Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1055/2020

ATA/836/2020 du 01.09.2020 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1055/2020-FPUBL ATA/836/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er septembre 2020

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Milos Blagojevic, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ a été engagé le 1er septembre 2004 en tant que maître en formation dans l'enseignement général. Le 1er septembre 2007, il a été nommé fonctionnaire.

Il enseigne actuellement en qualité de maître d'enseignement général au cycle d'orientation B______.

2) Les évaluations effectuées depuis 2007 ont toutes été positives.

3) Lors d'un contrôle standard réalisé le 8 novembre 2019 par le « service école médias » (ci-après : SEM), un fichier vidéo dont le titre laissait à penser à un contenu pornographique a été détecté dans l'espace de stockage des applications collaboratives pour l'enseignement « eduge.ch ». Le fichier était déposé dans l'espace de stockage personnel de M. A______. Deux cents autres vidéos téléchargées entre les 23 juillet et 9 septembre 2019 y étaient stockées. La très grande majorité de ces vidéos avait un contenu pornographique. Certaines étaient des vidéos commerciales mettant en scène des femmes se donnant des airs d'adolescentes (« teenagers ») ou d'écolières (« schoolgirls »). D'autres correspondaient à des copies et sauvegardes de vidéos privées. Une minorité de vidéos était destinée à un usage professionnel.

Selon le listing établi par le SEM, une vingtaine de fichiers intitulés « minuscule_DVD » a été transférée le 23 juillet 2019 sur l'espace de stockage précité. Entre le 1er et le 9 septembre 2019, environ 130 visionnements de fichiers dont l'intitulé fait référence à un contenu pornographique ont eu lieu. Ces visionnements ont eu lieu les 1, 2, 4, 7, 8 et 9 septembre 2019, soit le week-end, le mercredi ou le lundi, jours où M. A______ n'enseignait pas. À l'exception du visionnement du 4 septembre 2019, les visionnements effectués les cinq autres jours ont duré plusieurs heures.

4) Par courrier du 26 novembre 2019, M. A______ a été convoqué à un entretien de service visant à l'entendre sur les faits précités. Il était informé que ceux-ci étaient susceptibles de conduire à une sanction disciplinaire.

5) Lors de cet entretien, qui s'est déroulé le 11 décembre 2019, M. A______ a reconnu les faits, à savoir l'utilisation inappropriée du « cloud » mis à disposition des enseignants pour leur travail. Ayant rencontré un problème de stockage sur son ordinateur personnel, il avait « bêtement » utilisé un espace de stockage professionnel, le temps de faire des mises à jour de son ordinateur. Il a admis que les fichiers figurant sur la liste transmise par le SEM n'auraient jamais dû s'y trouver, notamment les fichiers à caractère pornographique et les vidéos et fichiers personnels. Ces documents avaient été mélangés avec des documents professionnels qu'il utilisait au quotidien.

Il n'avait jamais utilisé ni visionné les fichiers incriminés dans le cadre de son activité professionnelle, relevant qu'il ne s'agissait pas de documents illégaux. Il avait pris la décision de ne rien effacer tant que la procédure disciplinaire était en cours.

6) M. A______ a indiqué, à réception du procès-verbal de l'entretien de service, qu'il n'avait pas de commentaire à formuler.

7) Par décision du 2 mars 2020, la conseillère d'État en charge du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) a prononcé une sanction de suspension pendant trois ans de l'augmentation de traitement de M. A______.

L'intéressé aurait pu stocker les fichiers incriminés sur un autre support que l'espace de stockage professionnel. Il aurait dû détruire en tout cas les fichiers à contenu pornographique avant de les transférer sur le « cloud » professionnel. Il s'agissait d'un usage inapproprié des outils de communication mis à disposition par l'État. Le contenu des téléchargements ne respectait pas les valeurs représentées par celui-ci ni la dignité attendue de ses représentants au sein du DIP. Ces éléments justifiaient une sanction.

Celle-ci était prononcée en tenant compte de la durée de l'activité (seize ans) de l'intéressé au sein du DIP et de l'absence d'antécédents disciplinaires.

8) Par acte expédié le 31 mars 2020 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), M. A______ a contesté cette sanction. Il a conclu principalement à l'exemption de toute sanction, subsidiairement au prononcé d'un blâme, plus subsidiairement au renvoi du dossier à la conseillère d'État pour nouvelle décision.

Procédant à des mises à jour de son ordinateur personnel, il avait temporairement voulu utiliser le « drive google » comme outil de stockage, mais avait, par erreur, entreposé les fichiers sur le « drive eduge.ch ». Il ne contestait pas que les fichiers litigieux comportaient des vidéos à caractère pornographique. Il s'agissait cependant de pornographie légale. Il ne les avait jamais visionnées pendant les heures de travail ou sur son lieu de travail. Il n'avait plus téléchargé ces fichiers après le 9 septembre 2019.

À aucun moment, lors de l'entretien de service, il n'avait été évoqué que l'affaire pourrait être transmise à la conseillère d'État.

Si une faute devait être retenue à son encontre, la sanction infligée ne respecterait pas le principe de la proportionnalité. Il n'avait utilisé son « cloud » professionnel qu'à des fins de stockage et n'avait visionné les fichiers qu'en dehors de ses heures de travail et jamais sur son lieu de travail. La période d'utilisation dudit « cloud » à des fins privées était brève. Contrairement à l'ATA/653/2011 où la suspension de l'augmentation de traitement avait été jugée trop sévère, il n'avait jamais consulté un site internet à des fins privées sur son lieu de travail et n'avait installé aucun logiciel privé sur son poste de travail.

9) Le DIP a conclu au rejet du recours.

Le stockage des fichiers incriminés ne relevait pas d'une erreur. Le recourant ne l'avait d'ailleurs pas soutenu lors de l'entretien de service. Le changement de version était surprenant. En outre, s'il s'était agi d'une erreur, il aurait pu faire le nécessaire pour effacer les fichiers.

La convocation à l'entretien de service indiquait clairement que les faits pouvaient donner lieu à une sanction, de sorte que le recourant ne pouvait être surpris par le prononcé de celle-ci.

Le téléchargement et le visionnement des images litigieuses n'avaient pas eu lieu pendant les heures de travail. Leur nombre était toutefois élevé et la période de stockage dans l'espace dédié à usage professionnel longue. Le recourant était au courant de l'existence de ces images dans le « cloud » professionnel, puisqu'il les avait visionnées à réitérées reprises, y compris aux mois d'octobre et novembre 2019. Bien que licite, le contenu de ces images ne correspondait absolument pas aux valeurs représentées par l'État, encore moins de la part d'un enseignant dont le devoir d'exemplarité était accru. Le recourant avait favorisé la sauvegarde de documents privés au détriment de ses obligations professionnelles quand bien même il aurait facilement pu retrouver ces vidéos sur internet une fois son ordinateur réparé. Il n'existait aucune raison de conserver sur une aussi longue durée ces éléments sur son espace de stockage professionnel.

10) Lors de l'audience de comparution personnelle, qui s'est tenue le 17 août 2020 devant la chambre de céans, M. A______ a exposé, sans être contredit, que l'espace de stockage « eduge.ch » n'était accessible qu'à lui ; aucun autre enseignant ou élève ne pouvait y accéder. Il avait, en septembre 2019, transféré les fichiers litigieux sur cet espace avant de procéder à des mises à jour de son ordinateur personnel, cherchant ainsi à libérer de la mémoire.

Par la suite, il n'avait plus utilisé le « drive eduge.ch » pour télécharger des fichiers. Du fait de l'application, il était toutefois possible qu'il ait après le 9 septembre 2019 encore visionné des images téléchargées sur le « drive eduge.ch », cependant jamais pendant ses heures de travail ni sur son lieu de travail. Les téléchargements opérés le 23 juillet 2019, intitulés « minuscule_DVD », étaient des films pour enfants destinés à ses enfants.

Tous les fichiers étaient classés dans un seul dossier intitulé « info ». Avec la rentrée scolaire et le travail, il lui était complétement sorti de l'esprit d'enlever ce dossier de fichiers du « drive eduge.ch. »

L'assistante en organisation de l'information auprès du DIP a déclaré qu'elle avait personnellement constaté que les fichiers téléchargés sur le « drive eduge.ch » avaient encore été visionnés en octobre et novembre 2019. De mémoire, il n'y avait eu qu'entre deux et cinq visionnements des fichiers pendant cette période. Il y avait un risque qu'au moment d'ouvrir l'espace de stockage lors d'un cours, des éléments des fichiers litigieux apparaissent. En particulier, lorsque l'on ouvrait cet espace de stockage, le dernier téléchargement effectué apparaissait avec son intitulé et une photo. En outre, il existait aussi un risque - moindre - pour les élèves, qui aurait pu se réaliser dans un partage malencontreux d'un contenu.

Elle n'avait pas ouvert les documents téléchargés le 23 juillet 2019. Leur intitulé n'indiquait pas un contenu pornographique. Les explications du recourant au sujet de ces DVD lui paraissaient plausibles.

Le recourant a tenu à souligner qu'il avait commis une bêtise en utilisant l'espace de stockage de son employeur pour y sauvegarder temporairement des documents privés. Il tenait ces documents toujours isolés d'autres documents. Le risque existait que ces fichiers apparaissent sur son écran. Il avait toutefois toujours été très vigilant lorsqu'il utilisait son ordinateur en classe et veillait à bien maîtriser ce que les élèves voyaient. Il avait été très touché par l'entretien de service. Il admettait son erreur et avait reconnu les faits ; il n'avait aucunement cherché à cacher les preuves. Ce n'était d'ailleurs qu'après le prononcé de la sanction, pendant la période du semi-confinement, qu'il avait retiré et détruit les fichiers de l'espace de stockage.

À l'issue de l'audience, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Dans un premier grief, le recourant fait valoir l'établissement inexact des faits, exposant qu'il aurait commis une erreur de manipulation en transférant les fichiers personnels sur le « drive eduge.ch ».

Cette affirmation n'est pas corroborée par les éléments au dossier. En effet, le recourant a reconnu, lors de l'entretien de service, avoir utilisé « bêtement » l'espace de stockage professionnel pour y conserver des fichiers personnels pendant qu'il procédait à des mises à jour de son matériel informatique personnel. Lors de l'audience de comparution personnelle également, le recourant a reconnu les faits reprochés et indiqué qu'il avait commis une bêtise en utilisant l'espace de stockage de son employeur pour y sauvegarder temporairement des documents privés. Après la mise à jour de son ordinateur privé, à la rentrée scolaire, il lui était sorti de l'esprit d'enlever le dossier contenant les fichiers incriminés de l'espace de stockage de son employeur. Il ressort de ces propos mêmes que le recourant avait conscience du fait qu'il avait transféré ces fichiers sur l'espace de stockage de son employeur et non sur un autre espace de stockage. En outre, ayant transféré des fichiers privés déjà le 23 juillet 2019 et les ayant visionnés à de nombreuses reprises entre le 1er et le 9 septembre 2019, il ne pouvait ignorer où ils se trouvaient. Au contraire, pour les visionner, il les a trouvés à l'endroit où il les avait transférés. L'allégation d'une erreur, qui tranche singulièrement avec l'attitude du recourant tout au long de la procédure, n'est pas crédible.

Partant, il convient de retenir que le recourant n'a pas transféré les fichiers privés par erreur sur l'espace de stockage de son employeur, mais a utilisé cet espace à dessein pour les y conserver.

3) Dans son second grief, le recourant estime que la sanction infligée ne respecte pas le principe de la proportionnalité.

a. À teneur de l'art. 123 LIP, les membres du personnel enseignant doivent observer dans leur attitude la dignité qui correspond aux missions, notamment d'éducation et d'instruction qui leur incombe (al. 1) ; ils sont tenus au respect de l'intérêt de l'État et doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (al. 2). Cette règle est reprise à l'art. 20 du règlement fixant le statut des membres du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire B du 12 juin 2002 (RStCE - B 5 10.04), qui prévoit qu'ils doivent observer dans leur attitude la dignité qui correspond aux responsabilités leur incombant, tandis que l'art. 21 RStCE rappelle qu'ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (al. 1).

En tant que membre du corps enseignant, l'enseignant est chargé d'une mission d'éducation dont les objectifs sont énoncés à l'art. 10 LIP. Son rôle est ainsi de contribuer au développement intellectuel, manuel et artistique des élèves, à leur éducation physique mais aussi à leur formation morale à une période sensible où les élèves passent de l'adolescence à l'état de jeune adulte. Dans ce cadre, l'enseignant constitue, à l'égard des élèves, à la fois une référence et une image qui doivent être préservées. Il lui appartient donc, dès qu'il se trouve hors de sa sphère privée, d'adopter en tout temps un comportement auquel ceux-ci puissent s'identifier. À défaut, il détruirait la confiance que la collectivité, et en particulier les parents et les élèves, ont placée en lui. Ce devoir de fidélité embrasse l'ensemble des devoirs qui lui incombent dans l'exercice de ses activités professionnelles et extra-professionnelles. Dès que ses actes sont susceptibles d'interagir avec sa fonction d'éducateur, le devoir de fidélité impose à l'enseignant la circonspection et une obligation de renoncer, sauf à prendre le risque de violer ses obligations (ATA/1619/2019 du 5 novembre 2019 consid. 4c ; ATA/585/2015 du 9 juin 2015 consid. 11 ; ATA/605/2011 du 27 septembre 2011 consid. 8).

b. Selon l'art. 21A RStCE, le personnel de l'instruction publique qui dispose de l'accès à un téléphone, à un poste de travail informatique, à Internet, à un compte de messagerie ou à tout autre outil de communication électronique mis à disposition par l'État doit utiliser ces ressources à des fins professionnelles (al. 1). Leur utilisation à titre privé n'est tolérée que si elle est minime en temps et en fréquence, qu'elle n'entraîne qu'une utilisation négligeable des ressources informatiques, qu'elle ne compromet ni n'entrave l'activité professionnelle ou celle du service, qu'elle ne relève pas d'une activité lucrative privée, et qu'elle n'est ni illicite, ni contraire à la bienséance ou à la décence (al. 2).

c. Aux termes des art. 142 LIP et 56 RStCE qui ont la même teneur, les membres du personnel enseignant qui enfreignent leurs devoirs de service ou de fonction, soit intentionnellement, soit par négligence, peuvent faire l'objet des sanctions suivantes dans l'ordre croissant de gravité : prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec la hiérarchie, le blâme (let. a) ; prononcées par le conseiller d'État en charge du département (let. b), la suspension d'augmentation de traitement pendant une durée déterminée (ch. 1) ou la réduction du traitement à l'intérieur de la classe de fonction (ch. 2) ; prononcés par le Conseil d'État à l'encontre d'un membre du personnel nommé (let. c), le transfert dans un autre emploi avec le traitement afférent à la nouvelle fonction, pour autant que le membre du personnel dispose des qualifications professionnelles et personnelles requises pour occuper le nouveau poste (ch. 1), ou la révocation, notamment en cas de violations incompatibles avec la mission éducative (ch. 2).

d. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence de faute du fonctionnaire (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, n. 1515 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2249). La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n'ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l'auteur (ATA/137/2020 du 11 février 2020 ; ATA/808/2015 du 11 août 2015).

e. L'autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_292/2011 du 9 décembre 2011 consid. 6.2). Le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d'intérêt public recherchés. À cet égard, l'autorité doit tenir compte en premier lieu d'éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l'intéressé (ATA/137/2020 précité ; ATA/118/2016 du 9 février 2016). En particulier, elle doit tenir compte de l'intérêt du recourant à poursuivre l'exercice de son métier, mais elle doit aussi veiller à la protection de l'intérêt public (ATA/694/2015 du 30 juin 2015).

f. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre de céans se limite à l'excès ou à l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/118/2016 du 9 février 2016 ; ATA/452/2013 du 30 juillet 2013 et les références citées).

g. Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a jugé la suspension de l'augmentation du traitement pendant une durée de deux ans adéquate pour sanctionner une employée, sans antécédents disciplinaires, ayant entretenu des rapports tendus avec ses collègues et répétant à de nombreuses reprises, malgré plusieurs avertissements, les problèmes comportementaux, qui avaient nécessité de grands efforts de ses supérieurs pour les contenir (ATA/383/2020 du 23 avril 2020 consid. 9).

La chambre administrative a considéré comme justifiée la résiliation des rapports de travail d'un employé, bibliothécaire, ayant consulté de sites pornographiques depuis son poste de travail, avait sauvegardé sur son disque dur des images à caractère pédophile, n'avait cessé de minimiser les faits, tentant dans un premier temps de les nier, puis affirmant avoir téléchargé les images mettant en scène de jeunes enfants par pur intérêt artistique. La longue expérience et la qualité du travail accompli par l'intéressé ne palliaient pas les manquements constatés et la gravité de ces actes (ATA/496/2006).

La chambre de céans a également confirmé la révocation d'un fonctionnaire ayant fréquemment et régulièrement consulté des sites érotiques et pornographiques depuis son poste de travail, malgré une mise en garde préalable et nonobstant la qualité du travail accompli (ATA/618/2010 du 7 septembre 2010).

Dans l'ATA/653/2011, le fonctionnaire avait, alors qu'il était au travail, consulté quotidiennement des sites internet à des fins privées, notamment des sites de vente aux enchères et au moins un site échangiste, entre 15 et 30 minutes par jour en moyenne. Il avait également installé des logiciels privés (jeux d'échecs) sur son poste de travail. Le fait d'aller régulièrement consulter des sites contraires à la bienséance pendant les heures de travail n'était pas bénin. L'utilisation d'internet pendant les heures de travail ne dépassait toutefois que de peu celle qui était alors admise par l'État. Dans ces circonstances, la suspension d'augmentation du traitement pendant une durée de trois ans a été jugée trop sévère, le prononcé d'un blâme apparaissant adéquat.

4) En l'espèce, le recourant a téléchargé sur l'espace informatique mis à sa disposition par l'État, le 23 juillet 2019, des films destinés à ses enfants. Entre le 1er et le 9 septembre 2019, il a téléchargé et visionné de nombreuses images, majoritairement à caractère pornographique. Ces visionnements se sont étendus sur de nombreuses heures. Par la suite, soit jusqu'à sa convocation, le 26 novembre 2019, à un entretien de service, ces visionnements se sont limités à quelques nombres, l'informaticienne entendue en audience les ayant estimés entre deux et cinq.

En utilisant l'espace de stockage de données informatiques mis à disposition par son employeur à des fins privées, le recourant a contrevenu à l'art. 21A RStCE, qui n'autorise l'utilisation à des fins privées d'un outil informatique mis à disposition par l'État que si elle est minime en temps et en fréquence, qu'elle n'entraîne qu'une utilisation négligeable des ressources informatiques, qu'elle ne compromet ni n'entrave l'activité professionnelle ou celle du service et qu'elle n'est ni illicite, ni contraire à la bienséance ou à la décence. Le téléchargement sur le compte de l'État de fichiers à caractère pornographique et leur visionnement sont clairement contraires à la bienséance, aux valeurs représentées par l'État et à la dignité attendue d'un enseignant. L'utilisation faite à des fins privées dudit compte entre le 1er et le 9 septembre 2019 a été très intense. En outre, bien qu'il n'ait quasiment plus visionné de fichiers privés après le 9 septembre 2019, le recourant a continué à stocker ces données sur l'espace informatique professionnel.

Ce comportement, inadmissible, mérite sanction.

Celle-ci doit être fixée en tenant compte de l'ensemble des circonstances. Outre les éléments précités, il convient aussi de tenir compte du fait que le recourant n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire depuis son engagement en 2004. Au contraire, ses états de service sont bons. Par ailleurs, après le 9 septembre 2019, il n'a quasiment plus fait usage des fichiers téléchargés sur l'espace de stockage professionnel ; le recourant a donc mis fin au visionnement intense de ces fichiers bien avant la découverte de ceux-ci par son employeur. Selon le relevé produit par le DIP, les visionnements - dont il n'est pas allégué qu'ils présenteraient un caractère illégal - n'ont jamais eu lieu un jour où le recourant enseignait. En outre, ce dernier a immédiatement reconnu les faits, n'a pas cherché à les minimiser et a collaboré à leur établissement, renonçant à effacer les fichiers litigieux afin de ne pas entraver la recherche de la vérité. Lors de l'audience, il n'a d'ailleurs pas persisté dans l'allégation, contenue dans son recours, selon laquelle le téléchargement aurait eu lieu par erreur sur son espace de stockage professionnel. Il a indiqué, sans être contredit, qu'il prenait toujours la précaution de vérifier ce qui s'affichait sur son écran avant de l'utiliser en cours. Il a ainsi activement veillé à ce que ses élèves ne soient pas exposés au contenu de ses fichiers privés.

Ainsi, bien que l'utilisation abusive par l'employé de l'espace informatique de stockage mis à disposition par l'État de Genève contrevienne à l'art. 21 RStCE, notamment à la bienséance et a temporairement été très intense, l'ensemble des circonstances, notamment le fait que cet usage intense a été limité à six jours, que le recourant a reconnu les faits, collaboré durant la procédure disciplinaire et qu'il présente de bons états de service, conduit à considérer que la sanction infligée ne respecte plus le principe de la proportionnalité. Le prononcé d'un blâme, soit la sanction la moins sévère, apparaît, en effet, adéquat et suffisant pour le dissuader de persister dans des comportements contraires à ses devoirs professionnels.

Le recours sera donc partiellement admis, la sanction prononcée annulée et remplacée par un blâme.

5) Le recourant obtenant partiellement gain de cause, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure, réduite, de CHF 1'000.- lui sera allouée, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 mars 2020 par Monsieur A______ contre la décision du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 2 mars 2020 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision attaquée en tant qu'elle inflige à Monsieur A______ une suspension d'augmentation de traitement d'une durée de trois ans ;

prononce en lieu et place un blâme ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Monsieur A______, à la charge de l'État de Genève ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt  peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 et ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt  et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi 

communique le présent arrêt à Me Milos Blagojevic, avocat du recourant, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory,
Mme Lauber et M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :