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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3088/2019

ATA/561/2020 du 09.06.2020 ( AMENAG ) , ADMIS

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;PROTECTION DES MONUMENTS;RÉNOVATION D'IMMEUBLE;POUVOIR D'APPRÉCIATION;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION
Normes : LPMNS.4; LPMNS.7; LPMNS.8; LPMNS.9; cst..26.al1
Parties : SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DE CAROUGE ET EGLISE EVANGELIQUE LIBRE DE GENEVE, EGLISE EVANGELIQUE LIBRE DE GENEVE, PAROISSE DE CAROUGE / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE, PATRIMOINE SUISSE GENÈVE, SECTION CANTONALE DE PATRIMOINE SUISSE
Résumé : Annulation d’une décision de mise à l’inventaire d’une chapelle construite en 1914. Préavis divergeant de la commune et de la CMNS. Sur le plan architectural, personne, même la CMNS ne considère le bâtiment comme un édifice d’une grande valeur architecturale. Son intérêt réside presque exclusivement dans le fait d’avoir été construit à la même période que la série des chapelles de style suisse répertoriées et d’avoir une forme de toiture et un clocheton relevant de ce style architectural. La question de savoir si l’intérêt urbanistique de la parcelle et du bâtiment suffit à fonder la décision de mise à l’inventaire peut rester indécise, compte tenu du fait que le département a échoué à démontrer de façon satisfaisante, comme il lui incombait de le faire, au vu des intérêts en présence, que la mesure était proportionnée en établissant clairement toutes les conséquences de la mesure des points de vue de l’utilisation future du bâtiment et des possibilités de rendement.
Rectification d'erreur matérielle : rectification d'erreur matérielle le 23.06.2020
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3088/2019-AMENAG ATA/561/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 juin 2020

 

dans la cause

 

SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DE CAROUGE 
éGLISE éVANGELIQUE LIBRE DE GENèVE, paroisse de carouge

représentées par Me Lucien Lazzarotto, avocat

contre

PATRIMOINE SUISSE GENÈVE, appelé en cause
représenté par Me Alain Maunoir, avocat

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

 



EN FAIT

1) a. La société immobilière de Carouge (ci-après : la SI) a été créée en 1904 par l’église évangélique libre de Genève, paroisse de Carouge (ci-après : l’EELG). Elle est propriétaire de la parcelle no 833, feuille 48 du cadastre de la commune de Carouge, sise 8, rue du Centenaire à l’angle de la rue Jacques-Grosselin, située en zone de développement 3.

La parcelle, d’une surface de 765 m2 abrite une chapelle (bâtiment C158) d’une surface au sol de 177 m2 construite en 1914, utilisée par l’EELG comme lieu de culte et de réunion ainsi que pour loger le pasteur dans un appartement de trois pièces. Le bâtiment comprend un rez-de-chaussée, un étage et des combles, surmontés d’un toit à demi-croupes et d’un clocheton. Le bâtiment est entouré d’un parc fermé par une clôture en fer forgé.

b. La chapelle était classifiée comme bâtiment « en attente de jugement » par le recensement architectural du canton de Genève, commune de Carouge, entériné par la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : la CMNS) le 28 février 1983.

2) a. Le 18 août 2015, l’EELG a consulté l’office du patrimoine et des sites (ci-après : l’OPS) pour un projet de remplacement de la chapelle existante.

b. Le 26 août 2015, l’OPS a procédé à une visite des lieux en présence de l’architecte mandaté par l’EELG.

c. Le 21 mars 2016, les délégués de la sous-commission monuments et antiquités (ci-après : la SCMA) de la CMNS ont procédé à une visite des lieux en présence de l’architecte cantonal, de l’architecte de l’EELG et des représentants de cette dernière. Cette visite faisait suite à un courrier du 9 mars 2016 de l’OPS adressé à l’architecte de l’EELG, dans lequel il était indiqué que, compte tenu de la valeur des ensembles de l’îlot des Pervenches et, au vu des enjeux urbanistiques qu’impliquerait une éventuelle démolition-reconstruction de l’église, il était nécessaire que la CMNS soit consultée.

d. Le 6 avril 2016, la SCMA a rendu un préavis de consultation défavorable à la démolition du bâtiment C158 et sollicitait la mise sous protection du bâtiment par le biais d’une mesure d’inscription à l’inventaire.

e. Le 6 juin 2016, l’OPS a informé l’architecte de la propriétaire de l’intention du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie, devenu depuis lors celui du territoire (ci-après : le département) de ne pas donner suite à la demande de mise sous protection formulée par la SCMA/CMNS. Il ne s’opposerait pas à la démolition du bâtiment.

3) a. Le 6 septembre 2016, la SI a requis auprès du département l’autorisation de démolir la chapelle (M 7’736/1) ainsi que l’autorisation préalable de construire un bâtiment pour l’EELG avec des logements et des locaux d’activités sociales et paroissiales (DP 18'688/1).

b. Le 17 octobre 2016, le service des monuments et sites (ci-après : le SMS) a rendu un préavis favorable à la requête en démolition aux conditions qu’un reportage photographique extérieur et intérieur du bâtiment lui soit fourni et que l’autorisation de démolir soit subordonnée à l’acceptation de l’autorisation de construire.

4) Les 30 octobre et 11 novembre 2016, les associations Le Boulet et Patrimoine suisse Genève (ci-après : PSGe) ont sollicité l’inscription à l’inventaire du bâtiment C158 ainsi que de la parcelle no 833.

5) Le 22 novembre 2016, après avoir ouvert une procédure d’inscription à l’inventaire du bâtiment C158 et de la parcelle no 833, le département a consulté la propriétaire.

6) Le 23 novembre 2016, la SCMA a rendu un préavis favorable à l’inscription à l’inventaire du bâtiment et de la parcelle.

7) Le 17 janvier 2017, la commune a indiqué au département que le bâtiment concerné n’avait pas une importance de valeur d’attachement sociétal et déclarait s’en remettre aux conclusions des experts de l’OPS, au sujet de la valeur patrimoniale bâtie.

8) Le 31 mars 2017, la propriétaire s’est déclarée défavorable à la mesure de protection envisagée.

Elle a produit la notice historique du 30 mars 2017 de Monsieur Bruno CORTHéSY, historien de l’architecture, président de l’association romande des historiens et historiennes de l’art monumental (ARHAM). Le bâtiment en
lui-même ne présentait pas un grand intérêt patrimonial en raison, notamment, de l’absence d’éléments historiques ou architecturaux particulièrement caractéristiques et des nombreuses transformations intérieures subies au fil du temps.

La construction n’était pas liée à celles de l’îlot des Pervenches et des trois maisons sises le long de la rue du Centenaire, le secteur dans lequel était sise la chapelle était, à l’époque de l’édification du bâtiment, vierge de toute construction.

Les conditions de sécurité contre l’incendie n’étaient plus remplies et les efforts pour rendre le bâtiment conforme étaient incompatibles avec sa conversion. Un audit succinct de protection incendie réalisé par la société Orqual SA était joint ainsi qu’une notice explicative de Monsieur Francis GOETSCHMANN, architecte.

9) Les 30 mai et 15 juin 2017, les associations PSGe et Le Boulet se sont déterminées.

L’édifice en question constituait un point de référence, sous l’angle de ses gabarit et alignement, lors de la conception de l’îlot constitué des trois immeubles implantés le long de la rue du Centenaire et des quatre immeubles délimités par les rues Jacques-Grosselin, Louis-De-Montfalcon et l’avenue de la Praille. Il contribuait à la valeur de cet ensemble. Le Boulet estimait que la chapelle et les trois bâtiments adjacents sur la rue du Centenaire formaient un ensemble au sens de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988
(LCI - L 5 05).

10) Le 27 juin 2017, le département a délivré l’autorisation préalable de construire DP 18'688, laquelle est entrée en force.

11) Le 24 juillet 2017, la propriétaire a fait valoir que la chapelle ne faisait partie d’aucun ensemble bâti au sens de la LCI puisqu’elle avait été construite de façon isolée.

12) a. Le 27 juillet 2017, le département a délivré l’autorisation de démolir le bâtiment C158 (M 7'736/1).

b. Le 13 septembre 2017, PSGe a interjeté un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) contre l’autorisation de démolir (cause A/3836/2017). Le 8 février 2018, le TAPI a suspendu la procédure jusqu’à l’issue de la procédure en inscription à l’inventaire.

13) Le 20 septembre 2017, la présidente de la CMNS a soumis au conseiller d’État en charge du département le problème d’avis contradictoires résultant de la délivrance d’une autorisation de démolir en cours de procédure de mise à l’inventaire. L’avis de l’architecte cantonal, exprimé lors de la visite du 21 mars 2016, qui ne s’opposait pas à la démolition, avait été retenu, alors qu’en matière de protection du patrimoine il appartenait à la CMNS de conseiller le département.

14) Les 11 et 17 octobre 2017, Le Boulet et PSGe ont persisté dans les termes de leur demande d’inscription à l’inventaire.

15) Le 16 novembre 2017, la propriétaire a fait état de frais estimés à CHF 460'000.- pour mettre le bâtiment aux normes de sécurité impératives.

16) En janvier 2018, une pétition intitulée : « Action citoyenne des habitants de l’îlot des Pervenches contre l’autorisation de démolition de la chapelle rue du Centenaire 8 à Carouge », signée par cent trente personnes a été adressée à la mairie de la commune.

17) Le 27 février 2018, une fiche descriptive rédigée par Madame Lola CHOLAKIAN LOMBARD, a été soumise à la CMNS dans le cadre du recensement architectural du canton de Genève, commune de Carouge (fiche RAC-CRG-2011-32619). Une valeur « intéressante » était attribuée au bâtiment.

18) Dans une note de service du 6 février 2018, adressée au conseiller d’État en charge du département, Monsieur Francesco DELLA CASA, architecte cantonal, a indiqué que par principe, on devrait considérer qu’un bâtiment voué à l’exercice d’un culte religieux participait à la qualité urbaine d’un quartier, à l’identité mémorielle des habitants, et ce quelle que soit la valeur intrinsèque de son architecture. Une modification du bâtiment, voire son remplacement devrait rester envisageable. Le fait que la chapelle fasse partie d’une série de chapelles construites dans la même période constituait un argument très solide en faveur de sa mise sous protection. Sur le plan urbanistique, sa position à l’angle d’un îlot lui faisait jouer un rôle considérable dans son environnement élargi, qui méritait un examen approfondi.

L’on pouvait être partagé sur l’argument selon lequel la chapelle aurait dicté le gabarit des autres immeubles de logements composant l’îlot.

Le statut de l’espace vide autour de la chapelle offrait un intérêt beaucoup plus important. Il jouait un rôle d’articulation essentiel entre l’espace public des rues et l’espace semi-privé du cœur de l’îlot ainsi que du futur parc dont l’angle serait en face de la parcelle concernée.

La mise sous protection était souhaitable.

19) Le 14 mai 2019, l’architecte de la propriétaire s’est déterminé sur la fiche de recensement.

20) Par arrêté du 27 juin 2019, le département a approuvé l’inscription à l’inventaire des immeubles dignes d’être protégés du bâtiment C158 (chapelle de l’Eglise évangélique libre de Carouge) et de la parcelle no 833, feuille 48 du cadastre de la commune de Carouge.

Le département développait les motifs architecturaux et urbanistiques motivant sa décision et ceux ayant permis d’écarter les objections de la propriétaire. Outre le préavis de la CMNS, il se fondait notamment sur un rapport établi à la demande du conservateur cantonal le 13 mai 1999 par Madame Sabine LOB-PHILIPPE portant sur les chapelles en style suisse de Genève, concernant huit chapelles dont celle de l’EELG.

Il relevait également une publication de l’office fédéral de la culture
(ci-après : OFC) intitulée : « culture solaire – concilier énergie solaire et culture du bâti » laquelle mentionnait le périmètre de la chapelle, le qualifiant d’ensemble urbain remarquable.

21) Par acte commun du 27 août 2019, la SI et l’EELG ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté du département du 27 juin 2019, en concluant à son annulation ainsi qu’au versement d’une indemnité de procédure. Préalablement, elles concluaient à la tenue d’un transport sur place.

La notice historique établie par M. CORTHéSY indiquait que la chapelle, construite en 1914 sur une parcelle alors isolée, par l’entreprise « établissement Cuénod » dont l’autorisation de construire avait été requise par l’architecte Alfred ARNAudeau, tombé depuis dans l’anonymat, présentait un style général s’apparentant à une maison d’habitation.

Au fil des années, ce bâtiment avait subi de très nombreuses transformations, tant extérieures qu’intérieures et était devenu extrêmement vétuste. Il ne répondait plus aux normes actuelles de construction et son occupation était même devenue dangereuse, ne correspondant plus aux besoins croissants de la communauté.

La façade principale avait été modifiée en 1945 et la porte d’entrée constituée de deux vantaux, surmontée d’une imposte cintrée avait été remplacée par une porte de format carré dont les vantaux étaient ajourés de petits carreaux. Une marquise recouverte de tuiles et supportée par des bras-de-force en bois avait été apposée au-dessus de l’entrée. Dans les années 1970, la salle de culte avait subi une importante transformation. En 1973, c’était l’une des deux salles de réunion qui avait subi des travaux et en 1980, le toit avait bénéficié d’une importante réfection. En 1997, un vaste hall d’entrée avait été créé en abattant plusieurs cloisons.

L’intérêt patrimonial du bâtiment n’était pas grand. Seule sa toiture, quelque peu animée par un clocheton et des bras-de-force, pouvait l’assimiler au Heimatstil mais tel n’était pas le cas ni du plan, ni des matériaux. L’intérieur ne présentait aucun élément décoratif digne d’intérêt. Le bâtiment ne faisait pas partie d’un ensemble bâti. Les églises et chapelles Heimatstil du canton avaient été recensées en 1999. Sur les huit objets, seule celle de Carouge n’avait pas été mise sous protection. Sa modestie et son manque de cohérence stylistique expliquaient certainement cette exception. La série n’avait pas été protégée en tant que telle.

Un audit de sécurité incendie réalisé par Monsieur D. BOISSICAT, expert en protection incendie AEAI, le 17 mars 2017, préconisait de suspendre l’utilisation de la salle de réunion du 1er étage et déconseillait formellement l’accueil des enfants dans la salle d’activité du 1er étage et l’utilisation du grenier au 2ème étage.

Le bâtiment ne correspondait plus aux besoins de la communauté qui s’agrandissait et il était prévu de pouvoir construire un bâtiment moderne et accueillant pour l’EELG ainsi que des logements et des locaux d’activités sociales ou paroissiales.

L’importance architecturale du bâtiment était très relative, ce qu’avait retenu le SMS qui avait préavisé favorablement sa démolition. L’importance urbanistique n’existait pas et les affirmations du département à ce sujet étaient fausses. La chapelle était sans lien architectural avec les bâtiments postérieurs.

Le département n’avait pas instruit plusieurs questions, mais retenu que la mesure ne rendrait pas impossibles des travaux d’aménagement ou de rénovation et qu’aucun élément ne permettait de considérer que le bâtiment ne pourrait être utilisé conformément à son exploitation. Or, cela était faux.

De même, le département avait retenu, sans l’examiner, que la mesure ne porterait pas une atteinte insupportable au droit de propriété.

La mise à l’inventaire de la chapelle et de sa parcelle représentait un intérêt public très limité, alors même que ses répercussions étaient catastrophiques pour l’EELG et sa communauté.

Le manque à gagner, la perte des honoraires d’architecte dépensés pour l’autorisation de construire s’élevaient déjà à près de CHF 500'000.-. Cette inscription à l’inventaire mettait de fait gravement en péril la survie de l’EELG et celle de sa communauté alors qu’elle était implantée depuis plus de deux cents ans à Carouge. La chapelle et la parcelle représentaient sa seule fortune, n’ayant pas de terrain à disposition pour réaliser les projets nécessaires à sa survie.

Les travaux à réaliser pour sécuriser et désamianter le bâtiment représenteraient un montant global de l’ordre de CHF 673'125.- qu’elles ne détenaient pas. La mise aux normes réduirait la surface de la salle de culte de près de 17 % (75,13 m2 /90,1 m2), alors que la construction prévue lui permettrait de disposer d’une salle d’environ 294 m2 pouvant accueillir environ deux cents places. À cela s’ajoutait que l’EELG devrait renoncer à ses activités socioculturelles. Dans le meilleur des cas, elle devrait exploiter un bâtiment ne répondant plus du tout à ses besoins et entraînerait vraisemblablement sa disparition. La vente de la parcelle n’était pas non plus envisageable en raison de la mesure.

L’élément déterminant de l’intérêt de la chapelle résidait dans son intégration au site et à l’îlot. Le bâtiment n’empruntait au style suisse que sa toiture et son clocheton. La décision du département était fondée sur une publication concernant les panneaux solaires qui ne constituait pas un ouvrage de référence en matière d’architecture ou d’urbanisme.

La mesure était disproportionnée et rendait le bâtiment inexploitable. Les conséquences n’étaient pas supportables financièrement.

22) Par arrêt du 8 novembre 2019 (ATA/1648/2019), la chambre administrative a appelé en cause PSGe.

23) Le 5 novembre 2019, le département a répondu au recours, concluant à son rejet.

Il produisait une analyse de la conservatrice cantonale des monuments du 17 octobre 2019 rappelant toute la valeur et la typicité de l’urbanisme de la Ville de Carouge, mettant en exergue l’importante valeur d’usage et la portée symbolique de la chapelle, au regard notamment du contexte bâti (îlot des Pervenches) dans lequel elle s’inscrivait.

Il reprenait les éléments de sa décision et ajoutait que le caractère unique du bâtiment, voire sa rareté était un critère complémentaire important, même s’il n’était pas exclusif.

Le préavis de la commune ne devait pas être pris en compte dans la procédure ayant pour objet la mesure de protection puisqu’il avait été rendu dans le cadre de la requête en démolition.

Les différents travaux entrepris n’avaient pas entraîné une perte significative de la substance patrimoniale du bâtiment.

Il n’était pas établi que le bâtiment soit inexploitable. Le diagnostic produit était trop sommaire et réalisé par un mandataire privé choisi par la propriétaire. En outre, au vu des pièces produites, le bâtiment était exploité au travers des activités cultuelles ordinaires et des autres activités de type parascolaire.

L’impossibilité de vendre la parcelle n’avait pas été démontrée. Ainsi, la chapelle protestante en style suisse du Grand-Lancy, ayant fait l’objet d’une mesure de protection, avait été réaffectée par son nouveau propriétaire en logement bibliothèque et centre de consultation destiné à l’usage de deux associations d’historiens.

La mise en conformité n’était pas impossible, mais elle impliquait des mesures particulières pour rendre le bâtiment conforme aux obligations topiques. Les recourantes n’avaient fait aucune demande en ce sens et la prétendue disproportion des efforts imposés n’était pas démontrée. Il n’était même pas démontré que des travaux de restauration soient nécessaires. Deux devis avaient été produits, l’un initial de CHF 460'000.- et l’autre de CHF 625'000.- au stade du recours, sans que la différence ne soit expliquée. Ces devis devaient être relativisés, notamment parce qu’ils portaient sur des travaux touchant les éléments caractéristiques du bâtiment. Un montant de CHF 400'000.- n’apparaissait pas démesuré. La chapelle pourrait être vendue à un prix largement supérieur aux CHF 625'000.- et l’État pouvait participer au maintien de la substance architecturale du bien, entre 10 et 15 % selon la pratique du département.

La propriétaire pouvait utiliser le bien conformément à sa destination, le louer ou le vendre. L’inscription à l’inventaire ne produirait pas des effets insupportables au point d’imposer la démolition du bâtiment au profit d’un projet de construction nouvelle. Le dommage que les recourantes estimaient à CHF 3'000'000.- était prématuré.

L’intérêt public à la construction de logements ne devait pas nécessairement l’emporter sur celui lié à la protection du patrimoine. Tous les intérêts en présence avaient été pris en considération.

24) Le 17 janvier 2020, PSGe a déposé des observations, concluant au rejet du recours.

Le premier projet de construction de la chapelle avait été élaboré par l’architecte Edmond FATIO, auteur de plusieurs réalisations dans le style Heimatstil, dont notamment trois autres chapelles du canton. Pour des raisons pécuniaires, l’EELG avait choisi de se passer de M. FATIO et de faire appel à un entrepreneur, comme cela ressortait de la lettre du 7 décembre 1906 du pasteur. Ces circonstances particulières n’empêchaient pas de reconnaître les principales caractéristiques du projet initial. Malgré les interventions dans la seconde moitié du XXe siècle, l’intérieur conservait de nombreux éléments d’origine dignes d’intérêt (plancher, menuiserie, escalier, charpente, tous réalisés en bois) et l’extérieur également hormis les transformations des porches d’entrée.

La chapelle était le premier élément, avec l’école des Pervenches de l’important îlot urbain. Les bâtiments alentour avaient été alignés sur celui-ci.

La mesure permettait de préserver la valeur mémorielle du bâtiment pour une grande partie des habitants du quartier comme en attestait la pétition.

L’inscription permettait au propriétaire de faire procéder à des travaux d’entretien, de rénovation de transformation, voire d’agrandissement. Le bâtiment était utilisé de manière relativement intense actuellement.

25) Le 16 mars 2020, les recourantes ont répliqué, persistant dans les conclusions prises dans leur recours.

Le département avait indiqué le 21 novembre 2017 dans les observations déposées dans la procédure A/3836/2017 qu’il était peu probable que la chapelle dont la démolition était requise puisse être mise au bénéfice d’une quelconque mesure de protection.

L’importance de la pétition devait être relativisée dans la mesure où elle était signée par cent trente des vingt-deux mille habitants de Carouge et par des personnes habitant à proximité de la parcelle concernée et certainement plus préoccupés de se prémunir des désagréments occasionnés par une nouvelle construction que par la protection de la chapelle. En effet, les signataires n’avaient pas recouru contre les autorisations délivrées et la commune elle-même ne s’était pas déclarée en faveur d’une mesure de protection.

La rédactrice de la fiche de recensement, Mme CHOLAKIAN LOMBARD était membre de PSGe.

Le fait que la mesure de protection contestée avait été envisagée plusieurs décennies après la mise sous protection de plusieurs autres chapelles Heimatstil, du canton démontrait le manque d’intérêt du bâtiment en question.

Les avis d’experts étaient loin d’être aussi unanimes et tranchés.

La mesure ne permettrait pas une rénovation ou un agrandissement nécessaire à l’augmentation de leurs besoins. Vendre la parcelle n’avait pas de sens, l’activité de l’EELG étant liée au quartier. En outre, vu les prix de vente réalisés pour ce genre d’objet, aucune acquisition d’un autre bien ne pourrait être faite.

Il apparaissait douteux que la préservation d’un édifice décati, dont les spécialistes ne reconnaissaient pas de manière unanime l’intérêt patrimonial doive primer l’intérêt public à pouvoir bénéficier de logements bon marché.

Finalement, l’autorité ignorait que la mesure querellée entravait également la communauté de l’EELG dans sa liberté de conscience et croyance, laquelle constituait un intérêt public fondamental.

26) Le 17 mars 2020, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur l’inscription à l’inventaire des immeubles dignes d'être protégés du bâtiment C158 et de la parcelle no 833, feuille 48 du cadastre de la commune de Carouge qui le supporte, sise 8, rue du Centenaire à l’angle de la rue Jacques-Grosselin.

3) Les recourantes sollicitent un transport sur place.

a. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

b. L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

En l'espèce, la chambre de céans dispose d'un dossier complet, lequel comprend notamment les écritures des parties et de nombreuses pièces produites à leur appui dont notamment des plans et des photographies du bâtiment et de la parcelle concernée ainsi que des environs. Il ne sera dès lors pas donné suite aux actes d'instruction sollicités.

4) Les recourantes font valoir que l’intérêt architectural et urbanistique du bâtiment et de la parcelle ne serait pas suffisant pour pouvoir justifier la mesure de protection. Ils estiment également que la mesure est disproportionnée, l’atteinte à leur droit de propriété n’étant pas supportable.

5) a. Conformément à l'art. 4 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), sont protégés les monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et les antiquités immobilières situés ou découverts dans le canton, qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets ou leurs abords (let. a) et les immeubles, les sites dignes d'intérêt, ainsi que les beautés naturelles (let. b).

b. Un monument au sens de la LPMNS est toujours un ouvrage, fruit d'une activité humaine. Tout monument doit être une œuvre digne de protection du fait de sa signification historique, artistique, scientifique ou culturelle. Il appartient aux historiens, historiens de l'art et autres spécialistes de déterminer si les caractéristiques présentées par le bâtiment le rendent digne de protection, d'après leurs connaissances et leur spécialité. À ce titre, il suffit qu'au moment de sa création, le monument offre certaines caractéristiques au regard des critères déjà vus pour justifier son classement, sans pour autant devoir être exceptionnel dans l'abstrait. Un édifice peut également devenir significatif du fait de l'évolution de la situation et d'une rareté qu'il aurait gagnée. Les particularités du bâtiment doivent au moins apparaître aux spécialistes et trouver le reflet dans la tradition populaire sans trop s'en écarter (ATA/1024/2019 du 18 juin 2019 consid. 3b ; ATA/1068/2016 du 20 décembre 2016 consid. 5b ; ATA/1214/2015 du 10 novembre 2015 consid. 4b ; ATA/721/2012 du 30 octobre 2012 et les références citées).

c. Selon la charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites élaborée et adoptée à l'échelle internationale en 1964 à Venise à l'occasion du deuxième congrès international des architectes et des techniciens des monuments historiques (ci-après : la charte de Venise), la notation de monument historique comprend tant la création architecturale isolée, que le site urbain ou rural qui porte témoignage d'une civilisation particulière, d'une évolution significative ou d'un événement historique. Elle s'étend non seulement aux grandes créations, mais aussi aux œuvres modestes qui ont acquis avec le temps une signification culturelle (art. 1 charte de Venise).

d. L'art. 4 let. a LPMNS, en tant qu'il prévoit la protection de monuments de l'architecture présentant un intérêt historique, scientifique ou éducatif, contient des concepts juridiques indéterminés qui laissent par essence à l'autorité comme au juge une latitude d'appréciation considérable. Il apparaît en outre que, depuis quelques décennies en Suisse, les mesures de protection ne s'appliquent plus uniquement à des monuments exceptionnels ou à des œuvres d'art mais qu'elles visent des objets très divers du patrimoine architectural du pays, parce qu'ils sont des témoins caractéristiques d'une époque ou d'un style (Philip VOGEL, La protection des monuments historiques, 1982, p. 25). La jurisprudence a pris acte de cette évolution (ATF 126 I 219 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_300/2011 du 3 février 2012 consid. 5.1.1).

Alors qu'à l'origine, les mesures de protection visaient essentiellement les monuments historiques, à savoir des édifices publics, civils ou religieux, ainsi que des sites et objets à valeur archéologique, elles se sont peu à peu étendues à des immeubles et objets plus modestes, que l'on a qualifiés de patrimoine dit « mineur », caractéristique de la campagne genevoise, pour enfin s'ouvrir sur une prise de conscience de l'importance du patrimoine hérité du XIXe siècle et la nécessité de sauvegarder un patrimoine plus récent, voire contemporain (ATA/1024/2019 précité consid. 3d).

Néanmoins, comme tout objet construit ne mérite pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction des critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes. Elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_32/2012 du 7 septembre 2012 consid. 6.1 ; ATA/1024/2019 précité consid. 3d).

e. L'art. 7 al. 1 LPMNS prévoit qu'il est dressé un inventaire de tous les immeubles dignes d'être protégés au sens de l'art. 4 LPMNS.

Lorsqu'une procédure de mise à l'inventaire est ouverte, la commune du lieu de situation est consultée (art. 8 al. 1 LPMNS et 17 al. 3 du règlement d'exécution de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 29 novembre 1976 - RPMNS - L 4 05.01). L'autorité municipale doit communiquer son préavis dans un délai de trente jours à compter de la réception du dossier (art. 8
al. 2 LPMNS). Le silence de la commune vaut approbation sans réserve (art. 8
al. 3 LPMNS). La CMNS formule ou examine les propositions d'inscription ou de radiation d'immeubles à l'inventaire (art. 5 al. 2 let. b RPMNS). Le département jouit toutefois, sous réserve d'excès ou d'abus de pouvoir, d'une certaine liberté d'appréciation dans les suites à donner dans un cas d'espèce, quel que soit le contenu du préavis, celui-ci n'ayant qu'un caractère consultatif (ATA/1024/2019 précité consid. 3d ; ATA/721/2012 précité consid. 5 et les références citées).

f. Si la consultation de la CMNS est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l'appréciation qu'est amenée à effectuer l'autorité de recours. En outre, la CMNS se compose pour une large part de spécialistes, dont notamment des membres d'associations d'importance cantonale, poursuivant par pur idéal des buts de protection du patrimoine (art. 46
al. 2 LPMNS). À ce titre, son préavis est important (ATA/1024/2019 précité consid. 4d ; ATA/1214/2015 précité consid. 4f).

g. Chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l'autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi. La chambre est en revanche libre d'exercer son propre pouvoir d'examen lorsqu'elle est confrontée à des préavis divergents, et ce d’autant plus qu’elle a procédé elle-même à des mesures d’instruction (ATA/37/2005 du 25 janvier 2005 ; ATA/826/2004 du 26 octobre 2004 et les références citées).

6) a. L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l'art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

Pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_386/2010 du 17 janvier 2011 consid. 3.1 ; ATA/1214/2015 précité consid. 2a).

b. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 et les arrêts cités).

c. En principe, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont d'intérêt public et celui-ci prévaut sur l'intérêt privé lié à une utilisation financière optimale du bâtiment (ATF 126 I 219 consid. 2c ; 120 Ia 270 consid. 6c ; 119 Ia 305 consid. 4b).

Le sacrifice financier auquel le propriétaire est soumis du fait de la mise à l'inventaire constitue un élément important pour apprécier si l'atteinte portée par cette mesure à son droit de propriété est supportable ou non (ATF 126 I 219 consid. 6c ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_52/2016 du 7 septembre 2016 consid. 3.2).

En relation avec le principe de la proportionnalité au sens étroit, une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Constitution si elle produit des effets insupportables pour le propriétaire ou ne lui assure pas un rendement acceptable. Savoir ce qu'il en est, dépend notamment de l'appréciation des conséquences financières de la mesure critiquée (ATF 126 I 219 consid. 6c in fine et consid. 6h ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_52/2016 précité consid. 2 ; 1P.842/2005 du 30 novembre 2006 consid. 2.4).

Plus un bâtiment est digne d'être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte (ATF 118 Ia 384 consid. 5 ; ATA/1024/2019 précité consid. 2).

7) En l’espèce, le département fonde principalement sa décision de protection sur le préavis de la CMNS du 6 avril 2016. Le dossier contient toutefois également un préavis de la commune qui ne retient pas d’intérêt à la protection du bâtiment.

Le département a délivré de façon contradictoire une autorisation de démolition du bâtiment, préavisée favorablement par le SMS, laquelle n’est toutefois pas définitive ainsi qu’une autorisation préalable de construire un bâtiment en remplacement de la chapelle.

Dans ces circonstances, en présence de préavis divergeants, la chambre de céans dispose d’un libre pouvoir d’appréciation et cela même si elle n’a pas procédé elle-même à un transport sur place, car elle dispose d’un dossier complet, contenant de nombreuses photographies de l’intérieur et de l’extérieur du bâtiment et de ses environs ainsi que des nombreux avis, documents et rapports produits par les parties.

8) Concernant la condition d’immeuble digne d’être protégé au sens de l’art. 7 al. 1 LPMNS, la décision du département, s’agissant des qualités architecturales du bâtiment qui lui conféraient son intérêt patrimonial, même s’il n’appartenait pas aux objets exceptionnels du patrimoine bâti, se fonde en priorité sur le préavis de la SCMA du 6 avril 2016, rendu dans le cadre de la demande de démolition du bâtiment.

Dans ce préavis, la SCMA retient que la petite chapelle, datant de
1913-1914, était à mettre en relation avec l’école des Pervenches, également construite dans le « style suisse », inaugurée en 1911. Il est précisé que sa généreuse toiture débordante, le petit clocher placé à cheval sur le faîtage, les linteaux à accolade et le triplet au-dessus de l’entrée empruntés au répertoire gothique cher à cette époque, étaient autant de qualités qui la distinguaient discrètement des autres constructions. Elle se rapprochait également des autres chapelles de « style suisse » mentionnées dans le recensement qui leur avait été consacré, bien que d’aspect plus modeste en regard des autres chapelles.

Or, il ressort du rapport de Mme LOB-PHILIPPE, consacré aux chapelles de style suisse de Genève, que la chapelle de l’EELG se distingue assez nettement des six autres chapelles appartenant à l’église nationale protestante, que l’historienne retient comme étant les édifices les plus caractéristiques (p. 2). Ainsi, cinq de ces chapelles sont l’œuvre des architectes Edmond FATIO ou de Léon et Franz FULPIUS, dont les constructions sont considérées comme très représentatives des tendances architecturales du début du siècle à Genève (p. 3). Les plans de la chapelle de l’EELG ont été visés par un architecte moins célèbre et, selon les recourantes, établis par une entreprise de construction, même si deux projets initiaux de M. FATIO auraient servi d’inspiration.

Toujours selon ce rapport, la chapelle de l’EELG se distinguait encore des six autres chapelles car elle n’empruntait au style suisse que sa toiture et son petit clocher (p. 6 in fine). Elle se distinguait par sa situation : les six autres étaient sises dans un cadre bucolique, entourées d’un jardin ou d’une prairie avec de grands arbres (p. 3). Elle différait également quant aux éléments empruntés au style gothique que la chapelle de Carouge était la seule à posséder. Les chapelles étaient toutes pourvues d’une entrée abritée à l’origine, alors que celle de l’EELG avait été ajoutée en 1947. Les vitrages des salles de culte de la chapelle de Carouge différaient de ceux de cinq autres chapelles.

En conclusion, Mme LOB-PHILIPPE retient que l’ensemble de la toiture apparente l’édifice aux « chapelles genevoises en style suisse, bien que les murs dépourvus d’effets de rustication l’en éloignent très sûrement ».

La SCMA indique encore que, bien que certains éléments d’origine subsistent tels que fenêtres, boiseries, escalier, plusieurs campagnes de travaux avaient conduit à une légère perte de substance intérieure. Le département tient compte de cette appréciation en indiquant qu’en dépit d’aménagements pris au gré des besoins, cette édification avait conservé toute sa cohérence et ses qualités, ainsi que son intérêt historique et architectural, faisant figure de témoin historique contribuant à l’identité mémorielle du secteur.

Quant à l’architecte cantonal, il estime que le remplacement de la chapelle pourrait être envisagé et renvoie au préavis de la CMNS s’agissant de la valeur de la substance patrimoniale du bâtiment. Le fait qu’elle fasse partie d’une série de chapelles constituait un argument très solide en faveur de sa mise sous protection.

La commune s’en est rapportée aux avis des experts de l’OPS quant à la valeur patrimoniale du bâtiment. L’OPS en déclarant ne pas s’opposer à la démolition ne s’est donc pas déclaré favorable à la mise à l’inventaire.

L’historien de l’architecture a retenu quant à lui que l’intérêt patrimonial du bâtiment n’était pas grand.

Il découle de ce qui précède que, sur le plan architectural, personne, même la CMNS, ne considère le bâtiment comme un édifice d’une grande valeur architecturale. Son intérêt réside presque exclusivement dans le fait d’avoir été construit à la même période que la série des chapelles de style suisse répertoriées et d’avoir une forme de toiture et un clocheton relevant de ce style architectural.

9) Sur le plan urbanistique, il est relevé par la CMNS que les trois groupes d’immeubles édifiés entre 1925 et 1939, formant l’îlot des Pervenches, frappaient aujourd’hui par leur cohésion liée à l’alignement et aux gabarits en lien avec la présence de la chapelle et son incidence sur le morcellement réalisé et le percement de la rue du Centenaire.

L’architecte cantonal considère comme une coïncidence le fait que la chapelle aurait dicté le gabarit des autres immeubles de logements composant l’îlot. Il retient que la position du bâtiment à l’angle d’un îlot qui s’était constitué ultérieurement lui faisait jouer un rôle considérable dans son environnement élargi et notamment, l’espace vide autour de la chapelle jouait un rôle essentiel d’articulation spatiale entre l’espace public des rues qui le bordent et l’espace semi-privé du cœur de l’îlot constitué par un square arboré. Cette articulation valait également avec la création d’un grand parc public dont l’un des angles serait en position diagonale par rapport à la chapelle dans le développement futur du quartier Praille-Acacias-Vernets.

Au dossier figure également l’analyse de la conservatrice cantonale des monuments du 17 octobre 2019 retenant l’importante valeur d’usage et la portée symbolique de la chapelle, au regard notamment du contexte bâti. Il convient de relever que cet avis a été rendu après que la décision contestée ait été prise et qu’il est contradictoire avec l’avis donné antérieurement par l’OPS le 6 juin 2016.

La commune, quant à elle, a relevé qu’il n’existait pas d’attachement sociétal à ladite chapelle.

Sur le plan urbanistique, il est acquis que trois groupes indépendants de bâtiments, construits à des dates différentes entre 1925 et 1939, forment l’îlot des Pervenches. L’ensemble qui en résulte est le fruit des autorisations de construire successives délivrées. Il n’est dès lors pas possible de retenir que la cohérence qui résulte de ces constructions repose uniquement sur la présence ou non de la chapelle. Il en va de même du rôle d’articulation de la parcelle, lequel ne dépend pas non plus des qualités ou de l’existence même du bâtiment.

La question de savoir si l’intérêt urbanistique de la parcelle et du bâtiment suffit à fonder la décision de mise à l’inventaire peut toutefois rester indécise, au vu de ce qui suit.

10) S’agissant du principe de la proportionnalité, bien que la mise à l'inventaire du bâtiment constitue la mesure de protection individuelle la moins contraignante prévue par la LPMNS, celle-ci entraîne l'obligation de maintenir les immeubles et d'en préserver les éléments dignes d'intérêt, les structures porteuses également (art. 9 al. 1 LPMNS ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_72/2017 du 14 septembre 2017 consid. 7.2). Le département admet que des travaux indispensables de mise en conformité pour un montant de CHF 400'000.- devraient être effectués sur la base d’un devis de CHF 625'000.- produit par les recourantes. Le département indique encore qu’une participation de l’État de 10 à 15 % pourrait être obtenue.

Concernant la vente du bien immobilier, le département estime qu’un montant largement supérieur à CHF 625'000.- pourrait être obtenu tout en fondant son raisonnement pour la possibilité de conclure une telle vente sur l’exemple de la vente de la chapelle du Grand-Lancy, mise à l’inventaire et vendue pour un montant de CHF 400'000.- en 2012 et dont l’affectation avait été changée. Le département retient également que le bâtiment pourrait être loué ou son affection modifiée, sans autre précision. À noter que ces frais ne prennent pas en compte les frais d’honoraires d’architectes payés par les recourantes en lien avec les autorisations de démolir et de construire délivrées par le département. Les conséquences financières apparaissent dès lors insupportables pour les recourantes.

En outre, le bâtiment contient les locaux nécessaires à l’EELG pour ses activités cultuelles et culturelles. Ces locaux ne sont plus utilisables en l’état pour toutes les activités, pour des raisons de sécurité et les surfaces sont largement insuffisantes au vu des besoins de l’EELG. La taille de la parcelle et la disposition du bâtiment ne permettent pas a priori d’envisager l’édification d’autres bâtiments ou même l’agrandissement de la chapelle, le département ne l’envisage d’ailleurs pas concrètement. La mise à l’inventaire empêcherait la poursuite des cultes et activités de l’EELG.

À ceci s’ajoute l’intérêt public à la construction de logements qui doit aussi être pris en compte.

Il appert ainsi que, compte tenu des particularités de l’immeuble concerné et de celles de son affectation, du fait que l’immeuble constitue le seul élément de fortune de l’EELG, qu’il s’agit d’une église qui n’a pour but que d’offrir un lieu de prêche et de culte approprié à ses membres, il n’est pas possible de retenir que le département a démontré de façon satisfaisante que la mesure était proportionnée au vu des intérêts en présence, comme il lui incombait de le faire en établissant clairement toutes les conséquences de la mesure des points de vue de l’utilisation future du bâtiment et des possibilités de rendement (ATF 126 I 219 consid. 6c in fine et consid. 6h ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_52/2016 précité consid. 2 ; 1P.842/2005 du 30 novembre 2006 consid. 2.4).

En conclusion, après avoir procédé à une analyse globale de la situation, la chambre administrative constate que, au vu de l’intérêt relatif du bâtiment et de l’intérêt privé des recourantes à pouvoir valoriser leur bien de façon à pouvoir continuer les activités cultuelles de l’EELG, notamment, le recours doit être admis et la décision de mise à l’inventaire contestée annulée.

11) Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et, une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée aux recourantes et mise à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 août 2019 par la société immobilière de Carouge et l’Église évangélique libre de Genève, paroisse de Carouge, contre la décision du département du territoire du 27 juin 2019 ;

au fond :

l’admet ;

annule l’arrêté du Conseil d’État, soit pour lui le département du territoire inscrivant à l’inventaire le bâtiment C158 et la parcelle no 833, feuille 48 du cadastre de la commune de Carouge ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à la Société immobilière de Carouge et à l’Église évangélique libre de Genève, paroisse de Carouge, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Lucien Lazzarotto, avocat des recourantes ainsi qu'au département du territoire et à Me Alain Maunoir, avocat de Patrimoine suisse Genève, appelé en cause.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Lauber, Mme Mc Gregor, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :