Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3666/2020

ATA/1230/2020 du 08.12.2020 ( DIV ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3666/2020-DIV ATA/1230/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 8 décembre 2020

sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Yaël Hayat, avocate

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 



Attendu, en fait, que :

1) Monsieur A______ a été élu au Conseil d'État genevois lors d'une élection partielle le 17 juin 2012, par 40'966 voix. Dix jours plus tard, il a, dans le cadre de la répartition des départements, pris la tête du département de la sécurité (ci-après : DS).

2) Le 10 novembre 2013, M. A______ a été réélu au deuxième tour, par 59'057 voix. Suite à la répartition des départements, il a pris la tête du département de la sécurité et de l'économie (ci-après : DSE).

3) Le 15 avril 2018, M. A______ a été le seul candidat en lice à être réélu au premier tour, par 50'180 voix. Lors de la répartition des départements, il a été désigné président du Conseil d'État. Il a poursuivi son activité en tant que chef du DS du 1er juin 2018 au 31 janvier 2019.

4) Le 30 août 2018, le Ministère public a indiqué avoir été conduit à ouvrir formellement une instruction contre le chef de cabinet de M. A______ et à souhaiter entendre ce dernier en qualité de prévenu d'acceptation d'un avantage, raison pour laquelle il demandait au Grand Conseil l'autorisation de pouvoir poursuivre M. A______ pénalement, autorisation accordée le 20 septembre 2018.

5) Le 13 septembre 2018, le Conseil d'État a désigné Monsieur B______ comme nouveau président du Conseil d'État, en remplacement de M. A______.

6) Le 31 janvier 2019, le Conseil d'État a décidé de créer un nouveau département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (ci-après : DSES), avec pour titulaire Monsieur C______, ainsi qu'un nouveau département du développement économique (ci-après : DDE), avec pour titulaire M. A______. Ce département comprenait la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation (ci-après : DG-DERI).

7) Constatant une hausse du taux d'absence des collaborateurs à la DG-DERI entre mai 2019 et avril 2020, l'office du personnel de l'État (ci-après : OPE) a décidé, à une date indéterminée en 2020, de confier à Madame D______, consultante en organisation, un mandat de diagnostic de cette entité afin de comprendre les causes de cet absentéisme.

8) Mme D______ a rencontré M. A______ le 7 octobre 2020, et différents collaborateurs de la DG-DERI à partir du 14 octobre 2020.

9) Le 20 octobre 2020, Mme D______ a remis au directeur général de l'OPE un rapport intermédiaire avec la remarque suivante en page 3 : « Au vu de mon expérience professionnelle et prenant en considération l'extrême gravité des propos recueillis au cours de dix-huit entretiens, des risques encourus par les collaborateurs et des issues fatales craintes par plus de la moitié d'entre eux, j'ai pris, en pleine conscience, la décision d'en informer mon mandant, [le] directeur général de l'OPE (...) ».

10) Le 27 octobre au soir a eu lieu une rencontre entre Mme D______, Madame E______, conseillère d'État en charge du département des finances et notamment de l'OPE, Monsieur F______, directeur général de l'OPE, et M. A______, afin que la première nommée présente son rapport, ses constatations et ses conclusions notamment à M. A______. Ce dernier a reçu une copie dudit rapport, qu'il a gardée jusqu'au lendemain.

11) Le 28 octobre 2020, lors de la séance hebdomadaire du Conseil d'État, Mme D______ a présenté son rapport en compagnie de M. F______. Ce point a fait l'objet d'une discussion à laquelle M. A______ a pris part.

Après délibération, le Conseil d'État a adopté un extrait de procès-verbal ainsi qu'un arrêté de répartition provisoire des départements entre les membres du Conseil d'État. Il résulte de cet arrêté, publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 29 octobre 2020, que M. A______ n'est plus titulaire d'aucun département, ne demeurant plus que suppléant du département de la cohésion sociale (ci-après : DCS). Ledit arrêté indique à son art. 3 qu'il « entre en vigueur immédiatement et a effet jusqu'à nouvelle décision du Conseil d'État. Il est exécutoire nonobstant recours ». M. A______ a fait noter au procès-verbal son opposition à l'adoption de l'extrait de procès-verbal et de l'arrêté.

Le point presse du Conseil d'État du 28 octobre 2020 contient un point intitulé « S'appuyant sur les premières conclusions d'une expertise externe de ressources humaines, le Conseil d'État transfère provisoirement la responsabilité du DDE de M. A______ à Mme E______ ».

12) Le 1er novembre 2020, M. A______ a fait parvenir au Conseil d'État - qui l'a reçue le 5 novembre 2020 - sa lettre de démission, selon laquelle celle-ci prendrait effet le jour de la prestation de serment de la personne qui lui succéderait au sein du Conseil d'État.

13) Par acte posté le 9 novembre et reçu le 13 novembre 2020, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre « la décision du Conseil d'État du 28 octobre 2020 [lui] retirant la responsabilité du DDE », concluant préalablement à ce que l'effet suspensif au recours soit constaté et subsidiairement restitué, et principalement au constat de la nullité de la décision attaquée, subsidiairement à son annulation, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Il a joint en tant que décision attaquée un tirage du point presse du Conseil d'État du 28 octobre 2020, et a déclaré n'avoir « reçu aucune décision motivée à cet égard ».

Le point presse joint était la seule matérialisation de la décision attaquée, et constituait bien une décision selon une jurisprudence rendue par le Tribunal cantonal neuchâtelois dans un arrêt « confirmé par le Tribunal fédéral ». De ce fait, l'effet suspensif était attaché au recours ex lege, ce qu'il y avait lieu de « notifier » au Conseil d'État. En tant que de besoin, l'effet suspensif au recours devait être restitué, le recours étant manifestement bien fondé au vu des graves violations des droits procéduraux que consacrait la décision attaquée. L'intérêt au respect du vote populaire et au respect de son intérêt privé devaient primer les « bricolages » du Conseil d'État, menés en dehors de tout cadre légal.

14) Le 11 novembre 2020, le Conseil d'État a fixé la date du premier tour de l'élection complémentaire au 7 mars 2021 et celle du second tour au 28 mars 2021.

15) Le 12 novembre 2020, Mme D______ a rendu son rapport définitif. Celui-ci compile les entretiens menés avec seize personnes supplémentaires, et confirme les conclusions du rapport intermédiaire.

16) Le 23 novembre 2020, le Conseil d'État a conclu au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif, et à l'irrecevabilité du recours sur le fond, subsidiairement à son rejet.

Le recours ne pouvait déployer d'effet suspensif ex lege, celui-ci ayant été retiré par l'arrêté du 28 octobre 2020. Si l'objet du litige était le point presse du 28 octobre 2020, il était irrecevable car il ne s'agissait pas d'un acte attaquable. S'il était dirigé contre l'arrêté du 28 octobre 2020 - et que ce dernier ne constitue pas un acte d'organisation interne -, il s'agirait d'une décision incidente, et les conditions d'application de l'art. 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) n'étaient pas remplies.

Les intérêts de M. A______ n'étaient pas gravement menacés. Le DDE existait toujours, et M. A______ pouvait le cas échéant en reprendre la présidence suivant les circonstances. S'agissant du respect du vote populaire, les circonstances avaient passablement changé depuis l'élection du printemps 2018 ; M. A______ avait notamment démissionné et s'était déclaré candidat à sa propre succession. Il continuait à siéger aux séances du Conseil d'État et à participer aux prises de décision au même titre que ses pairs.

Restituer l'effet suspensif reviendrait à lui octroyer ses conclusions au fond, en anticipant l'issue du litige. En outre, les chances de succès du recours n'étaient pas manifestes, le droit d'être entendu ayant le cas échéant été respecté tant lors de la rencontre du 27 octobre 2020 que de la séance du Conseil d'État du 28 octobre 2020, où M. A______ avait pu faire valoir ses arguments oralement.

17) Le 30 novembre 2020, M. A______ a persisté dans ses conclusions concernant l'effet suspensif.

Il avait bien fait l'objet d'une décision individuelle et concrète le concernant le 28 octobre 2020, qui avait été « maquillée » en arrêté de réorganisation des départements du Conseil d'État. Cet arrêté était en fait un acte d'exécution de ladite décision, du moins à son égard, si bien que le fait qu'il ait été déclaré exécutoire nonobstant recours n'avait aucune portée. Cette mesure le touchait directement, le privant de ses droits procéduraux, de ses droits d'élu, et il avait le droit, fondé sur l'art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), d'en obtenir le contrôle judiciaire.

Le principe de la proportionnalité n'avait pas été respecté, dès lors que des mesures moins incisives auraient été envisageables, et que la pesée d'intérêts opérée par le Conseil d'État n'était pas défendable.

18) Le 3 décembre 2020, M. A______ a transmis à la chambre administrative un courrier que lui a adressé le Conseil d'État le 2 décembre 2020, selon lequel une expertise plus approfondie sur le fonctionnement du DDE allait être ordonnée et mise en oeuvre à bref délai, avec pour objet l'examen du fonctionnement du DDE de janvier 2019 à ce jour, et la détermination des facteurs ayant conduit au diagnostic matérialisé par le rapport de Mme D______. Il était invité à faire valoir ses observations écrites au plus tard le 7 décembre 2020 à 12h00.

19) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Les décisions sur mesures provisionnelles sont prises par le président ou le vice-président de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 LPA et art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

2) Aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3).

3) L'autorité peut d'office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

4) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) - ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu'aboutir abusivement à rendre d'emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

5) L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

6) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l'absence d'exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

7) Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu'un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

8) En l'espèce, l'acte attaqué ne peut, à première vue, être que l'arrêté du 28 octobre 2020 de répartition provisoire des départements entre les membres du Conseil d'État. On ne peut a priori souscrire à la théorie développée par le recourant, selon laquelle il existerait une décision « immatérielle » et non écrite dont l'arrêté en question ne serait qu'une mesure d'exécution. Dès lors, il ne saurait être question de constater que le recours déploie un effet suspensif ex lege, seule une restitution dudit effet suspensif pouvant s'envisager.

À cet égard, il y a lieu de constater que prima facie, le recours pose au moins deux questions mettant en cause sa recevabilité. La chambre de céans devra tout d'abord déterminer si l'acte attaqué constitue bien une décision, et non pas un acte d'organisation interne, auquel cas le recours serait irrecevable (art. 2 let. a LPA ; ATF 136 I 323 consid. 4.4). De plus, dans la mesure où la nouvelle répartition des départements affectant éventuellement le recourant est provisoire, il s'agirait dans ce cas d'une décision incidente, auquel cas les conditions de l'art. 57 LPA devraient être remplies pour pouvoir entrer en matière, ce qui n'est pas d'emblée évident. Sur le premier de ces points, l'arrêt du Tribunal cantonal neuchâtelois, cité par le recourant ne peut être décrit comme ayant été « confirmé » par le Tribunal fédéral, ce dernier n'ayant pas examiné le fond de l'affaire. En outre, les circonstances diffèrent quelque peu, dans la mesure d'une part où dans le cas neuchâtelois la « décision » n'avait pas de caractère provisoire, et d'autre part où en l'espèce, le transfert, de loin le plus important en proportion, des services présidés par le recourant a eu lieu non pas le 28 octobre 2020, mais en janvier 2019, et que cette dernière répartition n'avait à l'époque pas été contestée. Quant au caractère provisoire de l'acte attaqué, allié au fait que le recourant conserve sa place au sein du Conseil d'État s'agissant des décisions collégiales, ils diminuent fortement le caractère irréparable d'un éventuel dommage, et plus généralement l'intérêt privé du recourant à la restitution de l'effet suspensif.

De plus, quand bien même en cas de recevabilité du recours les éventuelles violations des droits procéduraux du recourant devront être examinées, il y a lieu de constater qu'à première vue, le déplacement des collaborateurs du DDE sous la présidence d'un autre membre du Conseil d'État se fonde sur des considérations objectives liées à la protection de leur santé et de leur personnalité ainsi que sur l'urgence, quand bien même le rapport de la consultante externe sur lequel s'est fondé l'intimé n'était pas encore définitif fin octobre.

Enfin, comme l'a relevé l'intimé, restituer l'effet suspensif reviendrait à octroyer au recourant à titre provisoire ses conclusions au fond, en anticipant l'issue du litige, ce qui est en principe prohibé.

On doit dès lors considérer que les chances de succès apparaissent prima facie insuffisantes pour restituer l'effet suspensif au recours, et que l'intérêt privé du recourant à une telle restitution n'apparaît pas non plus prépondérant, si bien que ladite restitution sera refusée.

9) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête en mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Yaël Hayat, avocate du recourant ainsi qu'au Conseil d'État.

 

 

La présidente :

 

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :