, qu'ils représentaient (p. 259). Tel n'était toutefois pas le cas des membres des parlements, auxquels cette exigence de neutralité ne pouvait pas s'appliquer. Bien que celle-ci eût pour but de conserver la paix religieuse (p. 472), les députés, en tant qu'ils étaient élus par les citoyens, ne représentaient pas l'État, mais bien la société et ses différentes sensibilités (pp. 261 s. et 471). Ils devaient ainsi disposer de la plus grande liberté possible, notamment de pouvoir s'exprimer librement (pp. 470 s.). Les cas d'une gardienne de musée voilée et d'une élue voilée à Vernier ont en outre été évoqués (pp. 10 et 271).

S'agissant des manifestations religieuses, les débats ont en particulier porté sur la question de la distinction entre celles de nature cultuelle, qui comportaient l'accomplissement d'actes ou de rites liés à la liturgie d'une religion, et les autres, au regard de la difficulté de définir ces termes. Il convenait d'éviter les débordements et l'investissement du domaine public pour y affirmer ses croyances, en particulier par la prière (pp. 367, 369 s. et 489). De telles manifestations devaient se faire sur le domaine privé, sans qu'il ne s'agisse nécessairement d'un lieu clos (p. 489). Les manifestations non cultuelles étaient, quant à elles, soumises au droit ordinaire, ce qui devait être précisé (p. 492). Dans les deux cas, l'autorité compétente devait tenir compte des risques à la sécurité publique, à l'ordre public ou à la protection des droits et libertés d'autrui (p. 494), conformément au droit international (p. 370).

Même si l'article concernant la restriction des signes extérieurs ne le spécifiait pas, il visait à se prémunir contre une rupture grave de la paix religieuse (p. 373). Il s'agissait d'une base légale, inexistante actuellement, autorisant le Conseil d'État à limiter le port d'un signe religieux (p. 375) s'agissant de toute personne utilisant le domaine public (p. 495).

c. À l'issue de ses travaux, la commission a adopté le PL 11764, dont les art. 3, 6 (ancien art. 7) et 7 (ancien art. 8) avaient la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 L'État est laïque. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.

2 La neutralité religieuse de l'État interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l'absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d'appartenance religieuse ou non.

3 Les membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

4 Les agents de l'État, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

5 Les cérémonies officielles et les prestations de serment sont organisées selon des modalités respectant la neutralité religieuse.

Art. 6

Manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle

1 Les manifestations religieuses cultuelles se déroulent sur le domaine prive.

2 À titre exceptionnel, les manifestations religieuses cultuelles peuvent être autorisées sur le domaine public. Dans ces cas-là, les dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008, s'appliquent.

3 Les manifestations religieuses non cultuelles sur le domaine public sont soumises aux dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008.

4 L'autorité compétente tient compte des risques que la manifestation peut faire courir, a la sécurité publique, a la protection de l'ordre public, ou a la protection des droits et libertés d'autrui.

Art. 7

Restrictions relatives aux signes extérieurs

1 Afin de prévenir des troubles graves a l'ordre public, le Conseil d'État peut restreindre ou interdire, sur le domaine public, dans les bâtiments publics, y compris les bâtiments scolaires et universitaires, pour une période limitée, le port de signes religieux ostentatoires. En cas de recours, le tribunal compétent statue dans un délai de 15 jours.

2 Dans les administrations publiques, les établissements publics ou subventionnés, ainsi que dans les tribunaux, le visage doit être visible. Les exceptions sont traitées par voie règlementaire.

5) a. Le Grand Conseil a traité du PL 11764 lors de ses séances des 22 mars et 26 avril 2018.

b. S'agissant de l'art. 3 du PL, les débats ont en particulier porté sur la neutralité religieuse des membres des parlements. Même si les élus ne représentaient pas l'État au sens strict, ils le constituaient. Ils représentaient l'ensemble de la population genevoise, sans attachement communautaire. Le fait qu'un député arbore des signes religieux pouvait signifier qu'il refusait d'agir librement et qu'il suivait une obédience religieuse, alors qu'en tant que représentant de la république, il n'avait pas vocation à représenter des intérêts particuliers ou des communautés religieuses. S'il importait que les membres des parlements ne portent pas de signes religieux extérieurs, leurs propos devaient néanmoins rester libres, notamment au regard de leur immunité. N'étaient pas concernés les signes religieux discrets mais ceux dont le port conduisait à se faire immédiatement reconnaître, comme le voile islamique, la kippa ou une croix de dimension excessive. Cette restriction s'appliquait uniquement dans l'exercice des fonctions électives et il ne s'agissait pas d'intervenir dans la sphère privée.

La restriction au port de signes religieux provocateurs prévue à l'art. 7 al. 1, qui n'étaient pas de simples signes d'appartenance religieuse comme la kippa, qui n'était pas concernée, concrétisait la clause générale de police. Elle pouvait au surplus faire l'objet d'un contrôle judiciaire, un tribunal devant très rapidement en contrôler la proportionnalité.

c. Le 26 avril 2018, à l'issue des débats, le Grand Conseil a adopté la loi 11764 sur la laïcité de l'État (LLE - A 2 75), dont les art. 3, 6 et 7 LLE ont la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 L'État est laïque. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.

2 La neutralité religieuse de l'État interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l'absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d'appartenance religieuse ou non.

3 Les membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

4 Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.

5 Les agents de l'État, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

6 Les cérémonies officielles et les prestations de serment sont organisées selon des modalités respectant la neutralité religieuse.

Art. 6

Manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle

1 Les manifestations religieuses cultuelles se déroulent sur le domaine privé.

2 À titre exceptionnel, les manifestations religieuses cultuelles peuvent être autorisées sur le domaine public. Dans ces cas-là, les dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008, s'appliquent.

3 Les manifestations religieuses non cultuelles sur le domaine public sont soumises aux dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008.

4 L'autorité compétente tient compte des risques que la manifestation peut faire courir, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre public, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Art. 7

Restrictions relatives aux signes extérieurs

1 Afin de prévenir des troubles graves à l'ordre public, le Conseil d'État peut restreindre ou interdire, sur le domaine public, dans les bâtiments publics, y compris les bâtiments scolaires et universitaires, pour une période limitée, le port de signes religieux ostentatoires. En cas de recours, le tribunal compétent statue dans un délai de 15 jours.

2 Dans les administrations publiques, les établissements publics ou subventionnés, ainsi que dans les tribunaux, le visage doit être visible. Les exceptions sont traitées par voie réglementaire.

La LLE emportait en outre une modification de l'art. 2A de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), dont l'al. 2 a la teneur suivante :

Art. 2A

Principes généraux

2 Les agents de l'État, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent une neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

6) La LLE a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 11 mai 2018, le délai référendaire expirant le 20 juin 2018.

7) Le 20 juin 2018, après avoir annoncé un référendum contre la LLE, quatre comités différents ont déposé environ 8'300 signatures à la Chancellerie d'État.

8) Par arrêté publié dans la FAO du 7 septembre 2018, le Conseil d'État a constaté l'aboutissement du référendum lancé à l'encontre de la LLE.

9) Le 10 février 2019, le corps électoral genevois a rejeté le référendum et accepté la LLE à une majorité de 55,05 % des votants.

10) Ces résultats ont été validés par arrêté du Conseil d'État publié dans la FAO du 1er mars 2019.

11) Par arrêté publié dans la FAO du 8 mars 2019, le Conseil d'État a promulgué la LLE pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de sa publication.

12) La LLE est entrée en vigueur le 9 mars 2019, conformément à son art. 13.

13) Par décision du 3 avril 2019, à la suite d'un autre recours interjeté contre l'art. 3 LLE, la présidence de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) a partiellement octroyé l'effet suspensif et suspendu l'application de l'art. 3 al. 4 LLE.

14) Par acte expédié le 8 avril 2019, l'association ainsi que Mmes B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______ et I______ (ci-après : les recourantes) ont recouru auprès de la chambre constitutionnelle contre la LLE, concluant préalablement à l'octroi de l'effet suspensif au recours s'agissant de l'application de l'art. 3 al. 5 de la loi et à ce que le Grand Conseil soit invité à traiter les données personnelles contenues dans le recours dans le respect des droits fondamentaux. Sur le fond, elles ont conclu, avec suite d'indemnité, à l'annulation des art. 3 al. 3, 4 et 5, 6 al. 1 et 2 et 7 al. 1 de la loi.

Dans la partie « en fait », l'acte de recours, de soixante-huit pages, décrivait longuement et précisément les motivations personnelles des recourantes s'agissant de leur choix de porter le voile islamique.

Les restrictions au port du voile, outre le fait qu'elles portaient atteinte aux droits politiques et violaient l'interdiction des discriminations notamment en fonction du sexe, affectaient la dimension externe de leur liberté religieuse, mais aussi interne, à savoir la possibilité de vivre en accord avec les commandements de leur foi et de les mettre en oeuvre. Elles touchaient en outre à leur autodétermination en matière vestimentaire et leur pudeur, soit des aspects relevant de leur liberté personnelle et de leur sphère privée, voire de leur dignité humaine. Au surplus, en tant qu'il conduisait à leur exclusion d'un nombre important d'emplois, l'art. 3 al. 5 LLE emportait une ingérence à leur liberté économique. Quant à l'art. 6 al. 1 et 2 LLE, il était également contraire à la liberté de réunion.

Ces restrictions étaient injustifiées. Outre le fait qu'elles ne poursuivaient aucun intérêt public admissible, dès lors que la laïcité était un principe d'organisation de l'État et non un état de société, elles étaient incompatibles avec les exigences de précision, de prévisibilité et d'égalité de traitement, les termes utilisés par les dispositions litigieuses étant imprécis et sujets à interprétation au vu de la diversité des situations. Elles n'étaient pas davantage conformes au principe de proportionnalité, dès lors que les convictions religieuses ne créaient pas un plus grand risque de partialité que les idéologies politiques ou les conceptions économiques et qu'en l'absence d'un tel risque, elles n'étaient plus un obstacle à la neutralité de l'État, dont l'action n'était pas entravée par la visibilité des convictions. S'agissant de l'art. 3 LLE, son champ d'application était trop vaste pour satisfaire le principe de proportionnalité en tant qu'il visait toutes les fonctions, tant au sein de l'État qu'électives, alors même que la menace des administrés d'être confrontés aux rites observés par une minorité de croyants était faible. À cela s'ajoutait que le coût moral pour les recourantes d'ôter leur voile, même de manière ponctuelle, était élevé et conduisait à leur exclusion et à leur marginalisation au lieu d'oeuvrer à l'intégration des minorités religieuses au plan politique. En outre, le fait d'étendre la laïcité au domaine public avait pour effet de promouvoir une sécularisation de celui-ci, incompatible avec la liberté religieuse. Il en allait de même de la délégation de compétence en faveur du Conseil d'État prévue à l'art. 7 al. 1 LLE.

En excluant de certaines fonctions électives toute personne dont la pratique religieuse supposait le port d'un signe religieux, l'art. 3 al. 3 et 4 LLE emportait une violation des droits politiques des citoyens, qui ne pouvaient pas choisir leurs représentants librement.

Les dispositions attaquées étaient également contraires à l'interdiction des discriminations. Ainsi, l'art. 3 LLE prohibait le signalement à une appartenance religieuse mais n'interdisait pas de porter un signe relevant d'un courant politique ou philosophique. Il concernait en outre, dans les faits, seules certaines religions et visait très majoritairement, voire exclusivement, les femmes. Quant à l'art. 7 LLE, il opérait une différence de traitement injustifiée entre les manifestations religieuses et non religieuses d'une part et entre manifestations cultuelles et non cultuelles d'autre part.

15) Le 2 mai 2019, le Grand Conseil a conclu au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif au recours.

16) Par décision du 8 mai 2019, la présidence de la chambre constitutionnelle a constaté que la requête d'effet suspensif était sans objet en tant qu'elle portait sur l'art. 3 al. 4 LLE - l'effet suspensif ayant été accordé dans le cadre d'une autre procédure -, a refusé pour le surplus d'octroyer l'effet suspensif au recours, a ordonné au Grand Conseil de caviarder le recours conformément aux considérants et a réservé le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

17) Le 14 juin 2019 le Grand Conseil a répondu sur le fond du recours, concluant à son rejet, « avec suite de dépens ».

En tant que garantie subsidiaire, la liberté personnelle n'était pas applicable. Il en allait de même de la liberté économique, qui s'étendait aux seules activités professionnelles de nature privée. Les dispositions litigieuses respectaient le principe de la légalité et permettaient de comprendre leur signification. Les ingérences qu'elles prévoyaient à la liberté religieuse étaient en outre limitées dans le temps et dans l'espace, tout en étant justifiées par le souci de maintenir la paix religieuse et de garantir la neutralité de l'État. Les effets de l'art. 6 al. 1 et 2 LLE étaient limités, dès lors que la LMDPu s'appliquait, comme pour toute manifestation, le domaine public ne pouvant être utilisé sans contrôle pour l'organisation de manifestations religieuses. L'art. 7 al. 1 LLE transcrivait en termes explicites la clause générale de police, qui autorisait l'exécutif à prendre des mesures exceptionnelles, en cas de troubles graves. Les principes d'égalité et d'interdiction de toute discrimination étaient également respectés, étant précisé que la laïcité et la neutralité de l'État avaient pour portée essentielle de garantir un traitement égal et non discriminatoire à tous les citoyens, indépendamment de leurs convictions religieuses ou leur absence de foi. En particulier, l'art. 3 LLE s'appliquait tant aux hommes qu'aux femmes et à toutes les religions.

18) Le 12 juillet 2019, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 4 septembre 2019, prolongé au 13 septembre 2019, pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

19) Le 13 septembre 2019, les recourantes ont persisté dans les conclusions et termes de leur recours, sollicitant au surplus de « pouvoir plaider leur cause oralement lors d'une audience publique ».

20) Le 18 septembre 2019, le Grand Conseil a sollicité l'octroi d'un délai pour dupliquer.

21) Le 23 septembre 2019, le juge délégué a fixé au Grand Conseil un délai au 4 octobre 2019 pour dupliquer et aux recourantes un délai au 11 octobre 2019 pour l'exercice éventuel de leur droit à la réplique, après quoi la cause serait gardée à juger.

22) Le 4 octobre 2019, le Grand Conseil a persisté dans les conclusions et termes de ses précédentes écritures.

23) Le 11 octobre 2019, les recourantes ont informé le juge délégué qu'elles n'avaient rien à ajouter à leurs écritures.

24) Le 15 octobre 2019, les recourantes ont écrit au juge délégué, lui rappelant la teneur de leur requête en vue de « plaider leur cause oralement dans le cadre d'une audience publique ». En cas de refus de cette requête, elles le priaient de rendre une décision afin de pouvoir exercer leur droit de recours.

25) Le 17 octobre 2019, le juge délégué a refusé de donner suite à sa requête, les motifs - et la possibilité éventuelle de recourir - étant donnés dans l'arrêt au fond.

26) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) La chambre constitutionnelle est l'autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE). Selon la législation d'application de cette disposition, il s'agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. Le recours est formellement dirigé contre les art. 3 al. 3, 4 et 5, 6 al. 1 et 2 et 7 al. 1 LLE, dispositions d'une loi cantonale, en l'absence de cas d'application (ACST/22/2019 du 8 mai 2019 consid. 2a et les références citées).

b. Interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de l'acte susmentionné, qui a eu lieu par arrêté du Conseil d'État publié dans la FAO du 8 mars 2019, et dans les formes prévues par la loi, le recours est recevable sous cet angle (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d'État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L'art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l'action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu'il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/22/2019 précité consid. 3a et la référence citée).

b. En application de l'art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le droit cantonal ne peut pas définir la qualité de partie devant l'autorité qui précède immédiatement le Tribunal fédéral de manière plus restrictive que ne le fait l'art. 89 LTF. Aux termes de cette disposition, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (al. 1 let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (al. 1 let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (al. 1 let. c).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n'est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l'acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 145 I 26 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 du 29 août 2019 consid. 1.2).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l'annulation de l'acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; ACST/22/2019 précité consid. 3b).

c. Une association ayant la personnalité juridique est habilitée à recourir soit lorsqu'elle est intéressée elle-même à l'issue de la procédure, soit lorsqu'elle sauvegarde les intérêts de ses membres. Dans ce dernier cas, la défense des intérêts de ses membres doit figurer parmi ses buts statutaires et la majorité de ceux-ci, ou du moins une grande partie d'entre eux, doit être personnellement touchée par l'acte attaqué (ATF 142 II 80 consid. 1.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_642/2018 du 29 mars 2019 consid. 1.2).

d. En l'espèce, les personnes physiques recourantes sont domiciliées à Genève et risquent de se voir appliquer les dispositions litigieuses si elles devaient accéder à l'une ou l'autre des fonctions visées par l'art. 3 LLE, étant précisé que l'une des recourantes est en poste à l'université, ou vouloir organiser une manifestation religieuse à caractère cultuel. Elles pourraient également être soumises aux mesures prévues par l'art. 7 al. 1 LLE si celles-ci étaient décrétées. Elles ont, à ce titre, qualité pour recourir. Il en va de même de l'association, dont les statuts ont pour but de défendre les intérêts des musulmans à Genève. Le recours est ainsi également recevable de ce point de vue.

4) a. Les recourantes sollicitent préalablement la tenue d'une audience de plaidoiries.

b. Les garanties minimales en matière de droit d'être entendu découlant de l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ne comprennent en principe pas le droit d'être entendu oralement (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1). L'art. 6 par. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), qui s'applique aux contestations sur les droits et obligations de caractère civil et au bien-fondé de toute accusation en matière pénale, donne à toute personne notamment le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement. La publicité des débats implique le droit pour le justiciable de plaider sa cause lui-même ou par l'intermédiaire de son mandataire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_394/2018 du 7 juin 2019 consid. 2.1 et les références citées). L'art. 6 CEDH n'exige pas nécessairement la tenue d'une audience dans toutes les procédures. Cela est notamment le cas pour les affaires qui ne suscitent pas de controverse sur les faits, pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d'autres pièces. D'autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d'un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires (ACEDH Mutu Adrian et Pechstein Claudia c. Suisse du 2 octobre 2018, req. 40575/10 et 67474/10, § 177). Enfin, l'obligation d'organiser des débats publics fondée sur l'art. 6 par. 1 CEDH suppose une demande, formulée de manière claire et indiscutable ; de simples requêtes de preuves, comme des demandes tendant à une comparution ou à une interrogation personnelle, à un interrogatoire des parties, à une audition des témoins ou à une inspection locale, ne suffisent pas pour fonder une telle obligation (arrêt du Tribunal fédéral 1C_493/2018 du 8 avril 2019 consid. 6.1 et les références citées).

c. En l'espèce, il ne se justifie pas d'accéder à la requête des recourantes. Outre le fait que la demande, non motivée, ne se fonde sur aucune base constitutionnelle ou conventionnelle, l'application de l'art. 6 CEDH à la présente cause ne saurait être admise d'emblée, s'agissant d'un contrôle abstrait des normes qui n'a, en tant que tel, pas de répercussions directes sur des droits et obligations de caractère civil. En tout état de cause, même à admettre que tel serait le cas, les questions à trancher sont exclusivement de nature juridique, s'agissant d'un contrôle abstrait de conformité au droit supérieur de dispositions légales cantonales. Les recourantes ont au surplus largement pu s'exprimer dans leurs écritures sur tous les aspects contestés ainsi que sur leurs motivations personnelles à porter le voile, ce dernier élément n'étant toutefois pas déterminant dans le cadre du présent recours, au regard de son objet. À cela s'ajoute que la demande, qui n'était pas contenue dans l'acte de recours mais n'a été formulée que le dernier jour du délai, au demeurant prolongé, fixé pour les observations finales, serait de nature à retarder l'issue du recours, alors qu'il est en état d'être jugés. La présente cause ne nécessite ainsi pas la tenue de débats publics.

5) À l'instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu'elle se prononce dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, s'impose une certaine retenue et n'annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu'elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme - ou non - au droit supérieur. Les explications de l'autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 145 I 26 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 précité consid. 2 ; ACST/22/2019 précité consid. 4).

6) a. Selon les recourantes, les art. 3, 6 et 7 LLE seraient non seulement contraires à la liberté de conscience et de croyance et à la liberté personnelle, mais également à la garantie de la sphère privée (art. 3 et 7 al. 1 LLE), à la liberté de réunion (art. 6 al. 1 et 2 LLE) et à la liberté économique (art. 3 al. 5 LLE).

b. L'art. 15 Cst., comme les art. 25 Cst-GE, 8 CEDH et 18 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II - RS 0.103.2), garantit la liberté de conscience et de croyance (al. 1) et accorde à toute personne le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté (al. 2), d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir et de suivre un enseignement religieux (al. 3). En outre, nul ne peut être contraint d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir, d'accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux (al. 4).

La liberté religieuse englobe tant la liberté intérieure de croire, de ne pas croire ou de modifier ses convictions religieuses que la liberté extérieure d'exprimer ses convictions, de les pratiquer et de les divulguer dans certaines limites, ou de ne pas les partager (ATF 145 I 121 consid. 5.1 et les références citées ; ACEDH Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260-A, § 31 et Otto-Preminger-Institut c. Autriche du 20 septembre 1994, série A n° 276, § 47), sous la forme de culte, d'enseignement, de pratiques ou d'accomplissement de rites (ACEDH Leyla ahin c. Turquie du 10 novembre 2005, Rec. 2005-XI, § 105). Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie du 26 avril 2016, req. 62649/10, § 103). Elle inclut le droit de chacun de se comporter en principe selon les enseignements de sa foi et d'agir conformément à ses convictions. Elle protège toutes les religions, quel que soit le nombre de leurs fidèles en Suisse (ATF 145 I 121 consid. 5.1 ; 142 I 49 consid. 3.4 et les références citées). Elle ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d'une manière dictée ou inspirée par sa religion ou ses convictions (ACEDH Leyla ahin c. Turquie précité § 105 et 121).

Au-delà des actes cultuels, la garantie constitutionnelle protège le respect des injonctions et usages religieux ainsi que les autres manifestations de la croyance, en tant que ces comportements constituent l'expression de la conviction religieuse (ACEDH Osmanolu et Kocaba c. Suisse du 10 janvier 2017, req. 29086/12, § 41). Tel est le cas des prescriptions religieuses relatives à l'habillement, comme le voile islamique, la kippa juive, l'habit des religieux chrétiens ou encore le port d'une croix, qui bénéficient aussi de la protection conférée par l'art. 15 Cst. (ATF 142 I 49 consid. 3.6 et les références citées). Dans ce cadre, bien que la CourEDH considère que de tels signes extérieurs puissent également relever du droit au respect de la vie privée, garantie par l'art. 8 CEDH, elle n'en examine pas moins le cas en mettant l'accent sur l'art. 9 CEDH (ACEDH S.A.S c. France du 1er juillet 2014, Grande Chambre, req. n° 43835/11, Rec. 2014, § 106 ss).

c. La liberté personnelle, garantie par les art. 10 al. 2 Cst. et 20 Cst-GE, inclut toutes les libertés élémentaires dont l'exercice est indispensable à l'épanouissement de la personne humaine et dont devrait jouir tout être humain, afin que la dignité humaine ne soit pas atteinte par le biais de mesures étatiques. Sa portée ne peut être définie de manière générale mais doit être déterminée de cas en cas, en tenant compte des buts de la liberté, de l'intensité de l'atteinte qui y est portée ainsi que de la personnalité de ses destinataires (ATF 142 I 195 consid. 3.2). La liberté personnelle se conçoit comme une garantie générale et subsidiaire à laquelle le citoyen peut se référer pour la protection de sa personnalité ou de sa dignité, en l'absence d'un droit fondamental plus spécifique (ATF 123 I 112 consid. 4).

d. L'art. 22 Cst. garantit la liberté de réunion (al. 1), toute personne ayant le droit d'organiser des réunions et d'y prendre part ou non (al. 2). Les art. 32 Cst-GE, 11 CEDH et 21 Pacte II offrent des garanties comparables. Sont considérées comme des réunions au sens de ces dispositions les formes les plus diverses de regroupements de personnes dans le cadre d'une organisation déterminée, dans le but, compris dans un sens large, de former ou d'exprimer mutuellement une opinion (ATF 144 I 281 consid. 5.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_451/2018 du 13 septembre 2019 consid. 3.1.1). La jurisprudence déduit des libertés de réunion et d'opinion un droit conditionnel à un usage accru du domaine public pour les manifestations avec appel au public (ATF 144 I 50 consid. 6.3 et les références citées). De telles manifestations impliquent la mise à disposition d'une partie du domaine public, en limitent l'usage simultané par des non-manifestants et ne permettent plus, localement et temporairement, un usage commun. Cette situation exige qu'un ordre de priorité soit fixé entre les divers usagers et cela implique de soumettre la tenue de telles réunions à autorisation. Dans ce cadre, l'autorité doit tenir compte d'une part des intérêts des organisateurs à pouvoir se réunir et s'exprimer et, d'autre part, de l'intérêt de la collectivité et des tiers à limiter les nuisances, notamment à prévenir les actes de violence. Il s'agit d'assurer l'utilisation adéquate des installations publiques disponibles dans l'intérêt de la collectivité et du voisinage ainsi que de limiter l'atteinte portée par la manifestation aux libertés des tiers non-manifestants (ATF 143 I 147 consid. 3). La liberté de réunion peut être restreinte par l'application de la clause générale de police. Celle-ci confère à l'autorité exécutive le droit, même sans base constitutionnelle ou légale expresse, de prendre les mesures indispensables pour rétablir l'ordre public s'il a été troublé, ou pour le préserver d'un danger sérieux qui le menace d'une façon directe et imminente (arrêt du Tribunal fédéral 1C_451/2018 précité consid. 3.1.1).

7) a. En l'espèce, en tant que l'art. 3 al. 3, 4 et 5 LLE impose aux membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, aux magistrats du Pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, aux membres du Grand Conseil et des conseils municipaux ainsi qu'aux agents de l'État et des personnes morales de droit public de s'abstenir de signaler leur appartenance religieuse, il emporte une restriction à la liberté de conscience et de croyance des personnes concernées. Ces dispositions excluent ainsi que, s'agissant de la manifestation extérieure de leurs convictions, ces personnes fassent montre de leur foi, notamment par le port du voile islamique, de la kippa juive ou d'une croix chrétienne, éléments protégés par la liberté de conscience et de croyance, qui garantit la possibilité d'agir conformément à ses convictions religieuses. Les administrés sont également soumis à un certain nombre de restrictions, mentionnées à l'art. 7 al. 1 (signes religieux ostentatoires), ce qui emporte aussi une ingérence à leur liberté religieuse. En tant que garantie spécifique, cette dernière prime en outre la liberté personnelle, qui est générale et subsidiaire. Quant au droit au respect de la vie privée invoqué par les recourantes, dans la mesure où il n'offre pas de garanties plus étendue que la liberté religieuse, il n'a pas non plus de portée propre par rapport à cette dernière, prépondérante sous l'angle du présent litige.

L'art. 3 al. 3 et 5 LLE impose au surplus aux membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, aux magistrats du Pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes ainsi qu'aux agents de l'État et des personnes morales de droit public de s'abstenir de signaler leur appartenance non seulement par des signes extérieurs, mais également par des propos, ce qui touche aussi à l'aspect externe de cette liberté. Dans ce cadre, la liberté d'expression garantie par les art. 16 al. 2 Cst., 10 CEDH, 19 par. 2 Pacte II et 26 al. 1 Cst-GE n'a pas de portée distincte par rapport à la liberté de conscience et de croyance, qui apparaît comme une garantie spéciale de la liberté d'opinion et d'expression (arrêt du Tribunal fédéral 2C_396/2008 du 15 septembre 2008 consid. 8.1 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. II, 2018, n. 1946).

Il en va de même des restrictions des manifestations religieuses cultuelles ou non se déroulant sur le domaine public visées à l'art. 6 LLE, qui tombent dans le champ de protection de la liberté religieuse. Celle-ci constitue ainsi une garantie spécifique dans le cadre de laquelle le grief de la violation de la liberté de réunion et de manifestation se confond avec celui de la violation de la liberté de conscience et de croyance (ATF 108 Ia 41 consid. 2 ; Jacques DUBEY, op. cit., vol. II, n. 1946).

Enfin, le grief en lien avec une violation de la liberté économique (art. 27 Cst. ; art. 35 Cst-GE) peut d'emblée être écarté, dès lors que l'exercice d'une activité étatique ou d'une fonction publique, à laquelle se réfère l'art. 3 al. 5 LLE, n'est pas protégé par cette garantie (ATF 140 II 112 consid. 3.1.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_613/2017 du 16 avril 2018 consid. 3.1).

b. Même si la manifestation extérieure d'une religion peut non seulement être importante aux yeux des personnes concernées mais également obéir à une exigence impérative de celle-ci, elle n'appartient pas, selon la jurisprudence, au noyau intangible de la liberté de conscience et de croyance (ATF 142 I 195 consid. 5.4 ; 142 I 49 consid. 6 ; 123 I 296 consid. 2b/cc), pour autant du reste que la notion de noyau intangible ait une quelconque portée sur le plan juridique, ce qui est contesté par une partie de la doctrine (Pierre TSCHANNEN, Staatsrecht der Schweizerischen Eigenossenschaft, 4e éd., 2016, § 7 n. 115 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3e éd., 2013, n. 254 ; Christof RIEDO / Marcel Alexander NIGGLI, Unantastbar ? Bemerkungen zum so genannten Kerngehalt von Grundrechten oder Much Ado About Nothing, PJA 2011 p. 762-770). À l'instar des autres libertés, elle peut ainsi être restreinte aux conditions posées par l'art. 36 Cst.

8) Les restrictions à la liberté de conscience et de croyance ne sont admissibles que si elles satisfont aux conditions prévues en cas de restriction aux droits fondamentaux. Elles doivent ainsi reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et être proportionnées au but visé (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; art. 43 al. 1 à 3 Cst-GE ; ATF 139 I 280 consid. 4.3 et les références citées).

9) a. Les restrictions graves doivent reposer sur une disposition claire et expresse de la loi au sens formel, les cas de danger sérieux, direct et imminent étant réservés (art. 36 al. 1 Cst.). Se déduisant du principe de la légalité, l'exigence de densité normative suffisante renvoie au degré de clarté et de précision que des dispositions générales et abstraites doivent avoir pour que leur application soit prévisible (ACST/19/2018 du 15 août 2018 consid. 6a et les références citées ; ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité § 99). Le degré de précision exigible ne peut toutefois pas être défini abstraitement car il dépend de la diversité des états de fait à réglementer, de la complexité et de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas d'espèce, des destinataires de la règle, de l'intensité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux et, finalement, de l'appréciation de la situation qui n'est possible que lors de l'examen du cas individuel et concret (ATF 139 I 280 consid. 5.1 et les références citées).

La gravité de l'atteinte à un droit fondamental s'apprécie selon des critères objectifs. Toutefois, dans le domaine de la liberté de conscience et de croyance, cette appréciation est difficile, dans la mesure où les sentiments et les convictions religieux sont motivés de manière subjective. Les organes étatiques doivent ainsi se référer à la signification des règles religieuses pour les personnes concernées (ATF 139 I 280 consid. 5.2 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 du 11 mars 2019 consid. 4.3). Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que l'interdiction générale de porter le voile pendant la classe, imposée à une élève, était une restriction grave de sa liberté de conscience et de croyance (ATF 142 I 49 consid. 7.2 et les références citées). Il a toutefois laissé la question de la gravité de l'atteinte ouverte dans le cas d'une interdiction faite à une enseignante de porter le voile à l'école, considérant qu'il suffisait que la prescription de comportement découle d'une obligation plus générale contenue dans la loi au sens formel (ATF 123 I 269 consid. 3). Plus récemment, il a jugé qu'un règlement cantonal qui interdisait aux magistrats et autres membres du pouvoir judiciaire le port de symboles religieux visibles dans leurs contacts avec le public était suffisamment précis pour permettre aux personnes concernées d'adapter leur comportement en conséquence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.3.3).

b. En l'espèce, les dispositions litigieuses figurent dans la LLE, soit une loi au sens formel qui a été soumise au référendum.

La portée de l'art. 3 al. 3, 4 et 5 est limitée, dès lors que ces dispositions ne s'appliquent, d'une part, qu'aux propos ou signes extérieurs et, d'autre part, que dans le cadre respectivement de l'exercice des fonctions des personnes concernées et des contacts avec le public. Cet article ne comporte aucune restriction supplémentaire à la liberté religieuse des personnes visées en dehors de ces situations et dans leur vie quotidienne. À cela s'ajoute qu'à la différence d'élèves qui se verraient interdire le port d'un signe religieux à l'école (cf. ATF 142 I 49 consid. 7.2), il peut être attendu des personnes concernées, qui occupent différentes fonctions au sein de l'État, dont certaines sont les plus hautes, qu'elles composent dans une certaine mesure avec une telle situation conflictuelle (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.3.3).

Il en va de même s'agissant de la portée des art. 6 et 7 LLE. En effet, l'art. 6 al. 1 et 2 LLE se limite aux manifestations cultuelles, lesquelles sont soumises à autorisation en cas d'utilisation du domaine public. Quant à l'art. 7 al. 1 LLE, il limite son application aux signes religieux ostentatoires pour une durée réduite, avec un contrôle judiciaire à bref délai, sans autre restriction aux signes religieux extérieurs.

De ce point de vue, l'on ne saurait, objectivement et abstraitement, qualifier l'atteinte de grave, de sorte que des exigences trop sévères quant à la précision de la formulation des dispositions contestées ne peuvent être posées (cf. ATF 128 I 295 consid. 5b/aa).

c. Selon les recourantes, les dispositions litigieuses ne seraient pas suffisamment déterminées, puisqu'elles ne comportent aucune définition des termes utilisés, qui seraient sujets à interprétation. S'il est vrai que la formulation des art. 3 al. 3, 4 et 5, art. 6 al. 1 et 2 et art. 7 LLE est large, le fait qu'ils soient sujets à interprétation ne permet pas encore de conclure qu'ils seraient trop imprécis pour être appliqués de façon prévisible, dans un cas particulier (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.4.1). Ces articles, rédigés en termes généraux et abstraits, définissent leur champ d'application personnel, matériel et temporel de manière suffisante pour que les personnes concernées puissent adapter leur comportement en conséquence.

Bien que la distinction entre les manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle de l'art. 6 LLE puisse ne pas être évidente à prime abord, il ressort néanmoins des travaux législatifs que les premières concernent l'accomplissement d'actes ou de rites liés à la liturgie d'une religion, ce que prévoyait au demeurant déjà l'aLCExt, étant précisé que le projet du Conseil d'État en donnait également une définition. Par ailleurs, en cas d'usage accru du domaine public, en particulier lors de manifestations au sens de l'art. 2 LMDPu, l'exigence d'une base légale doit être relativisée, comme le retient la jurisprudence (ATF 119 Ia 445 consid. 2a). Il en va de même de l'art. 7 al. 1 LLE, qui concrétise le pouvoir général de police, lequel permet de limiter valablement les libertés en conférant le droit à l'autorité, sans se fonder sur une base constitutionnelle ou légale expresse, de prendre les mesures indispensables pour rétablir l'ordre public s'il a été troublé ou pour le préserver d'un danger sérieux qui le menace de manière directe ou imminente (Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, op. cit., vol. II, n. 206).

À ces éléments s'ajoute le fait que dans le cadre du présent recours, le juge constitutionnel, chargé du contrôle abstrait des normes, doit faire preuve d'une certaine retenue, un contrôle concret de l'application des dispositions litigieuses dans un cas particulier demeurant par ailleurs possible (ACST/19/2018 précité consid. 6c).

10) a. Les restrictions de la liberté de conscience et de croyance doivent répondre à un intérêt public ou se justifier par la protection d'un droit fondamental d'autrui (art. 36 al. 2 Cst.). La notion d'intérêt public varie en fonction du temps et des lieux et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la paix publics), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'État sont l'expression. Il incombe au législateur de définir, dans le cadre d'un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être considérés comme légitimes, en tenant compte de l'ordre de valeurs posé par le système juridique. Si les droits fondamentaux en jeu ne peuvent être restreints pour les motifs indiqués par la collectivité publique en cause, l'intérêt public allégué ne sera pas tenu pour pertinent (ATF 142 I 49 consid. 8.1 et les références citées).

b. Selon les recourantes, les dispositions contestées ne poursuivraient aucun intérêt public admissible.

L'art. 3 al. 3, 4 et 5 et l'art. 6 LLE consacrent la neutralité confessionnelle de l'État, dont le but est non seulement de protéger les convictions religieuses des citoyens, mais également d'assurer la paix religieuse (ATF 142 I 49 consid. 8.2.3 ; 123 I 296 consid. 4a, 4b/bb), dans un esprit de tolérance et d'ouverture (ACEDH S.A.S c. France précité § 121 et Lautsi et autres c. Italie du 18 mars 2011, req. 30814/06, Rec. 2011, § 60). Ils imposent à l'État, et par là même aux personnes qui l'incarnent, de s'abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse susceptible de compromettre la liberté des citoyens dans une société pluraliste, en montrant que l'État ne s'identifie pas à une croyance déterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.5). En cela, ils poursuivent également le but de protéger les droits et libertés d'autrui en préservant le respect de toutes les croyances religieuses et orientations spirituelles des citoyens, destinataires de l'exigence de neutralité imposée à l'État, en leur assurant une stricte égalité, sans distinction de religion (ACEDH Ebrahimian c. France du 26 novembre 2015, req. 64846/11, Rec. 2015, § 53, et Leyla ahin c. Turquie précité § 99).

Dans ce cadre, un tel intérêt public n'apparaît pas contraire à la politique d'intégration poursuivie par l'État, puisqu'il tend à traiter de manière égale tous les citoyens du point de vue de leurs conceptions philosophiques et religieuses, en se fondant sur la tradition de laïcité du canton de Genève (ATF 142 I 49 consid. 4.4 ; 139 I 280 consid. 5.5 ; sur cette notion, voir Tristan ZIMMERMANN, La laïcité et la République et canton de Genève, SJ 2011 29-77, p. 60 ss), ancrée à l'art. 3 al. 1 Cst-GE. Que cette disposition n'oblige pas les autorités à légiférer n'y change rien et n'est pas déterminant, la disposition constitutionnelle en cause ne le prohibant pas non plus.

À ces éléments s'ajoute, s'agissant plus particulièrement de l'art. 3 al. 3 LLE, l'exigence d'indépendance et d'impartialité des tribunaux (art. 30 al. 1 Cst. ; art. 40 al. 1, 117 al. 2 et 128 al. 1 Cst-GE), applicable aux magistrats, qui implique qu'ils ne se laissent guider, dans leurs fonctions, par aucune considération étrangère au litige (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.5). Quant aux membres du Conseil d'État (art. 104 Cst-GE) et du Grand Conseil (art. 84 al. 1 Cst-GE) visés à l'art. 3 al. 3 et 4 LLE, l'exigence d'indépendance implique qu'ils exercent librement leur mandat.

Si une interdiction générale des manifestations religieuses de nature cultuelle sur le domaine public ne répond, selon la jurisprudence, à aucun intérêt public, comme l'a relevé le Tribunal fédéral en lien avec l'ancienne aLCExt (ATF 108 Ia 41 consid. 2), qui prohibait toute célébration de culte, procession ou cérémonie religieuse sur la voie publique (art. 1 aLCExt), une limitation de celles-ci peut répondre à des motifs d'ordre et de sécurité publics, étant précisé qu'il n'existe pas de droit inconditionnel à un usage accru du domaine public. L'art. 7 LLE poursuit également des buts d'ordre et de sécurité publics en limitant le port de signes religieux ostentatoires en cas de troubles graves à l'ordre public (cf. ACEDH S.A.S c. France précité § 115, 121 et 122, dans lequel la CourEDH a, s'agissant de l'interdiction de se couvrir le visage en public, considéré qu'une telle réglementation pouvait également poursuivre un but de protection des droits et libertés d'autrui, ce qui requérait toutefois un examen rigoureux sous l'angle de la proportionnalité).

L'adoption des dispositions contestées répond ainsi à des intérêts publics admissibles.

11) a. Pour qu'une restriction d'un droit fondamental soit conforme au principe de la proportionnalité, il faut qu'elle soit apte à atteindre le but visé, que ce dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (art. 36 al. 3 Cst. ; ATF 142 I 49 consid. 9.1).

Selon l'art. 9 § 2 CEDH, toute ingérence dans l'exercice du droit à la liberté de religion doit être nécessaire dans une société démocratique. Une ingérence est considérée comme telle pour atteindre un but légitime si elle répond à un besoin social impérieux et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime poursuivi (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité, § 105). Selon la CourEDH, dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité, § 106, et Kokkinakis c. Grèce précité, § 33).

b. La CourEDH a en particulier considéré que l'interdiction du port de vêtements ou symboles à caractère religieux sur le lieu de travail dans le cadre de fonctions officielles, faite à des fonctionnaires susceptibles d'être soumis à un devoir de discrétion, de neutralité et d'impartialité, était nécessaire dans une société démocratique (sous l'angle de la recevabilité de la requête, voir DCEDH Kurtulmu c. Turquie du 24 janvier 2006, req. 65500/01, Rec. 2006-II, au sujet de l'interdiction faite à une professeure d'université de porter un voile lorsqu'elle enseignait ; Dahlab c. Suisse du 15 février 2001, req. 42393/98, Rec. 2001-V, sur l'interdiction faite à une enseignante de porter un voile à l'école ; Pitkevich c. Russie du 8 février 2001, req. 47936/99, concernant la révocation d'une juge au motif, notamment, qu'elle s'était livrée au prosélytisme et avait prié pendant des audiences). Dans l'ACEDH Ebrahimian c. France précité, qui concernait l'interdiction faite à une assistante sociale d'un hôpital public, qui était en contact avec des patients, de porter un voile sur son lieu de travail, la CourEDH a en particulier considéré qu'une telle mesure était nécessaire au regard de la neutralité du service public hospitalier qui pouvait être considérée comme liée à l'attitude de ses agents et qui exigeait que les patients ne puissent pas douter de leur impartialité (§ 64 ; voir également l'ACEDH Eweida et autres c. Royaume-Uni du 15 janvier 2013, req. 48420/10, Rec. 2013, au sujet du port d'une croix chrétienne sur le lieu de travail).

La CourEDH s'est également penchée sur la question de l'interdiction de porter, en dehors des cérémonies religieuses, certaines tenues religieuses dans les lieux publics ouverts à tous comme les voies ou places publiques. Elle a considéré qu'une interdiction de porter une tenue caractéristique du groupe religieux Aczimendi tarikati sur le domaine public, non limitée à des établissements publics, qui s'appliquait à de simples citoyens en l'absence de tout acte de prosélytisme, était disproportionnée et constitutive d'une violation de l'art. 9 CEDH (ACEDH Ahmet Arslan et autres c. Turquie du 23 février 2010, req. 41135/98, § 44 ss). Elle est arrivée à une solution inverse dans l'ACEDH S.A.S c. France précité (voir également dans le même sens les ACEDH Belcacemi et Oussar c. Belgique du 11 juillet 2017, req. 37798/13, et Dakir c. Belgique du 11 juillet 2017, req. 4619/12) qui concernait l'interdiction de porter une tenue destinée à dissimuler le visage dans l'espace public. Bien qu'une telle mesure ne pût pas se justifier pour des motifs tenant à la sécurité publique hors la présence d'un contexte révélant une menace générale (§ 139), elle pouvait néanmoins passer pour proportionnée aux fins de garantir les conditions du « vivre ensemble » (§ 142, 153, 157), malgré son champ d'application large et le faible nombre de femmes concernées (§ 145, 151). Dans cette affaire, la CourEDH a en outre attaché une grande importance au fait que l'interdiction en cause n'était pas explicitement fondée sur la connotation religieuse des habits visés mais sur le seul fait qu'ils dissimulaient le visage (§ 151).

12) a. En l'espèce, les recourantes tiennent pour disproportionnées les restrictions à la liberté de conscience et de croyance opérées par les art. 3 al. 3, 4 et 5, 6 al. 1 et 2 et 7 al. 1 LLE.

b. L'interdiction faite aux membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal ainsi qu'aux magistrats du Pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs constitue une mesure propre à assurer la neutralité religieuse de l'État. Les personnes concernées sont amenées à assumer les plus hautes fonctions exécutives et judiciaires de l'État, qu'elles incarnent, et, bien qu'élues par le corps électoral (art. 52 al. 1 let. b, c et d et 53 let. b Cst-GE), elles sont dans une situation semblable aux autres agents de l'État en raison de leur relation avec celui-ci. Ainsi, les membres des exécutifs font non seulement partie du gouvernement, un organe collégial (art. 105 al. 1 et 141 al. 1 Cst-GE), mais sont également à la tête de l'administration qu'ils dirigent (art. 106 al. 1 Cst-GE) et ont une fonction de représentation respectivement du canton (art. 111 al. 1 Cst-GE) et de la commune (art. 50 al. 1 de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 - LAC - B 6 05) vis-à-vis de l'extérieur. Quant aux magistrats, ils sont tenus, comme précédemment mentionné, d'exercer leurs charges de manière indépendante et impartiale.

L'art. 3 al. 5 LLE concernant les agents de l'État constitue également une mesure propre à assurer la neutralité religieuse. S'il est vrai que la jurisprudence fédérale n'a eu à se prononcer que sur le cas d'une enseignante portant le voile à l'école et que, dans ce cadre, le Tribunal fédéral a mis l'accent sur le rapport qu'entretenait les jeunes élèves avec leur enseignante, qui détenait une part de l'autorité scolaire et personnifiait l'école (ATF 123 I 296 consid. 4b/cc), les principes qu'il a développés peuvent également s'appliquer aux autres agents de l'État. Ainsi, même si ceux-ci ne s'adonnent pas au prosélytisme ni ne parlent de leurs convictions aux administrés en arborant un signe religieux extérieur, leur comportement n'en est pas moins imputable à l'État, en particulier lorsqu'ils sont en contact avec le public. À cela s'ajoute que l'interdiction en cause est limitée à ces derniers cas, de sorte que de ce point de vue, elle respecte aussi le principe de proportionnalité.

Les membres des autorités visés par les dispositions litigieuses ne sauraient ainsi donner l'apparence d'être guidés par des convictions religieuses dans l'exercice de leurs fonctions, ni de prendre en compte une conception religieuse au détriment d'une autre dans une société pluraliste. L'art. 3 al. 3 et 5 LLE permet dès lors d'atteindre le but d'intérêt public visé de manière adéquate, en leur imposant de s'abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse, même si une telle situation pourrait les placer devant une alternative difficile, laquelle devra toutefois s'analyser au cas par cas, et non pas dans le cadre du contrôle abstrait des normes (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.6). Dans ce dernier cadre, il suffit de constater qu'une interprétation conforme à la Cst. est possible, étant précisé qu'une application conforme au droit supérieur s'imposera, par exemple au sujet de la nature des propos admissibles au regard de l'art. 3 al. 3 LLE ; ainsi, une sanction disciplinaire infligée à un magistrat qui indiquerait simplement, à une occasion, à quelle confession il appartient serait a priori disproportionnée. Il en ira de même, de manière générale, de l'utilisation d'expressions usuelles de la langue française impliquant des références à une croyance. Le même raisonnement devra être suivi pour les autres agents de l'État visés à l'art. 3 al. 5 LLE.

La portée de l'art. 3 al. 3 et 5 LLE est au surplus limitée tant quant à son objet qu'à sa durée, puisqu'il s'applique, d'une part, aux seuls propos et signes extérieurs et, d'autre part, aux contacts avec le public, ce qui devra être défini dans chaque cas concret, en tenant compte du principe de proportionnalité et de chaque situation particulière. La disposition litigieuse respecte ainsi abstraitement le principe de proportionnalité et est conforme à la jurisprudence (ATF 123 I 296 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.6).

c. La situation se présente sous un autre angle s'agissant des membres du Grand Conseil et des conseils municipaux, dont la condition et la fonction ne s'apparentent pas à celles des personnes visées à l'art. 3 al. 3 et 5 LLE. Bien que la portée de l'interdiction de l'art. 3 al. 4 LLE soit limitée aux signes extérieurs lors de séances plénières et de représentations officielles, elle n'apparaît ni apte ni nécessaire à atteindre le but d'intérêt public poursuivi.

En effet, en tant que membres d'un organe législatif de milice, les parlementaires n'ont pas vocation à représenter l'État mais la société et son pluralisme, qu'ils incarnent, ce qui ressort de divers avis exprimés lors des travaux législatifs ayant mené à l'adoption de l'art. 3 al. 4 LLE. Cet article a d'ailleurs tenu compte de cette particularité en limitant l'interdiction de l'appartenance religieuse aux seuls signes extérieurs, sans égard aux propos pouvant être prononcés, lesquels demeurent libres, y compris d'un point de vue religieux. L'on ne voit ainsi pas ce qui justifierait que la même liberté ne leur soit pas accordée en matière de signes religieux extérieurs.

Imposer aux organes législatifs une totale neutralité confessionnelle, sans égards à leurs particularités, met au surplus à mal le principe démocratique exprimé à l'art. 51 Cst., qui impose aux cantons de se doter notamment d'un parlement élu au suffrage universel (ACST/15/2019 du 25 mars 2019 consid. 3b). Dans ce cadre, les membres du parlement - qui ne sont en Suisse, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau cantonal ou communal, pas des professionnels - sont censés représenter différents courants d'opinions, y compris religieuses, qui se retrouvent dans la société, le rôle de l'État n'étant pas d'éliminer ce pluralisme mais bien de le consacrer pour qu'il se traduise dans la composition des organes législatifs. Du reste, bien que cela ne soit pas déterminant, aucun canton suisse ne prévoit en l'état une telle règle pour les membres de son parlement ou de ses organes délibératifs.

L'art. 3 al. 4 LLE revient en outre, dans les faits, à créer une règle d'incompatibilité confessionnelle prohibée (ATF 114 Ia 395 consid. 8f/g), en empêchant les personnes manifestant leur appartenance religieuse d'accéder à un mandat électif, alors que la laïcité ne se présente plus comme une condition d'accès à ces fonctions. Il ne ressort d'ailleurs pas des travaux de la Constituante que celle-ci aurait voulu, lors de l'adoption de l'art. 3 Cst-GE, étendre l'exigence de neutralité confessionnelle aux membres des parlements, contrairement aux personnes exerçant une charge élective permanente comme les conseillers d'État ou les juges (Michel HOTTELIER, L'exigence de laïcité au regard de la Constitution genevoise du 14 octobre 2012, in : Frédéric BERNARD / Eleanor MCGREGOR / Diane VALLÉE-GRISEL [éd.], Études en l'honneur de Tristan Zimmermann, Constitution et religion, Les droits de l'homme en mémoire, 2017, 151-166, p. 158). Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les recourantes, l'art. 3 al. 4 LLE, de même d'ailleurs que l'art. 3 al. 3 LLE, ne contrevient pas à la garantie de l'art. 34 Cst., qui protège la liberté de vote, dans la mesure où il n'empêche pas, pour les électeurs, de porter leur choix sur les candidats qu'ils souhaitent élire ni pour les candidats qui remplissent les conditions requises de se faire élire.

Il résulte de ces éléments que dans le cas des organes délibératifs, il est disproportionné de faire primer l'aspect institutionnel de la liberté religieuse sur son aspect individuel. Il s'ensuit que l'art. 3 al. 4 LLE, qui ne peut faire l'objet d'aucune interprétation conforme au droit supérieur, sera annulé.

d. Bien que l'art. 6 al. 1 et 2, contrairement à l'art. 1 aLCExt, n'emporte aucune interdiction absolue des manifestations religieuses de nature cultuelle sur le domaine public, il n'en demeure pas moins qu'il les restreint fortement, en prévoyant qu'elles ne peuvent être autorisées qu'exceptionnellement. Une telle restriction apparaît disproportionnée et peu compatible avec la jurisprudence fédérale, même ancienne (ATF 108 Ia 41). L'on ne voit ainsi pas en quoi elle serait apte et nécessaire à atteindre le but d'intérêt public visé, soit le maintien de l'ordre et de la sécurité publics, dès lors qu'en tout état de cause ce type de manifestation, à l'instar de tout autre usage accru du domaine public, est soumis à autorisation aux conditions figurant dans la LMDPu - à laquelle renvoie l'art. 6 al. 2 LLE -, qui permet déjà de tenir compte de ces intérêts publics dans le cadre de l'octroi de l'autorisation y afférente.

Il est néanmoins possible de donner à l'art. 6 al. 1 et 2 LLE une interprétation conforme au droit supérieur, dans le sens où, lorsque les manifestations cultuelles ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, se dérouler sur le domaine privé, même si celui-ci ne doit pas être nécessairement clos selon les travaux préparatoires, alors elles doivent pouvoir se dérouler sur le domaine public aux mêmes conditions que les manifestations religieuses non cultuelles visées à l'art. 6 al. 3 LLE, en application de la LMDPu, étant précisé que, dans tous les cas, il n'existe pas de droit inconditionnel à un usage accru du domaine public (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_451/2018 précité consid. 3.1.1) et que l'abus de droit est réservé. Quant à l'art. 6 al. 4 LLE, qui n'est pas contesté en tant que tel par les recourantes, il n'apparaît, selon les travaux législatifs, pas avoir de portée propre pour refuser une autorisation de manifestation religieuse selon l'al. 2 ou 3 de l'art. 6 LLE, mais rappelle les éléments entrant en compte dans l'octroi ou le refus de l'autorisation y relative.

e. Pour des raisons tenant à l'ordre et à la sécurité publics, l'art. 7 al. 1 LLE permet au Conseil d'État de restreindre ou d'interdire le port de signes religieux ostentatoires. Bien que cette disposition ne comporte aucune définition de ce dernier terme, il ressort des travaux préparatoires qu'il doit s'agir de signes religieux provocateurs uniquement, sans que ne soient concernés d'autres signes religieux extérieurs, même forts, la kippa juive ou le voile islamique n'étant pas visés. L'autorité en charge de l'application de cette disposition devra ainsi, pour atteindre le but d'intérêt public visé, à savoir la préservation de l'ordre et de la sécurité publics, interpréter ces termes strictement, étant précisé que s'il devait s'agir de signes religieux recouvrant le visage, devrait alors également être interdite toute tenue empêchant l'identification des personnes, et ce de manière générale, sans lien avec une quelconque appartenance religieuse, sous peine de rendre vaine la réalisation de l'objectif poursuivi par l'art. 7 al. 1 LLE. En outre, étant donné le vaste champ d'application de cette disposition, qui concerne le domaine public et les bâtiments publics de manière générale, sa mise en oeuvre ne devra se faire que de manière très restrictive, afin de prévenir strictement des troubles graves à l'ordre et à la sécurité publics en raison d'un danger qui les menace de manière directe et imminente, comme l'indique du reste l'exposé des motifs relatif à cette disposition et les précisions données par le Grand Conseil dans ses écritures. Sous ces angles, l'art. 7 al. 1 LLE se prête ainsi à une interprétation conforme au droit supérieur, étant précisé que son application pourra faire l'objet d'un contrôle judiciaire à brève échéance, le délai indiqué, de quinze jours, constituant un simple délai d'ordre au regard du temps nécessaire aux échanges d'écritures et à ce qu'il soit statué sur le fond de la demande.

13) a. Les recourantes soutiennent que les dispositions attaquées seraient constitutives d'une inégalité de traitement et discriminatoires. Ce grief sera toutefois examiné en lien avec le seul art. 3 al. 3 et 5 LLE, au regard du sort réservé à l'art. 3 al. 4 LLE et de l'interprétation conforme au droit supérieur qu'il est possible de donner aux autres dispositions contestées.

b. Un arrêté de portée générale viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. Le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de ces principes (ATF 145 I 73 consid. 5.1 et les références citées).

Une discrimination au sens de l'art. 8 al. 2 Cst. est réalisée lorsqu'une personne est juridiquement traitée de manière différente, uniquement en raison de son appartenance à un groupe déterminé historiquement ou dans la réalité sociale contemporaine, mise à l'écart ou considérée comme de moindre valeur. La discrimination constitue une forme qualifiée d'inégalité de traitement de personnes dans des situations comparables, dans la mesure où elle produit sur un être humain un effet dommageable, qui doit être considéré comme un avilissement ou une exclusion, car elle se rapporte à un critère de distinction qui concerne une part essentielle de l'identité de la personne intéressée ou à laquelle il lui est difficilement possible de renoncer (ATF 143 I 129 consid. 2.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 précité consid. 5.1).

L'art. 8 al. 2 Cst. interdit non seulement la discrimination directe, mais également la discrimination indirecte. Une telle discrimination existe lorsqu'une réglementation, qui ne désavantage pas directement un groupe déterminé, défavorise tout particulièrement, par ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce groupe. Eu égard à la difficulté de poser des règles générales et abstraites permettant de définir pour tous les cas l'ampleur que doit revêtir l'atteinte subie par un groupe protégé par l'art. 8 al. 2 Cst. par rapport à la majorité de la population, la reconnaissance d'une situation de discrimination ne peut résulter que d'une appréciation de l'ensemble des circonstances du cas particulier. En tout état de cause, l'atteinte doit revêtir une importance significative, le principe de l'interdiction de la discrimination indirecte ne pouvant servir qu'à corriger les effets négatifs les plus flagrants d'une réglementation étatique (ATF 145 I 73 consid. 5.1 et les références citées).

c. Contrairement à ce que soutiennent les recourantes, l'art. 3 al. 3 et 5 LLE ne comporte aucune discrimination, ni directe, ni indirecte. En effet, il s'applique à tous les propos et signes religieux extérieurs, indépendamment de leur type et de leur nature. Que certaines confessions adoptent des signes plus visibles que d'autres ou rendent obligatoire le port de certains attributs vestimentaires à leurs fidèles n'y change rien et ne permet pas encore de conclure à l'existence d'une discrimination. Les travaux ayant conduit à l'adoption de cette disposition mentionnent d'ailleurs plusieurs signes religieux extérieurs, se référant tant au voile islamique qu'à la kippa juive ou à la croix chrétienne. Rien n'indique au demeurant que la disposition litigieuse serait spécifiquement dirigée contre la religion musulmane, en particulier le voile islamique, même s'il est vrai que les débats ont mentionné deux de ces cas, au demeurant exceptionnels, ou contre les femmes de manière générale. En effet, la disposition litigieuse pourrait s'appliquer également à un homme revêtant, dans les mêmes circonstances, les habits propres à une autre confession, tels la kippa précitée ou le turban sikh (voir, à ce propos, l'ATF 119 IV 260). Qu'elle ne s'applique pas aux signes relevant d'un courant politique ou philosophique n'est en outre constitutif d'aucune inégalité de traitement, en l'absence de situations semblables, le législateur ayant choisi de réglementer exclusivement le port de signes religieux dans la LLE. Par ailleurs, comme précédemment évoqué, il appartiendra aux autorités chargées de l'application de la loi, lors de la mise en oeuvre de l'art. 3 al. 5 LLE, d'établir quelles fonctions seront concernées par cette disposition, conformément au principe de proportionnalité, ce qui pourra faire l'objet d'un contrôle judiciaire ultérieur. Il s'ensuit que ce grief sera également écarté.

14) a. Les recourantes se plaignent, enfin, d'une violation des droits politiques, garantie à laquelle l'art. 3 al. 3 et 4 LLE serait contraire.

b. L'art. 34 al. 1 Cst. garantit de manière générale et abstraite les droits politiques, que ce soit sur le plan fédéral, cantonal ou communal. Selon l'art. 34 al. 2 Cst., cette garantie protège la libre formation de l'opinion des citoyens et l'expression fidèle et sûre de leur volonté (ATF 131 I 126 consid. 5.1), l'art. 44 Cst-GE garantissant les droits politiques en des termes similaires (ACST/30/2019 du 17 octobre 2019 consid. 7a), de même que l'art. 25 Pacte II. De cette garantie découle notamment le droit d'exiger qu'aucun résultat ne soit reconnu s'il n'exprime pas la libre volonté du corps électoral (ATF 131 I 126 consid. 3.1 et les références citées). Afin notamment de ne pas nuire à la crédibilité du résultat de l'élection, la garantie des droits politiques implique le respect de règles de procédure (ATF 131 I 442 consid. 3.1 et 3.6 ; ACST/30/2019 précité consid. 7a).

c. En l'espèce, étant donné que l'art. 3 al. 4 LLE ne peut faire l'objet d'aucune interprétation conforme à la Cst. et qu'il doit être annulé, le grief des recourants devient sans objet. S'agissant de l'art. 3 al. 3 LLE, comme précédemment mentionné, celui-ci ne contrevient pas à la garantie de l'art. 34 Cst., dans la mesure où il n'empêche pas, pour les électeurs, de porter leur choix sur les candidats qu'ils souhaitent élire ni, pour les candidats, de se faire élire s'ils remplissent les conditions d'éligibilité requises. Ce grief sera également écarté.

15) Par conséquent, le recours sera partiellement admis et l'art. 3 al. 4 LLE annulé.

16) Vu l'issue du litige, un émolument - réduit - de CHF 1'000.- sera mis à la charge des recourantes (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- leur sera allouée, à la charge de l'État de Genève, dès lors qu'elles obtiennent partiellement gain de cause et qu'elles y ont conclu (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 avril 2019 par l'A______ » ainsi que Mesdames B______, C______, D______, E______, F______, G______, H______ et I______ contre les art. 3 al. 3, 4 et 5, 6 al. 1 et 2 et 7 al. 1 de la loi sur la laïcité de l'État du 26 avril 2018 ;

 

au fond :

l'admet partiellement ;

annule l'art. 3 al. 4 de ladite loi ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge des recourantes, prises conjointement et solidairement ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- aux recourantes, prises conjointement et solidairement, à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Laïla Batou, avocate des recourantes, ainsi qu'au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, Mme Krauskopf, M. Pagan, Mme McGregor, M. Knupfer, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

C. Gutzwiller

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :