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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1543/2020

ATA/774/2020 du 18.08.2020 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1543/2020-PRISON ATA/774/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 août 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE FERMÉ CURABILIS



EN FAIT

1) Monsieur A______ est détenu à l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis (ci-après : l'établissement) depuis le 24 septembre 2018 en exécution d'une mesure thérapeutique institutionnelle en milieu fermé.

2) Depuis son incarcération au sein de l'établissement, M. A______ a fait l'objet d'une quinzaine de sanctions disciplinaires, notamment pour insubordination et/ou incivilité à l'encontre du personnel, comportement inadéquat, trouble de la tranquillité ou encore menaces et/ou atteinte à l'intégrité corporelle ou à l'honneur.

3) Le 25 mai 2020, le sous-chef de l'établissement a infligé à M. A______ une sanction disciplinaire, déclarée exécutoire nonobstant recours, sous la forme d'une « suppression de la cigarette dans la cellule pendant trois mois », sanction assortie d'un sursis de deux mois. Elle a été notifiée à l'intéressé le même jour.

4) Selon le rapport établi le 23 mai 2020, le jour même, à 07h45, la cellule du détenu présentait de multiples brûlures. La base de la « voie lactée » (fenêtre de la cellule) était aussi brûlée.

Deux photos couleur étaient jointes au rapport. Sur la première apparaissent quelque huit mégots de cigarette éteints et une cinquantaine de taches brunes sur une surface pouvant être estimées à un m2. La seconde photo montre la « voie lactée » et cinq mégots de cigarette.

5) À teneur du procès-verbal de l'audition de M. A______, dûment signé par l'intéressé, celui-ci a entièrement reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Il promettait que cela ne se reproduirait plus.

6) Le même jour, à 11h45, M. A______ a été vu par un médecin, qui a attesté que, selon son appréciation clinique, l'intéressé n'était pas en « décompensation aiguë ».

7) Par courrier non daté mais reçu le 3 juin 2020, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre cette décision, qui était, selon lui, constitutive d'un abus de pouvoir et procédait d'une constatation inexacte des faits pertinents.

Il contestait les faits reprochés à savoir avoir jeté, depuis son lit, des cigarettes allumées vers le coin de sa penderie. Il les avait jetées sur le sol afin d'éviter tout risque pour lui-même et autrui et uniquement après avoir vérifié que rien ne pourrait prendre feu.

Par ailleurs, le sous-chef qui avait prononcé la sanction abusait de son pouvoir. Il s'acharnait à son encontre et l'avait menacé verbalement. Il était responsable de huit des onze sanctions déjà infligées, l'avait poussé à la faute et l'avait induit en erreur. Il avait menacé de l'amender si sa salle de bains n'était pas correctement nettoyée ce qui ne lui avait jamais été reproché au préalable. Les traces de brûlures de cigarette remontaient à plusieurs mois.

8) L'établissement a conclu au rejet du recours.

Les faits ressortaient du rapport du 23 mai 2020, établi par un agent de détention assermenté, dont la valeur probante n'était pas sujette à caution. Le recourant avait admis les faits qui lui étaient reprochés. Son comportement était constitutif d'une violation du règlement de l'établissement et justifiait le prononcé d'une sanction pour garantir le bon fonctionnement de la prison. La décision était conforme au principe de la proportionnalité tant dans sa nature que dans sa quotité.

9) Le recourant n'a pas souhaité répliquer dans le délai qui lui avait été imparti.

10) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier du 27 juillet 2020. À la demande de la chambre de céans, trois pièces, décrites dans les observations de l'autorité intimée, mais manquantes au dossier ont été transmises à la chambre de céans le 10 août 2020.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 74 al. 1 du règlement de l'établissement de Curabilis du 19 mars 2014 - RCurabilis - F 1 50.15).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/284/2020 du 10 mars 2020 consid. 2a et la référence citée).

b. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la sanction disciplinaire à laquelle il a été condamné. L'on comprend toutefois de ses écritures qu'en critiquant le fait qu'elle serait constitutive d'un « abus de pouvoir » et procéderait d'une « constatation inexacte des faits pertinents », il conclut implicitement à son annulation, de sorte que le recours est également recevable de ce point de vue.

3) a. Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée, ce qui suppose l'existence d'un intérêt actuel. L'existence de celui-ci s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATA/60/2020 du 21 janvier 2020 consid. 2b et 2c et les références citées). En matière de sanctions disciplinaires, la chambre administrative fait en principe abstraction de l'exigence de l'intérêt actuel lorsque le recourant se trouve encore en détention au moment du prononcé de l'arrêt, faute de quoi une telle mesure échapperait systématiquement à son contrôle étant donné la brièveté de la sanction (ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 4a et la référence citée).

b. En l'espèce, bien que la période de sursis soit échue, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celles-ci, dès lors qu'il ne ressort pas du dossier que sa peine aurait pris fin. Le recours est ainsi recevable.

4) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. La personne détenue a l'obligation de respecter les dispositions du RCurabilis, les directives du directeur général de l'office cantonal de la détention, du directeur de Curabilis, du personnel pénitentiaire ainsi que les instructions du personnel médico-soignant (art. 67 RCurabilis).

À teneur de l'art. 69 al. 1 RCurabilis, sont en particulier interdits les mises en danger d'autrui et de l'institution (let. e).

c. Si une personne détenue enfreint le RCurabilis, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 70 al. 1 RCurabilis). Il est tenu compte de l'état de santé de la personne détenue au moment de l'infraction disciplinaire (art. 70 al. 2 RCurabilis). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s'exprimer oralement ou par écrit (art. 70 al. 3 RCurabilis).

Selon l'art. 70 al. 4 RCurabilis, les sanctions sont l'avertissement écrit (let. a), la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximale de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b.), l'amende jusqu'à CHF 1'000.- (let. c) et les arrêts pour une durée maximale de dix jours (let. d). Ces sanctions peuvent être cumulées (art. 70 al. 5 RCurabilis). L'exécution de la sanction peut être prononcée avec un sursis ou un sursis partiel de six mois au maximum (art. 70 al. 6 RCurabilis).

Le directeur de Curabilis et son suppléant en son absence sont compétents pour prononcer les sanctions (art. 71 al. 1 RCurabilis). Le directeur de Curabilis peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions prévues à l'art. 70
al. 4 RCurabilis à d'autres membres du personnel gradé de l'établissement, les modalités de la délégation étant prévues dans une directive interne (art. 71
al. 2 RCurabilis). La chambre administrative a jugé qu'une sanction prise par un agent pénitentiaire ayant le grade de sous-chef auquel le directeur de Curabilis avait délégué la tâche de statuer était valablement prononcée par une autorité compétente (ATA/1598/2019 du 29 octobre 2019 consid. 2d et la référence citée).

d. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/284/2020 précité consid. 4d et la référence citée).

e. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).

f. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/97/2020 précité consid. 4d et les références citées).

5) a. En l'espèce, les faits reprochés au recourant ressortent du rapport établi le 23 mai 2020 et notamment des photos couleur lesquelles témoignent de nombreuses brûlures au sol ainsi que de la présence de plusieurs mégots de cigarette tant au sol que sur la « voie lactée ». Le recourant a d'ailleurs admis les faits qui lui étaient reprochés, précisant uniquement qu'avant de jeter, depuis son lit, les mégots, il vérifiait que rien à proximité de l'endroit visé ne soit susceptible de s'enflammer. Il contestait toutefois projeter les mégots dans le bas de la penderie indiquant les envoyer sur le sol. Il ne ressort pas de la photo si les traces se situent au sol ou dans le bas de la penderie. Cet élément n'est toutefois pas déterminant. De même, le fait que le recourant procède à des vérifications avant de lancer le mégot est sans pertinence, dès lors qu'il ressort des photos de nombreuses traces de brûlures témoignant d'un comportement inadéquat susceptible de causer un incendie au sein de l'établissement et causant un dommage.

Pour le surplus, il n'y a pas lieu de s'écarter du rapport susmentionné, établi de manière circonstanciée par un agent de détention assermenté.

Ainsi, en mettant en danger autrui et l'institution, le recourant a troublé l'ordre et la tranquillité de l'établissement, violant ses obligations de détenu, telles que figurant aux art. 67 ss RCurabilis. Il s'ensuit que l'autorité intimée était fondée à sanctionner le recourant en relation avec ces faits.

b. Les sanctions sont prévues par l'art. 70 al. 4 RCurabilis. La « suppression de la cigarette dans la cellule » peut être assimilée à une suppression de « loisirs » dès lors que l'interdiction se limite à la cellule.

c. Reste à déterminer si la sanction disciplinaire infligée est conforme au principe de la proportionnalité.

La sanction choisie est apte et nécessaire pour garantir la sécurité au sein d'un établissement pénitentiaire.

Elle est légère au vu de l'énumération de l'art. 70 al. 4 RCurabilis, deux autres types de sanction plus sévères étant possibles. Elle a été prononcée avec sursis, lequel aurait de surcroît pu être porté à six mois (art. 70 al. 6 RCurabilis).

Elle est en conséquence proportionnée au sens étroit, d'autant plus que le recourant, à teneur du dossier, a déjà fait l'objet d'une quinzaine de sanctions depuis son incarcération.

La sanction litigieuse sera confirmée, l'autorité intimée n'ayant pas abusé de son large pouvoir d'appréciation.

d. Par ailleurs, rien n'indique que la procédure n'aurait pas été respectée, ce que le recourant n'allègue au demeurant pas, puisque ce dernier a été entendu et qu'un médecin a attesté qu'il n'était pas en « décompensation aiguë ». La sanction a en outre été rendue par le sous-chef de la prison, à savoir, selon la jurisprudence susmentionnée, l'autorité compétente visée à l'art. 71 al. 1
et 2 RCurabilis.

e. En tous points mal fondé, le recours sera par conséquent rejeté.

6) Au vu de la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87
al. 1 LPA) ni alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 juin 2020 par Monsieur A______ contre la décision de l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis du 25 mai 2020 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'à l'établissement pénitentiaire fermé Curabilis.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :