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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1047/2017

ATAS/1201/2018 du 20.12.2018 ( AVS ) , REJETE

Recours TF déposé le 19.02.2019, rendu le 24.05.2019, IRRECEVABLE, 9C_117/2019
En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1047/2017 ATAS/1201/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 19 décembre 2018

1ère Chambre

 

En la cause

Monsieur B______, domicilié à CAROUGE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Grégoire REY

recourant

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION, Service juridique, sise rue des Gares 12, GENÈVE

 

Madame C______, domiciliée à GENÈVE,

et

Monsieur D______, domicilié à VESSY

tous deux comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Simon NTAH

intimée

 

appelés en cause

 

 

 

 

EN FAIT

1.        La société E______ SA (ci-après : la société), ayant pour but la fabrication et la vente de tofu et de produits à base de soja, a été inscrite au Registre du commerce de Genève le 18 décembre 2006. Elle a dans un premier temps été affiliée en qualité d’employeur auprès de la caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes – FER CIAM, puis celle-ci l’ayant exclu de ses membres le 14 août 2008 avec effet au 31 décembre 2008, auprès de la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse) du 1er janvier 2009 au 30 juin 2013.

Monsieur D______ en a été l’administrateur-président, avec signature individuelle, et Monsieur B______ (ci-après : l’intéressé), l’administrateur vice-président, avec signature collective à deux, de décembre 2006 à juillet 2013 ; Madame C______, épouse de D______, en a été l’administratrice-secrétaire, avec signature collective à deux, de décembre 2006 à novembre 2011, date à laquelle elle a donné sa démission.

2.        Dès 2009, la société a versé très irrégulièrement les cotisations paritaires AVS-AI dues à la caisse. Des poursuites ont été engagées.

3.        La société ne s’étant pas acquittée de la part pénale des cotisations, la caisse a déposé contre elle une plainte pénale le 14 septembre 2011 pour 2009. La FER CIAM en a fait de même pour la période de février à décembre 2008 le 30 avril 2012.

4.        Par jugement du 3 juin 2013, le Tribunal de première instance a prononcé la dissolution de la société par suite de faillite.

La caisse a produit sa créance dans la faillite le 10 décembre 2013.

5.        Par décisions du 10 décembre 2013, la FER CIAM a réclamé à chacun des trois administrateurs le paiement de la somme de CHF 13'689.45, représentant les cotisations paritaires AVS/AI et les contributions AF dues par la société et restées impayées en février et mars, d’août à octobre 2008, et les bouclements d’acomptes 2008, ainsi que les frais administratifs, les taxes de sommation et les intérêts moratoires.

6.        Par ordonnance du 13 décembre 2013, l’intéressé a été condamné, sur la base de l’article 87 al. 3 LAVS, à une peine pécuniaire de 45 jours-amende avec sursis.

Sur opposition, le Ministère Public a rendu une ordonnance de classement le 27 février 2014. Il a considéré que l’intéressé, malgré de nombreuses demandes et démarches, n’avait jamais pu remplir ses obligations d’administrateur et se tenir informé de la bonne gestion de la société en raison du comportement de l’administrateur-président, celui-ci ayant toujours refusé de donner suite à ses demandes, de sorte que les conditions de l’art. 87 al. 3 LAVS n’étaient pas réalisées dans son cas.

7.        L’état de collocation a été publié le 14 octobre 2014. Il en ressort que le dividende prévisible est nul. Des actes de défaut de biens après faillite ont dès lors été délivrés à la caisse le 13 février 2015 pour toutes les créances produites.

La procédure de faillite a été clôturée le 25 février 2015 et la société radiée d’office du Registre du commerce le 9 mars 2015.

8.        Par décision du 6 octobre 2015, la caisse a réclamé à l’intéressé et à l’administrateur-président le versement de la somme de CHF 255'500.55 chacun, représentant le dommage subi en raison du non-paiement par la société des cotisations paritaires AVS-AI-AC-AMat et des contributions AF dues au 31 mars 2013, soit CHF 37'060.90 pour 2009, CHF 53'078.25 pour 2010, CHF 56'647.50 pour 2011, CHF 75'717.90 pour 2012 et CHF 32'996.- pour 2013, frais d’administration et de sommation, intérêts moratoires et frais de poursuites y compris. Elle a également notifié à l’administratrice-secrétaire une décision en réparation le même jour à hauteur du montant de CHF 127'600.-.

9.        L’intéressé, représenté par Maître Grégoire REY, a formé opposition le 29 octobre 2015. Il se réfère à l’ordonnance de classement du 27 février 2014 rendue par le Ministère public.

10.    Par décision sur opposition du 26 avril 2016, la FER CIAM a confirmé sa décision du 10 décembre 2013. L’intéressé a contesté ladite décision sur opposition le 27 mai 2016. Un recours a ainsi été enregistré sous le n° de cause A/1791/2016.

11.    Par décision du 21 février 2017, la caisse a rejeté l’opposition du 29 octobre 2015. Elle admet que selon le Ministère public, l’intéressé n’avait pas pu remplir ses obligations d’administrateur et se tenir informé de la bonne gestion de la société, en raison du comportement de son frère. Elle rappelle toutefois qu’il ne faut pas confondre les conséquences pénales pour son absence de gestion de la société avec la notion de responsabilité au sens de l’art. 52 LAVS. Elle souligne ainsi que l’intéressé était, en sa qualité d’administrateur de la société, tenu de veiller personnellement au paiement ponctuel des cotisations et contributions paritaires. Or, il ne s’était jamais manifesté afin de se renseigner si les cotisations sociales étaient payées et cas échéant s’acquitter de leur paiement. Elle ajoute que s’il se trouvait effectivement, en raison de l’attitude de son frère, dans l’impossibilité d’exercer correctement son mandat d’administrateur, il lui appartenait de démissionner sans délai de ses fonctions. Ne l’ayant pas fait, il avait commis une faute grave et répondait du dommage en résultant.

12.    L’intéressé a, par l’intermédiaire de son mandataire, interjeté recours le 23 mars 2017 contre ladite décision.

Il conteste avoir agi par négligence grave. Il souligne que le Ministère public, dans une ordonnance, à présent définitive et exécutoire, a jugé qu’aucune négligence ne pouvait lui être reprochée. Il allègue que ce n’est que lorsque la caisse s’est directement adressée à lui, soit le 6 octobre 2015 seulement, qu’il a pris connaissance pour la première fois des cotisations sociales dans leur totalité. Il ne l’avait été qu’indirectement, en 2012, lors de l’engagement de la procédure pénale à son encontre, laquelle ne mentionnait pas les montants. Il n’a ainsi jamais été conscient de l’importance de l’arriéré des cotisations. Il est resté, depuis la création de la société en décembre 2006, dans l’impuissance face au contrôle absolu de son frère D______. Il est resté administrateur pour ne pas laisser tomber ses amis qui avaient investi de l’argent dans la société. Il espérait conserver un moyen de pression sur son frère. S’il n’a pas démissionné, c’est également parce qu’il ignorait pouvoir le faire formellement, en dehors d’une assemblée générale.

Il fait valoir que le droit à réparation pour les années 2008 (recte 2009) à 2013 (au moins jusqu’au 6 octobre 2013) est prescrit.

Il rappelle à cet égard que la caisse a déposé une plainte pénale le 14 septembre 2011, date à laquelle, tout au moins, elle avait connaissance des arriérés pour les années 2008 (recte 2009) à 2010. Aussi avait-elle jusqu’au 14 septembre 2013 pour demander réparation. Or, elle n’avait agi que le 6 octobre 2015.

Il demande enfin la jonction des deux procédures.

13.    Dans sa réponse du 5 mai 2017, la caisse a conclu au rejet du recours. Elle considère que l’intéressé a commis une faute grave. Elle relève que le dossier ne contient aucun élément probant qui vienne démontrer que l’intéressé ait tenté d’obtenir des renseignements sur la situation de la société, et qu’il n’a pas démissionné de ses fonctions alors qu’il se trouvait, selon ses propres déclarations, dans l’impossibilité d’exercer correctement son mandat d’administrateur en raison de l’attitude de son frère. L’argument de l’intéressé selon lequel il n’était pas conscient de l’arriéré des cotisations n’est pas pertinent puisqu’il lui aurait suffi de se renseigner, ce qu’il n’a pas fait.

La caisse ne comprend pas comment l’intéressé pouvait penser avoir un moyen de pression sur son frère en restant administrateur malgré la dénonciation pénale et le fait qu’il en ait été menacé en 2008 déjà par la FER CIAM.

Le fait qu’il ait été acquitté de toute infraction en relation avec le non-paiement des cotisations AVS n’est pas non plus pertinent, l’infraction de l’art. 87 al. 3 LAVS étant soumise à des conditions de punissabilité différentes. La passivité de l’intéressé est en relation de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi.

S’agissant de la prescription invoquée par l’intéressé, la caisse relève que la publication du dépôt de l’état de collocation dans la FAO est intervenue le 14 octobre 2014. Le délai de prescription de deux ans commence à courir à partir de cette date. Aussi a-t-elle respecté le délai de prescription en rendant sa décision le 6 octobre 2015.

14.    Dans sa réplique du 2 juin 2017, l’intéressé a rappelé qu’il avait tenté d’obtenir des renseignements de la part de son frère et qu’il avait délibérément été écarté de toutes informations. Plusieurs témoins l’ont confirmé dans le cadre de la procédure A/1791/2016 notamment, procédure opposant l’intéressé à la FER CIAM et aux appelés en cause. Son mandataire avait par ailleurs réclamé à la société, le 15 février 2011, la production des comptes, en vain.

Il conteste la qualification d’homme de paille, puisqu’il a expliqué les raisons pour lesquelles il était resté inscrit sans rémunération, ainsi que ses tentatives vaines d’obtenir des renseignements.

Il estime que la caisse a commis une faute concomitante en attendant que la faillite soit prononcée en 2013 pour notifier sa décision en réparation en octobre 2015 s’agissant de cotisations dues depuis 2009. Le fait de n’avoir pas sollicité l’intéressé personnellement dès les premiers retards a permis de rendre ses cotisations irrécouvrables plusieurs années plus tard, mais surtout empêché celui-ci d’être conscient de l’arriéré réclamé.

Il persiste dans ses conclusions.

15.    Dans sa duplique du 28 juin 2017, la caisse a indiqué que lorsque l’employeur est une personne morale, elle agit conformément au droit en s’adressant d’abord à la société et qu’elle a régulièrement déposé des poursuites à l’encontre de la société, de sorte qu’aucune faute concomitante ne saurait lui être reprochée. Il suffisait à l’intéressé de le lui demander ou de contacter l’Office des poursuites pour se rendre compte que les cotisations n’étaient pas payées.

Elle maintient sa position.

16.    Le 12 juillet 2017, la chambre de céans a ordonné l’appel en cause de l’administrateur-président et de l’administratrice-secrétaire.

17.    Les deux appelés en cause, représentés par Maître Simon NTAH, se sont déterminés le 22 septembre 2017. Ils considèrent que la responsabilité conjointe et solidaire de l’intéressé doit être retenue aux côtés de la leur.

18.    Par courrier du 23 octobre 2017, la caisse a informé la chambre de céans qu’elle persistait dans les termes de sa décision sur opposition du 17 février 2017 et de son préavis du 5 mai 2017.

19.    Le 25 octobre 2017, l’intéressé s’est expressément référé à son recours du 23 mars 2017 et à sa réplique du 2 juin 2017.

20.    Le 23 novembre 2017, la chambre de céans a ordonné l’apport du dossier portant le n° de cause A/1791/2016. Les procès-verbaux des audiences de comparution personnelle des parties et d’enquêtes y figurant seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit qui suit.

21.    Le 13 décembre 2017, les appelés en cause ont rappelé que l’intéressé avait occupé la fonction d’administrateur de 2006 à 2013. Ils considèrent qu’il a failli à ses obligations d’administrateur et s’étonnent de son comportement incohérent et contradictoire dans le cadre des deux procédures pendantes devant la chambre de céans.

22.    Le 14 décembre 2017, la caisse a également persisté dans ses conclusions. Elle a pris connaissance des pièces du dossier A/1791/2016, relève que les représentants des organes de révision, entendus par la chambre de céans, ont confirmé que l’intéressé ne s’était jamais adressé à eux afin d’obtenir des renseignements relatifs à l’état des paiements des cotisations sociales.

23.    Le 14 décembre 2017, l’intéressé a fait savoir qu’il n’avait aucune remarque particulière à ajouter.

24.    Par arrêt du 22 mai 2018 (ATAS/431/2018), la chambre de céans a rejeté le recours interjeté par l’intéressé contre la décision en réparation du dommage subi par la FER CIAM, dans la cause A/1791/2016.

25.    Sur ce, les écritures des parties leur ont été transmises et la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        La LPGA est entrée en vigueur le 1er janvier 2003, entraînant la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l'AVS, notamment en ce qui concerne l’art. 52 LAVS. Désormais, la responsabilité de l’employeur y est réglée de manière plus détaillée qu’auparavant et les art. 81 et 82 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS; RS 831.101) ont été abrogés.

Il faut toutefois préciser que le nouveau droit n'a fait que reprendre textuellement, à l'art. 52 al. 1 LAVS, le principe de la responsabilité de l'employeur figurant à l'art. 52 aLAVS, la seule différence portant sur la désignation de la caisse de compensation, désormais appelée assurance. Les principes dégagés par la jurisprudence sur les conditions de droit matériel de la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 aLAVS (dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2002) restent par ailleurs valables sous l'empire des modifications introduites par la LPGA (ATF 129 V 11 consid. 3.5 et 3.6).

3.        Interjeté dans les formes et délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 38 et 56 à 61 LPGA).

4.        Le litige porte sur le droit de la caisse de réclamer à l'intéressé la réparation du dommage subi en raison du non-paiement des cotisations paritaires AVS/AI/AC/AMat, ainsi que des cotisations AF, dues par la société pour les années 2009 à 2013.

5.        L’intéressé a sollicité la jonction de la présente cause avec celle portant le n° A/1791/2016.

Aux termes de l’art. 70 LPA,

L’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (al. 1).

La jonction n’est toutefois pas ordonnée si la première procédure est en état d’être jugée alors que la ou les autres viennent d’être introduites (al. 2).

La chambre de céans a déjà eu l’occasion de juger que lorsque les parties au litige ne sont pas les mêmes et que les périodes sur lesquelles portent le dommage ne le sont pas non plus, il n’y a pas lieu de procéder à la jonction des causes (ATAS/131/2004).

En l’occurrence, la cause A/1791/2016 a été enregistrée lorsque l’intéressé a recouru contre la décision rendue par la FER CIAM le 10 décembre 2013 lui réclamant la réparation du dommage subi en raison du non-paiement des cotisations paritaires AVS/AI et les contributions AF dues par la société et restées impayées en février et mars, d’août à octobre 2008. Elle a fait l’objet d’un arrêt de la chambre de céans le 22 mai 2018 (ATAS/431/2018). Ni les caisses de compensation concernées, ni les périodes visées n’étant les mêmes, il ne se justifiait pas de joindre les deux causes.

6.        a. À teneur de l’art. 52 LAVS en vigueur dès le 1er janvier 2003 (introduit par le ch. 7 de l'annexe à la LPGA), l’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l’assurance, est tenu à réparation (al. 1).

b. Un dommage est survenu dès que la caisse de compensation voit lui échapper un montant dû de par la loi. Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et d’employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions aux frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Directives sur la perception des cotisations -DP, nos 8016 et 8017).

c. En l’espèce, le dommage subi par la caisse consiste en la perte de la créance de cotisations, frais et intérêts compris, due par la société faillie, soit la somme de CHF 255'500.55. L’intéressé ne conteste pas ce montant.

7.        À titre liminaire, il sied d’examiner la question de la prescription.

a. Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L’employeur peut renoncer à invoquer la prescription (al. 3). Il s'agit de délais de prescription, non de péremption, comme cela ressort du texte légal et des travaux préparatoires de la LPGA (cf. SVR 2005 AHV n° 15 p. 49 consid. 5.1.2; FF 1994 V 964 sv., 1999 p. 4422). Cela signifie qu'ils ne sont plus sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts; le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition ou la procédure de recours qui s'ensuit (ATF 135 V 74 consid. 4.2 p. 77 et sv.).

b. Le dommage survient dès que l'on doit admettre que les cotisations dues ne peuvent plus être recouvrées, pour des motifs juridiques ou de fait (ATF 129 V 195 consid. 2.2, 126 V 444 consid. 3a, 121 III 384 consid. 3bb, 388 consid. 3a). Tel sera le cas lorsque des cotisations sont frappées de péremption, ou en cas de faillite, en raison de l'impossibilité pour la caisse de récupérer les cotisations dans la procédure ordinaire de recouvrement. Le dommage subi par la caisse est réputé être survenu au moment de l'avènement de la péremption ou le jour de la faillite; ce jour marque également celui de la naissance de la créance en réparation et la date à partir de laquelle court le délai de 5 ans de l'ancien art. 82 al. 1 in fine RAVS (ATF 129 V 195 consid. 2.2, 123 V 16 consid. 5c).

c. Selon la jurisprudence rendue à propos de l'ancien art. 82 al. 1 RAVS, et valable sous l'empire de l'art. 52 al. 3 LAVS (arrêt du Tribunal fédéral H 18/06 du 8 mai 2006 consid. 4.2), il faut entendre par moment de la «connaissance du dommage», en règle générale, le moment où la caisse de compensation aurait dû se rendre compte, en faisant preuve de l'attention raisonnablement exigible, que les circonstances effectives ne permettaient plus d'exiger le paiement des cotisations, mais pouvaient entraîner l'obligation de réparer le dommage (ATF 129 V 195). En cas de faillite, ce moment correspond en règle générale à celui du dépôt de l'état de collocation, ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d'actifs (ATF 129 V 193 consid. 2.3 p. 195 sv.). En revanche, lorsque la caisse subit un dommage à cause de l'insolvabilité de l'employeur mais en dehors de la faillite de celui-ci, le moment de la connaissance du dommage et, partant, le point de départ du délai de prescription coïncident avec le moment de la délivrance d'un acte de défaut de biens ou d'un procès-verbal de saisie valant acte de défaut de biens définitif au sens de l'art. 115 al. 1 LP (en corrélation avec l'art. 149 LP), soit lorsque le procès-verbal de saisie indique que les biens saisissables font entièrement défaut (cf. ATF 113 V 256 consid. 3c). C'est à ce moment que prend naissance la créance en réparation du dommage et que, au plus tôt, la caisse a connaissance de celui-ci au sens de l'art. 82 aRAVS (arrêt A. du 19 février 2003, H 284/02, consid. 7.2; cf. aussi Nussbaumer, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS, in RCC 1991, p. 405 s.).

d. S’agissant des actes interruptifs de prescription, il sied de retenir ce qui suit. Tandis que le juge ne peut interrompre la prescription que par une ordonnance ou une décision, « chaque acte judiciaire des parties » suffit à produire cet effet (art. 138 al. 1 CO). Cette notion d'acte judiciaire des parties doit être interprétée largement (ATF 106 II 35 consid. 4; Stephen V. BERTI, Commentaire zurichois, n. 18 ad art. 138 CO; Robert K. DÄPPEN, Commentaire bâlois, 3è édition, n. 2 ad art. 138 CO; Pascal PICHONNAZ, Commentaire romand, n. 4 ad art. 138 CO), tout en ayant égard à la ratio legis de la disposition citée, qui est de sanctionner l'inaction du créancier. Il faut donc considérer comme acte judiciaire d'une partie tout acte de procédure relatif au droit invoqué en justice et susceptible de faire progresser l'instance (cf. ATF 130 III 207 consid. 3.2). Par ailleurs, conformément à l’ATF 135 V 74, l’opposition à une décision interrompt le délai de prescription de deux ans et fait courir un nouveau délai de même durée.

e. L’intéressé fait valoir que le droit à réparation pour les années 2008 (recte 2009) à 2013 (au moins jusqu’au 6 octobre 2013) est prescrit.

Il rappelle en effet que la caisse a déposé une plainte pénale contre lui le 14 septembre 2011, date à laquelle elle avait connaissance des arriérés pour les années 2008 à 2011. Elle avait ainsi jusqu’au 14 septembre 2013 pour demander réparation. Or, elle n’a agi que le 6 octobre 2015, de sorte que le droit de la caisse pour réclamer la réparation du dommage relatif aux années 2009 à 2011 est prescrit. Elle connaissait également, ou aurait dû immédiatement connaître, son dommage pour les années 2012 et 2013, au vu de la procédure pénale et de la situation de la société.

En l’espèce toutefois, la faillite de la société a été prononcée le 3 juin 2013. L’état de collocation a été déposé le 14 octobre 2014. La caisse s’est vu délivrer le 13 février 2015 des actes de défaut de biens après faillite pour toutes les créances produites.

Le délai de prescription de deux ans commençant à courir à partir du 14 octobre 2014, la caisse a agi en temps utile, soit dans les délais de deux ans et de cinq ans prévus à l’art. 52 al. 3 LAVS, puisqu’elle a notifié à l’intéressé une demande en réparation du dommage en date du 6 octobre 2015.

8.        Il convient de déterminer si l’intéressé peut être assimilé à un « employeur » tenu de verser les cotisations à la caisse au sens de l’art. 52 LAVS.

a. C’est le lieu de rappeler qu’en vertu de l'art. 52 LAVS, l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à la caisse de compensation est tenu à réparation. Si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom (ATF 123 V 15 consid. 5b, 122 V 66 consid. 4a, 119 V 405 consid. 2 et les références).

b. L'art. 14 al. 1er LAVS en corrélation avec les art. 34 et suivants RAVS, prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions.

L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. A cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public (ATF 112 V 155, consid. 5; RCC 1987, p. 220). L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 111 V 173, consid. 2; 108 V 186, consid. 1a, 192 consid. 2a; RCC 1985, p. 646, consid. 3a).

c. Par "organe", il faut entendre toute personne physique qui représente la personne morale à l'extérieur ou qui peut exercer une influence décisive sur le comportement de celle-ci (no 8004 DP). Lorsqu'il est saisi du cas d'une société anonyme, le Tribunal fédéral s'est toujours référé à l'art. 754 al. 1er CO, en corrélation avec l'art. 759 al. 1er CO. Conformément à ces articles, toutes les personnes chargées de l'administration, de la gestion ou du contrôle, répondent, à l'égard de la société, de même qu'envers chaque actionnaire ou créancier social, du dommage qu'elles leur causent en manquant intentionnellement ou par négligence à leurs devoirs et les personnes qui répondent d'un même dommage en sont tenues solidairement. Sont réputés chargés de l'administration ou de la gestion au sens de l'art. 756 CO "non seulement les organes de décision désignés expressément comme tels, mais également les personnes qui prennent effectivement des décisions relevant des organes, ou qui assument la gestion proprement dite et ont ainsi une part prépondérante à la formation de la volonté au sein de la société" (ATF 107 II 353, consid. 5a; ATF 112 II 1985 et l'arrêt non publié du Tribunal fédéral du 21 avril 1988 en la cause A. ; FORSTMOSER, Die aktienrechtliche Verantwortlichkeit, 2ème éd., p. 209 et ss).

Le Tribunal fédéral a reconnu la responsabilité non seulement des membres du conseil d'administration, mais également celle de l'organe de révision d'une société anonyme, du directeur d'une société anonyme disposant du droit de signature individuelle, du gérant d'une société à responsabilité limitée ainsi que du président, du directeur financier ou du gérant d'une association sportive (ATF H 34/04 du 15 septembre 2004 consid. 5.3.1 et les références, in SVR 2005 AHV n° 7 p. 23, arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.1).

La responsabilité de l'employeur ne diffère pas selon la forme juridique que revêt l'employeur. Dans une association, le comité est l'organe exécutif de l'association qui a le devoir, sous réserve de dispositions statutaires contraires, d'exécuter les tâches qui lui incombent en vertu de la loi, des statuts et des décisions de l'association. Il a notamment pour tâches de conduire les affaires, de représenter l'association vis-à-vis des tiers ou, en cas de délégation de la gestion à une tierce personne, de veiller au choix, à l'instruction et à la surveillance du délégué. Le fait d'agir à titre bénévole ne change rien à la nature des obligations liées à la fonction (arrêt du Tribunal fédéral 9C_859/2007 consid. 2.4 et les références citées).

d. En l’espèce, l’intéressé était inscrit au Registre du commerce en tant qu’administrateur vice-président, avec signature collective à deux, dès la création de la société. Il était, partant, indiscutablement, un organe de la société faillie, de sorte que sa responsabilité peut être engagée au sens de l’art. 52 LAVS.

9.        Pour que l'organe, formel ou de fait, soit tenu de réparer le dommage causé à la caisse de compensation en raison du non-paiement des cotisations sociales, encore faut-il que les conditions d'application de l'art. 52 LAVS soient réalisées, ce qui suppose que l'organe ait violé intentionnellement ou par une négligence grave les devoirs lui incombant et qu'il existe un lien de causalité adéquate entre le manquement qui lui est imputable et le préjudice subi (cf. NUSSBAUMER, Die Haftung des Verwaltungsrates nach Art. 52 AHVG, PJA 1996 p. 1071 ss, 1076 ss).

La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (RCC 1983 p. 101).

Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé. En présence d'une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (ATF 108 V 189). Les faits reprochés à une entreprise ne sont pas nécessairement imputables à chacun des organes de celle-ci. Il convient bien plutôt d'examiner si et dans quelle mesure ces faits peuvent être attribués à un organe déterminé, compte tenu de la situation juridique et de fait de ce dernier au sein de l'entreprise. Savoir si un organe a commis une faute dépend des responsabilités et des compétences qui lui ont été confiées par l'entreprise (ATF 108 V 199 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.2). La négligence grave mentionnée à l'art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

Celui qui appartient au conseil d'administration d'une société et qui ne veille pas au versement des cotisations courantes et à l'acquittement des cotisations arriérées est réputé manquer à ses devoirs (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 96/03 du 30 novembre 2004 consid. 7.3.1, in SJ 2005 I 272 consid. 7.3.1). Commettent ainsi une négligence grave au sens de l’art. 52 LAVS les administrateurs d'une société qui se trouve dans une situation financière désastreuse, qui parent au plus pressé, en réglant les dettes les plus urgentes à l'exception des dettes de cotisations sociales, dont l'existence et l'importance leur sont connues, sans qu'ils ne puissent guère espérer, au regard de la gravité de la situation, que la société puisse s'acquitter des cotisations en souffrance dans un délai raisonnable (ATF 108 V 183 consid. 2 ; SVR 1996 AHV n°98 p. 299 consid. 3).

La négligence grave est également donnée lorsque l'administrateur n'assume pas son mandat dans les faits. Ce faisant, il n'exerce pas la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, attribution incessible et inaliénable du conseil d'administration conformément à l'art. 716a CO. Une personne qui se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur tout en sachant qu'elle ne pourra pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Sa négligence peut être qualifiée de grave sous l'angle de l'art. 52 LAVS (ATF 112 V 1 consid. 5b). Un administrateur, dont la situation est à cet égard proche de celle de l’homme de paille, ne peut s'exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 87/04 du 22 juin 2005 consid. 5.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 234/00 du 27 avril 2001 consid. 5d).

Commet notamment une faute grave l’organe qui verse des salaires pour lesquels les créances de cotisations qui en découlent de par la loi ne sont pas couvertes (SVR 1995 AHV n° 70 p. 214 consid. 5 ; voir également l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2007 du 21 avril 2008 consid. 3.1). Commet également une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu’il se trouvait, en raison de l'attitude du tiers, dans l'incapacité de prendre les mesures qui s’imposaient s’agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l’incapacité d'exercer son devoir de surveillance (voir par exemple : arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_351/2008 consid. 5.2 ou encore arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 224/06 du 10 décembre 2007 consid. 6). Enfin, commet une faute au sens de l’art. 52 LAVS l’organe qui investit de manière répétée des fonds dans une entreprise sans faire en sorte qu’ils servent en priorité à payer les cotisations sociales en souffrance (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 305/00 du 6 septembre 2001 consid. 4b).

Pour admettre que l'inobservation de prescriptions est due à une faute intentionnelle ou une négligence grave, il faut bien plutôt un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 244).

Le Tribunal fédéral a expressément affirmé que l'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978, p. 259; RCC 1972, p. 687). La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (arrêt du TF du 28 juin 1982, in : RCC 1983 p. 101).

Par ailleurs, la responsabilité d'un administrateur dure en règle générale jusqu'au moment où il quitte effectivement le conseil d'administration et non pas jusqu'à la date où son nom est radié du Registre du commerce. Cette règle vaut pour tous les cas où les démissionnaires n'exercent plus d'influence sur la marche des affaires et ne reçoivent plus de rémunération pour leur mandat d'administrateur (ATF 126 V 61). En d'autres termes, un administrateur ne peut être tenu pour responsable que du dommage résultant du non-paiement de cotisations qui sont venues à échéance et auraient dû être versées entre le jour de son entrée effective au conseil d'administration et celui où il a quitté effectivement ces fonctions, soit pendant la durée où il a exercé une influence sur la marche des affaires (arrêt du TFA du 6 février 2003, H 263/02). Demeurent réservés les cas où le dommage résulte d'actes qui ne déploient leurs effets qu'après le départ du conseil d'administration.

La jurisprudence estime enfin qu'il existe en règle générale un lien de causalité adéquate entre l'inaction de l'organe et le non-paiement des cotisations, sous réserve du cas où l'administrateur est entré en fonction alors que la société était déjà surendettée (ATF 119 V 401 consid. 4c p. 407 s.), de sorte que celui-ci répond solidairement de tout le dommage subi par l'assurance en cas de faillite de la société (arrêt du 30 novembre 2004, in SJ 2005 I p. 272, consid. 7.3.1; ATF 132 III 523).

Selon la jurisprudence, le rapport de causalité n'est pas donné si un comportement conforme aux devoirs n'aurait pas empêché la survenance du dommage. Cependant, la simple hypothèse que le dommage ne serait pas survenu ne suffit pas à exclure la causalité. Le fait que le dommage serait de toute façon survenu doit être établi de manière certaine ou à tout le moins rendue hautement vraisemblable (ATF H 267/02, H 149/02, H 173/04, 9C_672/2012).

La causalité adéquate peut être exclue, c'est-à-dire interrompue, l'enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, lorsqu'une autre cause concomitante - la force majeure, la faute ou le fait d'un tiers, la faute ou le fait de la victime - constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. L'imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener, en particulier le comportement de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 95/05 du 10 janvier 2007 consid. 4).

10.    En l’espèce, l’intéressé conteste avoir commis une négligence grave. Il en veut pour preuve l’ordonnance de classement à lui notifiée par le Ministère Public le 27 février 2014. Il y a toutefois lieu de rappeler que les conditions de l’art. 87 al. 3 LAVS et celles de l’art. 52 LAVS sont différentes et ne sont pas liées. Il peut ainsi parfaitement se produire que l’administrateur soit acquitté du chef d’accusation de détournement de cotisations AVS, mais déclaré responsable au sens de l’art. 52 LAVS (cf. notamment arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 234/2000). On ne saurait dès lors se fonder sur l’ordonnance du Ministère Public pour considérer que l’intéressé n’a pas à répondre du dommage causé à la caisse.

11.    a. Il est certes établi, au vu des témoignages récoltés au cours de l’instruction menée dans la cause n° A/1791/2016 que toutes les décisions relatives aux questions administratives et à la gestion de la société étaient prises par l’administrateur-président, que les contacts de la société avec les tiers passaient par lui, et que l’administrateur-président gérait seul la société. Il n’en reste pas moins que l’intéressé, en sa qualité d’administrateur inscrit au Registre du commerce, était tenu de se renseigner régulièrement sur la situation de la société. En effet, selon la jurisprudence, celui qui entre dans le conseil d'administration d'une société a le devoir d'exercer la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion de la société; il s'agit d'une prérogative intransmissible et inaliénable inhérente à la fonction d'administrateur d'une société (art. 716a al. 1 ch. 5 CO). C'est ainsi qu'il doit non seulement assister aux séances du conseil d'administration, mais a également l'obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, ce qui inclut notamment la surveillance du paiement des cotisations paritaires; il est tenu en corollaire de prendre les mesures appropriées lorsqu'il a connaissance ou aurait dû avoir connaissance d'irrégularités commises dans la gestion de la société (ATF 114 V 219 consid. 4a et les références; voir également arrêt du Tribunal fédéral 9C_152/2009 du 18 novembre 2009 consid. 6.1 in SVR 2010 AHV n. 4 p. 11).

À cet égard, il apparait que l’intéressé s’est inquiété auprès de son frère de temps à autre de la situation et avoir tenté d’obtenir des informations sur les comptes de la société et la marche des affaires. Les témoins F______, MM. G______ et H______, entendus dans le cadre de la procédure A/1791/2016, ont en effet affirmé qu’ils avaient eu l’occasion de voir l’intéressé poser des questions à l’administrateur-président, sans beaucoup de succès toutefois.

Dans son arrêt du 22 mai 2018 opposant l’intéressé à la FER CIAM (ATAS/431/2018), la chambre de céans a également constaté qu’il était difficile, voire impossible, pour l’intéressé de prendre connaissance des dossiers comptables et administratifs de la société, par l’intermédiaire de son frère.

L’intéressé a cependant admis qu’il n’avait jamais demandé d’explications par écrit. La chambre de céans note que ce n’est que le 15 février 2011 qu’il a, par l’intermédiaire de son mandataire, interrogé formellement son frère. Force est de constater que cette démarche aurait dû être entreprise bien plus tôt, le dommage subi par la caisse concernant les cotisations 2009 déjà.

Il appert des audiences d’enquêtes menées dans la cause A/1791/2016 qu’il ne s’est pas non plus adressé à la caisse, aux fiduciaires, ou à l’organe de révision. Invité par la chambre de céans à dire pourquoi, il a déclaré qu’il n’en avait pas eu l’idée.

Il apparaît quoi qu’il en soit qu’il se souciait davantage du versement de son salaire, - son salaire ne lui était plus versé depuis fin juin 2007 -, et de ce qu’il allait advenir des sommes prêtées par ses amis, que du paiement des charges sociales dues par la société. Entendu par la chambre de céans, il a en effet notamment déclaré que « je me montrais préoccupé lors des assemblées générales du fait que je ne recevais pas de salaire. Je m’inquiétais également pour les personnes qui avaient prêté de l’argent ». L’intéressé a par ailleurs précisé que s’il avait souhaité voir les comptes bancaires, c’était parce qu’il voulait vérifier que l’argent des paiements encaissés par son frère en cash avait bien été versé à la banque, et non pour s’assurer que la société s’acquittait régulièrement de ses charges sociales. Un ami « prêteur » de l’intéressé a à cet égard déclaré que l’intéressé « m’a fait part de ses inquiétudes quant aux dettes sociales après qu’il ait quitté la société. Il ne me semble pas qu’il m’en ait parlé auparavant ».

Lors de son audition le 27 janvier 2014 au Ministère public, l’intéressé a également déclaré que « je n’ai pas posé de question à mon frère s’agissant de savoir si les cotisations étaient acquittées par la société avant le courrier de la caisse qui faisait état des impayés ».

Il ne saurait ainsi excuser le fait qu’il n’a rien entrepris de concret pour obtenir des renseignements sur l’administration de la société, singulièrement sur le paiement des cotisations sociales.

Même si l’intéressé était confronté à un manque de coopération de la part de l’administrateur-président, il lui incombait en effet d’assumer les tâches prescrites par la loi, et ainsi, de veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires fussent effectivement payées à la caisse, ce qu’il n’a pas fait. Il a donc manqué à ses devoirs, ce d’autant plus que l’attitude de son frère envers lui telle qu’il l’a décrite ne pouvait que lui faire craindre une gestion douteuse de la société.

b. L’intéressé allègue avoir été écarté de la gestion de la société faillie et être resté impuissant face à son frère.

Plusieurs témoins ont confirmé que l’administrateur-président « intentionnellement tentait d’exclure l’intéressé de la gestion de la société », ou encore que « chacun avait son domaine et l’intéressé n’avait pas de regard sur la partie gérée par l’administrateur-président ». M. G______ a à cet égard rapporté que l’administrateur-président avait dit à l’intéressé à propos des comptes que ceux-ci ne le regardait pas. M. H______ a constaté que l’administrateur-président « exerçait manifestement un certain ascendant sur l’intéressé ».

Il est vraisemblable, au degré requis par la jurisprudence, que l’administrateur-président taisait délibérément certaines informations à l’intéressé. Toutefois, si l’on peut admettre que son frère tentait bel et bien de l’écarter de la gestion de la société, l’intéressé aurait dû démissionner sans délai de ses fonctions, étant précisé que le fait de ne pas être en mesure d'exercer ses fonctions, parce que la société est dirigée en fait par d'autres personnes, soit l’administrateur-président en l’occurrence, ne constitue pas un motif de suppression de la faute commise (arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2015 du 31 mai 2016 consid. 3.3).

c. L’intéressé se défend d’avoir été homme de paille, expliquant qu’il était resté inscrit au Registre du commerce pour préserver les droits des amis qui avaient prêté de l’argent. Il résulte pourtant de ce qui précède qu’il a occupé une situation comparable à celle d’un homme de paille ; il conservait en effet un mandat d’administrateur tout en sachant qu’il ne le remplissait pas consciencieusement. C’est précisément en cela que réside sa faute. En n'exerçant aucune surveillance pour s’assurer au moins que l’administrateur-président observait la loi et les règlements, l’intéressé a violé son obligation de diligence sur une période relativement longue.

12.    Commet une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu’il se trouvait, en raison de l'attitude du tiers, dans l'incapacité de prendre les mesures qui s’imposaient s’agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l’incapacité d'exercer son devoir de surveillance.

En l’occurrence, l’intéressé a cessé de travailler pour la société dès le 14 janvier 2009, mais en est resté administrateur jusqu’en 2013. Il explique qu’il n’a pas voulu démissionner, parce qu’il gardait l’espoir de pouvoir avoir accès aux comptes et aux documents comptables. Il voulait essayer de faire pression sur son frère pour qu’il rende des comptes à ses amis qui avaient prêté de l’argent à la société.

L’administratrice-secrétaire, quant à elle, a démissionné en novembre 2011. Elle a révélé que, consciente de ses obligations en tant qu’administratrice, elle avait eu peur. Elle en avait informé l’intéressé en lui conseillant d’en faire autant, mais il ne l’avait pas écoutée, disant qu’il se sentait impliqué et qu’il voulait conserver un droit de regard sur la société.

MM. G______ et H______ ont confirmé que l’intéressé restait au conseil d’administration pour garder le contact et savoir ce qui se faisait concrètement dans les locaux, le second ajoutant que selon l’intéressé, « il ne pouvait pas quitter ses fonctions d’administrateur aussi facilement que cela. C’était une question de difficulté administrative pour lui et qu’il restait en partie pour moi pour qu’il y ait quelqu’un qui reste dans la société pour enlever ma garantie ».

On peine à cet égard à comprendre pour quelles raisons l’intéressé n’a pas démissionné comme le lui conseillait l’épouse de l’administrateur-président, pour quelles raisons il pensait qu’il réussirait à prendre connaissance des pièces comptables et des comptes bancaires de la société, alors que les quelques démarches tentées jusque-là avaient échoué et pour quelles raisons enfin, il pensait pouvoir faire pression sur son frère alors que celui-ci le prenait de haut, lui disant notamment qu’ils couraient tous deux dans des courses de niveaux très différents.

Force est au surplus de constater, une fois encore, que ce n’est pas la question du paiement des charges sociales qui inquiétait l’intéressé, mais de ce qu’il adviendrait de l’argent prêté par ses amis.

Au vu de ce qui précède, l’intéressé a commis une négligence grave au sens de l'art. 52 LAVS, en ne démissionnant pas alors qu’il ne pouvait manquer de comprendre qu’il se heurtait pour le moins à de sérieux obstacles pour assumer ses obligations d’administrateur.

13.    a. La responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage.

La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

La jurisprudence estime qu'il existe en règle générale un lien de causalité adéquate entre l'inaction de l'organe et le non-paiement des cotisations, sous réserve du cas où l'administrateur est entré en fonction alors que la société était déjà surendettée (ATF 119 V 401 consid. 4c), de sorte que celui-ci répond solidairement de tout le dommage subi par l'assurance en cas de faillite de la société (arrêt du Tribunal fédéral H.96/03 du 30 novembre 2004 consid. 7.3.1 in SJ 2005 I; ATF 132 III 523).

Selon la jurisprudence, le rapport de causalité n'est pas donné si un comportement conforme aux devoirs n'aurait pas empêché la survenance du dommage. Cependant, la simple hypothèse que le dommage ne serait pas survenu ne suffit pas à exclure la causalité. Le fait que le dommage serait de toute façon survenu doit être établi de manière certaine ou à tout le moins rendue hautement vraisemblable (ATAS 120/2016 consid. 8 et les références citées).

La causalité adéquate peut être exclue, c'est-à-dire interrompue, l'enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, lorsqu'une autre cause concomitante - la force majeure, la faute ou le fait d'un tiers, la faute ou le fait de la victime - constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. L'imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener, en particulier le comportement de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral H.95/05 du 10 janvier 2007 consid. 4).

Selon la jurisprudence, pour déterminer si la relation de causalité entre l'acte de l'auteur et le résultat dommageable est adéquate, il y a lieu de se demander non pas si le fait imputé à l'auteur aurait éventuellement pu causer à lui seul le résultat, mais si les autres circonstances qui ont concouru à la réalisation du résultat ne présentent pas, par rapport au fait de l'auteur, un caractère trop exceptionnel. Ce n'est donc que s'il est hautement improbable, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, que le second événement qui a concouru à la survenance du résultat se produise par suite de l'acte de l'auteur et de ses conséquences, que le rapport de causalité adéquate pourrait être nié (cf. arrêt G. du 30 mai 2001, 4C.6/2001).

b. L’intéressé estime que la caisse a commis une faute concomitante en attendant que la faillite soit prononcée en 2013 pour notifier sa décision en réparation en octobre 2015 s’agissant de cotisations dues depuis 2009. Le fait de ne pas l’avoir sollicité personnellement dès les premiers retards a permis de rendre ses cotisations irrécouvrables plusieurs années plus tard, mais l’a surtout empêché d’être conscient de l’arriéré réclamé.

c. Il apparaît pourtant que la caisse a régulièrement déposé des poursuites à l’encontre de la société, de sorte qu’aucune faute concomitante ne saurait lui être reprochée. Il suffisait à l’intéressé de se renseigner auprès d’elle ou de contacter l’Office des poursuites pour se rendre compte que les cotisations n’étaient pas payées.

En outre, lorsque l'employeur est une personne morale, comme c’est le cas en l’occurrence, la responsabilité ne s'étend aux organes qui ont agi en son nom, qu’à titre subsidiaire. Aussi la caisse a-t-elle agi conformément au droit en ne s’adressant qu’à la société, jusqu’à ce que la faillite soit prononcée. Elle n’avait pas à l’avertir des arriérés de cotisations dus ou des devoirs découlant de sa fonction d’administrateur (9C_839/2016).

L’intéressé fait valoir qu’il n’a su, pour la première fois, que des cotisations sociales étaient restées impayées pour l’année 2009, que lorsque la caisse s’était directement adressée à lui en lui notifiant sa décision en réparation du dommage du 6 octobre 2015. Il y a toutefois lieu de rappeler que la caisse l’avait bien avant dénoncé auprès du Ministère public s’agissant de l’arriéré des cotisations 2009 le 14 septembre 2011. Il ne pouvait pas manquer de comprendre, à ce moment-là en tout cas, que des charges sociales étaient laissées en souffrance.

d. Reste à se demander si l'existence du lien de causalité adéquate entre le comportement illicite de l’intéressé et le dommage subi par la caisse a véritablement été rompu par le comportement fautif que l’administrateur-président a adopté dans la gestion de la société.  

Au regard des principes posés ci-dessus en matière de rupture du lien de causalité adéquate, on peut le nier, étant donné que les circonstances invoquées n'avaient rien de si exceptionnel et imprévisible au point de reléguer à l'arrière-plan la violation de son devoir de surveillance par l’intéressé.

Il en irait différemment s'il avait été trompé par des manœuvres fallacieuses à son endroit, telles la présentation de comptes falsifiés, visant à lui cacher le défaut de paiement à l'égard de la caisse de compensation et qui l'auraient empêché de respecter ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral 9C_135/2011 du 11 avril 2011), ce qui n'est pas le cas en l'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 9C_839/16). L'intéressé ne saurait excuser le fait qu'il n'a rien entrepris de concret pour obtenir des renseignements sur l'administration de la société, singulièrement sur le paiement des cotisations sociales. Le simple fait d'être sous l'influence d'une personne ayant une certaine aura ou position ne justifie pas à lui seul d'être libéré de toute responsabilité au sens de l'art. 52 LAVS (arrêts du Tribunal fédéral 9C_214/2014 et H 267/02 consid. 6.2). 

Les trois anciens administrateurs de la société restent dès lors solidairement et conjointement responsables du dommage causé à la caisse.

14.    Aussi le recours doit-il être rejeté.


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le