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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/744/2020

ATA/696/2020 du 04.08.2020 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/744/2020-FPUBL ATA/696/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 4 août 2020

sur nouvelle demande de restitution de l'effet suspensif

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE



Vu la décision du 7 février 2020 de la Ville de Genève (ci-après : la ville), déclarée exécutoire nonobstant recours, ordonnant l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. A______ ainsi que la suspension avec traitement de l'activité de ce dernier jusqu'au prononcé éventuel d'un licenciement ou d'une sanction ;

vu le recours, remis le 26 février 2020 par M. A______ à un office de poste, formé auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant sur le fond à l'annulation de la décision d'ouvrir une enquête administrative et de la décision de suspension, et concluant à titre préalable à la restitution de l'effet suspensif au recours ;

vu l'opposition de la ville, le 7 avril 2020, à la restitution de l'effet suspensif ;

vu la réplique sur effet suspensif et les pièces communiquées par M. A______ le 29 mai et reçues le 2 juin 2020 ;

vu la décision sur effet suspensif ATA/555/2020 du 5 juin 2020, par laquelle la présidente de la chambre administrative a refusé la requête de restitution de l'effet suspensif au recours ;

vu le courrier du 1er juillet 2020 par lequel le recourant a sollicité la révision, respectivement la reconsidération de la décision du 5 juin 2020 ;

vu la réponse de la ville du 10 juillet 2020 par lequel celle-ci s'est opposée à la demande de révision, respectivement de reconsidération, du recourant du 1er juillet 2020 ;

vu la réplique du recourant du 30 juillet 2020, par laquelle celui-ci persiste dans sa requête ;

attendu que la ville soupçonne que M. A______, dans sa qualité de cadre supérieur de l'administration municipale responsable du contrôle interne et de la gestion du département de la cohésion sociale et de la solidarité, aurait : dénoncé à tort ses conditions de travail et l'attitude déloyale de sa hiérarchie à son égard ; dénoncé à tort des remboursements de frais qualifiés d'illicites ; soutenu à tort avoir dû exercer des tâches sans rapport avec ses fonctions dans l'intérêt politique de la conseillère administrative en charge de son département ; soutenu à tort avoir fait l'objet d'une évaluation périodique non conforme à la réglementation en vigueur ; refusé de produire des documents dont il se disait en possession et qui étaient propriété de l'administration et dont il n'était pas autorisé à se saisir ; adopté ainsi un comportement incompatible avec son statut, porté préjudice aux intérêts de la ville et porté atteinte à la confiance et à la considération dont la fonction publique doit être l'objet ; ces manquements, s'ils étaient avérés, pouvant conduire à une sanction disciplinaire ou au licenciement ;

que le conseil de M. A______ a indiqué le 29 mai 2020 que son client souffrait d'une grave dépression, présentait un risque suicidaire élevé, et qu'il fallait éviter tout choc psychique qui pourrait aggraver son état ; qu'il a produit trois certificats médicaux : le premier de la Dresse B______ de la clinique C______ (ci-après : la clinique) à Montreux, du 30 mars 2020, attestant d'une hospitalisation et d'une incapacité de travail à 100 % jusqu'au 30 avril 2020 ; le second de la Dresse D______, spécialiste FMH en médecine interne et médecin traitant de M. A______, adressé le
25 février 2020 à la conseillère administrative en charge du département de M. A______ et indiquant que « malgré [son] rapport médical alarmant du 27.01.20 à [son] attention, [son] patient [...] a subi un énorme choc destructeur en apprenant, à sa stupéfaction, le 17.02.2020, l'ouverture d'une enquête administrative à son encontre », que son patient « subit au travail une situation qui méprise sa souffrance et est confronté au 'fait accompli' », que « même les écritures envoyées par son avocat, adressées à l'interne de [son] administration, obtiennent un retour néfaste pour [son] patient », dont l'état actuel « découlant d'une atteinte à sa personnalité, est d'une telle gravité qu'il nécessite une hospitalisation dans les plus brefs délais, au vu d'une profonde dépression avec un risque non négligeable de suicide » ; le troisième, de la Dresse E______, psychiatre FMH auprès de la clinique C______ à Montreux, établi le 19 mars 2020, et rappelant que M. A______ avait été hospitalisé par son médecin-traitant alors qu' « il avait des idées suicidaires symptomatiques surtout d'une grande colère, d'une souffrance intérieure, en rapport à ce qu'il a vécu à son travail à la ville, particulièrement depuis fin 2018 et récemment, depuis qu'il a appris l'ouverture d'une enquête administrative à son encontre » , le certificat se poursuivant par le constat suivant : « en d'autres mots, quand j'entends Mr. A______, il décrit tous les signes d'un harcèlement psychologique sur son lieu de travail », et le certificat se concluait par des considérations générales sur le harcèlement psychologique et ses conséquences possibles, notamment le suicide de la victime ;

que selon le recourant, la décision d'ouverture d'enquête administrative ne constituait ni plus ni moins qu'un règlement de comptes et visait à le « museler » après qu'il eût dénoncé des dysfonctionnements dans le cadre de sa fonction ;

que la décision du 5 juin 2020 refusant la requête de restitution de l'effet suspensif au recours a retenu que l'enquête administrative avait précisément pour objectif d'examiner le bien-fondé des soupçons de la ville, que le recourant avait intérêt à ce que les faits puissent être établis précisément par un enquêteur indépendant, que la suspension avec traitement ne lui causait aucun dommage irréparable, qu'il était pour le surplus suivi par son médecin et que toute nouvelle péjoration de ses conditions de santé pourrait être prise en charge de manière adéquate, de sorte que le recourant ne pouvait faire valoir à ce stade un intérêt privé supérieur s'opposant l'intérêt public à la conduite de l'enquête administrative et au maintien de sa suspension avec traitement ;

que dans sa requête du 1er juillet 2020, le recourant soutient que la décision d'ouverture d'une enquête administrative avait entraîné une atteinte extrêmement grave à sa santé conduisant à son hospitalisation durant près d'un mois, et que les certificats médicaux attestaient l'existence d'un risque élevé de suicide, que la décision du 5 juin 2020 niait à tort l'existence d'un tel risque, au terme d'une lecture lacunaire des pièces produites, et en particulier du certificat médical de la Dresse D______ du 25 février 2020 ;

que dans sa requête du 1er juillet 2020, le recourant indique en outre que suite à la notification de la décision du 5 juin 2020, son médecin traitant avait dû effectuer en urgence les démarches nécessaires à une nouvelle hospitalisation, car il se trouvait dans un état de crise suicidaire aiguë ;

que le recourant produit en annexe de sa requête du 1er juillet 2020 un certificat de la Dresse D______ daté du 11 juin 2020 et indiquant « mon patient [...] présente une péjoration de son état psychique nécessitant une nouvelle prise en charge urgente en raison du traitement infligé par son employeur. Une hospitalisation dans les meilleurs délais est absolument nécessaire, et une demande dans ce sens a été effectuée. En proie à d'insupportables souffrances psychiques, il est dans un état de crise suicidaire aiguë, scénarisé précisément et concrètement, rendant un maintien à domicile très problématique, raison pour laquelle il a déjà été hospitalisé en mars 2020. [signature] PS si je comprends bien les arguments de la chambre administrative, vous voulez que le patient se suicide pour prouver ce risque extrême, alors que notre devoir de médecins est de l'aider au mieux à éviter de passer à l'acte !!! » ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge ;

que le recourant sollicite la « reconsidération » de la décision ;

qu'aucune hypothèse de l'art. 48 de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) ne trouve application ;

que toutefois, contrairement à la décision au fond, la décision sur effet suspensif n'est revêtue que d'une autorité de la chose jugée limitée et peut être facilement modifiée ; que la partie concernée par l'effet suspensif peut en effet demander en tout temps, en cas de changement de circonstances, que l'ordonnance d'effet suspensif soit modifiée par l'autorité dont elle émane ou par l'instance de recours (ATF 139 I 189
consid. 3.5 ; ATA/986/2014 du 10 décembre 2014) ;

que le recourant avait invoqué à l'appui de ses premières conclusions en restitution de l'effet suspensif les souffrances psychologiques intenses et le risque suicidaire élevé que lui faisait courir l'ouverture de l'enquête administrative ;

qu'il ressortait du certificat de son médecin-traitant que le choc avait été causé par l'annonce de l'ouverture de l'enquête administrative le 17 février 2020 ;

que le recourant avait été hospitalisé et suivi dans une clinique spécialisée jusqu'au 30 mars 2020, puis maintenu en arrêt de travail jusqu'au 30 avril 2020 en tout cas ;

que le rapport médical établi le 25 février 2020 par la Dresse D______ indiquait bien : « son état actuel, découlant d'une atteinte à sa personnalité, et d'une telle gravité qui nécessite une hospitalisation dans les plus brefs délais au vu d'une profonde dépression avec un risque non négligeable de suicide » ;

que le certificat médical établi le 19 mars 2020 par la Dresse E______ établissait le diagnostic suivant : « il présente une dépression sévère qui se manifeste par une baisse de l'élan vital, des angoisses, des troubles du sommeil, une perte d'appétit, une diminution marquée de l'intérêt du plaisir pour des activités habituellement agréables et un ralentissement psychomoteur. Par ailleurs, ce patient est calme, collaborant, conscient de son état clinique actuel, bien structuré psychiquement, menant une vie tout à fait normale et équilibrée d'ordinaire. Son discours est clair et cohérent, il n'y a pas de symptômes de la lignée psychotique et la relation avec lui est adéquat et facile » ; le certificat poursuivait en rapportant les plaintes du recourant et rappelant les constats et les mesures prises par le médecin généraliste : « pour rappel, l'hospitalisation a été demandée par sa médecin généraliste, la Dresse D______ à Genève, après de nombreux appels alarmants du patient ainsi qu'au rapport médical de celle-ci en date du 25.02.2020.
Mr. A______ avait en effet des idées suicidaires symptomatiques surtout d'une grande colère, d'une souffrance intérieure, en rapport à ce qu'il a vécu à son travail à la ville de Genève, particulièrement depuis fin 2018 et récemment, depuis qu'il a appris l'ouverture d'une enquête administrative à son encontre » ; le certificat poursuivait avec l'anamnèse :
« en effet, Mr. A______, responsable du contrôle interne et de gestion, me raconte qu'il a tenté de faire part à sa hiérarchie de dysfonctionnements qu'il a constaté dans son département comme sa fonction l'exige. La transmission de ces éléments, en interne, a fait l'objet de retours très déstabilisants pour mon patient alors même que ces dits constats n'ont pas été remis en cause ! Depuis, mon patient s'est senti insidieusement intimidé pour avoir produit, par oral et par écrit, en interne toujours, ces constatations. Par la suite encore, il a été mis à l'écart par sa hiérarchie, dit avoir été empêché de s'exprimer normalement, parfois ignoré, dénigré, dévalorisé, recevant des injonctions paradoxales, des écrits et des paroles qui ont porté atteinte à sa personnalité avec consécutivement, un effet dévastateur sur son équilibre psychique » ; le certificat poursuivait par un constat : « en d'autres mots, quand j'entends Mr. A______, il décrit tous les signes d'un harcèlement psychologique sur son lieu de travail » ; le certificat se terminait par ces considérations générales : « plus généralement, le harcèlement moral constitue une grande violence pour toute personne qui le subit avec des rapports de force et une iniquité importante. À noter enfin qu'au fil du temps, la manipulation perverse, très présente dans toutes les formes de harcèlement, amène la victime de ces derniers un sentiment de négation de son être, suscite une impuissance, des angoisses diffuses très importantes, une dévalorisation extrême de soi pouvant aller jusqu'au suicide » ;

qu'un certificat médical établi le 30 mars 2020 par la Dresse B______ attestait l'hospitalisation du 6 au 30 mars 2020 et l'incapacité de travail à 100 % jusqu'au 30 avril 2020 inclus, la reprise du travail nécessitant une réévaluation par le médecin-traitant ;

qu'un certificat médical établi le 4 mai 2020 par la Dresse D______ indiquait que le recourant n'était pas en état d'être entendu ni verbalement ni d'une autre manière jusqu'au 31 mai 2020 ;

que, comme mentionné dans la première décision sur effet suspensif, la ville fait valoir des soupçons au sujet des agissements du recourant ;

que l'enquête administrative, confiée à un enquêteur externe, a précisément pour objectif d'examiner le bien-fondé de ces soupçons ;

que non seulement la ville, mais également le recourant, ont intérêt à ce que les faits puissent être établis précisément ;

que c'est à l'enquêteur indépendant que le recourant pourra faire valoir ses griefs sur le bien-fondé de l'enquête ;

que dans l'attente que l'enquête soit achevée et une décision prise par la ville, la suspension avec traitement du recourant ne cause à ce dernier aucun dommage irréparable, étant observé que le recourant a été en incapacité de travail en mars et avril 2020 ;

que pour le surplus le recourant est suivi par son médecin, et que toute nouvelle péjoration de ses conditions de santé pourrait être prise en charge de manière adéquate ;

que le conseil du recourant a certes allégué le 1er juillet 2020 que « suite à [la] décision [du 5 juin 2020] le médecin-traitant de mon mandant a dû effectuer en urgence les démarches nécessaires à une nouvelle hospitalisation, celui-ci se trouvant dans un état de crise suicidaire aiguë » ;

que le recourant a certes produit le 1er juillet 2020 un certificat du 11 juin 2020 par lequel la Dresse D______ affirmait qu'une hospitalisation « dans les meilleurs délais » était absolument nécessaire, et une demande dans ce sens avait été effectuée ;

que de jurisprudence constante, en ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin-traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351
consid. 3b/cc) ; que s'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin-traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci
(ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références citées), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins-traitants ;

qu'en l'espèce, outre le nouveau courrier du médecin-traitant, le recourant n'a ni documenté ni même allégué dans sa nouvelle requête du 1er juillet 2020 qu'il aurait été hospitalisé à partir du 11 juin 2020 ;

que le recourant n'a pas plus, dans sa réplique du 30 juillet 2020, documenté ou même allégué qu'il aurait été hospitalisé à partir du 11 juin 2020 ;

que le recourant n'établit ainsi pas de faits nouveaux qui justifieraient de revenir sur la décision du 5 juin 2020 - sous réserve qu'il soit par ailleurs établi que l'ouverture puis le maintien de l'enquête administrative seraient en eux-mêmes de nature à provoquer une crise suicidaire aiguë ;

que le recourant n'a par ailleurs pas, depuis le 4 mai 2020, produit de nouveau certificat qui attesterait son incapacité de travail, respectivement son incapacité à participer à l'enquête administrative ;

que l'on ne voit pas dans ces circonstances que le recourant puisse faire valoir à ce stade un intérêt privé supérieur s'opposant à l'intérêt public à la conduite, respectivement la poursuite, de l'enquête administrative et au maintien de sa suspension avec traitement ;

que la nouvelle demande de restitution de l'effet suspensif du 1er juillet 2020 sera ainsi rejetée en l'absence de changement de circonstances ;

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse la requête de restitution de l'effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Romain Jordan, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

 

Au nom de la chambre administrative :

F. Payot Zen Ruffinen, présidente

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :