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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3751/2020

ATA/1315/2020 du 16.12.2020 ( EXPLOI ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3751/2020-EXPLOI ATA/1315/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 16 décembre 2020

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Youri Widmer, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



Vu l'art. 9 al. 1 du règlement de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) du 26 mai 2020 ;

vu le recours interjeté le 18 novembre 2020 devant la chambre administrative par M. A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) du 17 novembre 2020 ordonnant la fermeture immédiate de l'établissement à l'enseigne « B______ » au ______, rue
C______ à D______, avec apposition de scellés, jusqu'au 17 décembre 2020 inclus, en application de l'art. 62 al. 2 de la loi sur la restauration, le débit de boissons, l'hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22), décision déclarée exécutoire nonobstant recours, et réservant le prononcé d'une autre mesure et/ou amende administrative ;

vu que le recourant conclut à « pouvoir rouvrir normalement et ne pas rater la période des fêtes » ;

vu la requête en mesures superprovisionnelles et provisionnelles formée par le recourant sous la plume d'un conseil le 8 décembre 2020, concluant à la réouverture immédiate du « B______ », pour des raisons financières ;

vu le rejet de la requête en mesures superprovisionnelles le 9 décembre 2020, au motif notamment que les pièces comptables ne permettaient pas clairement d'extrapoler la perte alléguée par le recourant, et que le PCTN avait exposé qu'il était dépourvu d'autorisation d'exploiter son établissement ;

attendu, en fait, que la décision attaquée se fonde sur un rapport établi le
14 novembre 2020 par les agents du poste de police municipale de la ville de D______, au terme duquel un contrôle effectué le même jour à 12h45 sur les lieux, suite à l'appel d'une citoyenne, en lien avec le respect des mesures de prévention de la pandémie de Covid-19, avait révélé qu'une trentaine de personnes était rassemblée sur la terrasse de l'établissement, certaines d'entre elles consommant effectivement des boissons alcooliques, debout, autour des tables disposées : que l'exploitant s'était aménagé un comptoir à l'extérieur de l'établissement et y servait les clients ; qu'interrogé, il avait affirmé qu'il s'agissait de vente à l'emporter, parfaitement légale selon lui ; que les trois agents l'avaient alors informé du fait qu'il n'en était rien et lui avaient demandé de leur présenter un document officiel et de ranger son installation, ce qu'il avait fait ; qu'il s'était légitimé et s'était montré coopératif ; que les agents avaient soumis le cas au commissaire, qui avait déclaré l'exploitant en contravention, et qu'ils avaient ensuite veillé à ce que la clientèle soit partie et à ce que la terrasse ait été rangée avant de quitter les lieux ; que les agissements étaient constitutifs de l'infraction, pour l'exploitant d'un lieu, de locaux, d'une installation ou d'un établissement, consistant à ne pas respecter l'obligation de fermeture ordonnée, selon les art. 11 à 19 de l'arrêté du Conseil d'État du 1er novembre 2020 ;

que la décision du PCTN relève que les agissements constatés lors du contrôle étaient constitutifs d'un très grave trouble à la santé publique, dès lors qu'ils favorisaient très activement la circulation de la Covid-19, ce que le recourant ne pouvait ignorer, lesdits comportements étant prohibés par l'arrêté du Conseil d'État du 1er novembre 2020 et ses versions précédentes ; que la fermeture immédiate avec pose de scellés était prononcée pour une durée de quarante et un jours ;

que le recourant a exposé dans son recours du 18 novembre 2020 qu'il avait effectivement installé un petit buffet pour la vente à l'emporter directement devant la porte donnant sur l'extérieur en interdisant l'accès au restaurant ; que vers 10h15 il avait commencé à servir exclusivement à l'emporter dans des contenants en carton ouvert biodégradable, sans déployer à aucun moment la terrasse qui était restée attachée contre le mur ; que des personnes lui avaient demandé si elles pouvaient prendre le café sur le côté pour poser leurs boissons sur les tables cadenassées, et être servies plutôt dans de la porcelaine, ce qui lui avait paru de bon sens dans une ville prônant le développement durable, mais où il reconnaissait entre-temps une certaine erreur d'appréciation ; qu'il y avait eu vers 13h00 un pic d'affluence, qu'une file d'attente avait commencé à se former, qu'il s'était retrouvé un peu sous stress et ne s'était franchement plus occupé de ce qui se passait sur la terrasse ; que deux dames étaient venues, dont une à mobilité réduite, à laquelle il avait proposé de bon coeur d'installer une petite table pour qu'elle puisse poser son verre et ses sacs ; qu'il avait rajouté deux autres petites tables par souci de commodité, suivant son sens de l'hospitalité, et qu'il y avait eu au final en tout et pour tout, trois petites tables disposées sur la terrasse durant une très courte période, sans aucune chaise attenante, ce qui ne correspondait pas à l'ouverture de la terrasse ; que sa caisse enregistreuse attestait qu'il n'avait pas servi trente clients dans les trois heures qui avaient précédé le contrôle ; qu'il n'y avait jamais eu autant de clients, et surtout qui consommaient en même temps ; que des badauds et d'autres curieux avaient fini par s'agglutiner autour de la scène, stupéfaits que des agents de police municipale procèdent de la sorte pour constater une infraction dont personne n'avait compris le sens ; qu'il voulait bien reconnaître pour sa part qu'une dizaine de clients consommant de ses articles et ayant choisi de rester malgré qu'il leur ait dit que ce n'était qu'une vente à l'emporter, qu'ils étaient libres de leurs mouvements mais devaient lui rapporter les tasses et les verres ; qu'il n'avait réalisé que CHF 111.- de caisse et tenait ses comptes à disposition ; que la police avait pris des photos, qu'elle devait produire ; qu'en vingt ans de carrière il n'avait jamais eu le moindre problème, que la sanction était disproportionnée et qu'une remise à l'ordre aurait suffi ; qu'il aurait dû être mis en mesure de s'exprimer avant le prononcé de la sanction ; qu'une fermeture de quarante et un jours entraînerait la disparition de son établissement ;

que dans une écriture complémentaire du 26 novembre 2020, le recourant a invoqué la violation du droit d'être entendu et la violation du principe de proportionnalité, et produit une liste de six témoins présents et pouvant attester du nombre réel de personnes présentes ainsi que de la non-ouverture du café autrement qu'en vente à l'emporter ;

que dans ses observations du 3 décembre 2020, le PCTN a indiqué que l'autorisation d'exploitation de l'établissement avait été délivrée le 28 septembre 2018 à Mme E______, alors propriétaire, puis avait été déclarée caduque le 6 mai 2020, lorsque Mme E______ avait cessé d'exploiter l'établissement ; que M. A______ avait certes déposé une requête le 30 juin 2020, mais n'avait toujours pas obtenu le préavis favorable du service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants ; qu'il ressortait des tickets de caisse produits par le recourant qu'il avait vendu du vin ouvert, et qu'il y avait eu une vente table, une table encaissée, deux couvert ouverts et deux couverts encaissés ; qu'il n'était pas titulaire de l'autorisation de vendre des boissons alcooliques à l'emporter, et n'aurait pu cas échéant vendre que dans des récipients fermés et cachetés ; que le rapport de police parlait également de boissons alcooliques servies aux clients ; qu'il apparaissait par ailleurs qu'il avait vendu à table ; que les faits avaient été constatés de manière exacte ; ils étaient constitutifs de troubles graves à l'ordre public ; que la décision de fermeture était fondée et proportionnée ;

que sous la plume de son conseil, le 8 décembre 2020, le recourant a encore soutenu que l'autorité intimée avait retenu à tort que son comportement était enclin à favoriser très gravement la propagation de la Covid-19, « ce qui non seulement [était] formellement contesté mais également absolument non prouvé scientifiquement », comme en témoignait un article scientifique paru le 18 novembre 2020 dans la revue Annals of Internal Medicine, rédigé par des chercheurs danois, et portant sur l'effectivité de l'ajout d'une recommandation de port du masque à d'autres mesures de santé publique pour prévenir l'infection SARS-Cov-2 parmi les porteurs de masque danois ; que la sanction maximale en cas de non-respect des directives sanitaires serait, dès le 10 décembre 2020, une fermeture de dix jours maximum selon l'arrêté du Conseil d'État du 2 décembre 2020 ; que l'intérêt privé du recourant à pouvoir poursuivre son exploitation était bien supérieur à l'intérêt public de l'autorité intimée à voir l'établissement fermé pour quarante et un jours, « pour de prétendues raisons qui font fi de la dispense temporaire de port du masque obtenue par le recourant » ;

que le PCTN s'est étonné le 9 décembre 2020 que le recourant puisse établir après coup une liste de six noms de personnes qui n'étaient là qu'en passant ; que déduction faite du solde de fermeture générale, alors prévue jusqu'au 29 novembre 2020, la prolongation s'élevait à trente et un jours, ce qui ne permettait pas de la considérer comme disproportionnée ; la protection de la santé publique dans le cas de la crise sanitaire constituait un intérêt public très important ; la fermeture favorisait également l'économie, car le non-respect des mesures sanitaires aggravait la situation et entraînait la fermeture de l'ensemble des commerces et établissements ou sa prolongation, comme en attestait le projet du Conseil fédéral d'adopter des mesures plus contraignantes concernant notamment les établissements publics ;

que le PCTN a ajouté dans ses observations du 11 décembre 2020 que le recourant s'érigeait en expert médical, qu'il substituait sa version à celle des agents assermentés en affirmant que les clients étaient en nombre inférieur, et qu'il se trompait en pensant que la durée maximale de la fermeture était de dix jours ; qu'il avait obtenu une autorisation d'exploiter le 9 décembre 2020, dont une copie était annexée ; que l'allégation selon laquelle le recourant était dispensé de port du masque n'était accompagnée d'aucun document, mais qu'en l'espèce aucune violation des règles relatives au port du masque avait été relevée par les agents ; que la restitution de l'effet suspensif amoindrirait fortement la portée de la décision querellée, la transmission du virus se combattant immédiatement et non pas à l'issue d'une procédure de recours ;

que, dans sa réplique du 15 décembre 2020, le recourant s'est plaint de la mauvaise foi du PCTN et du délai de six mois nécessaire à l'obtention de son autorisation d'exploitation ; les personnes debout aux abords de l'établissement n'étaient pas des clients ; sa caisse enregistreuse n'était pas adaptée aux commandes à l'emporter, ce qu'attestait un courriel qu'il avait adressé le 25 octobre 2020 à un technicien pour qu'il vienne programmer l'enregistrement d'une taxe TVA de 2.5 % ;

que le 15 décembre 2020 la cause a été gardée à juger sur mesures provisionnelles, ce dont les parties ont été informées ;

considérant, en droit, qu'aux termes de l'art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3) ;

que les mesures provisionnelles, y compris celles sur effet suspensif, sont prises par le président de la juridiction (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) ; a majore ad minus, elles peuvent être prises par la chambre statuant en composition régulière, d'autant que tant le président que le
vice-président de celle-ci siègent en l'espèce ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif - ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2) ; qu'elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, RDS 1997 II 253-420, spéc. 265) ;

que, par ailleurs, l'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; ATA/941/2018 du 18 septembre 2018) ;

que la restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu'un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités ; ATA/812/2018 du 8 août 2018) ;

que la chambre de céans dispose dans l'octroi de mesures provisionnelles d'un large pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 précité consid. 5.5.1 ; ATA/941/2018 précité) ;

qu'en l'espèce, le grief de violation du droit d'être entendu soulevé par le recourant paraît prima facie fondé ;

que le recourant ne semble en effet pas avoir pu exercer son droit d'être entendu avant que la décision querellée ne soit rendue ;

que l'art. 62 al. 1 LRDBHD permet au commissaire de police, en cas de perturbation grave et flagrante de l'ordre public, notamment en matière de santé, d'ordonner la fermeture immédiate pour une durée maximale de dix jours d'un établissement, fermeture que le PCTN peut prolonger si les conditions sont réunies ;

que ce mécanisme aménage la possibilité d'une mesure immédiate lorsque la perturbation de l'ordre public grave et flagrante le justifie, mesure dont le maintien n'est ordonné que dans un second temps, ce qui permet à l'intéressé de s'exprimer ;

qu'en l'espèce, la mesure contestée n'a pas été rendue par le commissaire de police immédiatement à la suite d'une constatation de faits le justifiant ; que la manière de procéder de l'autorité intimée s'apparente toutefois à un tel procédé, réservé au seul commissaire de police, puisque la mesure a été prononcée sans que le recourant ne puisse se déterminer au préalable ; que cette manière de faire, qui semble prima facie violer le droit d'être entendu du recourant, se heurte également au texte de l'art. 62 LRDBHD ;

que le recours apparaît ainsi, à ce stade de la procédure et sans préjuger du fond, avoir de bonnes chances de succès ;

que l'intérêt du recourant, qui dispose d'une autorisation depuis le 9 décembre 2020, à exploiter son établissement n'est par ailleurs pas douteux, la reprise en général de l'exploitation des établissements ayant été autorisée à nouveau dès le 10 décembre 2020 ;

que la demande de restitution de l'effet suspensif au recours sera ainsi admise ;

que le sort des frais de la procédure sera réservé jusqu'à droit jugé au fond ;

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet la demande de restitution de l'effet suspensif au recours formée par M. A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 17 novembre 2020 ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Youri Widmer, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, MM. Verniory et Mascotto, Mme Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :