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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/326/2020

ATA/513/2020 du 26.05.2020 ( PATIEN ) , REJETE

Descripteurs : DROIT DU PATIENT;JUSTE MOTIF;MÉDECIN;PROFESSION SANITAIRE;PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ;SAUVEGARDE DU SECRET;SECRET PROFESSIONNEL
Normes : CC.378.al1; CP.321.ch1; CP.321.ch2; LIPAD.48; LS.12.al1; LS.12.al5; LS.55A.al1; LS.87.al2; LS.87.al3; LS.88.al1
Résumé : Une personne tenue au secret professionnel peut en être déliée par l’autorité supérieure de levée du secret professionnel, même en l’absence du consentement du patient s’il existe de justes motifs. La notion de justes motifs se réfère à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque hétéro-agressif ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause. Pour autant qu’ils puissent justifier d’un intérêt digne de protection, les proches d’un patient décédé peuvent être informés sur les causes de son décès et sur le traitement qui l’a précédé, à moins que le défunt ne s’y soit expressément opposé. Lorsque le patient ne peut donner son consentement parce qu'il est décédé, seul le professionnel de la santé concerné peut saisir l’autorité de surveillance.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/326/2020-PATIEN ATA/513/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mai 2020

 

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Mes François Hay et Louis Gaillard, avocats

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL

et

Monsieur B______



EN FAIT

1. a. Madame C______ née le ______ 1941 à Montréal au Canada, de nationalité française, architecte de formation, est décédée le ______ 2015 à son domicile situé à la, rue D______, à Genève. Elle a un fils adoptif, Monsieur A______, né le ______1978 à Paris.

b. Monsieur B______, né le ______ 1960, médecin de formation, domicilié à Genève, est médecin-chef du service de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG). Il a été thérapeute de feu Mme C______.

2. Par testament olographe du 16 mars 2015, feu Mme C______ a pris des dispositions testamentaires au moment de son décès ou pour cause d’inaptitude.

Elle souhaitait investir les montants résultant de la réalisation de ses biens dans des fondations d’intérêt public à caractère environnemental dans le monde, des fondations suisses dont elle avait parlé précédemment avec son exécuteur testamentaire, éventuellement des fondations à caractère social ou médical à Genève (recherches en psychiatrie Professeur B______ Genève). Elle demandait l’exhérédation de son fils adoptif, Messieurs E______ et F______ pouvant témoigner, le cas échéant, du comportement de celui-ci à son égard.

3. Le 22 mars 2015, le service police mortuaire de la police judiciaire a établi un rapport de renseignements, à la suite de la levée de corps de feu Mme C______.

Selon G______, sœur de la défunte, celle-ci était dépressive et était suivie par M. B______.

4. Le 14 octobre 2019, Monsieur H______, avocat de quatre fondations participant à une procédure ouverte par M. A______ auprès du Tribunal de première instance (ci-après : TPI), a écrit à M. B______ pour lui demander de solliciter la levée du secret médical (secret professionnel) relatif au suivi thérapeutique de feu Mme C______.

Le TPI lui avait fixé un délai pour indiquer si une demande de levée de secret professionnel avait été introduite auprès de l’autorité compétente. Il était utile de faire la lumière sur « l’état d’esprit » de la défunte et les motivations qui l’avaient guidée au moment de rédiger ses dispositions testamentaires.

5. Le 15 octobre 2019, M. B______ a demandé à la commission du secret professionnel (ci-après : la commission) à être relevé de son secret professionnel en vue de la transmission de données contenues dans un dossier.

La levée du secret médical était souhaitée dans le cadre d’une procédure instruite par le TPI.

6. Le 23 octobre 2019, M. A______ a écrit à la commission pour lui présenter le contexte de la demande de levée du secret professionnel.

L’avocat des fondations précitées avait informé les parties à la procédure ouverte au TPI de l’existence de la demande susmentionnée. Celle-ci s’inscrivait dans le cadre de la succession de la défunte qui avait mis fin à ses jours le ______ 2015. M. B______ avait été médecin de feu Mme C______ peu avant son suicide et avait diagnostiqué chez elle un trouble bipolaire. Il demandait la levée de son secret médical pour dévoiler des éléments confidentiels communiqués par la défunte dans le cadre de leur relation thérapeutique. Feu Mme C______ n’avait pas autorisé M. B______ à dévoiler le contenu de leurs entretiens couverts par le secret professionnel. Ce dernier intervenait dans la procédure pendante devant le TPI en qualité de membre du conseil de la fondation I______ Suisse (ci-après : I______) qui prétendait être héritière de la défunte.

7. Le 31 octobre 2019, la commission a accusé réception du courrier précité et a indiqué l’avoir versé au dossier relatif à la demande de M. B______.

8. Le 5 décembre 2019, la commission a auditionné M. B______.

Il avait suivi, pour le traitement médicamenteux, feu Mme C______ de 2012 à 2015. Il l’avait vue entre douze et quinze fois en consultation. Il avait vu pour la dernière fois la défunte en mars 2015. Celle-ci avait mis fin à ses jours en mars 2015. Le fils adoptif de la défunte avait intenté une action en justice pour contester son exhérédation. La défunte avait légué ses biens à quatre fondations ayant des buts sociaux et de recherche, dont I______. Il souhaitait être délié de son secret professionnel pour pouvoir répondre aux questions du TPI et de toute autre instance judiciaire dans le cadre de la procédure C/1______, en indiquant les éléments pertinents de sa prise en charge médicale de feu sa patiente et transmettre les mêmes éléments à l’avocat des quatre fondations.

9. Par décision du 5 décembre 2019, la commission a levé le secret professionnel de M. B______, l’a autorisé à répondre aux questions du TPI et de toute autre instance judiciaire dans le cadre de la procédure C/1______ en indiquant les éléments pertinents de sa prise en charge médicale de feu Mme C______ au département de santé mentale et psychiatrique des HUG telle qu’il l’avait décrite devant elle. Elle l’a également autorisé à transmettre les mêmes éléments à l’avocat des quatre fondations précitées.

La transmission des renseignements relatifs à la prise en charge thérapeutique de la patiente était nécessaire à la justice. Elle l’emportait sur la protection de la confidentialité due à feu Mme C______ et ne nuisait pas à sa mémoire. La qualité de M. B______ comme membre du conseil de I______ et de médecin traitant de feu Mme C______ n’influençait pas la décision de levée du secret professionnel. Les autorités judiciaires apprécieraient la pertinence de cet état de fait dans le cadre de leur mission.

10. Par acte déposé le 24 janvier 2020, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée en concluant à son annulation, à ce que la levée du secret professionnel de M. B______ soit refusée et à ce qu’il soit dit que M. B______ n’était pas autorisé à faire état d’éléments relatifs à sa patiente qui lui auraient été confiés ou qu’il aurait observés lors de sa prise en charge thérapeutique.

Il était héritier présomptif de feu Mme C______. Le dévoilement des informations apprises dans le cadre thérapeutique pouvait affecter la procédure ouverte auprès du TPI. Le médecin en cause était confronté à un conflit d’intérêt. Lui-même était touché dans ses intérêts de fait et de droit. Son intérêt était également actuel, l’audition de M. B______ pouvant décider de l’issue de la procédure civile. Ayant été informé de la décision attaquée lors de l’audience du TPI du 15 janvier 2020, le délai de recours de dix jours avait été respecté.

Le testament du 16 mars 2015 autorisait MM. E______ et F______ à témoigner sur le « comportement de A______ à mon égard ». L’intérêt de M. B______ était purement privé. I______ ne poursuivait pas dans le procès civil un intérêt public, mais tentait de se voir reconnaître la qualité d’héritière instituée de la défunte. M. B______ avait communiqué spontanément des informations à des tiers sans l’accord de la défunte et avait accepté de la part de celle-ci une éventuelle disposition testamentaire en faveur d’une fondation à créer par ses soins.

11. Le 24 février 2020, la commission a communiqué son dossier sans formuler d’observations.

12. Le 27 mars 2020, M. B______ s’en est rapporté à justice.

Il était certes l’un des membres du conseil de l’une des fondations, qui poursuivaient un but d’intérêt public, bénéficiaires des dispositions testamentaires de la défunte. Toutefois, lui-même n’avait pas été gratifié à titre personnel. Les recherches effectuées dans le cadre de I______ l’étaient à titre bénévole, aucun des membres de la fondation ne percevant une rétribution. L’autorisation de témoigner contenue dans le testament précité portait sur la relation entre la défunte et son fils adoptif dont il n’avait pas été témoin. En revanche, il pouvait s’exprimer sur le suivi thérapeutique fourni à sa patiente et sur son état d’esprit et les souffrances l’ayant amenées à rédiger les dispositions testamentaires contestées.

13. Le 15 mai 2020, M. A______ a persisté dans sa conclusion d’annulation de la décision attaquée.

Aucun motif ne justifiait la levée du secret professionnel. M. B______ n’exposait pas en quoi son audition servirait à l’intérêt privé d’un tiers. En revanche, il trahissait son propre intérêt à obtenir la levée de son secret. Il poursuivait un intérêt personnel d’une issue de la procédure civile favorable à I______ dont il était fondateur, représentant et ardent soutien.

L’intéressé a joint à ses observations un courrier adressé au juge délégué dans lequel il exprimait sa vision intime de ses relations avec feu sa mère. Il a également joint un courrier daté du 16 septembre 2019 d’une « spécialiste dans le domaine de la psychiatrie » qui interpelait M. B______ par une série de questions relatives aux « questions formulées par la défense des fondations » à l’encontre de celui-ci.

14. Ensuite de quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous cet angle (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 12 al. 5 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 - LS - K 1 03).

2. a. Les proches, au sens de l’art. 378 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), d’une personne qui contestent une décision de la commission instaurée par l’art. 12 al. 1 LS statuant sur la levée du secret professionnel d’un professionnel de la santé, ou sur l’étendue de celui-ci, ont la qualité pour recourir contre une telle décision, même s’ils n’ont pas été partie à la procédure devant la commission, dans la mesure où ils peuvent se prévaloir d’un intérêt digne de protection (ATA/456/2017 du 25 avril 2017 ; ATA/70/2016 du 26 janvier 2016).

b. Les décisions de la commission du secret professionnel peuvent faire l'objet d'un recours dans les dix jours qui suivent leur notification (art. 12 al. 5 LS).

c. En l’espèce, le recourant est le fils adoptif de la défunte, et il conteste l’autorisation, octroyée par la commission au médecin concerné, de faire état d’éléments médicaux relatifs à sa patiente qui lui auraient été confiés ou qu’il aurait observés lors de sa prise en charge thérapeutique. La qualité pour recourir doit par conséquent lui être reconnue.

La décision attaquée rendue le 5 décembre 2019 n’a été notifiée qu’au médecin concerné. Le recourant soutient qu’il en a eu connaissance lors de l’audience du TPI du 15 janvier 2020. Rien ne permet de mettre en doute cette affirmation. Partant, le recours ayant été déposé le 24 janvier 2020, il a été formé dans le délai légal de dix jours.

Le recours est dès lors recevable sous ces angles également.

3. Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de la commission levant, de manière limitée, le secret professionnel du médecin de la défunte dans le cadre de sa relation thérapeutique avec sa patiente, mère adoptive du recourant.

a. La Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantit le droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et protège toute personne contre l’emploi abusif des données qui la concernent (art. 13 al. 2 Cst.). Il se déduit de ces dispositions constitutionnelles un droit à l’autodétermination en matière d’information ou le droit pour toute personne d’être à même de déterminer si et dans quel but les données qui la concernent peuvent être traitées et enregistrées par des tiers quels qu’ils soient, privés ou provenant du secteur public (ATF 140 I 22 consid. 9.1 ; 137 I 31 consid. 6.2 ; 129 I 232 consid. 4.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.165/2004 du 31 mars 2005 consid. 7.1).

b. Aux termes de l’art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les médecins et psychologues, notamment, qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l’exercice de celle-ci peuvent être punis sur plainte (ch. 1). La révélation n’est pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l’intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l’autorité supérieure ou l’autorité de surveillance l’a autorisée par écrit (ch. 2). Le secret médical couvre tout fait non déjà rendu public communiqué par le patient à des fins de diagnostic ou de traitement, mais aussi des faits ressortissant à la sphère privée de ce dernier révélés au médecin en tant que confident et soutien psychologique (ATA/717/2014 du 9 septembre 2014 et les références citées).

4. En droit genevois, l’obligation de respecter le secret professionnel pour les médecins et thérapeutes est rappelée à l’art. 87 al. 1 LS. Elle est le corollaire du droit de toute personne à la protection de sa sphère privée, garanti par les art. 13 Cst. et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). C’est ainsi qu’en droit cantonal genevois, la loi dispose que le secret professionnel a pour but de protéger la sphère privée du patient. Il interdit aux personnes qui y sont astreintes de transmettre des informations dont elles ont eu connaissance dans l’exercice de leur profession. Il s’applique également entre professionnels de la santé (art. 87 al. 2 LS).

5. D’une manière plus générale, le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique de toutes les parties contractantes à la CEDH (ATA/1503/2017 du 21 novembre 2017 ; ATA/1006/2017 du 27 juin 2017 ; ATA/717/2014 précité). Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après : CourEDH), il est capital non seulement pour protéger la vie privée des malades, mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général. La législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation des données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme à l’art. 8 CEDH, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, le devoir de discrétion est unanimement reconnu et farouchement défendu (arrêts de la CourEDH Z. c. Finlande du 25 février 1997 et M.S. c. Suède du 27 août 1997 cités in Dominique MANAÏ, Droit du patient face à la biomédecine, 2ème éd., 2013, p. 127-129 ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2006 du 7 novembre 2006 consid. 2.3.1).

La finalité du secret médical n'est pas de protéger la vie privée du patient, mais de sauvegarder la santé de celui-ci. Quant à l'obligation de respecter le secret médical, elle ne protège pas uniquement la santé de l'individu mais elle tient également compte de la santé de la collectivité. Ainsi, ce dernier élément reste un paramètre essentiel et traduit la pesée des intérêts qui intervient entre secret médical et intérêt collectif dans certains domaines où la santé publique peut être mise en danger (ATA/146/2013 du 5 mars 2013 ; Jacques STROUN/Dominique BERTRAND, Secret professionnel et Justice, in Médecin et droit médical, 2009, p. 115 ss).

6. a. Comme tout droit fondamental, le droit à la protection du secret médical, en tant que composante du droit au respect de la vie privée, peut être restreint moyennant l’existence d’une base légale, la présence d’un intérêt public prépondérant à l’intérêt privé du patient concerné (ou la protection d’un droit fondamental d’autrui) et le respect du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 Cst.).

b. L’art. 88 LS dispose qu’une personne tenue au secret professionnel peut en être déliée par l’autorité supérieure de levée du secret professionnel, même en l’absence du consentement du patient s’il existe de justes motifs (art. 88 al. 1 LS en relation avec l’art. 12 LS).

À teneur de l’art. 87 al. 3 LS, les intérêts du patient ne peuvent constituer un juste motif de levée du secret, si ce dernier n’a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant. La notion de justes motifs de l’art. 88 al. 1 LS se réfère donc uniquement à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque hétéro-agressif ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause, conformément à l’art. 36 Cst. (ATA/1006/2017 précité ; ATA/202/2015 du 24 février 2015).

La doctrine retient que le secret ne peut être levé que lorsque des intérêts prépondérants le requièrent, qu’il s’agisse de ceux du maître du secret ou de ceux du détenteur de ce secret ou encore de l’intérêt de tiers. L'autorité doit procéder à une pesée des intérêts en présence. Par exemple, la levée du secret se justifie dans la mesure nécessaire pour permettre au professionnel de se défendre d'une accusation portée contre lui ou encore de faire valoir ses droits lorsqu'il est attaqué en justice par son client ; on peut aussi concevoir la levée du secret pour prévenir la commission d'une infraction (Bernard CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. III, 2010, ad art. 321 CP p. 771 et 772 ; Benoît CHAPPUIS, Code pénal II, Commentaire romand 2017, p. 2200 n. 153 ss).

c. L'art. 48 de la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) traite de l'accès et autres droits des proches d'une personne décédée aux données personnelles de celle-ci. L'al. 3 de cette disposition mentionne que l'art. 55A LS est réservé. Selon l’al. 1 de cette disposition-ci, pour autant qu’ils puissent justifier d’un intérêt digne de protection, les proches d’un patient décédé peuvent être informés sur les causes de son décès et sur le traitement qui l’a précédé, à moins que le défunt ne s’y soit expressément opposé. L’intérêt des proches ne doit pas se heurter à l’intérêt du défunt à la sauvegarde du secret médical, ni à l’intérêt prépondérant de tiers. L’art. 55A al. 1 LS ne semble prima facie pas autoriser la levée du secret médical pour des questions autres que celles des causes du décès et du traitement, par exemple la question de la capacité de discernement. Toutefois, rien ne permet de penser que le législateur cantonal aurait voulu, par l’adoption de cette disposition légale, exclure les questions relevant de la capacité de discernement du patient décédé (ATA/1075/2019 du 25 juin 2019 ; ATA/1146/2015 du 27 octobre 2015 qui examine la jurisprudence relative à la question de la capacité de discernement, antérieure à cette disposition, ainsi que les travaux préparatoires relatifs à son adoption). La jurisprudence du Tribunal fédéral n’exclut quant à elle pas expressément que la levée du secret médical puisse porter sur un tel objet (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1048/2015 du 16 septembre 2016 consid. 3.2).

Lorsque le patient ne peut donner son consentement parce qu'il est décédé, seul le professionnel de la santé concerné peut saisir l’autorité de surveillance (art. 321 ch. 2 CP ; arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2006 précité consid. 2.3.1 ; ATA/378/2013 du 18 juin 2013 ; Dominique MANAÏ, op. cit., p. 159 ; Jacques STROUN/Dominique BERTRAND, Médecin, secret médical et justice, in Dominique BERTRAND et al. [éd.], Médecin et droit médical : Présentation et résolution de situations médico-légales, 2ème éd., 2003, p. 168 et 169 ; Jean MARTIN/Olivier GUILLOD, Quelle attitude du praticien quand des instances ou personnes extérieures demandent des renseignements à propos d'un patient ?, in Colloques et Journées d'étude de l'Institut de recherches sur le droit de la responsabilité civile et des assurances, 2002, p. 430). En définitive, la décision de requérir d'être ou non délié du secret professionnel dépend du médecin concerné, qui doit examiner les intérêts contradictoires en présence, étant rappelé que l'autorisation doit être accordée lorsque l'intérêt à la divulgation l'emporte sur celui au maintien du secret, ce qui peut être le cas pour la famille du patient décédé. Dans ces conditions, la volonté du professionnel en cause, qui peut aussi s'avérer arbitraire, est décisive ; seul un revirement de ce dernier permet de résoudre la situation de blocage se présentant lorsque le médecin se trompe en effectuant la pesée des intérêts contradictoires à laquelle il doit procéder (arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2006 précité consid. 2.3.1).

7. En l’espèce, le recourant s’oppose à la transmission de renseignements médicaux relatifs à sa mère adoptive décédée. Comme proche de la défunte qui justifie d’un intérêt digne de protection, par sa démarche, il semble renoncer implicitement à la faculté que lui confère l’art. 55A al. 1 LS. La ratio legis de cette disposition étant de reconnaître aux proches d’un patient décédé la possibilité d’être informés sur les causes de son décès et sur le traitement qui l’a précédé si leur intérêt ne se heurte ni à l’intérêt du défunt à la sauvegarde du secret médical ni à aucun intérêt prépondérant d’un tiers, il apparaît douteux qu’elle puisse permettre à un proche d’empêcher l’accès aux informations médicales sur un patient décédé à un tiers qui justifie d’un intérêt privé prépondérant. Dans ses observations du 15 mai 2020, le recourant soutient qu’aucun intérêt prépondérant d’un tiers, en l’occurrence les quatre fondations en litige civil avec lui, ne justifie la levée du secret professionnel du médecin concerné. La démarche du recourant dans la présente procédure administrative vise à empêcher que le médecin concerné ne donne au TPI des renseignements médicaux qui pourraient lui être préjudiciables dans la procédure civile précitée. La chambre de céans doit dès lors procéder à une pesée des intérêts en présence.

a. Dans le cadre de la pesée des intérêts en jeu, il convient de prendre d’abord en considération l’intérêt public à la bonne administration de la justice, le TPI souhaitant auditionner le médecin concerné dans le cadre de l’instruction de la cause civile précitée, à la demande des fondations bénéficiaires. D’après la jurisprudence susmentionnée, l’un des justes motifs auquel se réfère l’art. 88 al. 1 LS est notamment le besoin de protéger le public contre un risque hétéro-agressif d’un patient. Toutefois, dans sa jurisprudence, la chambre de céans a déjà jugé que dans le cadre d’une procédure de droit successoral, un intérêt public à la mise en œuvre d’une saine justice pouvait constituer un juste motif de levée du secret professionnel, lorsque les différentes parties en procès invoquent leur intérêt privé respectif justifiant ou empêchant cette levée du secret médical (ATA/406/2017 du 11 avril 2017 ; ATA/1146/2015 du 27 octobre 2015 ; ATA/656/2007 du 18 décembre 2007).

La question de savoir si la défunte était ou non capable de discernement au moment de la rédaction de ses dispositions testamentaires contestées est, devant le TPI, déterminante pour l’issue de la procédure civile précitée. Il apparaît ainsi important que la question de la levée du secret médical soit tranchée et que les renseignements médicaux de la défunte soient transmis dans le cadre de cette procédure-là.

Dans ces circonstances, la levée du secret professionnel du médecin concerné limitée à répondre aux questions du TPI et de toute autre instance judiciaire dans le cadre de la procédure C/4602/2016 en indiquant les éléments pertinents de la prise en charge médicale de la défunte telle que le médecin concerné l’a décrite devant la commission est conforme au droit.

b. La présente procédure administrative met également en jeu l’intérêt de la défunte à sa mémoire tel que prévu par la jurisprudence précitée relative à l’art. 8 CEDH et à l’art. 55A al. 1 LS. La commission a autorisé le médecin concerné à répondre aux questions du TPI et de toute autre instance judiciaire dans le cadre de la procédure C/4602/2016 en indiquant les éléments pertinents de sa prise en charge médicale de la défunte telle qu’il l’avait décrite devant elle. Elle l’a également autorisé à transmettre les mêmes éléments à l’avocat des quatre fondations. Avant de prendre sa décision, la commission a, le 5 décembre 2019, procédé à l’audition du médecin concerné et a examiné la situation qui lui était soumise en tenant compte de l'opposition exprimée par écrit par le recourant dans son courrier spontané du 23 octobre 2019. À la suite de cet examen, elle a posé les bases et le cadre des renseignements à transmettre à la justice.

Composée de spécialistes médicaux, la commission a estimé que l’autorisation de répondre aux questions du TPI et de toute autre instance judiciaire dans le cadre de la procédure C/4602/2016 en indiquant les éléments pertinents de la prise en charge médicale de la défunte telle que le médecin concerné l’avait décrite devant elle ne nuisait pas à la mémoire de celle-ci. La chambre de céans, qui n'est pas composée de spécialistes médicaux, doit, dans de telles circonstances, faire preuve de retenue dans son appréciation.

Dans la mesure où les renseignements médicaux autorisés sont limités aux éléments pertinents de la prise en charge de la défunte, l’intérêt de celle-ci à la sauvegarde de sa mémoire n’est pas lésé au point de s’opposer à la levée du secret professionnel du médecin concerné. En outre, les relations familiales et les secrets de famille, dont la protection est en particulier visée par la sauvegarde du secret médical (arrêt du Tribunal fédéral 1P.359/2001 du 1er octobre 2001 consid. 2d), notamment entre le recourant et feu sa mère, ne seraient pour l’essentiel pas touchés au vu de la limitation du cadre des renseignements médicaux à fournir, le médecin concerné ayant au demeurant souligné au cours de la présente procédure administrative qu’il n’avait pas été témoin de la relation entre la défunte et son fils adoptif. Sur cet aspect, la défunte a explicitement autorisé, dans son testament du 16 mars 2015, un médecin et une autre personne à témoigner sur le « comportement de A______ à mon égard ».

De plus, la défunte ne s’est pas, de son vivant, expressément opposée à la transmission des renseignements médicaux en cause.

Ainsi, la décision attaquée est également conforme au droit sous l’angle de la sauvegarde de la mémoire de la défunte.

c. La présente procédure administrative met aussi en jeu les intérêts de nature privée qui s’opposent. L’intérêt du recourant, héritier légal, de recouvrer la part successorale à laquelle il pourrait prétendre si les dispositions testamentaires contestées étaient annulées se heurte à celui des quatre fondations instituées héritières par ces mêmes dispositions de la défunte.

Dans la limite retenue par la commission, les renseignements médicaux autorisés seraient utiles en vue de la clarification des droits des fondations considérées en matière successorale et le cas échéant de leur défense dans le cadre de la procédure civile ouverte. En revanche, ils pourraient affaiblir la position du recourant dont l’exhérédation pourrait être confirmée. Les deux intérêts qui s’opposent dans le cadre de la procédure civile ouverte par-devant le TPI sont d’égale importance dans la mesure où le recourant, héritier légal, et les fondations considérées, héritières instituées, revendiquent leurs parts successorales respectives qui pourraient leur revenir dans la succession de la défunte.

Sous cet angle, l’intérêt privé des quatre fondations précitées ne semble pas être prépondérant par rapport à celui du recourant. Il ne constitue ainsi pas un juste motif au sens de l’art. 88 al. 1 LS pour justifier la levée du secret professionnel du médecin concerné.

Néanmoins, au regard de l’ensemble des circonstances, dans le cadre de la pesée des intérêts en présence, l’intérêt public de la mise en œuvre d’une saine justice dans le cadre de la procédure civile ouverte devant le TPI, examiné ci-avant, apparaît prépondérant par rapport à la sauvegarde de la mémoire de la défunte et à l’intérêt du recourant à empêcher la transmission de ces renseignements. Ainsi, l'intérêt public à la levée du secret professionnel en cause pour la bonne administration de la justice prime celui du recourant à s’opposer à la transmission des renseignements médicaux de la défunte pour des motifs relevant de son intérêt privé d’obtenir l’annulation des dispositions testamentaires contestées. Il constitue un juste motif au sens de l’art. 88 LS.

Partant, le grief du recourant doit être écarté.

d. Pour le surplus, la levée limitée du secret professionnel du médecin concerné ne constitue pas une prise de position de la commission au sujet du reproche de conflit d’intérêts que le recourant forme à l'encontre de celui-là. Cet élément n’apparaît au demeurant pas pertinent pour l’issue de la présente procédure administrative. Même si le rôle du médecin concerné apparaît comme ambivalent dans la mesure où il est membre du conseil de l’une des fondations bénéficiaires, il est cependant le seul à pouvoir renseigner le TPI sur la capacité de discernement de la défunte. Il reviendra à celui-ci d’apprécier la valeur probante du témoignage du médecin concerné.

Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours.

8. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 janvier 2020 par Monsieur A______ contre la décision de la commission du secret professionnel du 5 décembre 2019 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Mes François Hay et Louis Gaillard, avocats du recourant, à la commission du secret professionnel ainsi qu'à Monsieur B______.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme Cuendet, M. Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Marinheiro

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :