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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4430/2018

ATA/508/2020 du 26.05.2020 sur JTAPI/425/2019 ( LCI ) , REJETE

Parties : GESTRAG SA / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4430/2018-LCI ATA/508/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mai2020

3ème section

 

dans la cause

 

GESTRAG SA
représentée par Me Patrice Riondel, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 mai 2019 (JTAPI/425/2019)


EN FAIT

1) Le présent litige concerne une amende pour non-respect des horaires sur le chantier de l'Étang à Vernier (ci-après : le chantier).

2) Gestrag SA (ci-après : Gestrag ou la recourante) est une société anonyme de droit suisse, ayant son siège à Meyrin, dont le but, selon le registre du commerce, est l'exploitation d'une entreprise de travaux de génie-civil, tous travaux de démolition, de terrassement et de décharge, tous aménagements extérieurs, plantations, ainsi que toute autre activité en relation avec ce but ; l'exploitation de gravières, traitement de matériaux en tous genres et leur commercialisation. Elle est engagée sur le chantier. C'est la destinataire de l'amende.

3) Karakas & Français SA (ci-après : Karakas & Français) est une société anonyme de droit suisse, ayant son siège à Lausanne, dont le but, selon le registre du commerce, est l'exécution de divers travaux de reconnaissance nécessaires à l'établissement des études géotechniques de tout type, projets de direction de travaux relatifs aux ouvrages de géostructures, expertises dans les domaines techniques y relatifs. Elle exerce le rôle de direction des travaux sur le chantier.

4) Ecoscan SA (ci-après : Ecoscan) est une société anonyme de droit suisse, ayant son siège à Lausanne, dont le but, selon le registre du commerce, est de délivrer des prestations dans le domaine des sciences, de l'ingénierie, de la planification, de l'informatique et de l'immobilier. C'est une entreprise déléguée par le maître de l'ouvrage pour la gestion des bruits sur l'intégralité du chantier du quartier. Monsieur Jérôme DUVAL en est le sous-directeur.

5) Le 21 décembre 2017, Gestrag a fait parvenir au département du territoire, soit pour lui à l'office des autorisations de construire (ci-après : le département), un avis d'ouverture de chantier à la suite de l'autorisation de construire DD 107'339. L'ouverture du chantier était annoncée pour février 2018, la fin pour septembre 2021, le nombre d'ouvriers étant variable.

6) Le 30 avril 2018, M. DUVAL, au nom d'Ecoscan, a contacté le service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA, dépendant de l'office cantonal de l'environnement selon l'art. 6 al. 1 let. h ch. 3 du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale - ROAC - B 4 05.10) en vue d'obtenir l'autorisation de charger les camions dès 6h30. Les camions arrivaient dès 6h15. Si les chargements ne commençaient qu'à 7h00, il y avait un double problème : d'une part, le chantier était bloqué dans ses mouvements en raison des camions en attente, ce qui posait des problèmes de sécurité, d'autre part, les camions se retrouvaient sur le réseau routier et autoroutier à une période peu propice. Il y avait ensuite eu plusieurs échanges de courriels entre Ecoscan et le SABRA.

7) Le 14 mai 2018, un inspecteur de l'inspection des chantiers (faisant partie de la direction de l'inspectorat de la construction dépendant de l'office des autorisations de construire, conformément à l'art. 6 al. 1 let. g ch. 2 ROAC), après avoir constaté que les travaux de chargement des camions débutaient à 6h20, a enjoint oralement les collaborateurs de Gestrag de mettre un terme à cette activité matinale. Aucun rapport d'enquête n'a été établi.

8) Le 3 juillet 2018, le SABRA a écrit par courriel à Ecoscan indiquant qu'il ne pouvait donner un préavis favorable sur tout le périmètre du chantier compte tenu de l'étendue du périmètre du chantier et des plaintes des riverains, mais qu'il était favorable à une dérogation pour les travaux se déroulant sur la partie éloignée des locaux à usages sensibles au bruit.

9) Le 9 juillet 2018, le service de l'inspection des chantiers a rappelé à Ecoscan par courriel la teneur de l'art. 30D du règlement sur les chantiers du 30 juillet 1958 (RChant - L 5 05.03). Il ne voyait pas de raison d'y déroger.

10) Lors de la séance de chantier du 10 juillet 2018, Karakas & Français a rappelé à l'ensemble des entreprises qu'elles ne pouvaient pas commencer les travaux avant 7h00. Elle a indiqué qu'une demande était en cours auprès du « SERMA » (service de l'environnement et des risques majeurs, dépendant de l'office cantonal de l'environnement selon l'art. 6 al. 1 let. h ch. 1 ROAC) pour élargir les horaires de travail de chargement des camions dès 6h30.

11) Lors de la séance de chantier du 23 juillet 2018, un nouveau rappel a été effectué concernant la gestion du bruit et les horaires de chantier.

12) Lors d'un contrôle effectué sur le chantier le 6 août 2018, un inspecteur de l'inspection des chantiers a constaté que les travaux de chargement des camions démarraient déjà à 6h20.

13) Par décision du 15 août 2018, le département a informé Gestrag qu'il avait constaté que le chantier situé au chemin de l'Étang 52 à 67 ne se déroulait pas dans le respect du RChant. Interdiction était faite à Gestrag de démarrer les travaux avant 7h00, la décision étant déclarée exécutoire nonobstant recours. Un délai de dix jours lui était fixé pour faire valoir ses observations.

14) Gestrag n'a formulé aucune observation dans le délai imparti.

15) Le 9 novembre 2018, une plainte pour démarrage du chantier avant l'heure a été reçue par l'inspection des constructions.

16) Par décision du 14 novembre 2018, le département a infligé à Gestrag une amende de CHF 10'000.-. Il faisait référence au contrôle effectué sur place le 6 août 2018 lors duquel il avait été constaté que le chargement des camions débutait à 6h20, soit avant 7h00, ceci malgré les observations faites le 14 mai 2018, les différents échanges de courriels entre le SABRA et Ecoscan et le courriel du 9 juillet 2018. Il faisait aussi référence à la mise en danger des ouvriers sur site déclarée par courriel du 30 avril 2018 d'Ecoscan. La décision se fondait sur les art. 1, 3 al. 1, 7 al. 1 et 30D al. 3 RChant. Le montant de l'amende tenait compte de la gravité tant objective que subjective du comportement tenu. L'ordre du département avait été violé par cupidité et les responsables n'avaient pas fait preuve de collaboration active quant à l'issue du dossier. Gestrag avait ainsi mis en danger des ouvriers sur les sites, qui constituaient un chantier d'importance.

17) Le 26 novembre 2018, Karakas & Francais a répondu au département. Elle ne s'était pas déterminée sur le courrier du 15 août 2018, car les faits constatés étaient avérés ; avant cette date, des chargements avaient été effectués en-dehors des heures autorisées par Gestrag. Depuis le courrier du 15 août 2018, elle avait rappelé aux entreprises sous sa direction de stopper toute activité avant 7h00. Depuis lors, elle avait dû déplorer quelques démarrages d'activité avant 7h00 qui avaient fait l'objet de rappels formels ; la situation s'était nettement améliorée depuis la première intervention de l'État.

18) Le 14 décembre 2018, Gestrag a recouru au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision du 14 novembre 2018, concluant à son annulation sous suite de frais et dépens.

Afin de limiter les nuisances liées aux transports des déblais par camions, selon le souhait des communes de Meyrin et Vernier, l'un des moyens était de débuter le chargement des camions avant 7h00, de sorte que ceux-ci soient dans le flux de circulation en dehors des heures de pointe. Après la décision du 15 août 2018, Gestrag avait respecté l'horaire imposé.

19) Le 18 février 2019, le département a répondu au recours et conclu à son rejet.

20) Le 20 février 2019, l'inspection de la construction a de nouveau constaté des travaux effectués avant 7h00.

21) Le 26 février 2019, elle a ordonné l'arrêt des travaux jusqu'à régularisation de la situation.

22) Le 14 mars 2019, une audience de comparution personnelle a eu lieu devant le TAPI.

La recourante a expliqué qu'elle ne possédait que des machines d'excavation et sous-traitait les transports. Elle ne contestait pas que le chargement des camions avait commencé avant 7h00. C'était une coutume à Genève. Elle n'avait jamais obtenu de dérogation pour débuter le chargement des camions avant 7h00. À part de désencombrer la circulation, il n'y avait aucun avantage de débuter le chargement avant 7h00.

Le 14 mai 2018, le département s'était rendu sur le chantier et avait constaté, à 6h20, que les camions de la recourante étaient déjà en activité. Son intervention faisait suite à des plaintes orales. Il avait aussi infligé une amende à Karakas & Français, qui n'avait, semble-t-il, pas été contestée. Depuis le début du chantier, l'inspection de la construction avait régulièrement averti Gestrag qu'aucune machine, ni aucun chargement de camions ne devait débuter avant 7h00. L'amende portait sur les activités qui avaient eu lieu entre mai et août 2018. Le terme de cupidité mentionné dans la décision n'était peut-être pas adéquat.

23) À la demande du TAPI, le département a produit, le 20 mars 2019, le listing des constats des visites du chantier. Le 14 mai 2018, il y avait un rendez-vous de renseignement concernant la possibilité de dévier le trafic ; un avertissement pour travaux avant 7h00 a été donné ; le 6 août 2018, il y a eu une visite à la suite d'une plainte pour travaux avant 7h00. Les autres éléments figurant dans ce document concernent les mois de septembre 2018 à février 2019 et, en partie d'autres problématiques (poussière), respectivement la période de juillet 2017 à janvier 2018 (rendez-vous de police pour l'organisation des travaux).

24) Le 3 avril 2019, le département a persisté dans ses conclusions.

25) Le 5 avril 2019, la recourante a persisté dans ses conclusions.

26) Par jugement du 8 mai 2019, expédié le 9 mai 2019, le TAPI a rejeté le recours et mis à la charge de la recourante un émolument de CHF 800.-.

La recourante n'avait pas contesté que les prescriptions prévues à l'art 30D al. 3 RChant n'avaient pas été respectées ; elle contestait seulement l'amende, car elle aurait agi sans intention de nuire ni d'en retirer un bénéfice financier. Le TAPI a confirmé la quotité de l'amende car le montant de CHF 10'000.-, bien que non négligeable, restait modeste au regard du montant maximum de CHF 150'000.-.

27) Le 29 mai 2019, le département a infligé une amende administrative de CHF 20'000.- à Gestrag pour non-respect des art. 1, 3 al. 1, 7 al. 1, 30D al. 3 et 233 RChant. Lors d'un contrôle effectué le 20 février 2019, la tranquillité du voisinage avait été compromise en raison du démarrage des machines avant 7h00 ; le conducteur d'une pelle sur chenille de 80 tonnes n'avait pas été en possession du permis réglementaire. Le montant de l'amende tenait compte de la gravité objective et subjective du comportement ainsi que du caractère récidiviste. Le fait de débuter les travaux avant les horaires réglementaires amenait un avantage logistique et organisationnel, ce qui avait été mentionné par le TAPI dans sa décision du 8 mai 2019.

28) Le 13 juin 2019, Gestrag a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI en concluant à la réforme du jugement du TAPI, à l'annulation de la décision du département du 14 novembre 2018 et à l'annulation de l'amende de CHF 10'000.-, avec condamnation de l'État de Genève aux « dépens de première instance et d'appel ».

Ecoscan avait fait une demande pour élargir les horaires de chargement des camions dans le but de ne pas saturer le trafic routier et pour la sécurité du chantier.

Gestrag n'avait pas formulé d'observations à la suite de la décision du 15 août 2018, mais avait informé ses employés des exigences d'horaire imposées par le département.

Dans sa décision du 14 novembre 2018, le département avait mentionné que la violation des heures d'ouverture et de fermeture du chantier l'avait été par cupidité.

Dans sa détermination du 26 novembre 2018, la direction des travaux avait informé le département qu'elle avait demandé aux entreprises de ne plus travailler en dehors des heures prescrites. Diverses mesures avaient été prises pour améliorer la sécurité des ouvriers et le respect des horaires.

Une autorisation de construire avait été obtenue pour la construction d'une plateforme de transbordement des matériaux d'excavation et leur évacuation par train. Le but était de diminuer les transports par camions. Cela engendrait un surcoût de CHF 5'000'000.-.

Il ressortait de l'audience du 14 mars 2019 que Gestrag n'avait pas de camions et sous-traitait les transports ; Ecoscan agissait pour le maître de l'ouvrage pour la gestion du bruit ; selon Gestrag, les chantiers à Genève commençaient à 6h30 ; l'heure du début du chantier n'avait pas d'impact sur les ouvriers qui faisaient le nombre d'heures prévu par jour ; le fait de commencer plus vite avait pour but de désencombrer le flux de circulation ; depuis août 2018, des instructions avaient été données par la recourante pour que les horaires soient respectés ; parfois le moteur d'une seule pelle mécanique était démarré avant 7h00.

Le TAPI avait retenu à tort que le machiniste (de la centrale à béton qui avait débuté avant 7h00) était démuni du permis réglementaire, alors qu'en audience l'inspecteur avait déclaré être intervenu le 20 février 2019 pour une problématique concernant la centrale à béton utilisée par d'autres entreprises que Gestrag. Le département avait persisté à prétendre que la recourante avait agi par cupidité.

Pour la recourante, le montant de l'amende était totalement disproportionné.

Le TAPI avait retenu qu'il apparaissait vraisemblable que le recourante retirait un avantage sur les plans logistique et organisationnel du fait que les camions étaient chargés avant 7h00. Or, il avait été établi que Gestrag sous-traitait les transports des matériaux d'excavation. En audience, Gestrag avait expliqué n'avoir aucun avantage de débuter le chargement des camions avant 7h00.

Les griefs seront repris ci-dessous.

29) Le 13 juin 2019, le TAPI a transmis son dossier, renonçant à formuler des observations.

30) Le 11 juillet 2019, le département, soit pour lui l'office des autorisations de construire, a déposé des observations, concluant au rejet du recours.

Il admettait que le transport des matériaux excavés était sous-traité à une autre société.

Le montant de l'amende de CHF 10'000.- se justifiait par le fait que Gestrag était active dans le domaine de la construction et qu'elle devait donc connaître ses obligations en matière de chantier. Les différents avertissements n'avaient pas été suivis d'effet. Gestrag n'avait pas démontré une volonté de collaborer. Le chantier concerné était important. Le bien juridique protégé était essentiel, à savoir celui de la santé des administrés.

Le département ne reprochait pas à Gestrag les nuisances sonores liées à son activité, mais le fait de ne pas vouloir respecter les obligations imposées en matière d'horaires de chantier et les conséquences que cela pouvait avoir en matière de tranquillité publique. Le TAPI avait rappelé à juste titre que l'administration devait faire preuve de sévérité pour assurer le respect de la loi et jouissait d'un large pouvoir d'appréciation.

Le comportement de Gestrag ne pouvait se justifier par des demandes des communes avoisinantes qui ne disposaient d'aucune compétence en la matière. L'obligation de respecter les horaires avait été discutée lors des séances de chantier et l'autorité intimée avait, « à plusieurs reprises », exigé qu'il soit mis un terme à cette « activité illégale ».

Gestrag ne pouvait se prévaloir de l'amende qui avait également été infligée à Karakas & Français. Gestrag avait persisté à ne pas prendre en considération l'art. 30D RChant qui visait à protéger la santé des administrés. Elle n'avait démontré aucune volonté de collaborer avec le département et n'avait jamais expliqué les raisons pour lesquelles elle poursuivait son comportement « illégal ». Enfin, elle n'avait à aucun moment prétendu ne pas avoir les moyens financiers de payer l'amende. Gestrag ne pouvait pas non plus se prévaloir de la nouvelle amende infligée le 29 mai 2019 pour contester la première amende.

31) Le 26 août 2019, Gestrag a répliqué, persistant dans ses conclusions. Le département persistait dans sa position de première instance, à savoir une application rigide de l'art. 30D RChant. Il avait accordé une dérogation pour que les travaux se terminent après 20h et il avait admis que les camions qui devaient charger les matériaux d'excavation pouvaient venir avant 7h00 pour autant qu'ils ne laissent pas tourner les moteurs.

La recourante ne comprenait pas pourquoi le département refusait d'accorder une dérogation pour commencer les travaux avant 7h00, alors que les nuisances étaient admises jusqu'à 22h00.

Selon un courriel du 25 juillet 2019 par le bureau Orqual qui gérait le chantier, une dérogation avait été obtenue pour l'horaire de début de chantier en raison de la canicule. Les travaux pouvaient commencer dès 6h00 aux conditions suivantes : présence d'une alerte canicule de degré 3 selon Météo suisse ; travaux n'occasionnant pas de nuisances sonores excessives ; pas de travaux sur des chantiers habités, tels que rehaussements d'immeubles.

La notion de « nuisances sonores excessives » était vague. Une pelle mécanique ou une centrale à béton créaient-elles une nuisance sonore excessive ? Dans la négative, le commencement de chargement de camions avant 7h00 n'avait pas créé de nuisances excessives.

Enfin, la recourante se demandait pourquoi les chantiers liés à l'État impliquaient systématiquement des dérogations allant au-delà des horaires normaux. Les chantiers du tram 12 au goulet de Chêne-Bougeries et près de la gare des Eaux-Vives avaient fonctionné six jours sur sept, de 5h00 à 22h00. Le CEVA et le prolongement du tram jusqu'à Annemasse ne sauraient justifier de tels chantiers qui avaient touché quelques centaines de riverains.

32) Le 30 janvier 2020, le juge délégué a interpellé le département afin d'obtenir des renseignements complémentaires en lien avec : 1) ampleur (nombre d'ouvriers, de machines de chantier, de camions, etc.) de l'activité, imputable à la recourante, commencée le 6 août 2018, avant 7h00 sur le chantier de l'Étang ; 2) éléments factuels en lien avec « l'absence de collaboration active des responsables » au sens de la décision du 14 novembre 2018 ; 3) éléments factuels en lien avec la « mise en danger des ouvriers » au sens de la décision du 14 novembre 2018.

33) Le 21 février 2020, le département a précisé que l'inspecteur des chantiers s'étant rendu sur le site du chantier de l'Étang (qui s'étend sur un périmètre de 11 hectares) le 6 août 2018, à 6h30 avait constaté que trois machines de chantier étaient en activité, un camion en cours de chargement et trois autres camions en attente de chargement. Il y avait un contremaître de la recourante sur place ; chaque machine de chantier était conduite par un collaborateur de la recourante ; enfin les camions étaient exploités par Les Gravières D'Epeisses SA (GESA).

L'inspecteur des chantiers était déjà intervenu une première fois, le 14 mai 2008, pour constater que les travaux commençaient avant 7h00 et enjoindre les collaborateurs présents à respecter l'horaire prévu. Ensuite, par correspondance électronique entre Ecoscan, le SABRA et l'inspection des chantiers, l'obligation résultant de l'art. 30D RChant avait été rappelée le 9 juillet 2008. Enfin, cette information avait été reprise par la direction des travaux lors d'une séance de chantier le 10 juillet 2018.

Malgré ces divers avertissements, l'inspecteur des chantiers n'avait pu que constater, le 6 août 2018, que les différents ordres adressés à Gestrag, via ses collaborateurs ou par courriel, n'avaient jamais été suivis d'effet, ce qui devait être « clairement considéré » comme une absence de collaboration active des responsables. Dans la procédure d'infraction, les représentants de la recourante n'avaient jamais daigné donner suite à la possibilité de faire valoir leurs observations.

Enfin, la mise en danger des ouvriers s'était caractérisée par le fait qu'en débutant leur activité plus tôt sur le chantier qui était « par définition » moins bien éclairé, les risques d'accidents entre les collaborateurs présents sur le chantier et les camions, voire les machines de chantier, étaient accrus.

34) Le 18 mars 2020, la recourante s'est déterminée. Le département avait reconnu que le chantier s'étendait sur une surface de 11 hectares et que le contrôle n'avait porté que sur la zone ayant fait l'objet du rapport. Il avait été établi, lors de l'audience du 14 mars 2019, que la recourante n'avait pas de camions et qu'elle sous-traitait les transports à des tiers. Lors de l'audience, le département avait indiqué qu'il pouvait y avoir des camions en attente avant 7h00 pour autant que le moteur soit arrêté. Ainsi, la présence de camions ne pouvait être une infraction au RChant.

Il avait été établi que Gestrag n'avait pas agi par dessein de lucre et n'avait tiré aucun profit en commençant parfois avant 7h00. Cette solution avait pour but de permettre une fluidification du trafic routier et d'éviter des bouchons. La question pouvait se poser de savoir pourquoi il n'y avait pas de dérogation pour que le chantier commence à 6h30, alors qu'il y avait des dérogations pour le chantier après 20h00. La protection des riverains ne saurait être invoquée, car les nuisances étaient moindres le matin quand tout le monde se rendait au travail.

L'infraction du 6 août 2018 avait eu lieu en plein été, où la lumière du jour était largement suffisante sans qu'il n'y ait besoin d'éléments externes pour éclairer les chantiers. Il n'y avait donc eu aucune mise en danger des ouvriers.

35) Le 19 mars 2020, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Le département a infligé une amende administrative de CHF 10'000.- à Gestrag et une autre à la direction des travaux. Seule l'amende infligée à Gestrag est contestée.

b. S'agissant de l'objet du litige soumis au contrôle de la chambre de céans, la recourante a expressément admis, lors de l'audience devant le TAPI le 14 mars 2019, qu'elle ne contestait pas que le chargement des camions avait commencé avant 7h00. L'infraction à l'art. 30D al. 3 RChant est donc acquise. Seul le bien-fondé de l'éventuelle sanction, voire la proportionnalité de celle-ci restent donc litigieuses.

3) a. Selon l'art. 151 let. d de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), le Conseil d'État fixe par règlements les dispositions relatives à la sécurité et à la prévention des accidents sur les chantiers.

b. Sur cette base, le Conseil d'État a adopté le RChant.

Selon l'art. 1 al. 1 RChant, la prévention des accidents sur les chantiers et les mesures à prendre pour assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs, ainsi que la sécurité du public, des ouvrages et de leurs abords sont réglées par les dispositions du RChant. Selon l'art. 1 al. 2 RChant, sont tenus de s'y conformer tous les participants à l'acte de construire, démolir, transformer, entretenir, c'est-à-dire toutes les personnes exécutant des travaux se rapportant à l'activité du bâtiment ou du génie civil ainsi que les personnes physiques ou morales employant des travailleurs à cet effet. Il en est de même des personnes chargées de la surveillance des travaux, notamment pour le compte des bureaux d'ingénieurs, d'architectes, des entreprises générales et des coordonnateurs de sécurité et de santé.

Selon l'art. 3 al. 1 RChant, le travail doit s'exécuter en prenant, en plus des mesures ordonnées par le présent règlement, toutes les précautions commandées par les circonstances et par les usages de la profession.

Selon l'art. 7 al. 1 RChant, les devis, soumissions, adjudications, plans d'exécution, installations et autres aménagements doivent être étudiés de manière à permettre l'application de toutes les mesures de sécurité et de protection de la santé.

Les art. 30A à 30D RChant concernent le bruit, les vibrations et les trépidations des chantiers.

Selon l'art. 30A RChant, les entreprises et, d'une manière générale, toute personne utilisant dans le cadre d'un chantier des machines ou engins susceptibles de provoquer des inconvénients pour le voisinage sont tenues de prendre toutes les mesures préventives afin de réduire les émissions sonores, les vibrations et les trépidations. Le choix des procédés, des machines ou des engins, l'organisation des travaux et l'horaire doivent être adaptés afin de respecter notamment les exigences de la directive fédérale sur le bruit des chantiers du 2 février 2000.

Selon l'art. 30D RChant, conformément aux articles 330 à 334 RChant, la direction de l'inspectorat de la construction exerce une surveillance, procède aux contrôles nécessaires et ordonne toutes mesures utiles en tenant compte de l'état de la technique en matière de lutte contre le bruit. Elle signale à l'autorité compétente les cas d'exposition des travailleurs à un niveau élevé de bruit (al. 1). Très exceptionnellement, notamment lorsque l'urgence des travaux et la sécurité publique l'exigent, la direction de l'inspectorat de la construction peut déroger aux prescriptions de la présente section (al. 2). Afin de respecter la tranquillité publique, aucun chantier ne peut être en activité la nuit (20h00 à 7h00) sans avoir obtenu l'accord de la direction de l'inspectorat de la construction (al. 3).

Selon l'art. 333 RChant, tout contrevenant aux dispositions du RChant est passible des peines prévues par la LCI (voir aussi ATA/611/2004 du 5 août 2004, consid. 12 ; ATA/640/1999 du 2 novembre 1999, consid. 4a).

4) a. Selon l'art. 137 al. 1 LCI est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150'000.- tout contrevenant : a) à la LCI ; b) aux règlements et arrêtés édictés en vertu de la LCI ; c) aux ordres donnés par le département dans les limites de la LCI et des règlements et arrêtés édictés en vertu de celle-ci.

Selon l'art. 137 al. 3 LCI, il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction. Constituent notamment des circonstances aggravantes la violation des prescriptions susmentionnées par cupidité, les cas de récidive et l'établissement, par le mandataire professionnellement qualifié ou le requérant, d'une attestation, au sens de l'art. 7, non conforme à la réalité.

Selon l'art. 137 al. 4 LCI, si l'infraction a été commise dans la gestion d'une personne morale, d'une société en commandite, d'une société en nom collectif ou d'une entreprise à raison individuelle, les sanctions sont applicables aux personnes qui ont agi ou auraient dû agir en son nom, la personne morale, la société ou le propriétaire de l'entreprise individuelle répondant solidairement des amendes. Les sanctions sont applicables directement aux sociétés ou entreprises précitées lorsqu'il n'apparaît pas de prime abord quelles sont les personnes responsables.

b. Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C'est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/206/2020 du 25 février 2020, consid. 4b ; ATA/13/2020 du 7 janvier 2020, consid. 7b et les références citées).

c. En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif. On doit cependant réserver celles qui concernent exclusivement le juge pénal (ATA/206/2020 précité, consid. 4c ; ATA/13/2020 précité, consid. 7c et les références citées).

Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence. Selon la jurisprudence constante, l'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès ou d'abus. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst. ; ATA/206/2020 précité, consid. 4c ; ATA/13/2020 précité, consid. 7c et les références citées).

d. L'autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d'une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l'auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/206/2020 précité, consid. 4c ; ATA/13/2020 précité, consid. 7c et les références citées).

5) La recourante formule six griefs contre le jugement du TAPI : 1) la recourante ne retirait aucun avantage pécuniaire en commençant à travailler plus tôt ; 2) le fait de commencer à travailler plus tôt avait pour but d'assurer la fluidité du trafic et à tout le moins de ne pas l'encombrer, à la demande des communes limitrophes ; 3) le département avait mentionné des plaintes du voisinage, sans expliquer d'où elles provenaient ; Gestrag ne saurait être considérée comme responsable de toutes les nuisances du chantier ; 4) il convenait de tenir compte de l'ensemble des causes de nuisances, y compris des nuisances de circulation, des décollages et atterrissages des avions, du trafic ferroviaire, du chantier CFF liées à la rénovation du pont Philibert-Sauvage ; 5) le montant de l'amende de CHF 10'000.- n'était pas modeste et ne constituait pas une somme négligeable. Une amende de CHF 10'000.- avait aussi été infligée à l'ingénieur chargé du chantier. Le 29 mai 2019, le département avait infligé une nouvelle amende de CHF 20'000.-. 6) Lors de l'audience, le département avait reconnu que le terme de cupidité n'était peut-être pas adéquat, mais le TAPI ne l'avait pas formellement écarté, en mentionnant l'avantage sur les plans logistiques et organisationnels du chargement avant 7h00. Avant l'ouverture du chantier, une demande d'autorisation de construire avait été déposée pour édifier une plate-forme permettant d'évacuer les matériaux d'excavation par train ; ladite autorisation avait été finalement délivrée une année après le début du chantier et la plateforme fonctionnait depuis janvier 2019. Gestrag assumait le surcoût réel de CHF 15.- par m3 lié à l'évacuation par le train. Les efforts écologiques de la recourante étaient mal récompensés.

6) a. Dans un premier grief, la recourante prétend ne retirer aucun avantage pécuniaire en commençant à travailler plus tôt. Sans que l'avantage ait été chiffré, la recourante a tout de même admis (dans son deuxième grief) qu'il s'agissait de désengorger la circulation ou d'éviter de bloquer (et d'être bloquée) dans la circulation plus intense au cours de la matinée. On peut donc admettre qu'il n'y a pas d'avantages financiers chiffrés ; la recourante tire néanmoins un avantage organisationnel en ne respectant pas la disposition réglementaire sur les horaires de chantier. Ce grief ne lui est d'aucune utilité pour obtenir une réduction de l'amende.

b. Dans la seconde partie du deuxième grief, elle fait valoir qu'elle a agi à la demande des communes limitrophes. Comme relevé à juste titre par le département, les communes genevoises ne disposent d'aucune compétence en matière d'horaires de chantier. Au demeurant, aucun élément figurant à la procédure ne confirme cet argument de la recourante qui doit donc être écarté.

c. Dans un troisième grief, la recourante se plaint que le département avait mentionné des plaintes du voisinage, sans expliquer d'où elles provenaient ; elle ne saurait être considérée comme responsable de toutes les nuisances du chantier. La première partie du grief n'est pas pertinente, puisque la recourante a admis qu'elle n'avait pas respecté les horaires du règlement sur les chantiers. Autrement dit, peu importe qu'il y ait eu ou non des plaintes ; il a été établi (et reconnu par la recourante) que les travaux de chantier avaient démarré avant 7h00 le 6 août 2018 au moins. La seconde partie du grief n'est pas utile à la recourante, car outre le fait qu'il n'y a pas d'égalité dans l'illégalité (ATF 139 II 49, 61 consid. 7.1 ; ATF 136 I 65, 78 consid. 5.6 ; arrêt TF 1C_28/2019 du 23 décembre 2019, consid. 6.1), la sanction concerne ici exclusivement Gestrag pour son propre comportement. Si d'autres entreprises devaient créer des nuisances ailleurs ou à d'autres moments, cela n'aurait pas d'impact sur la sanction à infliger à Gestrag. Ce grief doit donc aussi être écarté.

d. Dans un quatrième grief, la recourante demande de tenir compte de l'ensemble des causes de nuisances, y compris des nuisances de circulation, des décollages et atterrissages des avions, du trafic ferroviaire, du chantier CFF liées à la rénovation du pont Philibert-Sauvage. Comme mentionné ci-dessus, la recourante a admis le non-respect du règlement et le comportement de tiers n'a pas d'influence sur la sanction la concernant, d'autant plus que la recourante n'allègue pas que ces autres sources de nuisances seraient co-auteurs ou complices du début des travaux de chantier avant 7h00. Autrement dit, ce n'est pas parce que des avions ont le droit de décoller dès 6h00 en raison des règles fédérales (voir notamment les art. 39 et 39a de l'ordonnance [fédérale] sur l'infrastructure aéronautique du 23 novembre 1994 - OSIA - 748.131.1 et l'art. 31a de l'ordonnance [fédérale] sur la protection contre le bruit, du 15 décembre 1986 - OPB - 814.41) que Gestrag pourrait aussi faire du bruit avant 07h00 et que son amende devrait être réduite. Ce grief doit être écarté.

e. Dans un cinquième grief, la recourante critique le montant de l'amende de CHF 10'000.- qui n'était pas modeste et ne constituait pas une somme négligeable. Une amende de CHF 10'000.- avait aussi été infligée à l'ingénieur chargé du chantier. Le 29 mai 2019, le département avait infligé à Gestrag une (nouvelle) amende, de CHF 20'000.-, au sujet du démarrage du moteur d'une pelle mécanique en se fondant sur la décision du TAPI. En l'espèce, le fait que Karakas & Français ait aussi reçu une amende (et ne l'a pas contestée) ne saurait avoir une influence sur le montant de l'amende de la recourante. Quant à la nouvelle amende de CHF 20'000.-, elle est exorbitante à la présente procédure.

7) a. Seul le montant de l'amende de CHF 10'000.- en lui-même doit par conséquent être examiné.

En l'espèce, même s'il ressort des écritures et déclarations des parties, ainsi que des pièces du dossier que Gestrag a commencé à plusieurs reprises le chantier avant 7h00 et qu'elle ne disposait pas d'une dérogation, le présent litige ne porte que sur la période antérieure à la décision du 14 novembre 2018, qui visait le comportement de la recourante de mai à août 2018 (ce qui a été confirmé en audience devant le TAPI par le département). Pendant cette période, il y a eu, le 14 mai 2018 un avertissement informel oral documenté, mais n'ayant pas fait l'objet d'un rapport d'enquête écrit, ainsi que le constat du 6 août 2018, qui a conduit aux décisions des 15 août 2018 et 14 novembre 2018.

Les faits faisant l'objet de l'amende de CHF 10'000.- sont donc uniquement ceux résultant d'une visite du 14 mai 2018 sans rapport d'infraction et d'un constat du 6 août 2018. Autrement dit, l'amende de CHF 10'000.- ne peut formellement viser qu'un seul constat. Les « multiples » infractions reprochées par le département ne sont soit pas documentées, soit concernent la période postérieure à celle visée par la décision du 14 novembre 2018.

b. Le courriel du département du 9 juillet 2018 était un simple copier-coller de l'art. 30D RChant. Il ne faisait référence à aucun constat d'infraction ou de non-respect de cette disposition réglementaire.

Les procès-verbaux de chantier des 10 et 23 juillet 2018 figurant au dossier sont des actes ressortissant au droit privé. L'inspection des chantiers n'était pas représentée à ces réunions de chantier. Même s'ils confirment que la question de l'horaire des chantiers a été abordée (y compris s'agissant d'une demande de dérogation), il ne s'agit pas d'un rappel de l'État et encore moins d'un constat d'une infraction. Au demeurant, la question litigieuse ne porte pas sur une erreur sur l'illicéité, toutes les parties admettant que la recourante connaissait parfaitement la réglementation en matière d'horaires.

Le reproche de cupidité formulé abruptement par le département dans sa décision du 14 novembre 2018 a été considéré par le département, lors de l'audience du 14 mars 2019, comme non adapté. Il n'entre donc pas en considération pour la fixation de l'amende. Cette circonstance aggravante de l'art. 137 al. 3 LCI doit donc être écartée.

Le comportement postérieur de la recourante - et notamment le nouveau constat d'infraction le 20 février 2019 et la nouvelle sanction du 29 mai 2019 - ne doit pas être pris en considération pour apprécier la validité de la première sanction, datant du 14 novembre 2018.

c. En revanche, on peut reprocher à Gestrag de ne pas avoir respecté l'exigence réglementaire, dont elle avait clairement connaissance (tant en raison du rappel informel par le département lors de sa visite du 14 mai 2018 que par le courriel du 9 juillet 2018, sans même tenir compte des deux rappels lors des séances de chantier des 10 et 23 juillet 2018), relative à l'interdiction de commencer le chantier avant 7h00.

d. Il s'agit donc de savoir si une amende de CHF 10'000.- pour le début d'un chantier, dont il est notoire qu'il s'agit d'un chantier important dans le canton, le 6 août 2018 à 6h20 (au lieu de 7h00) est proportionnée. Même s'il paraît résulter des écritures des parties qu'il y aurait plusieurs infractions au RChant, seule une infraction est formellement visée par la présente procédure. Un montant de CHF 10'000.- pour une première infraction, sans que les circonstances aggravantes de l'art. 137 al. 3 LCI ne soient remplies, apparaît ainsi élevé. Le refus de collaboration reproché par le département à la recourante ne résulte pas non plus du dossier, sauf à considérer qu'il s'agirait du non-respect du règlement, ce que le département a confirmé dans sa détermination du 21 février 2020.

e. S'agissant de la quotité de l'amende, la jurisprudence retient ce qui suit :

Dans un arrêt du 25 février 2020, la chambre de céans a rétabli une amende de CHF 50'000.- infligée par l'office des autorisations de construire, mais réduite par le TAPI à CHF 30'000.-. La violation crasse de la LCI et de son règlement d'application devait être sanctionnée avec grande sévérité sous peine de voir un tel procédé se répéter. Le recourant, mandataire professionnellement qualifié, n'avait pas respecté les différentes autorisations de construire puisque des travaux non conformes avaient été réalisés, notamment la création de deux logements en duplex au sous-sol et rez-de-chaussée, l'abaissement de la terrasse sur la cour intérieure des modifications des façades et de la toiture. L'autorisation de construire initiale était d'ailleurs caduque au moment des travaux. Enfin, les travaux se trouvaient en zone protégée. L'absence d'antécédents du recourant n'empêchait pas le département de fixer une amende à CHF 50'000.- (ATA/206/2020 du 25 février 2020, consid. 4).

Dans un arrêt du 7 janvier 2020, la chambre de céans a confirmé une amende de CHF 20'000.-, dans le contexte d'une deuxième récidive du recourant (amende de CHF 2'000.- et de CHF 10'000.-) qui n'avait toujours pas respecté l'ordre de remise en état du terrain. Son comportement démontrait une certaine obstination à ne pas respecter les ordres du département depuis plus de trois ans. Une amende d'un montant plus important semblait apte à atteindre le but recherché et proportionnée à la faute (ATA/13/2020 du 7 janvier 2020, consid. 9).

Dans un arrêt du 2 octobre 2018, la chambre de céans a confirmé le montant de l'amende, réduit par le TAPI de CHF 20'000.- à CHF 10'000.-, et a refusé une réduction supplémentaire. Le recourant avait oublié ses autres manquements (absence d'attestation globale de conformité, travaux sans autorisation, notamment l'aménagement du talus en limite de parcelle, l'engazonnement continu de deux dalles de la toiture du parking et le raccordement des canalisations du chantier au réseau) ; le montant de CHF 10'000.- était faible par rapport au montant maximum de CHF 150'000.-. Il fallait aussi tenir compte du comportement du recourant et de l'importance des prescriptions des droits du voisin et de sécurité ; le recourant avait méconnu les règles régissant la protection de l'eau et de l'environnement (ATA/1030/2018 du 2 octobre 2018, consid. 9e et 10).

Dans un arrêt du 10 avril 2018, la chambre administrative a confirmé une amende de CHF 10'000.- infligée à des recourants qui n'avaient pas soumis les couleurs du projet de surélévation d'un immeuble à l'autorité et qui n'avaient pas incorporé les chéneaux et la descente des eaux pluviales à l'intérieur de la structure de surélévation (ATA/323/2018 du 10 avril 2018, consid. 5).

Dans un arrêt du 29 août 2017, la chambre de céans a réduit de CHF 10'000.- à CHF 4'000.- l'amende infligée à un propriétaire qui avait attendu plus de quatre ans avant de déposer une requête en autorisation de construire pour changement d'affectation en lien avec l'exploitation d'un salon de prostitution en zone de développement industriel et artisanal (ATA/1231/2017 du 29 août 2017, consid. 23).

Dans un arrêt du 4 octobre 2016 concernant des travaux de rénovation et de modification de la surface d'un bâtiment en zone agricole, le TAPI a réduit l'amende de CHF 30'000.- à CHF 20'000.- et la chambre de céans a confirmé ce montant. Elle a notamment tenu compte de l'absence de bonne foi de la partie recourante, car cette dernière n'avait informé le département qu'après une dénonciation et que les avis d'ouverture de chantiers et les autorisations de construire par procédure accélérée (APA) pour des travaux mineurs visaient à induire le département en erreur sur la réalité des travaux exécutés (ATA/829/2016 du 4 octobre 2016, consid. 16).

Dans un arrêt du 28 juin 2016 concernant le comblement d'un mur de soutènement effectué sans autorisation, la chambre de céans a confirmé une amende de CHF 5'000.- (ATA/558/2016 du 28 juin 2016, consid. 5).

Dans un arrêt du 12 avril 2016 concernant des constructions érigées sans autorisation sur une parcelle sise en zone agricole et en partie en zone d'assolement, la faute du recourant a été qualifiée de grave en raison de la récidive et du nombre de constructions non autorisées. Le montant de l'amende de CHF 20'000.- a été confirmé sur le principe ; la réduction à CHF 12'000.- ne résulte que de la situation financière du recourant (ATA/303/2016 du 12 avril 2016, consid. 10e).

f. Au vu de ce qui précède, il s'agit d'un chantier d'une grande ampleur, dont les nuisances peuvent être considérables. Le début du chantier avant l'heure réglementaire implique donc logiquement de grandes nuisances, d'autant plus qu'il y a des habitants à proximité (dont certains sont intervenus auprès du département). Il résulte des photos figurant au dossier que les camions étaient non seulement chargés, mais aussi en route. Le département a précisé - sans être contredit par la recourante - que, le 6 août 2018, à 6h30 trois machines de chantier étaient en activité, un camion en cours de chargement et trois autres camions en attente de chargement. Il y avait un contremaître de la recourante sur place ; chaque machine de chantier était conduite par un collaborateur de la recourante. Plusieurs employés de la société recourante étaient ainsi impliqués dans une activité bruyante. L'argument relatif aux nuisances subies par les voisins, qui seraient moindres à 6h20 le matin qu'à 20h00 le soir, n'est pas pertinent et ne tient pas compte de l'arbitrage établi par le Conseil d'État en fixant l'heure réglementaire admise pour le début d'un chantier à 7h00. Le montant de CHF 10'000.- se situe dans la fourchette légale de CHF 100.- à CHF 150'000.-. La recourante fait aussi valoir qu'elle n'avait pas agi par dessein de lucre et n'avait tiré aucun profit en commençant parfois avant 7h00 ; si elle est une circonstance aggravante au sens de l'art. 137 al. 3 LCI, la cupidité n'est pas nécessaire pour la fixation d'une amende. Le non-respect des exigences réglementaires pour des raisons de commodité personnelle suffit pour prononcer une amende, même de CHF 10'000.- la fluidification du trafic routier et la volonté d'éviter des bouchons ne justifient pas le non-respect d'une disposition réglementaire dont la teneur était connue. Il résulte de ce qui précède que c'est pour des raisons d'organisation du chantier que la recourante a, avec conscience et volonté, commencé le chantier avant l'heure réglementaire. Sous l'angle de la proportionnalité, le montant de l'amende n'est pas sujet à discussion : en effet, l'amende de CHF 10'000.- est apte à atteindre le but d'éviter les infractions au RChant en faisant respecter les horaires de chantier ; elle est également nécessaire, car il n'y a pas de mesure moins incisive qui permettrait d'atteindre le même but ; un montant réduit n'aurait pas le même impact. Sous l'angle de la proportionnalité au sens strict enfin, un montant de CHF 10'000.- se justifie pour les raisons présentées ci-dessus, étant encore rappelé que l'infraction a été commise par une entreprise. Enfin, l'autorité administrative bénéficie d'un large pouvoir d'appréciation que la Chambre de céans ne revoit qu'avec retenue ; en l'espèce, il n'y a pas d'excès du pouvoir d'appréciation. Le montant de CHF 10'000.- pour l'amende sera donc confirmé.

8) Dans un dernier grief, la recourante mentionne que, lors de l'audience du 14 mars 2019, le département avait reconnu que le terme de cupidité n'était peut-être pas adéquat ; le TAPI n'avait pas formellement écarté la cupidité en mentionnant l'avantage sur les plans logistiques et organisationnels du fait que les camions soient chargés avant 7h00. Avant l'ouverture du chantier, une demande d'autorisation de construire avait été déposée pour édifier une plate-forme permettant d'évacuer les matériaux d'excavation par train ; Gestrag assumait le surcoût réel de CHF 15.- par m3 lié à l'évacuation par le train. En l'espèce, à nouveau, il n'est pas question de savoir si les efforts de Gestrag doivent être récompensés ou non. Il s'agit seulement de savoir si l'amende respecte les exigences de l'art. 137 LCI, ce qui a déjà traité au considérant ci-dessus. Ce nouveau grief n'apporte donc rien de plus et doit aussi être écarté, étant rappelé que la circonstance aggravante de la cupidité a été écartée.

9) a. Dans sa réplique, la recourante invoque implicitement un grief supplémentaire, à savoir une violation de l'égalité de traitement en mentionnant d'autres chantiers faisant l'objet d'horaires différents de ceux admis par le RChant.

b. Selon la jurisprudence, une décision viole le principe de l'égalité de traitement consacré à l'art. 8 al. 1 Cst. lorsqu'elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'elle omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente (parmi beaucoup : ATF 141 I 153, 157 consid. 5.1 ; arrêt TF 1C_28/2019 du 23 décembre 2019, consid. 6.1 et les références citées).

c. En l'espèce, la recourante ne tient pas compte qu'elle a admis l'infraction à l'art. 30D al. 3 RChant. L'objet du litige ne porte pas ici sur un recours contre un refus de dérogation à l'art. 30D al. 3 RChant, où on aurait éventuellement pu comparer différentes dérogations relatives aux horaires de chantiers, mais sur le montant de l'amende après une infraction réalisée et reconnue. Les situations factuelles exposées par la recourante s'agissant du tram 12 ne sont donc pas comparables avec le montant de l'amende infligée à la recourante.

L'argument de la violation de l'égalité de traitement doit être rejeté.

10) L'amende de CHF 10'000.- sera donc confirmée.

11) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera accordée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 juin 2019 par Gestrag SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 mai 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Gestrag SA ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure :

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Patrice Riondel, avocat de la recourante, au département du territoire-oac, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Mascotto, juge, M. Hofmann, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Meyer

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :