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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/851/2020

ATA/610/2020 du 23.06.2020 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/851/2020-AIDSO ATA/610/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juin 2020

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES

 



EN FAIT

1) Madame A______ (ci-après : l'étudiante), née en 1989 et domiciliée à Genève, a sollicité, le 20 août 2019, une bourse d'études auprès du service des bourses et prêts d'études (ci-après : le SBPE) pour l'année scolaire 2019-2020.

Elle commençait la deuxième année de CFC d'automaticienne auprès du centre de formation professionnelle technique (ci-après : CFPT). La formation durait trois ans. Elle vivait chez son père dans un trois pièces et demi. Celui-ci était rentier AI. Sa mère vivait en Tunisie. Elle avait déjà une formation d'ingénierie en génie électrique et microélectronique.

2) Par décision du 20 janvier 2020, le SBPE lui a accordé un prêt à hauteur de CHF 12'000.-.

3) Le 3 février 2020, Mme A______ a adressé une réclamation au SBPE.

Elle n'avait aucun revenu et son père ne percevait que CHF 796.- par mois. Elle avait en conséquence droit à une bourse d'études. Elle sollicitait une reconsidération de la décision.

4) Par décision du 18 février 2020, le SBPE a rejeté sa réclamation.

Les revenus du groupe familial avaient été calculés selon la loi sur le revenu déterminant unifié du 19 mai 2005 (LRDU - J 4 06). Le calcul des divers budgets laissait apparaître un découvert qui autorisait l'intéressée à bénéficier du montant maximal prévu par la loi, soit pour une formation secondaire un montant de CHF 12'000.-. Elle ne pouvait bénéficier d'une bourse, étant déjà titulaire d'une première formation initiale de niveau secondaire.

5) Le 9 mars 2020, Mme A______ a interjeté recours par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du 18 février 2020. Elle a conclu à son annulation.

Elle avait droit à ladite bourse d'études comme pour sa précédente formation. De surcroît, elle était la seule femme parmi un groupe de douze étudiants masculins. Ne pas lui accorder de bourse contrevenait à l'égalité entre les sexes.

Elle citait plusieurs articles de la loi sur les bourses et prêts d'études du 17 décembre 2009 (LBPE - C 1 20) relatifs aux bourses d'études, lesquels seront repris dans la partie en droit du présent arrêt.

6) Par écritures spontanées du 3 avril 2020, la recourante a complété son recours. C'était après mûre réflexion et après une dizaine de réponses négatives de la part de nombreux employeurs et sociétés à qui elle s'était adressée, de façon spontanée ou ciblée entre 2016 et 2019, qu'elle avait décidé d'entamer un apprentissage au CFPT. Elle avait pu commencer en deuxième année, compte tenu de sa formation d'ingénieure en génie électrique et microélectronique. Ce choix avait été guidé par la conjoncture économique. Une reconversion professionnelle était nécessaire compte tenu d'un marché de l'emploi saturé. Elle développait son budget annuel. La bourse d'études de CHF 12'000.- était un minimum pour survivre pendant sa période de formation.

7) Par observations du 25 mai 2020, le SBPE a conclu au rejet du recours.

La reconversion de la recourante n'était pas nécessaire. Le site internet orientation.ch relevait que la filière des ingénieurs en génie électrique n'était pas saturée. Les débouchés étaient nombreux. Les hautes écoles spécialisées continuaient à former chaque année de nouveaux ingénieurs. Les vingt-cinq candidatures envoyées par la recourante ne pouvaient pas être considérées comme le reflet d'un métier saturé.

8) Dans sa réplique, la recourante a relevé que le SBPE avait répondu hors délai. Son écriture devait en conséquence être écartée. Pour le surplus, elle en contestait le contenu et persistait dans ses conclusions.

9) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante conclut préalablement à ce que les écritures de réponse du SBPE soient écartées du dossier, car tardives.

Par correspondance du 6 avril 2020, la chambre administrative a prolongé le délai initialement imparti au 8 avril 2020 au SBPE pour transmettre son dossier et sa réponse au recours au 15 mai 2020.

Il est exact que les écritures sont parvenues à la chambre de céans le 29 mai 2020. On ignore à quelle date celles-ci ont été envoyées. En tout état, le délai fixé par l'autorité de recours pour répondre au recours au sens de l'art. 73 LPA n'est qu'un délai d'ordre, la loi ne prévoyant aucune conséquence en cas de non-respect de ce délai (ATA/348/2015 du 14 avril 2015 consid. 4). Ce délai est par ailleurs prolongeable (art. 16 al. 2 LPA). La pratique de la chambre administrative en matière de prolongation de délai pour les écritures est relativement souple (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 293 ad art. 16 LPA). La pratique l'a été d'autant plus en période de pandémie.

Par ailleurs, selon le Tribunal fédéral, les observations déposées hors délai ne peuvent être rejetées pour ce seul motif que s'il a été indiqué dans la demande d'observations les conséquences de l'inobservation du délai (arrêt du Tribunal fédéral 1C_534_2009 du 2 juin 2010, consid. 2 in SJ 2011 I 54). Tel n'a pas été le cas en l'espèce.

Enfin, écarter les écritures du SBPE serait sans incidence sur l'issue du litige.

Il ne sera en conséquence pas donné suite à la requête de la recourante.

3) Le présent litige porte sur le droit de l'étudiante à une bourse d'études pour l'année scolaire 2019-2020 en lieu et place du prêt, du montant maximal autorisé, qui lui a été accordé.

4) a. Les bourses d'études sont des prestations uniques ou périodiques non remboursables, qui permettent aux bénéficiaires d'entreprendre, de poursuivre ou de terminer une formation (art. 4 al. 1 LBPE).

Les prêts sont des prestations uniques ou périodiques, qui doivent être remboursées à la fin de la formation ou en cas d'interruption ou d'échec de la formation (art. 4 al. 2 LBPE).

b. Aux termes de l'art. 5 LBPE, les aides financières sont accordées sous forme de bourses, de prêts ou de remboursement de taxes (al. 1). Demeurent réservés les cas qui, au sens de l'art. 26 LBPE, peuvent donner lieu à une conversion des prêts en bourses d'études (al. 2).

c. L'art. 11 LBPE liste les formations pouvant donner lieu à une bourse (al. 1) ou à un prêt (al. 2).

Les travaux préparatoires relatifs au projet de loi 10'524 ayant conduit à l'adoption de la LBPE (exposé des motifs - MGC 2008-2009 XI/2, p. 14'907 ss, en particulier p. 14'933-14'934) précisent à propos de l'art. 11 al. 1 LBPE que sont financées par des bourses les formations sanctionnées par les examens professionnels et professionnels supérieurs fédéraux, les écoles supérieures, les HES et les universités jusqu'à l'obtention du baccalauréat universitaire, ainsi que les formations du secteur secondaire II qui permettent d'obtenir un diplôme de fin d'études gymnasiales ou un diplôme de fin d'études des écoles de culture générale. Sont également financés par une bourse la formation professionnelle initiale, le certificat fédéral de capacité (ci-après : CFC) et la maturité professionnelle.

Quant au second alinéa de ce même article, il y est expliqué que le projet de loi permet d'octroyer une bourse à un apprenti qui souhaite obtenir un CFC de cuisinier car il s'agit d'une formation initiale de niveau secondaire II. Si cette personne désire ensuite faire un CFC de boulanger, elle ne pourra pas bénéficier d'une bourse, mais d'un prêt car il s'agit d'une deuxième formation initiale de niveau secondaire II. Il en va de même pour une personne qui entreprendrait une formation d'infirmière (formation initiale HES) et qui souhaiterait ensuite entamer une formation de sage-femme (deuxième formation HES). Les deuxièmes formations de base sont financées par des prêts remboursables. En effet, l'obligation subsidiaire de l'État de financer la formation ne peut aller au-delà du financement d'une première formation qui permet d'intégrer le monde du travail (MGC 2008-2009 XI/2, p. 14'933-14'934 ; ATA/364/2019 du 2 avril 2019 consid. 4b).

5) En l'espèce, il n'est pas contesté que le CFC d'automaticienne entrepris par la recourante répond à la définition de deuxième formation initiale, après celle d'ingénieure en génie électrique et microélectronique, de niveau secondaire II (art. 4 al. 1 let. c 2° de la loi sur l'instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10).

À ce titre, il n'est pas contesté qu'une deuxième formation initiale de niveau secondaire II donne lieu à un prêt (art. 11 al. 2 let. a LBPE).

6) La recourante se prévaut de l'art. 11 al. 1 let. e LBPE pour fonder son droit à une bourse.

a. Selon cette disposition, la reconversion rendue nécessaire par la conjoncture économique ou pour des raisons de santé, pour autant qu'elle ne soit pas financée par une assurance sociale, peut donner droit à une bourse (art. 11 al. 1 let. e LBPE).

b. Les parties s'opposent sur le caractère nécessaire de la reconversion. La recourante produit, selon ses propres dires, vingt-cinq documents qui attesteraient de ses recherches d'emploi pendant quatre ans et du caractère saturé du marché. Force est toutefois de constater que ce nombre apparaît peu élevé, représentant quelque six recherches d'emploi annuelles. À titre de comparaison, il est usuellement demandé aux personnes bénéficiant d'indemnités de l'assurance chômage d'effectuer dix recherches d'emploi par mois (ATAS/239/2020 du 18 mars 2020 ; ATAS/211/2020 du 11 mars 2020 ; ATAS/128/2020 du 20 février 2020). Ces documents ne sont dès lors pas aptes à prouver la nécessité de la reconversion professionnelle de la recourante compte tenu de la conjoncture économique.

L'art. 11 al. 1 let. e LBPE ne trouve en conséquence pas application.

7) a. La recourante se prévaut de l'art. 23 al. 3 LBPE selon lequel des bourses pour des cas de rigueur peuvent être octroyées dans les limites des disponibilités budgétaires.

L'art. 16 du règlement d'application de la loi sur les bourses et prêts d'études du 2 mai 2012 (RBPE - C 1 20.01) précise que le service peut octroyer des bourses pour des cas de rigueur, en particulier pour les personnes en formation qui, pour des raisons familiales, personnelles ou de santé, se trouveraient dans une situation de précarité.

b. Selon les travaux préparatoires, s'agissant des cas particuliers relatifs à l'art. 23 al. 3 LBPE, il est nécessaire de prévoir un régime particulier pour les personnes en formation qui se trouvent dans des situations difficiles, notamment en raison du refus des parents de prendre en charge les frais de formation ou en cas de reprise d'une formation après des années consacrées à l'entretien de personnes à charge (MGC 2008-2009 XI/2, p. 14'941).

c. Selon la jurisprudence, un étudiant qui fait le choix d'acquérir des expériences utiles à sa formation, mais qui voit ses études se prolonger d'une année pour ce motif, ne peut se prévaloir de l'art. 16 RBPE, malgré que se parents soient au bénéfice de prestations de l'hospice général (ATA/341/2014 du 13 mai 2014 consid. 7).

d. En l'espèce, quand bien même la recourante se trouve dans une situation financière délicate, elle ne soutient pas qu'elle serait dans une des situations évoquées dans les travaux préparatoires, à savoir une reprise d'une formation après des années consacrées à l'entretien de personnes à charge ou un refus de ses parents de prendre en charge les frais de formation. Elle n'allègue de plus pas de raisons personnelles ou de santé qui expliqueraient l'éventuelle précarité de sa situation. Les conditions de l'art. 16 RBPE ne sont en conséquence pas remplies. Admettre le contraire dans le cas d'espèce reviendrait d'ailleurs à nier le contenu de l'art. 11 al. 2 let. a LBPE.

8) La recourante n'indique pas sur quelle base légale elle pourrait prétendre à une bourse d'études au motif qu'elle serait la seule femme en formation dans une classe d'hommes. Quand bien même les Constitutions tant fédérale que cantonale affirment le principe de l'égalité entre les sexes, elle ne peut en déduire, en l'espèce, aucun droit à l'obtention d'une bourse, pour un motif fondé sur l'égalité de traitement, en lieu et place du prêt accordé.

En tous points infondé, le recours sera rejeté.

9) Aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante vu sa situation (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 mars 2020 par Madame A______ contre la décision du service des bourses et prêts d'études du 18 février 2020  ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :