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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3694/2020

ATA/1324/2020 du 18.12.2020 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3694/2020-FPUBL ATA/1324/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 18 décembre 2020

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Romain Jordan, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



Attendu, en fait, que :

1) Madame A______ a été engagée par l'État de Genève le 15 novembre 1995. Elle a été nommée fonctionnaire le 1er novembre 1998 et a fait l'objet de promotions régulières.

Elle a été promue le 1er juillet 2012 à la fonction d'adjointe administrative sous la responsabilité hiérarchique de Madame B______, directrice des ressources humaines (ci-après : DRH) au service des ressources humaines (ci-après : SRH) de l'ancien département de la sécurité, police et environnement. La fonction était colloquée en classe 17 et le traitement annuel brut de CHF 107'924.-.

Dès le 1er janvier 2014, elle a été promue, à la suite d'une réévaluation des postes au sein dudit département, à la fonction de responsable de secteur RH 2
(ci-après : RRH 2). Elle est restée sous la responsabilité de
Mme B______. La fonction, en classe maximum 23, lui conférait le statut de cadre supérieur et exigeait une licence universitaire, une maîtrise ou un diplôme de l'EPFL. Mme A______, n'étant titulaire que d'un CFC de commerce, elle s'est vue attribuer le code complémentaire 9F, lequel impliquait une diminution de son traitement de deux classes pendant cinq ans. Son traitement a été fixé en classe 21, représentant CHF 116'964.- annuels bruts. Elle serait confirmée dans sa fonction après un période d'essai de deux ans si ses prestations donnaient satisfaction.

2) Le 29 janvier 2020, à la suite d'un entretien réalisé par écrit, Mme A______ a répondu, sous la plume de son avocat, reconnaître avoir modifié l'entretien d'évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) du 27 octobre 2015 et avoir rajouté elle-même la mention « conformément au plan de carrière de Mme A______, le code 9F est atténué en code 9E dès le 1er janvier 2016. Elle a, par ailleurs, admis avoir rajouté la mention « ainsi que la levée du code » sur le formulaire d'entretien d'évaluation et de développement du manager (ci-après : EEDM) du 11 décembre 2018.

3) Le 3 février 2020, le Conseil d'État a ouvert une enquête administrative à l'encontre de Mme A______, a suspendu cette dernière provisoirement et a confié l'enquête à Madame C______, ancienne juge à la Cour de justice.

4) Le 31 juillet 2020, l'enquêtrice a rendu son rapport.

5) Mme A______ a formulé ses observations le 18 septembre 2020.

6) Par arrêté du 14 octobre 2020, le Conseil d'État a révoqué Mme A______ avec effet immédiat. La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

7) Par acte du 16 novembre 2020, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'arrêté du Conseil d'État du 14 octobre 2020. Elle a conclu principalement à l'annulation de la révocation, à sa réintégration immédiate et, préalablement, à la restitution de l'effet suspensif. Des conclusions préalables en production de dossier et en audition personnelle et de témoins étaient prises.

Elle alléguait une violation de son droit d'être entendue, du droit à une enquête équitable et de la présomption d'innocence. Le rapport d'enquête sur lequel se fondait la décision procédait d'un tri arbitraire et non motivé des éléments mis en lumière dans le cadre de l'enquête.

Les preuves avaient été appréciées de façon arbitraire et les principes régissant la levée des codes complémentaires violés. La hiérarchie de la recourante avait toujours été dûment informée de sa situation professionnelle. Elle contestait avoir failli à son devoir de formation.

La prescription disciplinaire était acquise pour les faits en lien avec l'ajout de la mention sur l'EEDP du 27 octobre 2015.

La décision querellée procédait d'une appréciation arbitraire des preuves et consacrait une violation du principe de proportionnalité et un abus manifeste du pouvoir d'appréciation. L'ajout des deux mentions litigieuses devait être remis dans leur contexte et analysé au regard des explications crédibles et constantes de la recourante, dont les compétences, la loyauté et l'investissement avaient été, tout au long de sa carrière, dûment appréciés et salués par sa hiérarchie. Elle n'avait au demeurant qu'un antécédent disciplinaire consistant en un blâme infligé en raison d'un erreur d'adressage commis à l'occasion de l'envoi d'un courriel interne. Elle devait être réintégrée. Subsidiairement, une indemnité correspondant à vingt-quatre mois de son dernier traitement brut, soit CHF 293'898.80, devait lui être allouée.

L'effet suspensif devait être restitué au recours. Les chances de succès étaient manifestes. La décision lui causait un grave préjudice. Elle la privait non seulement de tout revenu, mais de toute protection sociale et d'assurance avec effet immédiat. Elle lui causait une atteinte extrêmement importante à sa réputation au vu du caractère particulièrement infâmant attaché à la sanction de révocation. L'exécution immédiate de la sanction ne répondait à aucun intérêt public. Elle avait pu exercer son activité durant vingt-cinq années à la pleine et entière satisfaction de son employeur. Son supérieur hiérarchique avait, dans un premier temps, expressément renoncé à entreprendre des démarches à son encontre avant d'être encouragé par le secrétariat général à solliciter l'ouverture d'une enquête. Dans l'intervalle, elle avait continué d'exercer son activité à la satisfaction de son employeur. Aucun intérêt public ne s'opposait à ce qu'elle reprenne son activité jusqu'à droit jugé. Son intérêt privé était prépondérant. Si la décision litigieuse devait être annulée, la réintégration serait ordonnée, de sorte qu'il se justifiait qu'elle puisse rester en poste dans l'intervalle.

8) Le Conseil d'État, soit pour lui l'office du personnel de l'État, a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

9) Par réplique du 11 décembre 2020, Mme A______ a persisté dans ses conclusions. Sa hiérarchie avait, dans un premier temps, renoncé à entreprendre des démarches à son encontre avant de finalement solliciter l'ouverture d'une enquête administrative près de sept mois plus tard, sans avoir mené aucun acte d'instruction dans l'intervalle. De même, le Conseil d'État avait renoncé à assortir la mesure de suspension d'une suppression de traitement, ce qui démontrait que la révocation n'était alors nullement envisagée et confirmait le caractère disproportionné de la sanction prononcée. Le préjudice financier et l'atteinte à la réputation étaient un fait notoire au vu des conséquences financières, soit notamment d'importantes pénalités au chômage. Ses collègues, entendus dans le cadre de l'enquête, étaient partant « nantis » de la procédure ouverte à son encontre. Or, cela favorisait la propagation de rumeurs portant atteinte à sa personnalité, ce qu'elle avait pu constater à l'occasion de récents entretiens d'embauche, tous soldés par un refus d'engagement.

10) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

 

Considérant, en droit, que :

1) Interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente, le recours est, prima facie, recevable sous ces angles (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les décisions sur effet suspensif et mesures provisionnelles sont prises par le président, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge (art. 21 al. 2 LPA ; 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

3) Aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu'aboutir abusivement à rendre d'emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, op. cit., p. 265).

5) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

6) Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu'un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

7) Les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, notamment d'une révocation, prononcée, à l'encontre d'un fonctionnaire, au sein de l'administration cantonale, par le Conseil d'État (art. 16 al. 1 let. c ch. 5  de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 - LPAC - B 5 05).

8) En l'espèce, la recourante conclut à la restitution de l'effet suspensif.

Elle allègue la privation de tout revenu, et de toute protection sociale et d'assurance avec effet immédiat.

Sans nier l'existence des difficultés financières auxquelles risquent d'être confrontée la recourante, celle-ci devant solliciter des indemnités de l'assurance chômage, la jurisprudence constante de la chambre de céans considère que l'intérêt privé du recourant à conserver son activité professionnelle et les revenus y relatifs doit céder le pas à l'intérêt public à la préservation des finances de l'État (ATA/818/2020 du 27 août 2020 ; ATA/1559/2019 du 21 octobre 2019 ; ATA/191/2019 du 26 février 2019). Aucun élément du dossier ne permet de retenir que le recourant aurait la capacité de rembourser les traitements perçus en cas de confirmation de la décision querellée, alors que l'État de Genève serait à même de verser les montants qui seraient mis à sa charge en cas d'issue favorable pour celle-là, et cela même si la cause ne pouvait être tranchée rapidement en raison des mesures d'instruction ordonnées d'office ou à la demande des parties.

Enfin les difficultés alléguées ne sont attestées par aucune pièce (ATA/625/2020 du 29 juin 2020 consid. 5 ; ATA/1840/2019 du 20 décembre 2019 consid. 7b).

9) La recourante se prévaut du fait qu'elle a bénéficié de son traitement pendant sa suspension.

Elle ne peut toutefois en déduire aucun droit, la situation étant à l'époque différente et les conclusions du rapport de l'enquête administrative n'étant pas encore connues.

10) La recourante allègue une atteinte à sa réputation.

Or, la chambre administrative a déjà jugé qu'une décision finale favorable au recourant permet de réparer une telle atteinte (ATA/1559/2019 du 21 octobre 2019 ; ATA/1013/2018 du 1er octobre 2018 ; ATA/1624/2017 du 19 décembre 2017 ; ATA/231/2017 du 22 février 2017 et les référence citées).

11) Enfin, contrairement à ce que la recourante soutient, les chances de succès du recours ne sont pas manifestes. Si certes, elle invoque avoir travaillé pendant vingt-cinq années au service de l'État, elle a reconnu avoir falsifié ses EEDP du 27 octobre 2015 et EEDM du 11 décembre 2018. Sa faute n'est en conséquence pas contestée et fonde, de prime abord, le prononcé d'une sanction, ce même si, comme elle l'allègue, son supérieur aurait expressément renoncé, pendant sept mois, à entreprendre des démarches à son encontre. Le fait que la recourante soit cadre supérieure (art. 2 al. 2 du règlement sur les cadres supérieurs de l'administration cantonale du 22 décembre 1975 ; RCSAC - B 5 05.03) et s'occupe des ressources humaines conforte, à première vue, la gravité de la faute.

En conséquence, prima facie, les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution.

Au vu de ce qui précède, la restitution de l'effet suspensif sera refusée.

12) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l'effet suspensif au recours de Madame A______ contre l'arrêté du Conseil d'État du 14 octobre 2020 ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Romain Jordan, avocat de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'État, soit pour l'office du personnel de l'État.

 

 

 

Le vice-président :

 

 

C. Mascotto

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :