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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4204/2016

ATAS/824/2018 du 20.09.2018 ( AVS )

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4204/2016 ATAS/824/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt incident du 20 septembre 2018

1ère Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié au GRAND-LANCY, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Marc MATHEY-DORET

Monsieur B______, domicilié à PERLY, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Raphaël QUINODOZ

Monsieur C______, domicilié à COMMUGNY, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Dan FUOCHI

recourants

contre

CAISSE DE COMPENSATION DE LA SSE, AGENCE DE GENÈVE, AVS 66.2, sise rue de Malatrex 14, GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Pierre VUILLE

intimée

 


EN FAIT

1.        La société D_______ succ. SA (ci-après la société), entreprise générale du bâtiment, maçonnerie, terrassement et travaux publics, a été inscrite au Registre du commerce de Genève le 2 juillet 1982.

Messieurs B______ et C______ en ont été les administrateurs de 1998 à 2001, les directeurs jusqu’à 2003, tous deux avec signature collective, puis respectivement l’administrateur-secrétaire et l’administrateur jusqu’en avril 2009, avec signature individuelle et dès cette date, respectivement administrateur-président et administrateur-secrétaire, avec signature individuelle également.

2.        La faillite de la société a été prononcée le 11 mai 2015.

3.        Par décisions du 12 avril 2016, confirmées sur opposition le 7 novembre 2016, la caisse de compensation de la SSE, agence de Genève (ci-après la caisse) a réclamé à MM. B______ et C______, ainsi qu’à Monsieur A______, qu’elle a considéré comme administrateur de fait, le paiement de la somme de CHF 467'146.15, représentant les cotisations AVS-AI restées dues par la société.

4.        a. Les trois intéressés ont interjeté recours contre les décisions sur opposition, respectivement les 7 et 12 décembre 2016. Les causes nos A/4204/2016, A/4208/2016 et A/4266/2016 ont été enregistrées.

b. MM. B______ et C______, représentés par Me Raphaël QUINODOZ et Me Dan FUOCHI, estiment ne pas être responsables du non-paiement des charges sociales dues à la caisse. Ils soulignent qu’ils ont immédiatement pris toutes les mesures d’assainissement dès que les problèmes de liquidités ont surgi, soit dès la fin de l’année 2013.

Ils ajoutent que la procédure de faillite est toujours en cours, que des sommes considérables doivent encore être versées aux créanciers et qu’il est dès lors prématuré d’affirmer d’ores et déjà que la caisse subira un dommage.

c. M. A______, représenté par Me Marc MATHEY-DORET, conteste avoir été administrateur de fait et explique à cet égard que son rôle s’est limité à celui d’un simple mandataire, interlocuteur de la société auprès de la caisse de compensation du bâtiment (CCB), qu’il n’avait jamais été employé de la société, qu’il n’avait jamais pris, sous sa propre responsabilité, des décisions en lieu et place des administrateurs de la société, qu’il ne disposait pas de pouvoirs bancaires, ne pouvait ni disposer des cotisations non payées ni effectuer des paiements à la caisse.

Il allègue également que même s’il devait être considéré comme ayant été administrateur de fait, sa responsabilité serait quoi qu’il en soit limitée aux domaines dans lesquels il avait effectivement exercé une activité.

Il considère quoi qu’il en soit que la caisse n’a en l’état pas subi de dommage. Il rappelle que de nombreuses créances ont été encaissées par l’administration de la faillite dans le processus de liquidation, pour plus de CHF 500’000.- et que des sommes importantes doivent encore être encaissées.

5.        Dans ses réponses du 31 mars 2017, la caisse, représentée par Me Pierre VUILLE, a conclu au rejet des recours.

6.        Le 13 juillet 2017, la chambre de céans a ordonné la jonction des causes A/4204/2016, A/4208/2016 et A/4266/2016 sous le numéro A/4204/2016.

7.        La comparution personnelle des parties s’est tenue le 21 novembre 2017.

À l’issue de l’audience, la chambre de céans a imparti un délai au 12 décembre 2017 aux recourants et à la caisse pour produire des pièces complémentaires.

8.        La chambre de céans a informé les parties le 22 novembre 2017 que, renseignements pris auprès de l’office des faillites, le dossier de la société comprenait environ 1200 pages. Elle les a dès lors priées d’indiquer quelles pièces du dossier en particulier elles souhaitaient voir versées dans la procédure.

9.        Le 28 mars 2018, M. B______ a produit un bordereau de pièces.

10.    Par courrier du 29 mars 2018, le mandataire de M. A______ a informé la chambre de céans que celui-ci avait été placé en détention provisoire pour une durée de trois mois jusqu’au 30 avril 2018, et ne pouvait dans ces conditions produire toutes les pièces demandées.

11.    Par courrier du 17 mai 2018, le mandataire de M. A______, considérant que l’on ignorait en l’état si la caisse subissait ou non un dommage, dès lors que l’administration de la faillite avait d’ores et déjà encaissé des actifs pour plus de CHF 650'000.-, et qu’une procédure en paiement dirigée par la masse en faillite de la société contre la BCGe portant sur un montant de plus de CHF 228'000.- était actuellement pendante devant le Tribunal de première instance, a sollicité la suspension de la procédure jusqu’à la clôture de la procédure de faillite.

12.    Le 7 juin 2018, la caisse s’est opposée à toute suspension de la procédure, considérant que le dommage subi était évident et d’ores et déjà avéré. Elle a constaté qu’en effet un montant de CHF 651’390.48 avait déjà été encaissé par l’office des faillites et que le total des créances admises en première classe pourrait effectivement être couvert dans le cadre de la liquidation, pour autant que le résultat du procès intenté contre la BCGE soit favorable, mais a rappelé que les créances qui font l’objet de la présente procédure étaient, pour leur part, colloquées en 2ème et en 3ème classe exclusivement, de sorte qu’elles ne seraient manifestement pas couvertes par le montant déjà encaissé, ou à encaisser, par l’office des faillites.

13.    Le 13 juin 2018, M. B______ a à son tour sollicité la suspension de la procédure jusqu’à la clôture de la procédure de faillite, et également jusqu’à droit connu dans la procédure pénale P/16631/2014.

14.    Le 12 juillet 2018, la caisse a persisté à s’opposer à la suspension de la procédure. Elle relève plus particulièrement qu’en l’occurrence, « les administrateurs n’ont eu de cesse de vider la société de sa substance en utilisant les fonds à disposition pour leurs propres besoins personnels ou ceux de leurs sociétés (cf. pièce 52bis) ».

15.    À la même date, M. C______ s’est rallié aux arguments et aux conclusions de MM. A______ et B______ quant à leur demande de suspension.

Le 17 juillet 2018, il a communiqué à la chambre de céans un chargé de pièces complémentaires.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Les recours, interjetés en temps utile, sont recevables (art. 56ss LPGA).

3.        Le litige porte sur le droit de la caisse de réclamer aux recourants la réparation du dommage subi en raison du non-paiement des cotisations AVS-AI dues par la société.

4.        Les recourants ont, préalablement, sollicité la suspension de la présente procédure jusqu’à la clôture de la faillite. Ils considèrent en effet qu’il n’est pas établi que la caisse subira un dommage.

5.        Aux termes de l’art. 14 de la loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA ; RS E 5 10), la procédure peut être suspendue lorsque son sort dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative pendante devant une autre autorité, jusqu’à droit connu sur ces questions.

6.        Le dommage est survenu dès que le montant dû de par la loi ne peut plus être recouvré pour des raisons juridiques ou de fait. Il en va ainsi lorsque la créance de cotisations est périmée par suite de prescription au sens de l’art. 16 al. 1 LAVS (voir les nos 5011 ss) ou lorsque l’employeur est insolvable (prononcé de la faillite ou délivrance d’un acte de défauts de biens) (Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG (DP), n° 8020).

Si le montant du dommage ne peut, à ce moment-là, pas être déterminé, même d’une manière approximative, le dividende de la faillite n’étant pas encore connu, la décision en réparation du dommage doit être établie de telle manière que les intéressés soient tenus de payer la totalité du montant dont la caisse a été privée, moyennant la cession d’un dividende éventuel (RCC 1987 608, RCC 1987 p. 607, ATF 113 V 180 ; RCC 1990 p. 415, ATF 116 V 72, RCC 1990 415, DP n° 8018).

7.        En l'espèce, selon l’état de collocation déposé le 5 avril 2016, le dividende prévisible pour les créances de 2ème et 3ème classe est nul. Or, les créances de cotisations font précisément partie des créances privilégiées de la 2ème classe (art. 219 al. 4 LP), et celles relatives aux intérêts et frais de poursuite à la 3ème classe. Il est ainsi vraisemblable que la caisse subira un dommage. Il n’est par ailleurs pas non plus certain qu’elles seront couvertes par le montant qui pourrait être encore encaissé par l’office des faillites.

C’est dès lors à bon droit qu’elle s’en plaint d’ores et déjà. Il n’y a, partant, pas de sens, dans ces conditions, d’ordonner la suspension de la présente procédure jusqu’à la clôture de la faillite.

8.        Les recourants ont également fait valoir qu’il serait opportun d’attendre l’issue de la procédure pénale P/16631/2014. En effet, celle-ci porte notamment sur la question du surendettement de la société et des mesures d’assainissement prises avant la faillite. Il en ressort en outre qu’au moment du prononcé de la faillite, l’office des faillites a informé l’avocat de la société « qu’ils ne pouvaient plus procéder à des versements à l’exception des charges courantes ».

9.        Aux termes de l’art. 87 LAVS,

« Celui qui, par des indications fausses ou incomplètes, ou de toute autre manière, aura obtenu, pour lui-même ou pour autrui, sur la base de la présente loi, une prestation qui ne lui revient pas,

celui qui, par des indications fausses ou incomplètes, ou de toute autre manière, aura éludé, en tout ou en partie, l'obligation de payer des cotisations,

celui qui, en sa qualité d'employeur, omet de s'affilier à une caisse de compensation et de décompter les salaires soumis à cotisation de ses salariés dans le délai fixé par le Conseil fédéral en vertu de l'art. 14,

celui qui, en sa qualité d'employeur, aura versé à un salarié des salaires dont il aura déduit les cotisations et qui, au lieu de payer les cotisations salariales dues à la caisse de compensation, les aura utilisées pour lui-même ou pour régler d'autres créances,

celui qui n'aura pas observé l'obligation de garder le secret ou aura, dans l'application de la présente loi, abusé de sa fonction en tant qu'organe ou que fonctionnaire ou employé au détriment de tiers ou pour son propre profit,

celui qui aura manqué à son obligation de communiquer (art. 31 al. 1 LPGA),

celui qui, en sa qualité de réviseur ou d'aide-réviseur aura gravement enfreint les obligations qui lui incombent lors d'une révision ou d'un contrôle, ou en rédigeant ou présentant le rapport de révision ou de contrôle,

celui qui aura utilisé systématiquement le numéro AVS sans y être autorisé,

sera puni d'une peine pécuniaire de 180 jours-amende au plus, à moins qu'il ne s'agisse d'un crime ou d'un délit frappé d'une peine plus lourde ».

Commet l’infraction consistant à soustraire des cotisations la personne tenue de cotiser qui, intentionnellement par des indications inexactes ou incomplètes ou de toute autre manière, élude, en tout ou partie, l’obligation de payer des cotisations. Il faut que l’employeur ait un comportement fallacieux analogue à celui de l’auteur d’une escroquerie (DP, n° 9004).

Or, la décision litigieuse est fondée sur l’art. 52 LAVS, selon lequel

« 1 L'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est tenu à réparation.

2 Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage ».

Aussi le litige au fond porte-t-il sur la question de savoir si les recourants ont ou non commis une négligence grave en ne s’acquittant pas des cotisations dues par la société.

Dans le système instauré par la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, l'employeur assume des obligations en matière de perception des cotisations et de versement des prestations, dont les plus importantes sont énumérées à l'art. 51 LAVS. Les tâches qui lui sont ainsi confiées ont pour corollaire qu'il supporte, en sa qualité d'organe d'exécution de la loi, une responsabilité de droit public, prévue à l'art. 52 LAVS (Jean-Maurice Frésard, La responsabilité de l'employeur pour le non-paiement de cotisations d'assurances sociales selon l'art. 52 LAVS, in Revue Suisse d'Assurances 1987, p. 1). Cette responsabilité s'étend sur le versement des cotisations paritaires à charge de l'employeur et de l'employé. En ce sens, elle se distingue de la responsabilité pénale de l'employeur - qui est engagée lorsque celui-ci déduit des cotisations du salaire d'un employé ou ouvrier et les détourne de leur destination (art. 87 LAVS) - laquelle ne concerne par conséquent que les cotisations paritaires retenues par l'employeur sur le salaire de l'employé. Par conséquent, le fait que les acomptes versés par la société faillie couvrent les cotisations à charge des employés est sans incidence sur le sort du litige dans la mesure où la responsabilité des recourants est engagée aussi longtemps que les cotisations d'assurances sociales à charge de l'employeur et de l'employé ne sont pas intégralement payées, ce qui est en l'occurrence le cas (arrêt du Tribunal fédéral H 166/02).

Le sort de la procédure pénale n'est ainsi pas non plus déterminant pour l'issue de la présente procédure, de sorte qu’il n’y a pas lieu de suspendre la présente cause jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale n° P/16631/2014.


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant sur incident

1.        Déclare les recours recevables.

2.        Refuse de suspendre l'instance en application de l’art. 14 LPA.

3.        Réserve la suite de la procédure.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le