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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1389/2019

ACST/36/2019 du 21.11.2019 ( ABST ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1389/2019-ABST ACST/36/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 21 novembre 2019

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Steve Alder, avocat

contre

GRAND CONSEIL

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, qui est domicilié à Genève, siège au conseil municipal de la commune de Vernier et est membre actif de l'Église protestante de Genève (ci-après : EPG), et notamment de son Consistoire.

2) Le 4 novembre 2015, le Conseil d'État a déposé auprès du Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 11764 sur la laïcité de l'État, dont les art. 3 et 7 avaient la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 Le canton de Genève et les communes observent une neutralité religieuse.

2 Ils veillent à exclure toute discrimination fondée sur les convictions religieuses.

3 Les collaborateurs visés par l'article 1 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux, du 4 décembre 1997, les collaborateurs des communes, ainsi que les collaborateurs des établissements publics ou privés exécutant des tâches déléguées par l'État, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions. Lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

Art. 7

Manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle

1 Par manifestation religieuse cultuelle, on entend l'expression, par une ou plusieurs personnes, de croyances ou de convictions directement liées à celles-ci, par le biais de moyens visuels ou sonores, ou par l'accomplissement d'actes ou de rites, sur le domaine privé ou public.

2 Par manifestation religieuse non cultuelle, on entend toute activité ayant pour objectif d'informer le public sur des croyances ou des pratiques religieuses ou spirituelles, par des moyens visuels, imprimés ou non, ou sonores, sur le domaine privé ou public.

3 Les manifestations religieuses cultuelles se déroulent en principe sur le domaine privé et dans un lieu fermé.

4 Les manifestations religieuses cultuelles ou non cultuelles sur le domaine public peuvent être autorisées selon les dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008.

5 L'autorité compétente tient compte des risques que la manifestation peut faire courir à l'ordre public.

Selon l'exposé des motifs y relatif, le projet s'inscrivait dans le cadre de la mise en oeuvre de l'art. 3 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), qui posait le principe de la laïcité de l'État, un instrument au service de la liberté de conscience et de croyance, de la diversité et de la paix religieuse ainsi que de la cohésion sociale (pp. 9 et 12).

L'art. 7 visait à remplacer l'ancienne loi sur le culte extérieur du 28 août 1875 (aLCExt - C 4 10), qui interdisait toute manifestation religieuse dans l'espace public. Un régime d'autorisation, à l'instar des dispositions relatives aux manifestations sur le domaine public, devait toutefois subsister, en tenant compte des risques effectifs que les manifestations religieuses pouvaient faire courir à l'ordre public. En principe, les manifestations religieuses cultuelles se déroulaient sur le domaine privé et dans un lieu fermé. Lors de l'organisation d'une manifestation, une autorisation devait être déposée. L'autorité saisie d'une telle demande, en plus d'examiner les conditions figurant dans la loi sur les manifestations sur le domaine public du 26 juin 2008 (LMDPu - F 3 10), devait déterminer si la manifestation envisagée pouvait conduire à des réactions d'hostilité ou les favoriser entre les fidèles de différentes religions (pp. 19 s.).

3) Lors de la séance plénière du 3 décembre 2015, le PL 11764 a été renvoyé sans débat à la commission des Droits de l'Homme du Grand Conseil (ci-après : la commission).

4) a. Le 6 mars 2018, la commission a rendu son rapport sur le PL 11764, qui comportait un rapport de majorité et deux rapports de minorité, ainsi que sur trois autres projets.

b. Selon le rapport de majorité, l'art. 3 Cst-GE n'imposait l'adoption d'aucune loi, de sorte que le choix de légiférer ou non était politique (p. 221).

La neutralité religieuse imposée aux membres de la fonction publique dans le cadre de leur activité, et non pas en tout temps (pp. 269 s. et 473), concernait les signes extérieurs, notion plus large que les signes ostentatoires, et laissait une marge d'appréciation étendue à l'autorité (pp. 222, 227 et 275). Elle devait également s'appliquer aux membres des pouvoirs exécutifs et aux magistrats, dans la mesure où il s'agissait d'agents de l'État, qu'ils représentaient (p. 259). Tel n'était toutefois pas le cas des membres des parlements, auxquels cette exigence de neutralité ne pouvait pas s'appliquer. Bien que celle-ci eût pour but de conserver la paix religieuse (p. 472), les députés, en tant qu'ils étaient élus par les citoyens, ne représentaient pas l'État, mais bien la société et ses différentes sensibilités (pp. 261 s. et 471). Ils devaient ainsi disposer de la plus grande liberté possible, notamment de pouvoir s'exprimer librement (pp. 470 s.). Les cas d'une gardienne de musée voilée et d'une élue voilée à Vernier ont en outre été évoqués (pp. 10 et 271).

S'agissant des manifestations religieuses, les débats ont en particulier porté sur la question de la distinction entre celles de nature cultuelle, qui comportaient l'accomplissement d'actes ou de rites liés à la liturgie d'une religion, et les autres, au regard de la difficulté de définir ces termes. Il convenait d'éviter les débordements et l'investissement du domaine public pour y affirmer ses croyances, en particulier par la prière (pp. 367, 369 s. et 489). De telles manifestations devaient se faire sur le domaine privé, sans qu'il ne s'agisse nécessairement d'un lieu clos (p. 489). Les manifestations non cultuelles étaient, quant à elles, soumises au droit ordinaire, ce qui devait être précisé (p. 492). Dans les deux cas, l'autorité compétente devait tenir compte des risques à la sécurité publique, à l'ordre public ou à la protection des droits et libertés d'autrui (p. 494), conformément au droit international (p. 370).

c. À l'issue de ses travaux, la commission a adopté le PL 11764, dont les art. 3 et 6 (ancien art. 7) avaient la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 L'État est laïque. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.

2 La neutralité religieuse de l'État interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l'absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d'appartenance religieuse ou non.

3 Les membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

4 Les agents de l'État, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

5 Les cérémonies officielles et les prestations de serment sont organisées selon des modalités respectant la neutralité religieuse.

Art. 6

Manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle

1 Les manifestations religieuses cultuelles se déroulent sur le domaine prive.

2 À titre exceptionnel, les manifestations religieuses cultuelles peuvent être autorisées sur le domaine public. Dans ces cas-là, les dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008, s'appliquent.

3 Les manifestations religieuses non cultuelles sur le domaine public sont soumises aux dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008.

4 L'autorité compétente tient compte des risques que la manifestation peut faire courir, a la sécurité publique, a la protection de l'ordre public, ou a la protection des droits et libertés d'autrui.

5) a. Le Grand Conseil a traité du PL 11764 lors de ses séances des 22 mars et 26 avril 2018.

b. S'agissant de l'art. 3 du PL, les débats ont en particulier porté sur la neutralité religieuse des membres des parlements. Même si les élus ne représentaient pas l'État au sens strict, ils le constituaient. Ils représentaient l'ensemble de la population genevoise, sans attachement communautaire. Le fait qu'un député arbore des signes religieux pouvait signifier qu'il refusait d'agir librement et qu'il suivait une obédience religieuse, alors qu'en tant que représentant de la république, il n'avait pas vocation à représenter des intérêts particuliers ou des communautés religieuses. S'il importait que les membres des parlements ne portent pas de signes religieux extérieurs, leurs propos devaient néanmoins rester libres, notamment au regard de leur immunité. N'étaient pas concernés les signes religieux discrets mais ceux dont le port conduisait à se faire immédiatement reconnaître, comme le voile islamique, la kippa ou une croix de dimension excessive. Cette restriction s'appliquait uniquement dans l'exercice des fonctions électives et il ne s'agissait pas d'intervenir dans la sphère privée.

c. Le 26 avril 2018, à l'issue des débats, le Grand Conseil a adopté la loi 11764 sur la laïcité de l'État (LLE - A 2 75), dont les art. 3 et 6 LLE ont la teneur suivante :

Art. 3

Neutralité religieuse de l'État

1 L'État est laïque. Il observe une neutralité religieuse. Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.

2 La neutralité religieuse de l'État interdit toute discrimination fondée sur les convictions religieuses, ou l'absence de celles-ci, ainsi que toute forme de prosélytisme. Elle garantit un traitement égal de tous les usagers du service public sans distinction d'appartenance religieuse ou non.

3 Les membres du Conseil d'État, d'un exécutif communal, ainsi que les magistrats du pouvoir judiciaire et de la Cour des comptes, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

4 Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.

5 Les agents de l'État, soit ceux du canton, des communes et des personnes morales de droit public, observent cette neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions et, lorsqu'ils sont en contact avec le public, ils s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des propos ou des signes extérieurs.

6 Les cérémonies officielles et les prestations de serment sont organisées selon des modalités respectant la neutralité religieuse.

Art. 6

Manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle

1 Les manifestations religieuses cultuelles se déroulent sur le domaine privé.

2 À titre exceptionnel, les manifestations religieuses cultuelles peuvent être autorisées sur le domaine public. Dans ces cas-là, les dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008, s'appliquent.

3 Les manifestations religieuses non cultuelles sur le domaine public sont soumises aux dispositions de la loi sur les manifestations sur le domaine public, du 26 juin 2008.

4 L'autorité compétente tient compte des risques que la manifestation peut faire courir, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre public, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

6) La LLE a été publiée dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 11 mai 2018, le délai référendaire expirant le 20 juin 2018.

7) Le 20 juin 2018, après avoir annoncé un référendum contre la LLE, quatre comités différents ont déposé environ 8'300 signatures à la Chancellerie d'État.

8) Par arrêté publié dans la FAO du 7 septembre 2018, le Conseil d'État a constaté l'aboutissement du référendum lancé à l'encontre de la LLE.

9) Le 10 février 2019, le corps électoral genevois a rejeté le référendum et accepté la LLE à une majorité de 55,05 % des votants.

10) Ces résultats ont été validés par arrêté du Conseil d'État publié dans la FAO du 1er mars 2019.

11) Par arrêté publié dans la FAO du 8 mars 2019, le Conseil d'État a promulgué la LLE pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de sa publication.

12) La LLE est entrée en vigueur le 9 mars 2019, conformément à son art. 13.

13) Par décision du 3 avril 2019, à la suite d'un autre recours interjeté contre l'art. 3 LLE, la présidence de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) a partiellement octroyé l'effet suspensif et suspendu l'application de l'art. 3 al. 4 LLE.

14) Par acte du 8 avril 2019, M. A______ a recouru auprès de la chambre constitutionnelle contre la LLE, concluant à l'annulation de l'art. 3 al. 4 et de l'art. 6 ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

L'art. 3 al. 4 LLE n'était pas une base légale suffisante pour restreindre la liberté religieuse, à laquelle il portait une grave atteinte. Sa rédaction ne permettait ainsi pas de comprendre si le port de signes religieux extérieurs était interdit ou seulement déconseillé, quels comportements tombaient dans son champ d'application et si les contrevenants s'exposaient à une sanction, le cas échéant prononcée par quelle autorité. Pour des raisons dogmatiques, il avait été adopté pour respecter le principe de la laïcité de l'État, ce qui n'était pas un intérêt public suffisant, étant précisé que, contrairement aux agents de l'État et aux magistrats, les élus n'étaient pas des représentants de l'État. Il ne respectait pas non plus le principe de proportionnalité, sous ses différents aspects.

Il en allait de même de l'art. 6 LLE, au regard de la jurisprudence rendue en matière de manifestations religieuses sur le domaine public. Cette disposition portait gravement atteinte à la liberté religieuse en tant qu'elle n'autorisait que très exceptionnellement la tenue de telles manifestations, à des conditions bien plus restrictives que pour d'autres usages du domaine public. Elle ne définissait pas non plus les termes de manifestations cultuelles, ce qui était problématique au regard de l'exigence de la densité normative, et octroyait un pouvoir d'appréciation étendue à l'autorité chargée de son application. Elle ne poursuivait pas davantage d'intérêt public, sauf peut-être la sauvegarde de l'ordre public, ce qui ne résistait toutefois pas à l'examen du principe de proportionnalité, dès lors que d'autres mesures moins incisives étaient envisageables, comme le fait de soumettre toute manifestation religieuse aux conditions de la LMDPu.

15) Le 14 juin 2019 le Grand Conseil a répondu sur le fond du recours, concluant à son rejet, « avec suite de dépens ».

Les termes utilisés à l'art. 3 al. 4 LLE étaient suffisamment déterminés pour permettre aux personnes concernées d'adapter leur comportement en conséquence, la loi devant laisser à l'autorité d'exécution une marge de manoeuvre suffisante pour son application. Cette disposition visait le maintien de la paix religieuse et garantissait la laïcité et la neutralité de l'État, les membres des autorités délibérantes exerçant des fonctions officielles. La restriction en cause était en outre réduite au minimum et empêchait, dans le public, l'impression de préjugés d'ordre religieux de la part des députés.

L'art. 6 LLE distinguait les manifestations cultuelles, comprenant tous les actes qui appartenaient aux rituels d'une communauté religieuse, et les autres, soumises aux règles ordinaires d'utilisation du domaine public. Bien que la portée de cette distinction fût réduite, il n'était pas envisageable que le domaine public soit utilisé sans contrôle pour y organiser des manifestations religieuses à caractère cultuel, étant précisé que l'octroi ou le refus de l'autorisation y relative pouvait être contesté dans un cas concret.

16) Le 12 juillet 2019, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 4 septembre 2019 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

17) Le 4 septembre 2019, M. A______ a persisté dans les conclusions et termes de son recours.

Il précisait que les élus visés à l'art. 3 al. 4 LLE ne se trouvaient pas dans un rapport de puissance publique spécial, au contraire des magistrats ou autres agents de l'État, et n'étaient liés par aucun mandat impératif.

18) Le 18 septembre 2019, le Grand Conseil a sollicité l'octroi d'un délai pour dupliquer.

19) Le 23 septembre 2019, le juge délégué a fixé au Grand Conseil un délai au 4 octobre 2019 pour dupliquer et à M. A______ un délai au 11 octobre 2019 pour l'exercice éventuel de son droit à la réplique, après quoi la cause serait gardée à juger.

20) Le 4 octobre 2019, le Grand Conseil a persisté dans les conclusions et termes de ses précédentes écritures.

Il précisait que l'exigence de neutralité visait les agents de l'État de manière générale, sans distinction de catégories. Même si les députés n'étaient pas soumis à un vrai pouvoir spécial, ils n'en étaient pas moins investis de fonctions et pouvaient pour cette raison être subordonnés à des normes de comportement. L'exigence d'indépendance ne visait ainsi pas seulement les magistrats du pouvoir judiciaire, mais également les députés, le public ne devant pas avoir l'impression que dans l'exercice de leurs fonctions ils signalent leur appartenance religieuse.

21) Le 11 octobre 2019, M. A______ a informé le juge délégué qu'il n'avait pas d'observations complémentaires à formuler.

22) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) La chambre constitutionnelle est l'autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a Cst-GE). Selon la législation d'application de cette disposition, il s'agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. Le recours est formellement dirigé contre l'art. 3 al. 4 et l'art. 6 LLE, dispositions d'une loi cantonale, en l'absence de cas d'application (ACST/22/2019 du 8 mai 2019 consid. 2a et les références citées).

b. Interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de l'acte susmentionné, qui a eu lieu par arrêté du Conseil d'État publié dans la FAO du 8 mars 2019, et dans les formes prévues par la loi, le recours est recevable sous cet angle (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

3) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d'État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L'art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l'action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu'il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/22/2019 précité consid. 3a et la référence citée).

b. En application de l'art. 111 al. 1 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le droit cantonal ne peut pas définir la qualité de partie devant l'autorité qui précède immédiatement le Tribunal fédéral de manière plus restrictive que ne le fait l'art. 89 LTF. Aux termes de cette disposition, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (al. 1 let. a), est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (al. 1 let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (al. 1 let. c).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n'est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l'acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 145 I 26 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 du 29 août 2019 consid. 1.2).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l'annulation de l'acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; ACST/22/2019 précité consid. 3b).

c. En l'espèce, en tant qu'il exerce un mandat électif au niveau communal, le recourant est directement concerné par l'art. 3 al. 4 LLE. Il risque également de se voir appliquer l'art. 6 LLE en cas d'organisation d'une manifestation religieuse. Il a dès lors qualité pour recourir, de sorte que le recours est également recevable de ce point de vue.

4) À l'instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu'elle se prononce dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, s'impose une certaine retenue et n'annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu'elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme - ou non - au droit supérieur. Les explications de l'autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 145 I 26 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 précité consid. 2 ; ACST/22/2019 précité consid. 4).

5) a. Selon le recourant, les art. 3 al. 4 et 6 LLE seraient contraires à la liberté de conscience et de croyance.

b. L'art. 15 Cst., comme les art. 25 Cst-GE, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et 18 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II - RS 0.103.2), garantit la liberté de conscience et de croyance (al. 1) et accorde à toute personne le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté (al. 2), d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir et de suivre un enseignement religieux (al. 3). En outre, nul ne peut être contraint d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir, d'accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux (al. 4).

La liberté religieuse englobe tant la liberté intérieure de croire, de ne pas croire ou de modifier ses convictions religieuses que la liberté extérieure d'exprimer ses convictions, de les pratiquer et de les divulguer dans certaines limites, ou de ne pas les partager (ATF 145 I 121 consid. 5.1 et les références citées ; ACEDH Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260-A, § 31 et Otto-Preminger-Institut c. Autriche du 20 septembre 1994, série A n° 276, § 47), sous la forme de culte, d'enseignement, de pratiques ou d'accomplissement de rites (ACEDH Leyla ahin c. Turquie du 10 novembre 2005, Rec. 2005-XI, § 105). Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie du 26 avril 2016, req. 62649/10, § 103). Elle inclut le droit de chacun de se comporter en principe selon les enseignements de sa foi et d'agir conformément à ses convictions. Elle protège toutes les religions, quel que soit le nombre de leurs fidèles en Suisse (ATF 145 I 121 consid. 5.1 ; 142 I 49 consid. 3.4 et les références citées). Elle ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction et ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d'une manière dictée ou inspirée par sa religion ou ses convictions (ACEDH Leyla ahin c. Turquie précité § 105 et 121).

Au-delà des actes cultuels, la garantie constitutionnelle protège le respect des injonctions et usages religieux ainsi que les autres manifestations de la croyance, en tant que ces comportements constituent l'expression de la conviction religieuse (ACEDH Osmanolu et Kocaba c. Suisse du 10 janvier 2017, req. 29086/12, § 41). Tel est le cas des prescriptions religieuses relatives à l'habillement, comme le voile islamique, la kippa juive, l'habit des religieux chrétiens ou encore le port d'une croix, qui bénéficient aussi de la protection conférée par l'art. 15 Cst. (ATF 142 I 49 consid. 3.6 et les références citées).

c. En l'espèce, en tant que l'art. 3 al. 4 LLE impose aux membres du Grand Conseil et des conseils municipaux de s'abstenir de signaler leur appartenance religieuse, il emporte une restriction à la liberté de conscience et de croyance des personnes concernées. Ces dispositions excluent ainsi que, s'agissant de la manifestation extérieure de leurs convictions, ces personnes fassent montre de leur foi, notamment par le port du voile islamique, de la kippa juive ou d'une croix chrétienne, éléments protégés par la liberté de conscience et de croyance, qui garantit la possibilité d'agir conformément à ses convictions religieuses.

Il en va de même des restrictions des manifestations religieuses cultuelles ou non se déroulant sur le domaine public visées à l'art. 6 LLE, qui tombent dans le champ de protection de la liberté religieuse. Celle-ci constitue ainsi une garantie spécifique dans le cadre de laquelle le grief de la violation de la liberté de réunion et de manifestation se confond avec celui de la violation de la liberté de conscience et de croyance (ATF 108 Ia 41 consid. 2 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. II, 2018, n. 1946).

Même si la manifestation extérieure d'une religion peut non seulement être importante aux yeux des personnes concernées mais également obéir à une exigence impérative de celle-ci, elle n'appartient pas, selon la jurisprudence, au noyau intangible de la liberté de conscience et de croyance (ATF 142 I 195 consid. 5.4 ; 142 I 49 consid. 6 ; 123 I 296 consid. 2b/cc), pour autant du reste que la notion de noyau intangible ait une quelconque portée sur le plan juridique, ce qui est contesté par une partie de la doctrine (Pierre TSCHANNEN, Staatsrecht der Schweizerischen Eigenossenschaft, 4e éd., 2016, § 7 n. 115 ; Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3e éd., 2013, n. 254 ; Christof RIEDO / Marcel Alexander NIGGLI, Unantastbar ? Bemerkungen zum so genannten Kerngehalt von Grundrechten oder Much Ado About Nothing, PJA 2011 p. 762-770). À l'instar des autres libertés, elle peut ainsi être restreinte aux conditions posées par l'art. 36 Cst.

6) Les restrictions à la liberté de conscience et de croyance ne sont admissibles que si elles satisfont aux conditions prévues en cas de restriction aux droits fondamentaux. Elles doivent ainsi reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et être proportionnées au but visé (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; art. 43 al. 1 à 3 Cst-GE ; ATF 139 I 280 consid. 4.3 et les références citées).

7) a. Les restrictions graves doivent reposer sur une disposition claire et expresse de la loi au sens formel (art. 36 al. 1, 2ème phrase, Cst.). Se déduisant du principe de la légalité, l'exigence de densité normative suffisante renvoie au degré de clarté et de précision que des dispositions générales et abstraites doivent avoir pour que leur application soit prévisible (ACST/19/2018 du 15 août 2018 consid. 6a et les références citées ; ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité, § 99). Le degré de précision exigible ne peut toutefois pas être défini abstraitement car il dépend de la diversité des états de fait à réglementer, de la complexité et de la prévisibilité de la décision à prendre dans le cas d'espèce, des destinataires de la règle, de l'intensité de l'atteinte portée aux droits fondamentaux et, finalement, de l'appréciation de la situation qui n'est possible que lors de l'examen du cas individuel et concret (ATF 139 I 280 consid. 5.1 et les références citées).

La gravité de l'atteinte à un droit fondamental s'apprécie selon des critères objectifs. Toutefois, dans le domaine de la liberté de conscience et de croyance, cette appréciation est difficile, dans la mesure où les sentiments et les convictions religieux sont motivés de manière subjective. Les organes étatiques doivent ainsi se référer à la signification des règles religieuses pour les personnes concernées (ATF 139 I 280 consid. 5.2 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 du 11 mars 2019 consid. 4.3). Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que l'interdiction générale de porter le voile pendant la classe, imposée à une élève, comportait une restriction grave de sa liberté de conscience et de croyance (ATF 142 I 49 consid. 7.2 et les références citées). Il a toutefois laissé la question de la gravité de l'atteinte ouverte dans le cas d'une interdiction faite à une enseignante de porter le voile à l'école, considérant qu'il suffisait que la prescription de comportement découle d'une obligation plus générale contenue dans la loi au sens formel (ATF 123 I 269 consid. 3). Plus récemment, il a jugé qu'un règlement cantonal qui interdisait aux magistrats et autres membres du pouvoir judiciaire le port de symboles religieux visibles dans leurs contacts avec le public était suffisamment précis pour permettre aux personnes concernées d'adapter leur comportement en conséquence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.3.3).

b. En l'espèce, les dispositions litigieuses figurent dans la LLE, soit une loi au sens formel qui a été soumise au référendum.

La portée de l'art. 3 al. 4 est limitée, dès lors qu'il ne s'applique, d'une part, qu'aux signes extérieurs et, d'autre part, que dans le cadre des séances plénières et de représentations officielles. Cet article ne comporte aucune restriction supplémentaire à la liberté religieuse des personnes visées en dehors de ces situations et dans leur vie quotidienne. À cela s'ajoute qu'à la différence d'élèves qui se verraient interdire le port d'un signe religieux à l'école (cf. ATF 142 I 49 consid. 7.2), il peut être attendu des personnes concernées, qui occupent les plus hautes fonctions de l'État, qu'elles composent dans une certaine mesure avec une telle situation conflictuelle (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.3.3).

Il en va de même s'agissant de la portée de l'art. 6 LLE, qui s'applique aux seules manifestations religieuses, lesquelles sont soumises à autorisation en cas d'utilisation du domaine public.

De ce point de vue, l'on ne saurait, objectivement et abstraitement, qualifier l'atteinte de grave, de sorte que des exigences trop sévères quant à la précision de la formulation des dispositions contestées ne peuvent être posées (cf. ATF 128 I 295 consid. 5b/aa).

c. Selon le recourant, les dispositions litigieuses ne seraient pas suffisamment déterminées, puisqu'elles ne comportent aucune définition des termes utilisés, qui seraient sujets à interprétation. S'il est vrai que la formulation des art. 3 al. 4 et art. 6 LLE est large, le fait qu'ils soient sujets à interprétation ne permet pas encore de conclure qu'ils seraient trop imprécis pour être appliqués de façon prévisible, dans un cas particulier (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.4.1). Ces articles, rédigés en termes généraux et abstraits, définissent leur champ d'application personnel, matériel et temporel de manière suffisante pour que les personnes concernées puissent adapter leur comportement en conséquence.

Bien que la distinction entre les manifestations religieuses de nature cultuelle et non cultuelle de l'art. 6 LLE puisse ne pas être évidente à prime abord, il ressort néanmoins des travaux législatifs que les premières concernent l'accomplissement d'actes ou de rites liés à la liturgie d'une religion, ce que prévoyait au demeurant déjà l'aLCExt, étant précisé que le projet du Conseil d'État en donnait également une définition. Par ailleurs, en cas d'usage accru du domaine public, en particulier lors de manifestations au sens de l'art. 2 LMDPu, l'exigence d'une base légale doit être relativisée, comme le retient la jurisprudence (ATF 119 Ia 445 consid. 2a).

À ces éléments s'ajoute le fait que dans le cadre du présent recours, le juge constitutionnel, chargé du contrôle abstrait des normes, doit faire preuve d'une certaine retenue, un contrôle concret de l'application des dispositions litigieuses dans un cas particulier demeurant par ailleurs possible (ACST/19/2018 précité consid. 6c).

8) a. Les restrictions de la liberté de conscience et de croyance doivent répondre à un intérêt public ou se justifier par la protection d'un droit fondamental d'autrui (art. 36 al. 2 Cst.). La notion d'intérêt public varie en fonction du temps et des lieux et comprend non seulement les biens de police (tels que l'ordre, la sécurité, la santé et la paix publics), mais aussi les valeurs culturelles, écologiques et sociales dont les tâches de l'État sont l'expression. Il incombe au législateur de définir, dans le cadre d'un processus politique et démocratique, quels intérêts publics peuvent être considérés comme légitimes, en tenant compte de l'ordre de valeurs posé par le système juridique. Si les droits fondamentaux en jeu ne peuvent être restreints pour les motifs indiqués par la collectivité publique en cause, l'intérêt public allégué ne sera pas tenu pour pertinent (ATF 142 I 49 consid. 8.1 et les références citées).

b. Selon le recourant, les dispositions contestées ne poursuivraient aucun intérêt public.

L'art. 3 al. 4 et l'art. 6 LLE consacrent la neutralité confessionnelle de l'État, dont le but est non seulement de protéger les convictions religieuses des citoyens, mais également d'assurer la paix religieuse (ATF 142 I 49 consid. 8.2.3 ; 123 I 296 consid. 4a, 4b/bb), dans un esprit de tolérance et d'ouverture (ACEDH S.A.S c. France du 1er juillet 2014, Grande Chambre, req. 43835/11, Rec. 2014, § 121 et Lautsi et autres c. Italie du 18 mars 2011, req. 30814/06, Rec. 2011, § 60). Ils imposent à l'État, et par là même aux personnes qui l'incarnent, de s'abstenir, dans les actes publics, de toute considération confessionnelle ou religieuse susceptible de compromettre la liberté des citoyens dans une société pluraliste, en montrant que l'État ne s'identifie pas à une croyance déterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2018 précité consid. 4.5). En cela, ils poursuivent également le but de protéger les droits et libertés d'autrui en préservant le respect de toutes les croyances religieuses et orientations spirituelles des citoyens, destinataires de l'exigence de neutralité imposée à l'État, en leur assurant une stricte égalité, sans distinction de religion (ACEDH Ebrahimian c. France du 26 novembre 2015, req. 64846/11, Rec. 2015, § 53, et Leyla ahin c. Turquie précité § 99).

Dans ce cadre, un tel intérêt public n'apparaît pas contraire à la politique d'intégration poursuivie par l'État, puisqu'il tend à traiter de manière égale tous les citoyens du point de vue de leurs conceptions philosophiques et religieuses, en se fondant sur la tradition de laïcité du canton de Genève (ATF 142 I 49 consid. 4.4 ; 139 I 280 consid. 5.5 ; sur cette notion, voir Tristan ZIMMERMANN, La laïcité et la République et canton de Genève, SJ 2011 29-77, p. 60 ss), ancrée à l'art. 3 al. 1 Cst-GE. Que cette disposition n'oblige pas les autorités à légiférer n'y change rien et n'est pas déterminant, la disposition constitutionnelle en cause ne le prohibant pas non plus.

Si une interdiction générale des manifestations religieuses de nature cultuelle sur le domaine public ne répond, selon la jurisprudence, à aucun intérêt public, comme l'a relevé le Tribunal fédéral en lien avec l'ancienne aLCExt (ATF 108 Ia 41 consid. 2), qui prohibait toute célébration de culte, procession ou cérémonie religieuse sur la voie publique (art. 1 aLCExt), une limitation de celles-ci peut répondre à des motifs d'ordre et de sécurité publics, étant précisé qu'il n'existe pas de droit inconditionnel à un usage accru du domaine public.

L'adoption des dispositions contestées répond ainsi à des intérêts publics admissibles.

9) a. Pour qu'une restriction d'un droit fondamental soit conforme au principe de la proportionnalité, il faut qu'elle soit apte à atteindre le but visé, que ce dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (art. 36 al. 3 Cst. ; ATF 142 I 49 consid. 9.1).

Selon l'art. 9 § 2 CEDH, toute ingérence dans l'exercice du droit à la liberté de religion doit être nécessaire dans une société démocratique. Une ingérence est considérée comme telle pour atteindre un but légitime si elle répond à un besoin social impérieux et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime poursuivi (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité, § 105). Selon la CourEDH, dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun (ACEDH zzettin Doan et autres c. Turquie précité, § 106, et Kokkinakis c. Grèce précité, § 33). La CourEDH a en particulier considéré que l'interdiction du port de vêtements ou symboles à caractère religieux sur le lieu de travail dans le cadre de fonctions officielles, faite à des fonctionnaires susceptibles d'être soumis à un devoir de discrétion, de neutralité et d'impartialité, était nécessaire dans une société démocratique (sous l'angle de la recevabilité de la requête, voir DCEDH Kurtulmu c. Turquie du 24 janvier 2006, req. 65500/01, Rec. 2006-II, au sujet de l'interdiction faite à une professeure d'université de porter un voile lorsqu'elle enseignait ; Dahlab c. Suisse du 15 février 2001, req. 42393/98, Rec. 2001-V, sur l'interdiction faite à une enseignante de porter un voile à l'école ; Pitkevich c. Russie du 8 février 2001, req. 47936/99, concernant la révocation d'une juge au motif, notamment, qu'elle s'était livrée au prosélytisme et avait prié pendant des audiences ; sur le fond, voir l'ACEDH Ebrahimian c. France précité au sujet de l'interdiction faite à une assistante sociale d'un hôpital public de porter un voile sur son lieu de travail ou encore l'ACEDH Eweida et autres c. Royaume-Uni du 15 janvier 2013, req. 48420/10, Rec. 2013, au sujet du port d'une croix chrétienne sur le lieu de travail).).

b. En l'espèce, le recourant tient pour disproportionnées les restrictions à la liberté de conscience et de croyance opérées par les art. 3 al. 4 et 6 LLE.

c. C'est à juste titre qu'il soutient que la condition et la fonction des membres du Grand Conseil et des conseils municipaux ne s'apparente pas à celles des personnes visées à l'art. 3 al. 3 et 5 LLE. Bien que la portée de l'interdiction de l'art. 3 al. 4 LLE soit limitée aux signes extérieurs lors de séances plénières et de représentations officielles, elle n'apparaît ni apte ni nécessaire à atteindre le but d'intérêt public poursuivi.

En effet, en tant que membres d'un organe législatif de milice, les parlementaires n'ont pas vocation à représenter l'État mais la société et son pluralisme, qu'ils incarnent, ce qui ressort de divers avis exprimés lors des travaux législatifs ayant mené à l'adoption de l'art. 3 al. 4 LLE. Cet article a d'ailleurs tenu compte de cette particularité en limitant l'interdiction de l'appartenance religieuse aux seuls signes extérieurs, sans égard aux propos pouvant être prononcés, lesquels demeurent libres, y compris d'un point de vue religieux. L'on ne voit ainsi pas ce qui justifierait que la même liberté ne leur soit pas accordée en matière de signes religieux extérieurs.

Imposer aux organes législatifs une totale neutralité confessionnelle, sans égards à leurs particularités, met au surplus à mal le principe démocratique exprimé à l'art. 51 Cst., qui impose aux cantons de se doter notamment d'un parlement élu au suffrage universel (ACST/15/2019 du 25 mars 2019 consid. 3b). Dans ce cadre, les membres du parlement - qui ne sont en Suisse, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau cantonal ou communal, pas des professionnels - sont censés représenter différents courants d'opinions, y compris religieuses, qui se retrouvent dans la société, le rôle de l'État n'étant pas d'éliminer ce pluralisme mais bien de le consacrer pour qu'il se traduise dans la composition des organes législatifs. Du reste, bien que cela ne soit pas déterminant, aucun canton suisse ne prévoit en l'état une telle règle pour les membres de son parlement ou de ses organes délibératifs.

L'art. 3 al. 4 LLE revient en outre, dans les faits, à créer une règle d'incompatibilité confessionnelle prohibée (ATF 114 Ia 395 consid. 8f/g), en empêchant les personnes manifestant leur appartenance religieuse d'accéder à un mandat électif, alors que la laïcité ne se présente plus comme une condition d'accès à ces fonctions. Il ne ressort d'ailleurs pas des travaux de la Constituante que celle-ci aurait voulu, lors de l'adoption de l'art. 3 Cst-GE, étendre l'exigence de neutralité confessionnelle aux membres des parlements, contrairement aux personnes exerçant une charge élective permanente comme les conseillers d'État ou les juges (Michel HOTTELIER, L'exigence de laïcité au regard de la Constitution genevoise du 14 octobre 2012, in : Frédéric BERNARD / Eleanor MCGREGOR / Diane VALLÉE-GRISEL [éd.], Études en l'honneur de Tristan Zimmermann, Constitution et religion, Les droits de l'homme en mémoire, 2017, 151-166, p. 158).

Il résulte de ces éléments que dans le cas des organes délibératifs, il est disproportionné de faire primer l'aspect institutionnel de la liberté religieuse sur son aspect individuel. Il s'ensuit que l'art. 3 al. 4 LLE, qui ne peut faire l'objet d'aucune interprétation conforme au droit supérieur, sera annulé.

d. Bien que l'art. 6 al. 1 et 2, contrairement à l'art. 1 aLCExt, n'emporte aucune interdiction absolue des manifestations religieuses de nature cultuelle sur le domaine public, il n'en demeure pas moins qu'il les restreint fortement, en prévoyant qu'elles ne peuvent être autorisées qu'exceptionnellement. Une telle restriction apparaît disproportionnée et peu compatible avec la jurisprudence fédérale, même ancienne (ATF 108 Ia 41). L'on ne voit ainsi pas en quoi elle serait apte et nécessaire à atteindre le but d'intérêt public visé, soit le maintien de l'ordre et de la sécurité publics, dès lors qu'en tout état de cause ce type de manifestation, à l'instar de tout autre usage accru du domaine public, est soumis à autorisation aux conditions figurant dans la LMDPu - à laquelle renvoie l'art. 6 al. 2 LLE -, qui permet déjà de tenir compte de ces intérêts publics dans le cadre de l'octroi de l'autorisation y afférente.

Il est néanmoins possible de donner à l'art. 6 al. 1 et 2 LLE une interprétation conforme au droit supérieur, dans le sens où, lorsque les manifestations cultuelles ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, se dérouler sur le domaine privé, même si celui-ci ne doit pas être nécessairement clos selon les travaux préparatoires, alors elles doivent pouvoir se dérouler sur le domaine public aux mêmes conditions que les manifestations religieuses non cultuelles visées à l'art. 6 al. 3 LLE, en application de la LMDPu, étant précisé que, dans tous les cas, il n'existe pas de droit inconditionnel à un usage accru du domaine public (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_451/2018 du 13 septembre 2019 consid. 3.1.1) et que l'abus de droit est réservé. Quant à l'art. 6 al. 4 LLE, qui n'est pas contesté en tant que tel par le recourant, il n'apparaît, selon les travaux législatifs, pas avoir de portée propre pour refuser une autorisation de manifestation religieuse selon l'al. 2 ou 3 de l'art. 6 LLE, mais rappelle les éléments entrant en compte dans l'octroi ou le refus de l'autorisation y relative.

10) Par conséquent, le recours sera partiellement admis et l'art. 3 al. 4 LLE annulé.

11) Vu l'issue du litige, un émolument - réduit - de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA), qui succombe en partie, et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- lui sera allouée, à la charge de l'État de Genève, dès lors qu'il obtient partiellement gain de cause et qu'il a pris des conclusions dans ce sens (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 avril 2019 par Monsieur A______ contre l'art. 3 al. 4 et l'art. 6 de la loi sur la laïcité de l'État du 26 avril 2018 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule l'art. 3 al. 4 de ladite loi ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Monsieur A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Monsieur A______, à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Steve Alder, avocat du recourant, ainsi qu'au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, Mme Krauskopf, M. Pagan, Mme McGregor, M. Knupfer, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

C. Gutzwiller

 

le président siégeant :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

la greffière :