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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/9905/2017

ACJC/695/2019 du 13.05.2019 sur JTBL/588/2018 ( OBL ) , CONFIRME

Descripteurs : BAIL À LOYER;RÉSILIATION;DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : CO.257d
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/9905/2017 ACJC/695/2019

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 13 MAI 2019

 

Entre

A______ SA, sise chemin ______ (GE), appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 21 juin 2018, représentée par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise chemin ______ (GE), intimée, comparant par Me Michel D'ALESSANDRI, avocat, rue De-Candolle 17, case postale 166, 1211 Genève 12, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a.Par jugement JTBL/588/2018 du 21 juin 2018, expédié pour notification aux parties le 26 juin 2018, le Tribunal des baux et loyers a déclaré efficace et valable le congé notifié le 5 avril 2017 par B______ SA à A______ SA pour le 31 mai 2017 s'agissant des locaux d'environ 1300 m2 situés au rez-de-chaussée de l'immeuble sis ______ au ______ (Genève) (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

Le Tribunal a retenu que le congé notifié à la locataire était un congé extraordinaire au sens de l'art. 257d CO, car la dernière mise en demeure adressée à la locataire indiquait clairement qu'à défaut de paiement dans le délai imparti, le bail serait résilié de manière extraordinaire. Par ailleurs, le fait que la bailleresse avait utilisé la formule officielle prévue pour les résiliations ordinaires en lieu et place de celle prévue pour les résiliations pour demeure du locataire permettait tout de même à ce dernier d'être convenablement informé de la situation.

Le Tribunal a considéré que la locataire était à même de comprendre à quoi correspondait le montant réclamé dans l'avis comminatoire et que la bailleresse avait produit des pièces démontrant que le montant précité n'avait pas été payé dans le délai imparti, de sorte que le congé était efficace.

Par ailleurs, les premiers juges ont considéré que le congé litigieux n'était pas contraire à la bonne foi, notamment car le montant réclamé n'apparaissait pas comme largement supérieur à celui en souffrance, et car la bailleresse avait fait preuve de la célérité requise après l'envoi des avis comminatoires.

Finalement, le Tribunal n'a pas octroyé à la locataire de prolongation de bail, puisque celle-ci n'est pas prévue en cas de demeure du locataire.

b. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 28 août 2018, A______ SA forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut, principalement, au renvoi de la cause au Tribunal pour instruction complémentaire, soit l'audition de C______, comptable de B______ SA, subsidiairement, au constat de l'inefficacité de la résiliation et plus subsidiairement à son annulation.

A______ SA soutient que son droit d'être entendue a été violé dans la mesure où le Tribunal a refusé l'audition de C______, sollicitée par elle. L'enjeu de la procédure étant de déterminer la validité du congé, en particulier l'exactitude des montants réclamés par la bailleresse, il était nécessaire de procéder à l'audition du comptable de cette dernière, car les prétentions des parties ne résultaient pas clairement des pièces produites.

Par ailleurs, le congé litigieux est inefficace, car les décomptes produits par la bailleresse sont contradictoires et le montant de 58'580 fr. indiqué dans l'avis comminatoire du 1er mars 2017 n'est pas détaillé, de sorte que A______ SA ne pouvait savoir exactement de quel montant elle devait s'acquitter pour éviter de se voir notifier un congé. De plus, A______ SA disposait de créances compensantes, ce qui a été admis par B______ SA puisque cette dernière en a partiellement tenu compte dans ses décomptes. Ainsi, A______ SA a invoqué les créances compensatoires en temps voulu, soit avant la résiliation du bail.

A______ SA soutient finalement que le congé doit être annulé car le montant réclamé dans la mise en demeure comprend des postes qui ne sont pas dus, que le montant précité est largement supérieur à celui éventuellement en souffrance, et qu'il est contraire aux règles de la bonne foi de se prévaloir d'un défaut de paiement sans avoir jamais transmis un décompte clair.

c. B______ SA a répondu en date du 2 octobre 2018 que l'appel formé par A______ SA était irrecevable pour cause de tardiveté. Le jugement attaqué ayant été notifié au domicile élu de A______ SA en date du 26 juin 2018 comme indiqué dans son appel, le délai venait à échéance le 27 août 2018, en tenant compte des féries judiciaires. Ainsi, déposé le 28 août 2018, l'appel devait être déclaré irrecevable.

Sur le fond, B______ SA a indiqué que l'audition de C______ n'était pas pertinente, car les faits étaient établis par les pièces produites. C______ n'aurait pas pu apporter d'éléments complémentaires à ceux déjà communiqués par sa fiduciaire, et n'aurait fait que confirmer la teneur des documents qu'il avait lui-même établis. Par ailleurs, il importait peu que les décomptes produits par la bailleresse diffèrent de ceux auxquels s'était référée la fiduciaire dans la mise en demeure et l'avis comminatoire, ces décomptes postérieurs n'ayant été créés que pour les besoins de la cause, comme le relève A______ SA. Finalement, dans la mesure où A______ SA n'avait plus requis l'audition de C______ après la notification de l'ordonnance de preuve, elle ne pouvait plus se prévaloir d'une violation de son droit d'être entendue en appel.

S'agissant de l'inefficacité du congé, B______ SA allègue avoir chiffré les montants réclamés dans l'avis comminatoire et ne pas avoir l'obligation d'établir un décompte détaillé, A______ SA n'en ayant par ailleurs pas formulé la demande avant l'échéance du délai comminatoire. Elle soutient également avoir transmis un décompte détaillé à A______ SA au mois de novembre 2016. En outre, A______ SA n'aurait pas formé de déclaration claire dans le délai comminatoire au sujet des compensations qu'elle entendait faire valoir, et n'a pas non plus versé à la procédure un décompte final clair de ses créances compensatoires, lesquelles seraient donc injustifiées.

B______ SA s'oppose finalement à l'annulation du congé en soutenant que ses courriers de mise en demeure et d'avis comminatoire indiquaient spécifiquement les montants en souffrance réclamés. B______ SA conclut dès lors au déboutement de A______ SA et à la confirmation du jugement attaqué.

d. Par courrier recommandé du 19 octobre 2018, A______ SA a indiqué que son appel était recevable, car le jugement attaqué lui avait été notifié le 27 juin 2018. Elle a persisté pour le surplus dans ses conclusions d'appel.

e. Les parties ont été informées le 21 novembre 2018 de ce que la cause était gardée à juger, l'intimée ayant renoncé à son droit de duplique.

B. Les faits pertinents de la cause sont les suivants :

a. Le 1er octobre 2014, B______ SA, bailleresse, et A______ SA, locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur des locaux commerciaux d'environ 1300 m2 au rez-de-chaussée de l'immeuble sis chemin ______ au D______ (Genève).

Le contrat a été conclu pour une durée initiale de cinq ans, soit du 1er octobre 2014 au 30 septembre 2019, avec clause de renouvellement tacite d'année en année et préavis de résiliation de six mois.

Le loyer annuel a été fixé en dernier lieu à 150'000 fr., soit 12'500 fr. par mois, charges non comprises.

C______, de E______, tient la comptabilité de B______ SA.

b. Dans un courrier du 17 octobre 2016, B______ SA, par l'intermédiaire de C______, E______ a fait part à A______ SA de son mécontentement quant à la situation des paiements des loyers des locaux litigieux. Elle lui a demandé de régulariser la situation avant le 31 octobre 2016 par un virement sur son compte courant des loyers dus au 30 novembre 2016 et par un transfert de l'attestation de la garantie bancaire.

c. Le 14 novembre 2016, B______ SA a établi un «Extrait de comptes A______ SA» laissant apparaître un solde de 56'500 fr. le 1er novembre 2016 en faveur de la bailleresse à titre de loyer.

d. En date du 29 novembre 2016, A______ SA a fait parvenir à B______ SA un décompte de paiements des loyers pour l'année 2016, dont il ressort qu'un montant total de 106'760 fr. 45 avait été versé jusqu'en novembre 2016 et qu'un montant total de 18'239 fr. 55 avait été compensé.

e. Par l'intermédiaire de son représentant C______, de E______, B______ SA a envoyé un nouveau courrier à A______ SA le 22 décembre 2016, afin que cette dernière lui transfère l'attestation de garantie bancaire et verse sur son compte le solde des loyers dus en date du 31 décembre 2016, à savoir un mois complet pour l'année 2015 (12'500 fr.), le solde du mois de novembre 2016 (3'500 fr.) et un mois complet pour le mois de décembre 2016 (12'500 fr.).

f. Par courrier du 20 janvier 2017, B______ SA, agissant par l'intermédiaire de son représentant C______, a constaté que A______ SA n'avait pas procédé au paiement du solde des loyers dû au 31 janvier 2017, indiqués dans son courrier du 22 décembre 2016. B______ SA a dès lors mis A______ SA en demeure de régler, au plus tard le 31 janvier 2017, l'intégralité du montant dû, faute de quoi le bail serait résilié sans préavis. Par ailleurs, il était rappelé que B______ SA ne disposait toujours pas de l'attestation de garantie bancaire.

g. Le 4 février 2017, A______ SA a reconnu que la situation actuelle n'était pas normale et que les loyers devaient être payés en temps et en heure. Elle a expliqué traverser une période difficile et faire le maximum pour que tout rentre dans l'ordre.

h. Par avis comminatoire du 1er mars 2017, reçu le lendemain, B______ SA, agissant par C______, a mis en demeure A______ SA de s'acquitter, dans un délai de trente jours soit jusqu'au 1er avril 2017, du montant de 58'580 fr. correspondant à des arriérés de loyers et de produire un certificat de garantie de loyer. A défaut du paiement intégral de la somme réclamée et de la production dudit certificat dans le délai imparti, elle procèderait à une résiliation extraordinaire du bail sans délai.

i. Par avis de résiliation du 5 avril 2017, signé par son représentant C______, de E______, B______ SA a procédé à la résiliation du bail pour le 31 mai 2017, en application de l'art. 266l al. 2 CO.

j. Le congé a été contesté dans le délai légal de 30 jours devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.

Déclarée non conciliée le 30 juin 2017, la cause a été portée devant le Tribunal le 22 août 2017. A______ SA a principalement conclu à l'inefficacité du congé, subsidiairement à son annulation, et plus subsidiairement, à ce qu'il lui soit octroyé une prolongation de bail de six ans.

k. Dans sa réponse du 13 septembre 2017, B______ SA a allégué que le solde en date du 30 septembre 2017 se montait à 105'740 fr. et que la garantie de loyer n'avait toujours pas été constituée.

l. Une audience de débats s'est tenue le 9 novembre 2017, lors de laquelle A______ SA a notamment sollicité l'audition de C______, comptable de B______ SA. Celle-ci a produit un décompte locataire indiquant une dette de loyers de 6'080 fr. à la fin de l'année 2016, après compensation d'un montant de 19'319 fr. 55 avec les loyers dus de 25'399 fr. 55.

F______, administrateur et actionnaire de B______ SA, a déclaré que le motif du congé était le défaut de paiement de loyers. Avant l'envoi de l'avis comminatoire du 1er mars 2017, il avait reçu un versement pour l'année 2017 de 8'920 fr. le 8 février 2017. Par rapport aux arriérés de l'année 2016, tous les versements figuraient sur la pièce 10 de son chargé, à l'exception de deux paiements effectués en espèces. Le bail incluait les locaux, mais également le matériel, les outils et le stock. Il reconnaissait par ailleurs un montant compensatoire de 19'319 fr. 55 relatif à la sous-location par la bailleresse d'un local compris dans la surface louée à A______ SA et à la réparation de certains véhicules.

G______, administrateur de A______ SA, a déclaré que durant six mois, B______ SA avait préféré qu'il verse les loyers en espèces, ce qu'il avait fait, et que le décompte produit par F______ faisait abstraction de certains éléments. Il ne pensait pas être à jour dans le règlement des loyers, mais il devait procéder à un calcul précis. Il s'occupait également de la gestion de l'immeuble ou de certains travaux d'entretien et avait des prétentions à faire valoir à ce propos, qu'il entendait compenser avec les loyers impayés. Lors de l'avis comminatoire du 1er mars 2017, il ne savait pas si les loyers étaient à jour ou non. Il s'est finalement engagé à payer les loyers des mois de novembre et décembre 2017.

m. Le 12 janvier 2018, A______ SA a produit notamment des échanges de courriels entre les parties dont il découle qu'elles étaient en discussion, entre l'envoi des différents avis comminatoires, au sujet d'éventuelles compensations de créances. B______ SA a produit des factures de loyers et des décomptes actualisés.

n. Par ordonnance du 26 février 2018, le Tribunal a considéré que la cause était en état d'être jugée, sans autre mesure probatoire, et qu'une audience de plaidoiries finales serait fixée.

o. Lors de l'audience du 17 mai 2018, A______ SA a produit notamment des factures invoquées en compensation du montant réclamé et un relevé de compte établi par B______ SA dans le cadre d'une autre procédure, faisant état d'un solde de 12'500 fr. pour les loyers de 2015, de 6'080 fr. pour les loyers de 2016, de 99'660 fr. pour les loyers de 2017, de 12'500 fr. pour les loyers de 2018 et d'un montant de 2'500 fr. pour une facture relative au serveur et au téléphone.

Les parties ont ensuite persisté dans leurs conclusions lors des plaidoiries finales, à la suite desquelles la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_447/2013 du 20 novembre 2013 consid. 1; 4A_656/2010 du 14 février 2011 consid. 1.1, non publié à l'ATF 137 III 208).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 13 ad art. 308 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2010 du 4 octobre 2010 consid. 1.1).

Dans le cas d'espèce, au vu du loyer annuel s'élevant à 150'000 fr., la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Le jugement attaqué a été reçu par l'appelante le 27 juin 2018, de sorte que le délai d'appel de 30 jours est arrivé à échéance le 28 août 2018 (art. 145 al. 1 let. b et 311 al. 1 CPC).

Formé dans le délai précité et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd. 2010, n. 2314 et 2416; Retornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 349 ss, n. 121).

2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir violé son droit d'être entendue en refusant l'audition du témoin C______, comptable de l'intimée.

2.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., en particulier, le droit pour le justiciable de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes présentées en temps utile et dans les formes requises, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1; ATF 135 II 286 consid. 5.1; ATF 135 I 279 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_117/2016 du 9 juin 2016 consid. 3.2.1).

L'autorité a un devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents. Elle peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 140 I 285 consid. 6.3; 137 III 208 consid. 2.2; 134 I 140 consid. 5.2; 130 II 425 consid. 2.1). Il incombe à la partie soi-disant lésée d'établir que l'autorité n'a pas examiné certains éléments qu'elle avait régulièrement avancés à l'appui de ses conclusions et que ces éléments étaient de nature à influer sur le sort du litige (ATF 135 I 187 consid. 2.2).

L'instance d'appel peut aussi refuser d'administrer un moyen de preuve régulièrement offert en première instance lorsque la partie a renoncé à son administration, notamment en ne s'opposant pas à la clôture de la procédure probatoire (ATF 132 I 249 consid. 5; 126 I 165 consid. 3b; 116 II 379 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_597/2007 du 17 avril 2008 consid. 2.3).

2.2 Dans le cas d'espèce, C______ est l'auteur des courriers des 17 octobre 2016 et 22 décembre 2016 (pièces 2 et 5, chargé intimée), de la mise en demeure du 20 janvier 2017 et de l'avis comminatoire du 1er mars 2017 (pièces 6 et 8, chargé intimée) ainsi que de l'avis de résiliation du bail du 5 avril 2017 (pièce 9, chargé intimée).

Ces pièces sont suffisamment claires. L'audition de C______, qui a agi comme représentant de l'intimée, n'aurait dès lors pas amené d'éléments complémentaires pertinents et propres à influer sur le sort du litige.

Qui plus est, l'appelante ne s'est pas opposée à l'ordonnance du 26 février 2018 par laquelle les premiers juges ont indiqué ne pas entrer en matière sur d'autres mesures probatoires et considéré que la cause était en état d'être jugée. A teneur du procès-verbal de l'audience du 17 mai 2018, elle n'a pas sollicité à nouveau l'audition de C______ lors des plaidoiries finales, de sorte qu'elle est réputée y avoir renoncé.

Le grief de l'appelante est donc infondé.

3. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir déclaré efficace le congé du 5 avril 2017.

3.1 Du congé absolument nul, la jurisprudence distingue le congé inefficace; il s'agit du congé qui, sans être annulable, ne satisfait pas à une condition légale ou contractuelle - essentiellement une condition matérielle - autre que celles violant une exigence impérative de la loi ou affectant l'une «de ses bases élémentaires». Le congé ne déploie aucun effet et la sanction se constate en tout temps et d'office. En clair, l'inefficacité est une forme de nullité; la résiliation qui ne satisfait pas à une condition formelle ou matérielle de validité est dénuée d'effet (Wessner, in Droit du bail à loyer et à ferme, 2ème éd., Bâle, 2017, n. 40 ad art. 257d CO).

Lorsque les conditions matérielles d'un congé extraordinaire posées par
l'art. 257d CO ne sont pas remplies, la résiliation est inefficace (arrêt du Tribunal fédéral 4A_245/2017 du 21 septembre 2017 consid. 5).

Selon l'art. 257d al. 1 CO, lorsque, après la réception de la chose, le locataire a du retard pour s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail. Ce délai sera de dix jours au moins et, pour les baux d'habitations ou de locaux commerciaux, de 30 jours au moins.

La demeure suppose que le bailleur ait adressé un avis comminatoire écrit au locataire (Wessner, op. cit., n. 14 ad art. 257d CO).

Il est reconnu en jurisprudence et en doctrine que l'avis comminatoire doit indiquer le montant impayé de façon suffisamment claire et précise (arrêt du Tribunal fédéral 4A_44/2017 du 21 mars 2017 consid. 3.3 et 3.4), même s'il apparaît a priori qu'il restera sans effet; il ne saurait renvoyer sans autre précision à l'art. 257d CO (Wessner, op. cit., n. 14 et 17 ad art. 257d CO). Une indication chiffrée n'est pas indispensable; il suffit que l'objet de la mise en demeure soit déterminable de manière certaine, par exemple avec une désignation précise des mois de loyers impayés (arrêts du Tribunal fédéral 4A_306/2015 du 14 octobre 2015 consid. 2; 4A_134/2011 du 23 mai 2011 consid. 3; 4C.123/2000 du 14 juin 2000 consid. 3b; ACJC/1532/2017 du 27 novembre 2017 consid. 3.1.2; Wessner, op. cit., n. 17 ad art. 257d CO; Lachat, op. cit., p. 874). Selon LACHAT, l'indication d'un montant chiffré est néanmoins préférable, surtout quand les paiements du locataire ont été irréguliers et ont pu engendrer une certaine confusion quant aux mois dus et payés (Lachat, Le bail à loyer, 2ème éd. 2019, p. 873).

Le locataire doit pouvoir reconnaître que le bailleur possède contre lui une créance exigible encore impayée (ACJC/1567/2017 du 4 décembre 2017 consid. 3.2; ACJC/644/2014 du 30 mai 2014 consid. 3.3).

Le congé est inefficace lorsque l'arriéré mentionné dans l'avis comminatoire n'est pas déterminable (ACJC/1611/2017 du 11 décembre 2017 consid. 2.2). De même, lorsque la sommation mentionne, sans plus de renseignements, un montant sans rapport avec la somme effectivement due à titre de loyer et de charges, la mise en demeure ne satisfait pas aux exigences de clarté et de précision (arrêt du Tribunal fédéral 4A_134/2011 du 23 mai 2011 consid. 3; ACJC/1232/2018 du 17 septembre 2018 consid. 3.2; ACJC/1016/2018 du 2 août 2018 consid. 5.2; ACJC/1611/2017 du 11 décembre 2017 consid. 2.2; ACJC/1482/2017 du 20 novembre 2017 consid. 2.1).

Le locataire en demeure, qui dispose d'une créance compensante contre le bailleur, pourra l'opposer en compensation afin d'empêcher une résiliation extraordinaire de son bail; pour que la dette soit éteinte par voie de compensation en temps utile, il est toutefois nécessaire que le locataire l'invoque avant l'expiration du délai de grâce (ATF 119 II 241 consid. 6b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 4A_296/2008 du 29 juillet 2008 consid. 5.1). La compensation n'a lieu qu'autant que le débiteur fait connaître au créancier son intention de l'invoquer (art. 124 al. 1 CO). La déclaration de volonté doit permettre à son destinataire de comprendre, en fonction des circonstances, quelle est la créance compensée et quelle est la créance compensante. Conformément à la règle de l'art. 8 CC, il appartient au débiteur qui prétend s'être libéré d'en apporter la preuve.

3.2 Dans le cas présent, l'appelante n'a soulevé le manque de clarté de l'avis comminatoire du 1er mars 2017 qu'au stade de l'appel, soit presque une année et demie après l'avoir reçu. En particulier, elle n'a pas fait part à l'intimée dans le délai comminatoire de ses doutes quant au bien-fondé du montant de 58'580 fr. qui lui était alors réclamé, ni même requis un décompte détaillé des loyers en souffrance. L'intimée n'avait par ailleurs pas l'obligation de joindre un tel décompte à l'avis comminatoire (Wessner, op. cit., n. 17 ad art. 257d CO).

L'avis comminatoire n'indique pas la période à laquelle les arriérés réclamés correspondent. Cependant, celle-ci peut être déterminée au vu des pièces produites. En effet, le montant de 58'580 fr. se décompose comme suit :

-       12'500 fr. correspondant à un mois de loyer pour l'année 2015, tel que cela ressort du courrier de l'intimée du 22 décembre 2016.

-       6'080 fr. correspondant aux arriérés de loyers dus pour l'année 2016, après compensation d'un montant de 19'319 fr. 55 avec les loyers dus de 25'399 fr. 55, tel que cela ressort des pièces 22, chargé appelante, et 11, chargé intimée.

-       37'500 fr. correspondant à trois mois de loyer des mois de janvier 2017 à mars 2017 (12'500 fr. x 3).

- 2'500 fr. correspondant à une facture relative au serveur et au téléphone, résultant de la pièce 22, chargé appelante.

Ainsi, l'avis comminatoire du 1er mars 2017 remplit les conditions de
l'art. 257d CO.

L'appelante n'a pas contesté être en retard dans le règlement des loyers. Elle l'a reconnu dans son courrier du 4 février 2017 et son administrateur a confirmé, lors de l'audience du 9 novembre 2017, qu'il ne pensait pas être à jour quant au paiement des loyers. L'appelante n'a par ailleurs pas allégué qu'elle serait débitrice d'autres montants que ceux relatifs aux loyers ou aux frais de serveur et de téléphone. Dès lors, l'appelante était à même de comprendre à quoi correspondait le montant qui lui était réclamé.

L'appelante allègue des créances compensantes qui viendraient éteindre en partie sa dette de loyers. Les factures invoquées à l'appui de sa prétention n'ont toutefois été produites que le jour de l'audience de plaidoiries finales, ce qui est tardif. L'appelante n'a pas excipé de compensation dans le délai comminatoire.

Elle n'a pas non plus établi ni même allégué qu'elle aurait versé le montant réclamé dans le délai comminatoire.

En définitive, l'avis comminatoire du 1er mars 2017 permettait à l'intimée, en l'absence de paiement dans le délai imparti du montant total réclamé, de résilier le bail.

Le jugement attaqué sera dès lors confirmé sur ce point.

4. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir nié que le congé était contraire à la bonne foi et devait dès lors être annulé.

4.1 Doctrine et jurisprudence admettent restrictivement, dans des circonstances particulières et exceptionnelles, l'annulation de la résiliation donnée en application de l'art. 257d al. 2 CO (Wessner, op. cit., n. 43 ad art. 257d CO). Le Tribunal fédéral a précisé qu'un tel congé peut, «à titre très exceptionnel» seulement, contrevenir aux règles de la bonne foi (ATF 140 III 591 consid. 1). L'application rigoureuse de cette disposition se justifie par le droit du bailleur de recevoir ponctuellement le paiement des créances périodiques prévues par le contrat (Wessner, op. cit., n. 43 ad art. 257d CO).

L'annulation peut entrer en considération lorsqu'un congé est signifié au locataire alors que le bailleur réclame une somme largement supérieure à celle en souffrance, sans être néanmoins certain du montant effectivement dû (ATF 120 II 31 consid. 4b).

4.2 En l'espèce, l'intimée a mandaté C______ afin de tenir sa comptabilité. Ce dernier a clairement indiqué, par courrier du 22 décembre 2016 et avis comminatoire du 1er mars 2017, les montants qui restaient dus et dont il connaissait l'exigibilité.

Le montant de 58'580 fr. réclamé dans l'avis comminatoire n'apparaît par ailleurs pas manifestement supérieur à celui resté en souffrance. En effet, l'intimée a établi un décompte détaillé le 14 novembre 2016, laissant apparaître un solde en sa faveur de 56'500 fr. au 1er novembre 2016, soit quatre mois avant l'avis comminatoire.

Dès lors qu'aucun élément ne permet de retenir que le congé aurait été donné en violation des règles de la bonne foi, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le congé n'était pas annulable.

Le jugement querellé sera donc confirmé sur ce point également.

5. En application de l'art. 22 al. 1 LaCC, il ne sera pas perçu de frais judiciaires et il ne sera pas alloué de dépens.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 28 août 2018 par A______ SA contre le jugement JTBL/588/2018 rendu par le Tribunal des baux et loyers le 21 juin 2018 dans la cause C/9905/2017-4-OSB.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Alain MAUNOIR et Monsieur Serge PATEK, juges assesseurs; Madame Maïte VALENTE, greffière.

 

Le président :

Ivo BUETTI

 

La greffière :

Maïte VALENTE

 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.