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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/650/2020

ATA/1241/2020 du 08.12.2020 ( AIDSO ) , ADMIS

Descripteurs : ASSISTANCE PUBLIQUE;PRESTATION D'ASSISTANCE;AIDE FINANCIÈRE;BÉNÉFICIAIRE DE PRESTATIONS D'ASSISTANCE;UNITÉ ÉCONOMIQUE
Normes : LIASI.11; LIASI.13; LIASI.35
Résumé : Admission du recours d'une bénéficiaire de l'aide sociale, mère de deux enfants en bas-âge, contestant une décision de suppression des prestations financières de l'hospice. Son mari résidant et travaillant à l'étranger, il ne remplit effectivement pas les conditions d'octroi des prestations d'assistance. Toutefois, vu les circonstances particulières et la vie séparée pouvant être admise pour des motifs professionnels, il convient de ne pas tenir compte de l'époux de la recourante dans le groupe familial bénéficiant de l'aide sociale.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/650/2020-AIDSO ATA/1241/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 décembre 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Dominique Bavarel, avocat

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1978, a sollicité une aide financière et sociale de l'Hospice général (ci-après : l'hospice) auprès du centre d'action sociale (ci-après : CAS) ______ le 28 juillet 2017.

De nationalité suisse, elle s'était mariée le ______ 2016 à Bagdad avec Monsieur B______, né le ______ 1975, ressortissant irakien. Un enfant, C______, était né le ______ 2017 à Genève de leur union.

2) Lors de l'entretien d'accueil du 23 août 2017, Mme A______ a expliqué avoir quitté la Suisse en septembre 2016 pour aller se marier en Irak. Elle était revenue en juillet 2017 et avait donné naissance à son fils. Son époux était au bénéfice d'un visa touristique et les démarches pour faire reconnaître leur mariage par les autorités suisses étaient en cours. Son mari était professeur d'art céramique. Il enseignait auprès de l'Université de Bagdad et devait encore occuper cette fonction pendant six ans en contrepartie de la bourse d'études que l'État irakien lui avait accordée pour financer sa formation.

Le même jour, Mme A______ a signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général » (ci-après : « Mon engagement »).

Elle a de même indiqué, dans sa demande de prestations sociales d'aide financière, être célibataire, avoir un enfant à charge, vivre avec sa mère et son frère, ne disposer d'aucun revenu ni de fortune et ne pas avoir de véhicule. Elle a fait part de son souhait qu'il ne soit pas tenu compte de son époux dans le dossier social, dès lors qu'il n'était à Genève que provisoirement et qu'il devait repartir en Irak pour son emploi.

3) Par courrier du 29 septembre 2017, le CAS a confirmé à
Mme A______ que l'aide sociale était subsidiaire au devoir d'entretien entre époux. Des documents manquaient encore, notamment quant au revenu de son mari.

4) Lors de l'entretien du 16 octobre 2017, Mme A______ a produit un document de l'Université de Bagdad mentionnant que le salaire mensuel de
M. B______ s'élevait à IQD 471'000.-, soit environ CHF 390.-. L'assistante sociale a sollicité une attestation de l'époux précisant le montant de sa contribution à l'entretien de la famille.

5) Le 20 octobre 2017, M. B______ s'est engagé à contribuer à l'entretien de sa femme et de leur enfant à hauteur de CHF 50.- par mois.

6) Mme A______ et son fils ont été mis au bénéfice des prestations d'aide financière de l'hospice à compter du 1er octobre 2017.

7) Au cours d'un entretien du 10 janvier 2018, l'intéressée a informé son assistante sociale que son époux avait décidé de ne pas venir définitivement en Suisse.

8) Le 18 décembre 2018, l'hospice a décidé de ne pas délivrer à
Mme A______ et son fils les prestations d'aide financière pour les mois d'octobre et novembre 2018 pour défaut de collaboration, celle-ci ayant tardé à produire des documents sollicités et refusé de présenter son passeport à son assistante sociale.

9) Sur opposition de l'intéressée, cette décision a été partiellement confirmée par le directeur général de l'hospice le 13 mars 2019 (confirmation du défaut de collaboration, octroi d'une aide financière réduite au montant des prestations exceptionnelles et suppression des prestations circonstancielles, sauf participation aux frais médicaux et dentaires, pour octobre et novembre 2018).

10) Lors d'un entretien du 2 avril 2019, l'assistante sociale a indiqué avoir été informée que l'époux de Mme A______ apparaissait comme officiellement domicilié à son adresse genevoise depuis le 18 décembre 2017 et au bénéfice d'un permis de séjour B pour regroupement familial. Ces éléments étant de nature à modifier son droit aux prestations financières, les époux étaient convoqués par l'hospice le 21 mai suivant afin de former conjointement une nouvelle demande de prestations.

11) Les 22 avril et 10 mai 2019, Mme A______ a informé le CAS être partie en Irak le 18 avril 2019 et ne pas pouvoir rentrer à Genève avant le mois de juillet 2019, et demandé un report du rendez-vous fixé.

12) Le 26 avril 2019, l'hospice a adressé à Mme A______ un courrier valant avertissement confirmant les termes de l'entretien du 2 avril 2019 et rappelant que les bénéficiaires de l'aide sociale étaient soumis à une obligation de collaboration, impliquant notamment une participation régulière aux entretiens de suivi et l'engagement de tout mettre en oeuvre pour favoriser leur insertion sociale et professionnelle.

13) Le 10 juin 2019, Mme A______ a formé opposition contre cet avertissement. Son mari ne devait pas être inclus dans son dossier social, compte tenu du contrat le liant à l'Université de Bagdad pour une durée d'encore six ans, dont elle a produit une copie, puis sur demande de l'hospice, une traduction en français de ce document. M. B______ essayait de trouver une solution pour se libérer de ses engagements et préparait activement son intégration sociale et professionnelle à Genève, en apprenant le français. Elle demandait à l'hospice de lui accorder à titre exceptionnel des prestations financières en tenant compte uniquement d'une personne majeure et d'un enfant à charge.

14) Le 12 juillet 2019, Mme A______ s'est entretenue avec la responsable d'unité du CAS, en présence de son mari. Au vu des circonstances, les parties se sont entendues sur le fait que l'hospice accorderait à l'intéressée une aide financière exceptionnelle pour une durée de six mois dès le 1er août 2019. Il a également été convenu que, durant cette période, le CAS ne tiendrait pas compte de M. B______ dans la composition du groupe familial et que, pour leur part, les intéressés feraient le nécessaire pour trouver une solution à leur configuration familiale.

15) Le 11 octobre 2019, le CAS a confirmé par écrit les termes de l'entretien précité et, considérant le délai écoulé depuis lors, reporté la fin de l'aide financière exceptionnelle, initialement prévue pour six mois, au 31 mars 2020.

16) Le 14 octobre 2019, l'hospice a constaté que la décision du 11 octobre 2019 avait rendu sans objet l'opposition du 10 juin 2019 formée contre l'avertissement du 26 avril 2019.

17) Le 5 novembre 2019, Mme A______ a formé opposition contre l'avertissement du 11 octobre 2019. Elle était enceinte et le terme de sa grossesse prévu le 8 avril 2020. Le couple mettait tout en oeuvre pour améliorer sa situation socio-professionnelle. Son fils fréquentait une institution de la petite enfance trois jours par semaine. Elle ne se rendait en Irak qu'à titre exceptionnel et une fois par année. Elle s'acquittait de son obligation de collaborer avec l'hospice. Le CAS n'indiquait pas pourquoi l'aide accordée serait exceptionnelle et non prévue par la loi.

18) Par décision sur opposition du 21 janvier 2020, déclarée exécutoire nonobstant recours, le directeur de l'hospice a confirmé la fin du droit aux prestations d'aide sociale de Mme A______ au 31 mars 2020, au motif que tous les membres de son groupe familial n'en remplissaient pas les conditions d'octroi.

Dès lors qu'une personne était mariée, le couple bénéficiait de l'aide financière sans possibilité de dissocier le droit à l'aide pour chacun des conjoints. En conséquence, chaque époux devait remplir les conditions légales et réglementaires applicables.

Si en l'occurrence M. B______ était bien domicilié à Genève, il n'y avait pas sa résidence effective au sens de la loi, puisque son activité professionnelle impliquait qu'il vive à Bagdad. Par ailleurs, son absence de Genève rendait impossible tout accompagnement social, indissociable de l'octroi de prestations financières.

Compte tenu de la particularité de la situation de Mme A______, le CAS avait estimé nécessaire de lui accorder un délai pour trouver une solution et décidé dans ce but, à bien plaire et en dérogation à la loi, de poursuivre l'aide financière en sa faveur et celle de son fils jusqu'au 31 mars 2020. C'était toutefois à juste titre que le CAS avait retenu qu'elle n'avait pas droit aux prestations financières ordinaires prévues par la loi.

19) Par acte déposé le 21 février 2020, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'hospice de lui verser, ainsi qu'à son fils et à son enfant à naître, les prestations d'aide sociale ordinaires, non limitées dans le temps. Elle sollicitait, sur mesures provisionnelles, que les prestations d'aide sociale leur soient versées jusqu'à ce que la présente cause soit tranchée au fond.

Mme A______ était enceinte et attendait son deuxième enfant pour le mois d'avril 2020.

M. B______ était au bénéfice d'une autorisation de séjour en Suisse pour regroupement familial avec activité depuis le 18 décembre 2017. Ayant suivi des études de céramique, il était employé depuis 2006 par l'Université de Bagdad, avec laquelle il avait signé un contrat de bourse d'études en 2013. Il ressortait notamment de ce contrat que « Après la fin de ses études, la seconde partie s'engage à travailler dans les établissements de l'État le double de la période qu'il a passé pour obtenir le diplôme, les parties de l'année [étant] comptées pour une année complète [...] ». Il avait ainsi poursuivi ses études à Bucarest, en Roumanie, où il avait obtenu un doctorat en juin 2017, après quatre ans d'études. Son épouse avait vécu avec lui à Bucarest en 2016 et 2017. Conformément aux conditions liées à sa bourse d'études, il était désormais enseignant en art céramique, employé par l'Université de Bagdad, où il avait l'obligation d'enseigner pendant huit ans au total. À ce jour, il devait honorer son contrat durant encore cinq ans, à moins de trouver une autre solution pour payer sa dette. Son salaire mensuel s'élevait à IQD 533'000.-, soit environ CHF 440.-. Il effectuait régulièrement des allers-retours entre Bagdad et Genève pour être présent auprès de sa famille.

La situation particulière du couple ne pouvait pas être reprochée à la recourante, était connue de l'hospice depuis l'ouverture du dossier et n'avait pas changé depuis le mois d'octobre 2017, lorsque les premières prestations avaient été versées à Mme A______. L'inscription de son époux au registre de la population ne constituait pas une preuve de son domicile dans le canton de Genève ; l'hospice ne contestait d'ailleurs pas que la résidence effective de
M. B______ était à Bagdad. Ce dernier n'avait jamais introduit de demande d'aide sociale et n'était pas destinataire de la décision attaquée. En l'occurrence, les conjoints vivaient séparément pour des raisons professionnelles objectives. Le groupe familial était ainsi composé de la recourante, de son fils et de son enfant à naître.

Dans l'hypothèse où les prestations financières dont ils bénéficiaient prendraient fin au 31 mars 2020, la recourante et ses enfants en bas âge se retrouveraient dans une situation de dénuement complet. Elle ne serait plus en mesure de payer le loyer, ni les assurances maladie. Dans ces circonstances, le refus de lui accorder l'aide sociale ordinaire était contraire au droit applicable.

Enfin, des mesures provisionnelles devaient être prononcées pour assurer la protection et la couverture des besoins vitaux de la recourante et de ses enfants, qui ne disposeraient plus de ressources pour subvenir à leur entretien dès le 31 mars 2020. La condition de l'urgence était réalisée, de sorte qu'il convenait de procéder à une pesée des intérêts en présence.

20) Le 3 mars 2020, la direction générale de l'hospice s'est opposée au prononcé de mesures provisionnelles.

La recourante ne contestait pas que son époux, bien que domicilié à Genève, n'y résidait pas et exerçait de surcroît une activité lucrative à l'étranger. Il était ainsi avéré que la recourante et son groupe familial ne remplissaient pas les conditions d'octroi de l'aide financière ordinaire. Le fait que M. B______ avait une dette envers l'Université de Bagdad ne devait et ne pouvait pas remplacer son obligation d'entretenir sa famille.

21) Le 13 mars 2020, Mme A______ a indiqué que sa grossesse avait présenté des complications et que son état de santé avait entraîné une hospitalisation du 24 février au 5 mars 2020. Après un étroit suivi tant par la maternité qu'à domicile, par une sage-femme, elle avait donné naissance le 11 mars 2020 à une fille, dont le prénom n'était pas encore connu.

À la suite de la fermeture des universités à Bagdad en raison de la crise sanitaire de la Covid-19, ainsi que compte tenu de l'état de santé de son épouse, M. B______ était revenu à Genève le 29 février 2020. La date de son retour en Irak n'était pas encore fixée.

Une aide d'urgence proposée par l'hospice ne s'avérait pas suffisante, de sorte que la poursuite de l'aide sociale sur mesures provisionnelles devait être prononcée.

L'hospice semblait ne pas tenir compte du fait que les époux ne faisaient pas ménage commun. Par ailleurs, l'autorité ne pouvait pas faire fi des obligations imposées par l'État irakien au conjoint de la recourante, lesquelles étaient compréhensibles, cohérentes et valables. Le montant de la dette que devait payer M. B______ pour ne plus devoir travailler pour l'Université de Bagdad s'élevait à IQD 120'000'000.-, soit environ CHF 95'000.-.

22) Par décision sur mesures provisionnelles du 16 mars 2020, la
vice-présidente de la chambre administrative a ordonné à l'hospice de continuer à verser à la recourante et à ses deux enfants l'aide financière exceptionnelle jusqu'à droit jugé sur le fond, compte tenu des circonstances très particulières du cas d'espèce.

23) Le 20 mars 2020, la direction générale de l'hospice s'est déterminée au fond et a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée, persistant dans sa précédente argumentation.

La recourante et son époux faisaient bien partie d'un même groupe familial. Celui-ci était au bénéfice d'une autorisation de séjour pour regroupement familial, ce qui supposait qu'il faisait ménage commun avec sa femme. Les intéressés étaient par ailleurs domiciliés à la même adresse et cosignataires du contrat de bail du logement de la famille. La naissance de leur second enfant confirmait leur unité familiale.

Les circonstances professionnelles qu'ils invoquaient pour justifier leur vie séparée devaient être relativisées. La seule obligation qui s'imposait à
M. B______ était de rembourser la bourse d'études qui lui avait été allouée par son état d'origine. Il n'était en revanche pas tenu de travailler pour l'Université de Bagdad pour acquitter sa dette, celle-ci pouvant être réglée en espèces et au prorata du temps restant dû. En l'état, la recourante et son époux avaient choisi l'option du remboursement par le travail, tout en décidant que le reste de la famille vivrait à Genève. Ce mode de vie séparée n'empêchait pas qu'ils forment un seul groupe familial et que le droit à l'aide financière soit évalué en fonction de leur situation globale. D'ailleurs, lorsqu'ils avaient été informés que leur choix de vie n'était pas compatible avec les principes régissant l'aide sociale, les intéressés s'étaient engagés à trouver une solution à leur configuration familiale. Afin de les soutenir dans leurs démarches et malgré le fait que la recourante avait déjà bénéficié de nombreuses dérogations, le CAS avait continué à lui verser ainsi qu'à son fils une aide exceptionnelle durant six mois supplémentaires. Or, à ce jour, la recourante et son époux n'avaient ni démontré, ni fait état des démarches qu'ils auraient entreprises.

Le fait de ne pas prendre en compte M. B______ dans le groupe familial à titre dérogatoire avait pour conséquence que l'hospice n'avait été que partiellement renseigné sur sa situation personnelle et financière. L'intimé ne disposait en particulier d'aucune information sur le montant de ses charges en Irak et en Suisse, sa fortune, la proportion de son salaire affectée au remboursement de sa bourse d'études, ou encore d'éventuels autres revenus.

Enfin, si la recourante se prévalait d'un droit propre aux prestations pour elle et ses enfants, il n'existait pas de motif permettant de déroger au principe d'unité économique de référence.

24) Le 19 mai 2020, Mme A______ a dupliqué, persistant dans ses précédents arguments et conclusions.

Au surplus, elle n'avait jamais caché à l'hospice sa situation familiale, en particulier le fait que son mari enseignait et, dès lors, vivait à Bagdad. Dans la mesure où ce dernier venait régulièrement en Suisse, ils avaient entrepris des démarches pour qu'il obtienne une autorisation de séjour, l'obtention de visas pour les ressortissants irakiens étant particulièrement aléatoire. La situation était toujours la même que lorsqu'elle avait sollicité l'aide sociale de l'hospice la première fois.

En Irak, M. B______ vivait chez ses parents. Il n'avait pas d'épargne. La recourante n'avait jamais refusé de transmettre à l'hospice des informations concernant son conjoint. Il suffisait de les lui demander, ce qui n'avait pas été fait.

L'argumentation de l'intimé était contradictoire et la jurisprudence sur laquelle il se fondait ne trouvait pas application en l'espèce. Pour inclure un individu dans un groupe familial, il devait avoir sa résidence effective sur le territoire genevois, faute de quoi tous les autres membres du groupe familial seraient automatiquement exclus de l'aide sociale quand bien même ils rempliraient individuellement les conditions d'octroi de cette aide.

L'engagement de M. B______ à travailler pour l'État irakien ne constituait pas une forme de remboursement de sa dette, mais une condition du contrat, contrepartie au versement de sa bourse d'études. La clause selon laquelle l'étudiant ne souhaitant pas travailler dans un établissement étatique ou souhaitant résilier son contrat avant la fin devait verser une caution constituait une clause pénale. Dans ces circonstances, il ne pouvait pas être reproché à l'intéressé de vouloir honorer ses obligations dont le non-respect pouvait entraîner des sanctions importantes. Compte tenu de la situation financière des intéressés, la somme à payer en cas de rupture du contrat était substantielle et susceptible de les endetter au point d'entraver leur insertion sociale et économique. C'était pourquoi
M. B______ n'avait à ce jour pas trouvé de solution permettant la rupture de son contrat en Irak et la recherche d'une activité professionnelle à Genève.

25) a. Lors de l'audience de comparution personnelle du 3 septembre 2020, Mme A______ a confirmé que son mari était au bénéfice d'un permis B par regroupement familial, valable jusqu'à la fin de l'année. Il en avait déjà sollicité le renouvellement à l'OCPM, lequel était au courant de sa situation particulière ; il lui avait été expliqué, au guichet, qu'il devait résider six mois par année en Suisse. M. B______ se trouvait en Suisse depuis le mois de mars 2020, en raison de la crise sanitaire, mais surtout de la naissance de sa fille. Les cours qu'il donnait avaient été arrêtés et il n'avait pas pu repartir à Bagdad. Il venait toutefois d'être convoqué pour la rentrée scolaire en septembre, mais ignorait quelles seraient les modalités pour cette nouvelle année.

Elle a donné son accord pour que l'apport du dossier OCPM qui les concernait soit sollicité dans le cadre de la présente procédure, ainsi que pour la consultation de celui-ci. Son avocat obtiendrait une procuration de son mari dans le même sens.

Il était difficile pour M. B______ d'obtenir des visas pour entrer en Suisse car il devait les solliciter en Jordanie.

Elle était prête à répondre à toutes les questions que l'hospice pouvait avoir concernant la situation de son époux. Ils souhaitaient vivre ensemble, mais ce dernier ne pouvait pas rompre son contrat, car il s'exposait à une clause pénale et la somme à rembourser était de l'ordre de CHF 90'000.-.

b. La représentante de l'hospice a déclaré que celui-ci n'avait aucune vue sur le dossier de M. B______. Cependant, tant que ce dernier n'avait pas rempli de demande de prestations, il n'était soumis à aucune obligation de renseigner. L'intimé ignorait, par exemple, si le mari de la recourante était au bénéfice d'une assurance-maladie, de quelle manière il la payait, comment étaient financés les aller-retours entre Genève et Bagdad. L'hospice était entré en matière sur le dossier de la recourante qui s'interrogeait quant à l'organisation de la vie familiale. Il avait été moins formaliste que dans d'autres dossiers s'agissant du fondement d'une éventuelle obligation alimentaire, précisément pour tenir compte des circonstances particulières de la situation.

26) La chambre administrative a reçu le 17 septembre 2020 une copie du dossier OCPM de la recourante et de son mari.

27) Le 23 novembre 2020, Mme A______ a produit des observations et persisté dans les conclusions de son recours.

Elle continuait à rechercher activement un emploi.

Il ressortait du dossier transmis par l'OCPM que son mari avait sollicité le renouvellement de son autorisation de séjour le 16 juillet 2020, indiquant sur le formulaire être employé par l'Université de Bagdad et enseigner à distance, en télétravail.

M. B______ avait quitté la Suisse pour Bagdad le 9 septembre 2020, à la demande de son employeur qui exigeait la présence de ses collaborateurs pour la rentrée académique. Il souhaitait revenir en fin d'année, mais ignorait à quelle date. C'était dans ces circonstances qu'il s'était adressé à l'OCPM le 16 novembre 2020, indiquant qu'il effectuait des aller-retours depuis l'automne 2017 selon les besoins de son poste d'enseignant à Bagdad. Depuis Genève, il pouvait travailler dans le cadre de travaux de recherches ou le suivi à distance des étudiants. Lorsqu'il y était, il vivait avec sa femme et leurs deux enfants, avec lesquels il maintenait des liens étroits quand il se trouvait en Irak. Il sollicitait le maintien de son autorisation de séjour quand bien même il séjournait pour des durées variables à l'étranger. L'OCPM lui avait confirmé le 20 novembre 2020 que son autorisation de séjour avait pris fin automatiquement six mois après son départ du 1er septembre 2018, soit le 1er mars 2019, puisque son séjour à l'étranger avait excédé à plusieurs reprises ce délai. La caducité de son autorisation devait être prononcée, mais une nouvelle autorisation dès le 10 juillet 2019 allait lui être délivrée.

Il existait ainsi des circonstances exceptionnelles justifiant que son mari réside dans une large mesure à Bagdad, de sorte qu'il ne devait pas être inclus dans le groupe familial au sens des dispositions sur l'aide sociale, même si la communauté familiale était maintenue au sens de celles en matière d'étrangers.

28) Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 52 de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 - LIASI - J 4 04).

2) Le présent litige porte sur le refus de l'intimé de poursuivre l'octroi de prestations financières de l'aide sociale à la recourante et à ses deux enfants
au-delà du 31 mars 2020. Il s'agit en particulier de déterminer si l'époux de la recourante doit être admis ou non dans la composition du groupe familial.

3) a. Aux termes de l'art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. L'art. 39 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst- GE - A 2 00) contient une garantie similaire.

b. En droit genevois, la LIASI et son règlement d'exécution du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) concrétisent ces dispositions constitutionnelles, en ayant pour but de prévenir l'exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI). Les prestations de l'aide sociale individuelle sont l'accompagnement social, des prestations financières et l'insertion professionnelle (art. 2 LIASI). La personne majeure qui n'est pas en mesure de subvenir à son entretien ou à celui des membres de la famille dont il a la charge a droit à des prestations d'aide financière. Celles-ci ne sont pas remboursables sous réserve notamment de leur perception indue (art. 8 al. 1 et 2 LIASI). Elles sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI).

c. À teneur de l'art. 11 al. 1 LIASI, ont droit à des prestations d'aide financière prévues par cette loi, les personnes qui : ont leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève (let. a), ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien (let. b) et répondent aux autres conditions de la loi (let. c). Il s'agit de l'aide financière ordinaire. Les trois conditions à remplir sont cumulatives.

d. Selon l'art. 13 al. 1 LIASI, les prestations d'aide financière sont accordées au demandeur et au groupe familial dont il fait partie. Le groupe familial est composé du demandeur, de son conjoint, concubin ou partenaire enregistré vivant en ménage commun avec lui, et de leurs enfants à charge (al. 2).

e. Le demandeur doit fournir tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d'aide financière (art. 7 et 32
al. 1 LIASI). La LIASI impose ainsi un devoir de collaboration et de renseignement. Le bénéficiaire ou son représentant légal doit immédiatement déclarer à l'hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d'aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI ;
ATA/365/2020 du 16 avril 2020 consid. 4a ; ATA/1446/2019 du 1er octobre 2019 consid. 5a).

Le document « Mon engagement » concrétise cette obligation de collaborer en exigeant du demandeur qu'il donne immédiatement et spontanément à l'hospice tout renseignement et toute pièce nécessaires à l'établissement de sa situation économique (ATA/93/2020 du 28 janvier 2020 consid. 3a).

f. Enfin, les prestations d'aide financière peuvent être refusées si le bénéficiaire ne répond pas ou cesse de répondre aux conditions de la loi (art. 35 al. 1 let. a LIASI) ou s'il refuse de donner les informations requises (articles 7 et 32 de la présente loi), donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles (art. 35 al. 1 let. d LIASI).

4) a. La jurisprudence a admis des exceptions au principe d'unité économique de l'art. 13 LIASI, en reconnaissant aux divers membres d'une famille un droit distinct à des conditions minimales d'existence lorsque les erreurs ou manquements d'un membre de la famille ne pouvaient être imputés à l'ensemble de la famille (ATA/4/2015 du 6 janvier 2015 et les références citées).

Il a, en revanche, également été précisé que ces exceptions, reconnaissant un droit propre aux différents membres du groupe familial, ne trouvaient application que dans les cas où l'administré aurait eu droit aux prestations complètes s'il n'avait pas commis de faute ou d'abus conduisant à la réduction ou la cessation des prestations (ATA/194/2006 du 4 avril 2006). Dans le cadre de ce dernier arrêt, il a ainsi été jugé que lorsque l'une des personnes du groupe familial exerçait une activité indépendante, excluant l'octroi de prestations d'aide, il n'y avait pas lieu de distinguer les différents membres du groupe familial, la décision relative aux prestations touchant alors le groupe familial dans son ensemble.

Ces arrêts, rendus dans le cadre de prestations d'assistance fondées sur l'ancienne loi genevoise sur l'assistance publique du 19 septembre 1980, abrogée lors de l'adoption de la LIASI, n'en traitent pas moins la même problématique du groupe familial comme unité économique dans le cadre de l'octroi de prestations d'aide sociale, de sorte que les principes établis sont également applicables dans le cadre de la LIASI.

b. À teneur des normes de la conférence suisse des institutions d'action sociale, dans leur version en vigueur pour l'année 2020 (ci-après : normes CSIAS), non contraignantes mais jouant un rôle important en pratique, les coûts supplémentaires engendrés par le fait que des personnes mariées vivent séparées ne doivent être pris en compte que si cette séparation de corps est réglée par voie juridique ou si elle est motivée par d'autres raisons importantes. Ces dernières peuvent concerner des circonstances professionnelles ou une cohabitation devenue impossible. Dans de tels cas, lorsque les partenaires n'ont pas convenu d'une contribution d'entretien, c'est au bénéficiaire de l'aide sociale de demander dans les trente jours que cette contribution soit fixée par voie juridique (norme CSIAS F.3.2.).

5) Il ressort du dossier transmis par l'OCPM que les dispositions suivantes sont applicables au cas de l'époux de la recourante.

a. L'art. 42 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; anciennement dénommée loi fédérale sur les étrangers - LEtr) dispose que le conjoint d'un ressortissant suisse a droit à l'octroi d'une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité à condition de vivre en ménage commun avec lui.

L'art. 49 LEI prévoit une exception à la condition du ménage commun. En effet, cette exigence n'est pas applicable lorsque la communauté familiale est maintenue et que des raisons majeures justifiant l'existence de domiciles séparés peuvent être invoquées.

L'art. 76 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) précise qu'une exception à l'exigence du ménage commun peut résulter de raisons majeures dues, notamment, à des obligations professionnelles ou à une séparation provisoire en raison de problèmes familiaux importants.

b. Enfin, selon l'art. 61 al. 2 LEI, si un étranger quitte la Suisse sans déclarer son départ, l'autorisation de courte durée prend automatiquement fin après trois mois, l'autorisation de séjour ou d'établissement après six mois. Sur demande, l'autorisation d'établissement peut être maintenue pendant quatre ans.

6) En l'espèce, il n'est pas contesté que la recourante et ses deux enfants remplissent, en l'état, les conditions d'allocation de prestations financières. Il n'est pas non plus contesté que le mari de celle-ci, ne résidant pas de manière effective à Genève, ne peut en revanche pas prétendre à être mis au bénéfice de l'aide sociale. Il s'agit dès lors de déterminer si et dans quelle mesure l'époux de la recourante doit être admis dans le groupe familial, conformément au principe de l'unité économique de l'art. 13 LIASI.

En premier lieu, il convient de relever que la recourante a sollicité l'aide sociale en juillet 2017, laquelle lui a été accordée, pour elle-même et son fils, dès le 1er octobre 2017. Hormis à une reprise en 2018, lorsqu'elle a été sanctionnée pour retard dans la production de documents et refus de présenter son passeport, la recourante s'est toujours conformée à son devoir de collaboration en fournissant à l'hospice toutes les pièces et informations nécessaires qui lui étaient demandées. En particulier, sa situation familiale singulière et le fait que son mari travaillait et vivait à l'étranger n'ont jamais été cachés à l'autorité intimée. Il n'apparaît pas non plus, à l'examen du dossier de l'OCPM concernant le couple, que ce dernier aurait tu des informations en lien avec le séjour en Suisse de l'époux.

Lors des différents entretiens de la recourante avec l'assistante sociale, elle s'est engagée notamment, conformément aux principes généraux régissant l'aide sociale, à trouver un emploi et à réfléchir à une solution concernant sa situation familiale. Or, il n'apparaît pas que le fait que son époux travaille en Irak relèverait uniquement d'un choix de vie personnel. Le mari de la recourante a financé ses études grâce à l'aide de son état d'origine, avec lequel il a conclu un contrat par lequel il s'engage à travailler huit ans pour ce dernier afin d'honorer sa dette. Il s'avère que le fait d'enseigner à l'Université de Bagdad ne constitue pas simplement une contrepartie à une bourse d'études, mais que le contrat précité contient une clause selon laquelle, s'il venait à être rompu, l'intéressé devrait s'acquitter d'une somme équivalant à près de CHF 90'000.-. La recourante et son époux ont ainsi dû prendre une décision consistant soit à rompre le contrat pour vivre en famille à Genève et subvenir à ses besoins tout en remboursant le montant précité, ce qui les placerait dans une situation financière difficile, étant rappelé qu'il exerce la profession d'enseignant en arts céramiques, soit à respecter le terme du contrat et vivre séparément quelques années encore. Aucune des deux options n'étant objectivement satisfaisante, ils ont choisi la seconde, ce qui ne peut pas leur être reproché.

Au vu de ce qui précède et conformément aux bases légales et normatives citées précédemment, il convient d'admettre que l'époux de la recourante, domicilié à Genève mais n'y résidant pas de manière effective dès lors qu'il vit et travaille en Irak plusieurs mois par année, ce en raison d'obligations professionnelles, ne doit exceptionnellement pas être pris en considération dans la composition du groupe familial ayant sollicité l'aide sociale.

Enfin, bien que l'hospice relève son manque de visibilité concernant la situation financière du mari de la recourante, force est de constater que, dès lors qu'il n'est pas lui-même demandeur de l'aide sociale, il n'est pas soumis à l'obligation de renseigner et qu'en tout état, la recourante a produit des pièces concernant ses revenus et charges, la contribution d'entretien convenue, et a fourni à diverses reprises des explications sur la manière dont il subvenait à ses propres besoins lorsqu'il se trouvait en Irak. Les deux époux ont par ailleurs donné accès à leur dossier de l'OCPM à l'hospice.

Partant, le recours sera admis et la décision querellée annulée. La recourante et ses deux enfants mineurs devront être mis au bénéfice des prestations ordinaires de l'hospice dès le 1er avril 2020, sous réserve de la réalisation des conditions de la LIASI.

7) Vu la nature et l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87
al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante, qui obtient gain de cause et y a conclu, à la charge de l'intimé (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 février 2020 par Madame
A______ contre la décision sur opposition de l'Hospice général du 21 janvier 2020 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision de l'Hospice général du 21 janvier 2020 ;

ordonne, en tant que de besoin, à l'Hospice général d'octroyer à Madame
A______ et à ses deux enfants mineurs les prestations ordinaires de l'aide sociale à compter du 1er avril 2020 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'Hospice général ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dominique Bavarel, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :