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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1847/2020

ATA/850/2020 du 01.09.2020 ( MARPU ) , REJETE

Parties : SERVICE DÉPANNAGE GENÈVE SA / DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES DE L'ETAT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1847/2020-MARPU ATA/850/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er septembre 2020

 

dans la cause

 

SERVICE DÉPANNAGE GENÈVE SA
représentée par Me Jacques Roulet, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES DE L'ÉTAT



EN FAIT

1) Service Dépannage Genève SA (ci-après : SDG) est une société inscrite au registre du commerce de Genève, qui poursuit sous cette raison sociale depuis 2002 le but social de « service de dépannage d'automobiles à l'enseigne 'SDG' », devenu en 2013 « service de dépannage d'automobiles et prestations de services en rapport avec cette activité ». Elle a pour administrateurs Messieurs Steeve et John CHATELANAT.

2) SDG était liée à la centrale commune d'achats (ci-après : CCA) auprès de la direction générale des finances du département des finances et des ressources humaines de l'État de Genève par un contrat n° 2018/118 portant sur une prestation d'enlèvement de véhicules.

3) Par courriel du 23 janvier 2020 à 13h40 adressé à tous ses partenaires en matière d'enlèvement de véhicules, dont chatelanat.sa@bluewin.ch, la CCA avait confirmé la communication du capitaine de police CRETTENAND du 21 janvier 2020 qui les informait d'une résiliation des contrats au 30 avril 2020 et du lancement d'un nouvel appel d'offres public. Afin d'assurer la continuité des prestations pendant la durée de la procédure d'appel d'offres, les partenaires étaient sollicités pour prolonger le contrat pour trois mois à sa première échéance, soit jusqu'au 31 juillet 2020. Les partenaires étaient invités à se déterminer au
27 janvier 2020 à 17h00 de manière qu'un avenant puisse leur être adressé. Faute de réponse ou en cas de réponse négative, le contrat serait résilié au 30 avril 2020.

4) Le contrat n° 2018/118 avait fait l'objet d'un avenant n° 1 que la CCA avait signé le 30 janvier 2020, et qui, compte tenu qu'une procédure d'appel d'offres allait être lancée prochainement et que l'avenant avait pour but de modifier les dispositions de reconduction du contrat n° 2018/118 et de prolonger les relations contractuelles entre les parties (art. 1), stipulait que les relations contractuelles entre les parties étaient prolongées pour une nouvelle période de trois mois, soit jusqu'au 31 juillet 2020. À cette échéance, le contrat serait prolongé tacitement de mois en mois, selon l'avancement de la procédure d'appel d'offres, sauf résiliation adressée au fournisseur un mois à l'avance pour la prochaine échéance contractuelle (art. 2).

5) La CCA a publié le 2 avril 2020 sur le site www.simap.ch et sous le numéro d'annonce 1128277 un appel d'offres en procédure ouverte, non soumis à l'accord GATT-OMC, respectivement aux accords internationaux, portant sur une prestation d'enlèvement de véhicules sur la voie publique et leur garde, répartie en neuf lots.

Les contrats seraient conclus pour une durée initiale de deux ans, renouvelable tacitement d'année en année jusqu'à une durée totale maximale de cinq ans.

Au chiffre 1.4, la publication indiquait un délai de clôture au 18 mai 2020 à midi et précisait qu'aucun délai supplémentaire ne serait accordé.

6) À la date limite du 18 mai 2020, SDG n'avait pas déposé d'offre.

7) Le 28 mai 2020, M. John CHATELANAT s'est adressé par courriel à la cheffe de la police.

La soumission était échue la semaine précédente, sans qu'il en ait eu connaissance.

Avec la situation depuis le 16 mars 2020, il s'était affairé à maintenir ses sociétés à flot en essayant de ne pas faire appel à l'État pour garder tous ses collaborateurs.

L'échéancier qu'il s'était fixé pour traiter la soumission correspondait à la date figurant sur l'avenant numéro un, qu'il avait signé le 30 janvier 2020, et qui stipulait que le contrat était prolongé pour trois mois, soit jusqu'au 31 juillet 2020.

Sa société était au service de l'État de Genève en qualité de dépanneur officiel depuis 1956, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, jours fériés et week-ends compris. Il n'imaginait pas cesser une collaboration vieille de plus de soixante ans et souhaitait que lui soit donnée la possibilité de renouveler sa candidature avant l'adjudication et malgré le dépassement de délai.

Le même texte a été adressé à la cheffe de la police par courrier du 28 mai 2020.

8) Par courriel du 4 juin 2020, la chancellerie de la police a indiqué à M. John CHATELANAT que la commandante de la police, si elle comprenait tout à fait les difficultés auxquelles son entreprise avait dû faire face, notamment concernant la poursuite des prestations d'enlèvement de véhicules, tout en restant attentif aux délais pour l'adjudication des marchés publics, n'était pas en mesure de donner suite à sa requête pour des questions de compétence. M. John CHATELANAT était invité à s'adresser à la CCA.

9) Le même jour, M. John CHATELANAT a transmis l'échange de correspondance au département des finances.

10) Par courrier du 15 juin 2020, la CCA a répondu que le droit des marchés publics était formaliste, et qu'il ne lui était pas possible d'intégrer dans la procédure d'appel d'offres en cours une offre de SDG déposée postérieurement à la date limite fixée pour le dépôt des offres.

Procéder ainsi constituerait une violation grave en tout cas des principes d'égalité de traitement et de non-discrimination entre les soumissionnaires, et reviendrait à privilégier SDG.

L'appel d'offres dont SDG n'avait pas observé le délai faisait suite à un précédent appel d'offres, publié le 5 juillet 2017 sur la plate-forme simap.ch, lequel avait abouti à plusieurs adjudications, dont à SDG.

11) Par acte remis à la poste le 26 juin 2020, SDG a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de la CCA du 15 juin 2020, concluant à son annulation et à ce qu'il soit constaté que l'offre de SDG était recevable, et ordonné qu'elle soit intégrée à la procédure d'adjudication en cours. À titre préalable, l'effet suspensif devait être octroyé au recours et la suspension de la procédure d'adjudication relative à l'appel d'offres devait être ordonnée. Il devait être procédé à l'audition de Messieurs John et Steeve CHATELENAT et de leur mère, Madame Monique CHATELANAT.

Le 28 février 2020, le Conseil fédéral avait décrété des mesures en application de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l'homme du 28 septembre 2012 (loi sur les épidémies - LEp - RS 818.101) pour endiguer la propagation du coronavirus. Le 16 mars 2020, le Conseil fédéral avait décrété une situation extraordinaire et ordonné la fermeture de nombreux établissements, manifestations et services privés et publics, et invité les personnes à risque, soit les personnes de plus de soixante-cinq ans, à rester chez elles et éviter les regroupements. Le 16 mars 2020, le canton de Genève avait décrété l'état de nécessité. Dès cette date et pendant plus de deux mois, la Suisse entière, et en premier lieu les services de l'État, avaient été mis à l'arrêt. Le 27 mars 2020, le Conseil d'État genevois avait édicté un arrêté prévoyant un report automatique de tous les délais fixés par les autorités administratives jusqu'au 15 mai 2020. D'autres cantons étaient allés plus loin que le Conseil fédéral et avaient ordonné le gel ou le report d'une partie de l'activité administrative.

Mme Monique CHATELANAT, mère des administrateurs, et qui était chargée de la gestion des aspects administratifs de la recourante, s'était confinée à domicile, en application des directives cantonales. Elle ne disposait pas d'ordinateur chez elle, mais l'activité purement administrative de la société était quoi qu'il en soit mise au second plan, afin de prioriser les mesures d'aménagement nécessaires à la survie de la société.

Il n'y avait donc manifestement aucune urgence à ce qu'une nouvelle procédure d'adjudication soit lancée en pleine pandémie.

Or, le 2 avril 2020, la CCA avait lancé un appel d'offres sur le site simap.

Ni Mme CHATELANAT ni aucun des administrateurs de SDG, qui rendait pourtant des services à l'État depuis plus de soixante ans, et était alors liée par un contrat, n'avaient été informés, pas même par courriel ou simple appel téléphonique.

Ce n'était que le 28 mai 2020 que Mme CHATELANAT, qui n'avait aucun moyen d'en avoir connaissance jusque-là, avait appris fortuitement l'existence de l'appel d'offres précité dont le délai pour le dépôt était échu.

À cette date, aucune résiliation n'avait été annoncée par l'État.

Son fils, M. John CHATELANAT, avait alors aussitôt écrit à la commandante de la police, qui avait montré de la compréhension pour sa situation et s'était déclarée reconnaissante pour la qualité des prestations fournies et le rôle de référent de SDG en termes de collaboration avec l'État.

La CCA avait également reconnu que les services de police appréciaient la qualité des prestations de la recourante ainsi que son rôle de référent.

Selon l'art. 16 al. 3 LPA, la restitution pour inobservation d'un délai imparti par l'autorité pouvait être accordée si le requérant avait été empêché sans sa faute d'agir dans le délai fixé.

Le principe de la bonne foi entre administration et administrés exigeait que l'un et l'autre se comportent réciproquement de manière loyale. L'administré devait pouvoir se fier aux assurances et aux attentes créées par le comportement de l'administration.

La recourante avait manifestement été empêchée sans sa faute de respecter le délai fixé de manière totalement inattendue par l'autorité intimée.

L'admission de la requête de la recourante ne créerait pas d'inégalité de traitement dans le cas d'espèce, la recourante ayant disposé de trente-deux jours depuis la connaissance de l'appel d'offres, et les autres soumissionnaires de quarante-six jours.

La décision de refus contrevenait en tout état au principe de la bonne foi. La recourante pouvait de bonne foi présumer que la procédure d'appel d'offres ne serait pas lancée en pleine pandémie mondiale, de surcroît sans recevoir le moindre avertissement, ne serait-ce que par courriel ou téléphone.

En l'espèce, l'adjudication n'avait aucune urgence et l'autorité devait soit s'abstenir de lancer la procédure, soit avertir qu'elle s'écartait de la pratique uniforme qui prévalait alors, et aviser à tout le moins les fournisseurs alors sous contrat.

12) Par courrier recommandé du 29 juin 2020, la chambre administrative a fait défense à la CCA de conclure le contrat d'exécution de l'offre jusqu'à droit jugé sur la requête en octroi de l'effet suspensif.

13) Le 10 juillet 2020, la CCA s'est opposée à l'octroi de l'effet suspensif.

La CCA s'était assurée, avant de publier l'appel d'offres, que les attestations demandées dans le cadre de la procédure pouvaient effectivement être délivrées par les autorités compétentes, ce qui était le cas.

L'ouverture des offres avait eu lieu le 19 mai 2020, conformément au dossier d'appel d'offres. Sept offres au total avaient été déposées dans le délai, comprenant six prestataires actuels et un nouveau prestataire.

La recourante avait été informée le 23 janvier 2020 de la volonté de la CCA de relancer un nouvel appel d'offres public dans les plus brefs délais. Elle devait ainsi veiller à consulter le site simap.

La situation Covid-19 ne pouvait être retenue comme un cas de force majeure qui avait empêché la recourante de connaître la publication et de déposer son offre dans le délai imparti.

Si certains services de l'État avaient dû fermer, ce n'était pas le cas de tous les services et encore moins de toute l'activité de l'État. La CCA avait toujours fonctionné, bien qu'avec une autre organisation. Il n'y avait pas eu à Genève d'arrêté spécifique suspendant toutes les procédures de marchés publics, de sorte qu'il n'y avait pas lieu de mettre en veille la procédure de marché public litigieuse. Aucun comportement contradictoire ne pouvait être reproché à l'intimée.

Dès lors que la recourante pouvait consulter le site simap, et que la CCA n'avait pas les moyens de constater qu'elle ne le faisait pas, celle-ci n'avait aucune obligation de l'informer. Le grief de violation du principe de la bonne foi n'était pas fondé.

Le recours avait peu de chances de succès et la demande en octroi d'effet suspensif devait être rejetée.

14) Le site simap, consulté le 10 juillet 2020, a montré qu'un grand nombre de publications ont continué d'avoir lieu durant la pandémie, dont plus de six cents, entre le 15 mars et le 15 mai 2020, portaient sur des appels d'offre de la Confédération et des cantons, et impartissaient régulièrement des délais de soumission échéant en mars, avril et mai 2020.

15) Par décision du 10 juillet 2020, la présidente de la chambre administrative a refusé de restituer l'effet suspensif au recours et levé l'interdiction de conclure le contrat d'exécution prononcée le 29 juin 2020.

16) Le 20 juillet 2020, SDG a recouru au Tribunal fédéral contre la décision du 10 juillet 2020, et réclamé l'octroi de l'effet suspensif à son recours.

17) Par ordonnance du 6 août 2020 rendue dans la procédure 2D_31/2020, le président de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a rejeté la requête d'effet suspensif.

Les chances de succès des griefs exposés par la recourante n'étaient pas à ce point manifestes qu'il fallait conclure avec une grande vraisemblance que le recours devrait être admis.

18) Le 7 août 2020, la CCA s'est opposée au recours sur le fond.

Il ressortait des explications de la recourante que celle-ci n'avait pas prévu de consulter la plate-forme simap avant le début de l'été, alors même qu'elle avait été informée en janvier 2020 qu'une nouvelle procédure de marchés publics serait prochainement lancée, ce que rappelait d'ailleurs l'avenant.

L'omission de consulter le site n'était pas due à un événement extérieur qui s'était imposé à la recourante. Aucun cas de force majeure ni aucun empêchement ne pouvait être retenu. Pas plus la réorganisation de la recourante ne
constituait-elle un argument valable pour excuser la non-consultation du site simap sur internet. On ne pouvait, par ailleurs, reprocher à l'intimée de n'avoir pas informé directement la recourante de la parution du marché sur le site simap. Le refus par l'intimée de restituer le délai était ainsi justifié. L'intimée relevait encore que les autres soumissionnaires avaient traversé la même période troublée mais avaient pu déposer leurs offres à temps, et qu'elle avait elle-même lancé plusieurs procédures d'appel d'offres entre début février et fin avril 2020 et qu'aucune entreprise ne s'était plainte de n'avoir pu déposer son offre à temps.

19) Le 21 août 2020 la recourante a répliqué et persisté dans ses conclusions.

La poursuite des publications sur le site simap s'inscrivait en porte-à-faux avec le reste de l'activité étatique, qui avait été arrêtée, ou ralentie. L'intimée n'avait indiqué aucune date pour la procédure d'appel d'offres et elle ne pouvait soutenir qu'une adjudication prévisible en juillet 2020 devait conduire la recourante à anticiper une publication.

Le principe de la bonne foi imposait à l'intimée, dans les circonstances du cas d'espèce, soit de s'abstenir de lancer la procédure litigieuse, soit d'avertir de son intention de s'écarter d'une pratique étatique uniforme.

20) Le 24 août 2020, la cause a été gardée à juger sur le fond, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 15 al. 1 al. 1bis let. d et al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ;
art. 3 al. 1 de la loi du 12 juin 1997 autorisant le Conseil d'État à adhérer à
l'AIMP ; art. 55 let. c et 56 al. 1 RMP ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. La qualité pour recourir en matière de marchés publics se définit en fonction des critères de l'art. 60 al. 1 let. a et b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), applicable sur renvoi de l'art. 3 al. 4 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0). Elle appartient aux parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée, chacune de celles-ci devant néanmoins être touchée directement par la décision et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Tel est le cas de celle à laquelle la décision attaquée apporte des inconvénients qui pourraient être évités grâce au succès du recours, qu'il s'agisse d'intérêts juridiques ou de simples intérêts de fait (ATA/1019/2018 du 2 octobre 2018 consid. 3a et les références citées).

b. En matière de marchés publics, l'intérêt actuel du soumissionnaire évincé est évident tant que le contrat n'est pas encore conclu entre le pouvoir adjudicateur et l'adjudicataire, car le recours lui permet d'obtenir la correction de la violation commise et la reprise du processus de passation.

Mais il y a lieu d'admettre qu'un soumissionnaire évincé a aussi un intérêt actuel au recours lorsque le contrat est déjà conclu avec l'adjudicataire, voire exécuté, car il doit pouvoir obtenir une constatation d'illicéité de la décision pour pouvoir agir en dommages-intérêts (art. 18 al. 2 AIMP ; art. 3 al. 3 L-AIMP ;
ATF 137 II 313 consid. 1.2.2 ; ATA/516/2018 du 29 mai 2018 consid. 2b). Il dispose d'un intérêt juridique lorsqu'il avait, avant la conclusion du contrat des chances raisonnables de se voir attribuer le marché en cas d'admission de son recours (ATF 141 II 14 consid. 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_203/2014 du
9 mai 2015 consid. 2.1). Cet intérêt existe notamment lorsque le soumissionnaire évincé avait été classé au deuxième rang derrière l'adjudicataire et qu'il aurait, en cas d'admission de son recours, disposé d'une réelle chance d'obtenir le marché (ATF 141 II 14 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_39/2014 du 26 juillet 2014 consid. 1.1 et 2C_346/2013 du 20 janvier 2014 consid. 1.4.1).

c. La situation du soumissionnaire écarté pour cause de tardiveté peut être comparée à ces cas, et un intérêt actuel à recourir contre son exclusion pour être réintégré dans l'évaluation doit lui être reconnu (ATA/1191/2019 du 30 juillet 2019 ; ATA/454/2017 du 25 avril 2017).

3) La recourante sollicite l'audition de MM. John et Steeve CHATELENAT et de leur mère, Mme Monique CHATELANAT.

a. Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour la personne concernée de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision et de participer à l'administration des preuves (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 129 II 497 consid. 2.2). Ce droit n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 136 I 229 consid. 5.2). Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; arrêt Tribunal fédéral 2D_51/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1) ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; ATA/1576/2019 du 29 octobre 2019 consid. 4a).

b. En l'espèce, les auditions sollicitées n'apparaissent pas utiles à la résolution du litige. Les éléments figurant au dossier ainsi que les arguments développés par les parties permettent à la chambre de céans de trancher le litige en toute connaissance de cause.

Il ne sera donc pas donné suite à la demande d'auditions.

4) Est litigieuse la question de savoir si la recourante devait être admise à déposer une offre tardive.

La recourante soutient s'être trouvée dans un cas de force majeure dû à la pandémie, et avoir pensé de bonne foi que la procédure ne serait pas lancée durant celle-ci, l'activité de l'État étant arrêtée ou ralentie. L'intimée aurait selon elle agi de mauvaise foi en lançant l'appel d'offres sans informer directement les participants.

5) a. L'AIMP poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3
let. c AIMP) et permettre l'utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1
al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés dans toutes les phases de la procédure (art. 16 al. 2 RMP).

Comme la chambre administrative l'a rappelé à plusieurs reprises, le droit des marchés publics est formaliste. L'autorité adjudicatrice doit procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme (ATA/1815/2019 du 17 décembre 2019 consid. 3b ; ATA/794/2018 du 7 août 2018 consid. 3b et les références citées), qui permet de protéger notamment le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires.

b. L'art. 42 RMP a trait à l'exclusion de la procédure. Ainsi, l'offre est écartée d'office notamment lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive (ATA/524/2011 du 30 août 2011 consid. 5), incomplète ou non-conforme aux exigences ou au cahier des charges (al. 1 let. a) ou n'a pas justifié les prix d'une offre anormalement basse, conformément à l'art. 41 RMP (al. 1 let. e). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L'autorité adjudicatrice rend une décision d'exclusion motivée, notifiée par courrier à l'intéressé, avec mention des voies de recours (al. 3). Ces conséquences rigoureuses découlent de l'application des principes à la fois d'égalité de traitement entre concurrents et de transparence (ATA/448/2020 du 7 mai 2020 consid. 5 ; ATA/307/2019 du 26 mars 2019 consid. 4).

c. L'interdiction du formalisme excessif, tirée de la garantie à un traitement équitable des administrés énoncée à l'art. 29 Cst., interdit d'exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité. C'est dans ce sens que des erreurs évidentes de calcul et d'écriture peuvent être rectifiées (art. 39 al. 2 1ère phr. RMP) et que des explications peuvent être demandées aux soumissionnaires relatives à leurs aptitudes et à leurs offres (art. 40 et 41 RMP).

d. Les cas de force majeure, qui constituent une institution générale du droit justifiant une prolongation du délai, sont interprétés restrictivement. Tombent sous cette notion les évènements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé, qui s'imposent à lui de façon irrésistible et ne sont pas imputables à une faute de l'administré (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 288-290). Ne constituent par exemple pas des cas de force majeure : les motifs d'organisation interne à l'appui d'un retard dans l'accomplissement d'un acte (ATA/105/2010 du 16 février 2010, consid. 4) ; un état de santé déficient au moment de la notification de la décision (ATA/212/2014 du 1er avril 2014, consid. 6) ; une absence du canton, même pour plusieurs semaines (ATA/629/2013 du 24 septembre 2013, consid. 11 ; ATA/698/2014 du 2 septembre 2014, consid. 5) ; une erreur de calcul du délai (ATA/1051/2017 du 4 juillet 2017, consid. 4) ; des pertes de données dans l'agenda informatique du mandataire, même sans négligence de sa part, car il s'agit d'un défaut d'entretien ou de surveillance (ATA/222/2007 du 8 mai 2007, consid. 3).

e. En droit public, le principe de la bonne foi est explicitement consacré par l'art. 5 al. 3 Cst., en vertu duquel les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi (ATF 144 II 49 consid. 2.2 p. 52). De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l'État, consacré à l'art. 9 in fine Cst. (ATF 138 I 49 consid. 8.3.1). Les organes de l'Etat et les particuliers doivent en effet s'abstenir d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2) et doivent adopter un comportement loyal et digne de confiance dans les actes avec autrui.

Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l'administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l'autorité soit intervenue dans une situation concrète à l'égard de personnes déterminées, (2) qu'elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l'administré n'ait pas pu se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) qu'il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (5) que la réglementation n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (ATF 141 V 530 consid. 6.2 et les références citées).

6) En l'espèce, il est apparu que le site simap avait continué de publier des appels d'offres durant la période considérée. L'intimée a elle-même continué de publier des appels d'offre.

De manière plus générale, l'activité de l'État a certes été ralentie par la pandémie, mais elle s'est poursuivie dans presque tous les domaines, et les administrés, particuliers ou entreprises, ont continué d'adresser des demandes à, et de recevoir des réponses de l'administration publique.

Lorsque des mesures exceptionnelles ont été édictées, c'était expressément, sur des sujets délimités, comme par exemple la prolongation des suspensions judiciaires jusqu'au 19 avril 2020 inclus, et c'était dans cet exemple pour « assurer le maintien de la justice » en lien avec le coronavirus (Ordonnance du Conseil fédéral du 20 mars 2020 sur la suspension des délais pour les procédures civiles et administratives pour assurer le maintien de la justice en lien avec le coronavirus [COVID-19]), et non pour en suspendre le fonctionnement.

Cela étant, la suspension des délais fixés par la loi ou l'autorité en procédure administrative ne s'applique pas aux procédures en matière de marchés publics (art. 63 al. 2 let. b LPA).

La recourante ne pouvait ignorer ces mesures et leur portée, dont les media s'étaient largement fait l'écho.

Par comparaison, les sept concurrents de la recourante ont tous déposé leurs offres pour le marché litigieux dans le délai imparti par la publication de la CCA.

La CCA explique avoir elle-même publié d'autres marchés publics durant la même période et n'avoir enregistré aucune autre plainte d'un concurrent qui n'aurait pu déposer son offre à temps.

La recourante, qui avait reçu le courriel du 23 janvier 2020 du capitaine de police CRETTENAND, devait s'attendre à ce qu'un marché public soit publié sur le site simap au printemps 2020.

S'agissant des prolongations des contrats en cours, elles étaient, de manière univoque, proposées par la CCA puis conclues pour assurer la continuité durant la procédure d'appel d'offres, et la recourante ne saurait soutenir qu'elle avait compris de bonne foi que l'avenant sur la prolongation ajournait sine die, ou en tout cas jusqu'au début de l'été 2020, la publication de l'appel d'offres. Au contraire, la prolongation des contrats à trois mois dès leur première échéance, soit jusqu'au 31 juillet 2020, suggérait qu'une attribution aurait alors pu avoir lieu, et partant que la procédure de soumission se déroulerait entre le printemps et le début de l'été 2020, ce qui devait susciter la vigilance de la recourante.

Si la pandémie n'a pas constitué pour les concurrents de la recourante un obstacle à la planification, à la préparation et au dépôt de leurs offres dans le délai imparti, elle ne semble pas non plus avoir constitué pour la recourante un obstacle à la préparation et au dépôt d'une offre, puisqu'en s'adressant le 28 mai 2020 à la CCA une fois découverte l'ignorance et l'inobservation du délai, la recourante a demandé à pouvoir présenter une offre, ce qui suggère qu'elle disposait à l'époque de l'organisation et des moyens nécessaires.

Il apparaît en définitive que la recourante n'a pas organisé son activité de manière à consulter régulièrement le site simap. La recourante ne démontre pas que la pandémie et les mesures sanitaires l'auraient empêchée de s'organiser pour assurer la surveillance des marchés publics, en pourvoyant par exemple la mère des administrateurs d'un ordinateur connecté ou en déléguant la tâche de surveillance à un administrateur ou à un tiers. La recourante est seule responsable de cette carence, et ne pouvait invoquer un cas de force majeure, soit un évènement extraordinaire et imprévisible qui serait survenu en dehors de sa sphère d'activité.

Pas plus, la recourante ne pouvait invoquer une obligation accrue de notification ou d'information à charge de l'intimée, allant au-delà de la publication sur le site simap.

L'intimée n'avait pour le surplus fourni aucun renseignement erroné, pris aucun engagement, donné aucune assurance ni formulé aucune promesse qui l'aurait liée sous l'angle de la bonne foi.

Aucun comportement ni aucune attitude déloyale ne peut être reprochée à l'intimée.

C'est ainsi sans excès ni abus de son pouvoir d'appréciation que la CCA a exclu la recourante du marché pour cause de tardiveté, nié que celle-ci puisse se prévaloir d'un cas de force majeure et refusé d'intégrer une offre de sa part dans la procédure en cours.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

7) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 juin 2020 par Service Dépannage Genève SA contre la décision de la direction générale des finances de l'État du 15 juin 2020 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Service Dépannage Genève SA un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n'est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s'il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat de la recourante, ainsi qu'à la direction générale des finances de l'État.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory,
Mme Lauber, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :